- Alors, où est ce fichu saladier ?
Rita fouillait dans un tiroir, jetant tout les outils qui ne lui servait pas dans l'instant. Cela faisait une bonne heure que la banshee tentait tant bien que mal de rassembler tous les ustensiles que la recette indiquait. Rien que les ustensiles. On lui avait dit que tout était dans la petite pièce, des meubles à divers tiroirs longeant tous les murs, le four et la cuisinière au centre. Un évier argenté scintillait à la lueur du soleil matinal traversant une petite fenêtre. Une cuillère salie trônait déjà sur l'acier brillant. Et oui, Rita avait trouvé un pot de compote et n'avait pas résisté à en prendre une lichette. D'où la présence du pot sur un des trois plan de travail. Un éclat de voix résonna dans la rue, sous la fenêtre, alors la jeune fille sortit la tête de son placard. Une pince de bois sculpté retenait ses cheveux, mais elle eut tout de même le réflexe de les rabattre en arrière.
Parler à Rita de la Saint-Valentin, c'était tout aussi utile que d'essayer de faire étouffer un éléphant avec une noisette. Elle ne savait pas du tout ce que c'était. Elle s'en foutait en fait. Tout au plus, elle considérait cette fête comme le meilleur moyen que les commerçants aient trouvé pour maximiser leur profit, en ce mois de février déprimant. Rita n'avait aussi que cure de l'hiver. Le froid, l'obscurité, l'humidité, après tout, sont les choses qui ont accueilli la banshee en ce monde. Elle aurait pu adorer cette saison, mais la mortalité grimpante empêchait Rita d'y trouver aise. Alors, elle s'enfermait, sortait le moins que possible du cabaret et dormait, la plupart du temps. Néanmoins, à cause de cette fête, elle était tenu de faire équipe avec quelqu'un, afin de réaliser une quelconque recette de chocolat. Avec Lennox Von Wolfstadt, le pianiste. Elle l'avait aperçu à quelques reprises et, la première fois, elle n'avait pas compris la présence d'un humain dans les locaux. Mais le truc qui le suivait partout semblait en être la cause. Un truc, parce Rita n'en avait jamais vu de pareil. Et n'avait pas vraiment envie de le savoir. S'en foutait en fait. Morosité hivernale.
Rita trouva le saladier. Une fois qu'elle l'avait en main, elle se dirigea vers l'évier et déposa le récipient à côté, avant d'essuyer ses mains moites sur son tablier beige et de les placer sur l'arrête du meuble. Elle fixa la rue, au dehors, et les passants frissonnants. Couvertes de manteaux richement rembourrés et de bottes fourrés, les dames accompagnaient allègrement les messieurs, leurs haut-de-forme toujours sur leurs têtes. Ils s'y accrochaient tellement que la bise ne parvenait pas à les décrocher. Au coin de la ruelle, un enfant faisait un grand signe à ses compères. Il avait une écharpe rouge. Rita soupira de fatigue, puis entendit un bruit de fracas derrière elle. La banshee se retourna, surprise, et vit la porte du garde-manger grande ouverte. Doucement, elle s'en approcha. Un autre bruit la fit se retourner, mais comme il n'y avait rien, Rita se reconcentra sur le meuble ouvert. Avançant à pas feutrés, elle prit un des battants en main et entreprit de le rabattre, mais un autre grincement la fit sursauter. La jeune fille prit une louche en main, en tant qu'arme de fortune.
- Si c'est une souris, je jure que je vais l'éclater ! chuchota-t-elle avec hargne.
Pourtant, elle savait que les souris n'ouvraient pas les portes de placard. Alors, se retournant, Rita examina les lieux avec méfiance. Soulevant sa jupe d'une main, brandissant son ustensile de l'autre, elle longea la cuisinière et la contourna, de façon à se retrouver face à la porte. Elle s'accroupit et adoucit sa respiration, se rendant la plus silencieuse possible. Arrivée sur le côté adjacent de celui de la porte, Rita entendit un froissement et vit un pied dépasser du coin du meuble. La banshee serra sa louche et déglutit, avant de se lancer en beuglant sur l'intrus. Elle s'arrêta rapidement, voyant qui était menacé par la banshee aguerrie.
- Vous ?! S'exclama Rita, étonnée. Enfin, qu'est-ce que vous faîtes à vous cacher comme ça ?
Elle trouva rapidement réponse à sa question, en constatant le morceau de tablette entre les dents et les mains du pianiste et celle de son... compagnon. Elle baissa les épaules d'un air déçu et posa sa louche, tout en fixant Lennox et Layth d'un oeil agacé.
- C'est pas que ça me dérange que vous piquiez dans nos ingrédients, mais que vous jouiez aux rats de cuisine m’énerve légèrement... Allons, relevez-vous et commençons, que je puisse aller me coucher le plus tôt possible.
Rita prit donc le livre de recettes et ouvrit une page marquée, la page des muffins aux chocolats. Elle avisa les deux compères, puis leur lança chacun un tablier.
- Mettez ça, déclara-t-elle. J'ai pensé qu'on pourrait faire des muffins, histoire de faire quelque chose de simple. Mais ça, c'est à vous de voir. Vous êtes d'accord ?
Elle leur tendit le bouquin, dont la page ouverte était décoré de belles enluminures et d'un dessin crayonné, le tout avec la texture et la couleur de l'encre d'imprimerie. Ayant l'occasion de les détailler, Rita remarqua les traits fins de Lennox, auxquels elle n'avait jamais vraiment fait attention. Elle constata aussi l'air furibond que son camarade lançait à son encontre, auquel elle répondit par un sourire moqueur. Elle comprenait pas tellement pourquoi il se fâchait, mais bon, Rita ne manquerait jamais une occasion de sortir quelqu'un de ses gonds.