Martine a un secret. Sous ses airs de quarantenaire stricte et pincée, c’est une as de la musette. Une championne, une artiste, capable de vous enflammer n’importe quelle piste. Valse, paso, tango, aucun style ne lui résiste. Alors quand, pour une obscure raison, l’un des ravisseurs a ramené un peu de gaieté dans ce casse, elle a été la première à se lancer.
Chignon défait, col déboutonné, ses collègues sont bouche bée, il n’en reviennent pas de ce déhancher. C’est à peine si elle voit Septimus être remis debout. C’est le petit blond agité qui l’intéresse. Alors quand son malheureux collègue est arraché de terre, il retombe directement dans les bras de l’Allumette, revenu en toute hâte du bureau du Président avec une carafe pleine de café. Pendant ce temps on se trémousse dans l’open space. Martine mène son nouveau partenaire comme un tigre jouerait avec une poupée de chiffon.
Elle aurait finit par en extraire toute la ouate sans l’intervention de la cheffe des braqueurs.

PAN !

La caisse du gramophone explose. Le diamant raye le disque qui s’arrête de tourner dans un son lent, mou et triste, qui fait immédiatement retomber la liesse. Martine lâche sa proie dans un petit cri et tout le monde retombe à terre. Tout le monde sauf Septimus, enfin revenu à lui.
Il se redresse, plus blasé que perdu, appuyant une partie de son corps sur celui d’Andréa. Aussi maigres l’un que l’autre, ils ont l’air de deux réverbères rapprochés par une tempête.
Brooklyn les rejoint et scrute d’un œil ce grand échalas pâle, dont le visage vide d’émotion est encadré par des cheveux noirs coupés au bol. Il a l’air de tenir sur ses deux pieds. Elle lève le canon de son arme encore fumante, histoire de lui rappeler qui mène la danse, mais ne le menace pas directement avec.

« Z’allez ouvrir la porte d’la salle d’contrôle.
— D’accord…
— Et pas d’entourloupe.
— D’accord… »

Elle s’inquiète un peu. C’est normal qu’il ait l’air plus mort que toute à l’heure ?
Elle fait signe à l’Allumette de l’accompagner, pour Bonnet, elle n’en a rien à secouer. Il les rejoindra quand il se sera remis de son bal improvisé. Tous gagnent la salle de contrôle déjà bien remplie. Mallory et Charity dégagent tous ceux qui ne feront que les gêner.
Blasé, Septimus se présente devant le panneau de sécurité. Il bâille et lève une main molle. Elle s’illumine d’une aura violette qui se répercute sur la porte. Toute sa structure s’ébranle dans un concert de cliquetis, grésillements et autres sons emprunt de magie.

Tout le battant se disloque comme un puzzle rétractable.
Le passage vers les coffres est ouvert, mais ils sont attendus.

Brooklyn fait claquer le chien de son armes et craches :

« Long time no see… Foxes. »

Trois rires féminins lui répondent.

Le temps semble s’être arrêter pour donner plus d’amplitude à ce face à face. Face aux Jackies, trois femmes au style éclectiques se tiennent en travers de leur route. Derrière elles, se trouve une porte cadenassée sur laquelle un écriteau métallique indique « Salle des machines - Danger - Défense d’entrer ». À droite un passage donne sur un corridor. Il est plongé dans le noir, mais c’est le chemin qui les mènera aux coffres. Quelqu’un d’assez agile pourrait s’y faufiler, mais Andréa renonce tout de suite à cette idée. Il serait capable de s’empêtrer dans ses propres lacets avant d’avoir fait deux mètres.
Derrière son masque, son regard retourne se poser sur les gardiennes des lieux. L’une d’elle attire particulièrement son attention. Elle se tient au premier rang, aussi en déduit-il qu’elle doit être la meneuse du trio. Elle porte une robe de soubrette qu’elle tient remontée sur sa cuisse, sur laquelle luit un trousseau de clés vide. Un sourire carnassier fend ses lèvres, dont elle ôte une sucette à demi-croquer. Du bout de l’auriculaire, elle remonte ses lunettes, petites et rondes, sur deux yeux d’un noir charbonneux qui s’arrondissent de malice.

« C’est si gentil de venir vous amuser avec nous. On commençait à s’ennuyer.
— Laisse nous passer, Amaryllis.
— Oh ? Mais qui a dit qu’on allait vous en empêcher ? »

Elle salue comme une humble servante et indique, du plat de la main le couloir sur le côté. Leur groupe peut se séparer pour fouiller les environs, mais leur cheffe ne bouge pas, Andréa non plus.
Il regarde, hypnotisé, les murs de la pièce se couvrir lentement de végétation. Lierres et ronces rampantes longent les parois et grignotent le carrelage, s’étendant partout dans la pièce et au-delà. Il comprend trop tard que leur sortie vient d’être bouchée par un rempart de lianes, les condamnant à avancer. L’œil de Brook se plisse, le sourire d’Amaryllis s’étire :

« Ça te dit une petite partie ?
— What ?
— J’ai maladroitement égaré nos trois clefs. Deux pour la salle des coffres, une pour la salle des machines. Elle ont dû tomber quelque part, mais impossible de savoir où. Trouvez-les avant nous et elles sont à vous !
— No way ! On a autre chose à f- »

Brooklyn s’apprête à objecter, mais les deux comparses d’Amaryllis s’élancent. La partie est lancée et Andréa a tout juste le temps d’étendre le bras pour arrêter l’une d’elle sur sa lancée.