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Cabaret du Lost Paradise - Forum RPG

Forum RPG fantastique - Au cœur de Paris, durant la fin du XIXe siècle, un cabaret est au centre de toutes les discussions. Lycanthropes, vampires, démons, gorgones… Des employés peu communs pour un public scandaleusement humain.
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 Voyage en terre d'outre-Manche

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Morgan Lenoir
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MessageSujet: Voyage en terre d'outre-Manche   Voyage en terre d'outre-Manche I_icon_minitimeVen 5 Oct - 21:07

Projet d'une hydre en pays britannique...


Comme certains d'entre vous le savent déjà, j'ai été recrutée par Oxford jusqu'en juin pour donner des cours de français en tant que "French Lector". Comme je rêvais depuis longtemps de m'acheter un beau Paperblank, et d'écrire un journal dans le style du XIXème, je me suis dit que ce serait l'occasion idéale !

Pour ceux que la chose intéressera, voici donc un aperçu du bel objet :

Quand à ce qui va suivre, il s'agira de quelques entrées dudit journal, pour vous tenir un peu au courant du déroulement de mes aventures... J'ajouterai aussi quelques photos, pour que vous puissiez profiter avec moi du paysage anglais, et des lieux les plus insolites des universités où je vais travailler, vus des coulisses !

Et... Voilà tout.
J'espère simplement que j'arriverai à faire partager mon enthousiasme, dans ce contexte assez particulier, et (je peux d'ores et déjà le dire), plein de richesses et de surprises ! ^^


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Morgan Lenoir
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MessageSujet: Re: Voyage en terre d'outre-Manche   Voyage en terre d'outre-Manche I_icon_minitimeVen 5 Oct - 21:49

Le 02/10/2018

C’est ainsi que, le 2 octobre 2018, je quittai Paris à bord de l’Eurostar pour gagner Oxford, où je devais enseigner le français pendant un an. J’avais été recrutée par Wadham et St Catherine’s Colleges, dans le cadre des relations qu’entretenait l’université anglaise avec mon École. Après un bref séjour à Paris, j’avais fait mes derniers adieux, et c’est avec une exaltation mêlée d’angoisse que je regardais défiler le paysage nocturne. À l’obscurité du petit matin (car il est 7h30 à l’heure où j’écris ces lignes) succèdera bientôt celle du tunnel sous la Manche – et qui sait quelles joies, quelles craintes, quelles rencontres et quelles solitudes m’attendront de l’autre côté ? J’ignore si je ferai une bonne lectrice, n’ayant encore jamais donné de cours à proprement parler, et ne possédant ni qualifications ni diplômes ; mais il est certain que je mettrai tout en œuvre pour ne pas décevoir. Je dois rencontrer ce soir mes deux tutrices pour la première fois : ce n’est qu’alors que je pourrai commencer à me préparer réellement pour ce qui m’attend. Dans l’intervalle, je compte bien profiter de mon petit passage à Londres, pendant les six heures de ma correspondance, pour savourer le plaisir de remettre le pied sur le sol britannique, après près de sept ans à l’espérer.

* * *

Ma journée dans la capitale demeurera, sans conteste, un très heureux souvenir. Quoique le peu de temps dont je disposais ne m’ait naturellement pas permis d’en appréhender toute la richesse fourmillante, il me semble avoir commencé à prendre le pouls de cette nation d’outre-Manche, maintenant que me voilà passée à l’heure anglaise. Embarquée dans un taxi noir londonien, j’ai pu échanger quelques premiers mots avec mon chauffeur, un vieil anglais flegmatique qui me conduisait de St Pancras à Paddington Station. Puis, une fois libérée de mes deux lourds bagages (la fantaisie de porter des chemises à jabot demande véritablement de bons bras, de nos jours), je gagnai Camden Market à bord d’un bus à impériale. Je ne puis, pour dire la vérité, concevoir d’endroit plus plaisant. Ici, la profusion de queues-de-pie d’occasion et de longues robes de soirée vintages le dispute aux enseignes gothiques ou cyberpunk, tandis que dans l’air, entre les murs de briques brunes, les odeurs d’encens et de nourriture thaïe s’entremêlent. Je me retirai sur un pont surplombant le Regent’s Canal pour embrasser de la vue ce quartier hétéroclite où les façades mêmes sont des œuvres d’art, l’une arborant un grand dragon, l’autre une chaussure géante, en fonction de la boutique qui se trouve en-dessous. Accompagné du bruissement des saules pleureurs, Bob Marley rappelait à chacun qu’ « Every little thing gonna be alright ».

Vues de Camden Market:

Enfin, m’aventurant dans le métro, j’allai renouer avec mes souvenirs d’enfance sur la voie 9 ¾ de King’s Cross, avant de regagner Paddington et mon train de 14h50 pour Oxford où, pourrait-on dire, m’attend désormais mon destin.

Pélerinage sur la voie 9 3/4:

* * *

Ma première rencontre avec ma tutrice de St Catherine’s s’est avérée, pour le moins, saisissante. Ms. Olivia Tolley, à peine plus âgée que moi, est un flamboyant être aux cheveux bleus et auburn qui m’a réservé un accueil des plus chaleureux alors que je frappais, anxieuse, à la porte de son bureau. Elle passa l’heure qui suivit à m’expliquer les détails de mon poste tandis que je prenais fébrilement des notes autour d’un thé au gingembre, s’interrompant pour répondre à chacune de mes questions lorsque me venait un doute. Puis nous allâmes ensemble boire un verre au pub du Bath Place Hotel, qui avait, paraît-il, accueilli Oscar Wilde, Stephen Hawking ou encore Margaret Thatcher parmi tant d’autres. Nous fumes brièvement rejointes par Ms. Emily McLaughlin, ma tutrice de Wadham – une jolie blonde trentenaire d’une gentillesse sans égale, venue tout spécialement pour me saluer. Puis, restées seules, je dégustai avec Olivia la plus délicieuse saucisse-purée (ici, on dit « sausage and mash ») qu’il m’ait été donné de manger. Assommée par mon long voyage et par le grand verre de bière que m’avait généreusement offert Olivia, je regagnai péniblement St Catherine’s en compagnie d’un doctorant allemand que j’avais abordé en chemin, car je ne trouvais plus le mien, et, sans trouver le courage de défaire mes valises, je m’effondrai sur mon lit, et m’endormis aussitôt.


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Morgan Lenoir
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MessageSujet: Re: Voyage en terre d'outre-Manche   Voyage en terre d'outre-Manche I_icon_minitimeSam 6 Oct - 19:57

Le 03/10/2018

Les réunions de début d’année n’ont pas le même aspect, de l’autre côté du bureau. Les professeurs sont beaucoup moins impressionnants ; les étudiants, beaucoup plus. Émergeant contre toute attente du sommeil à 6h30, réveillée sans doute par l’excitation, et le calme lever du soleil à travers mes persiennes, je parvins à ranger mon barda avant de partir rejoindre Olivia pour ma réunion de 9h avec les « First Years ». Pour l’heure, il s’agissait simplement de la laisser parler et de sourire, m’avait-elle dit, ce que je sus faire assez bien. La prestation fut certainement plus discutable lorsque vint mon tour de me présenter en anglais, car je perdis soudain la faculté de former une phrase cohérente (phénomène qui ne devait faire que s’accentuer au fil des heures). Après une brève visite de l’aile des professeurs en compagnie du Dr. Sam Wolfe, qui me valut de découvrir à la fois l’auguste « dining room » et l’auguste accent oxfordien de mon guide, je me précipitai à Wadham College, doublant en route un long rang de charmants élèves de primaire en uniforme – veste noire, cravate, chaussettes hautes et culotte courte.

Une photo volée des écoliers d'Oxford:

À mon arrivée, j’eus à peine le temps d’admirer les lieux et leur architecture du XVIIe qu’il me fallait déjà trouver mon chemin parmi les arches et les courettes intérieures, armée du plan que m’avait aimablement remis le portier, un vieil Écossais tout en humour et en moustache. À cette nouvelle réunion devait en succéder une troisième, destinée aux nouveaux lecteurs, dans une salle remplie de portraits ; je profitai du battement entre les deux pour explorer l’endroit, et tombai par hasard sur la splendide chapelle anglicane et son orgue immense.

L'entrée de Wadham College et sa cour au gazon sacré:

La chapelle déserte de Wadham College:

* * *

Le lunch qui suivit fut l’un des repas les plus insolites que je fis de ma vie. J’avais reçu quelques temps plus tôt un message, qui m’invitait à un déjeuner donné par le « Warden », le proviseur, en l’honneur des nouveaux membres du corps enseignant. J’arrivai à destination avec près d’un quart d’heure de retard sur l’horaire indiqué, car ma précédente réunion avait traîné en longueur, et qu’on m’avait d’abord conduite au mauvais endroit. On me fit entrer dans une petite salle lumineuse et couverte de marbre, au centre de laquelle trônait une table ornée d’une longue nappe blanche. Autour d’elle, neuf personnes et une chaise vide – la mienne. On m’invita donc à m’asseoir à la droite d’un grand homme élégant en me demandant si j’avais déjà mangé, ce qui me sembla étrange, puisqu’il me semblait qu’on m’avait justement fait venir pour cela. Ayant répondu par la négative, on me proposa d’aller me servir sur le buffet chargé de victuailles, ce qu’affamée, je m’empressai de faire. Je ne remarquai qu’alors les deux domestiques en uniforme, postés de part et d’autre de la table, et chargés de surveiller la température des plaques chauffantes ; à cette vue me vint soudainement la pensée que mes chances de pouvoir manger ma cuisse de poulet à la main, comme j’en ai l’habitude, étaient, selon toute vraisemblance, nulles. Quand je me fus rassise, entamant mon repas avec bonheur, l’homme élégant se pencha vers moi pour me demander si j’étais originaire de Paris. Après deux bonnes minutes passées à mastiquer ostensiblement, le doigt levé en signe d’excuse, je dus me résoudre à répondre, la bouche à demi-pleine, d’un délicat « ‘ah am f’om South F’ance » – précisant, après déglutition totale, que ma ville se situait à proximité d’Avignon. S’en suivit un petit échange lors duquel je crois n’avoir pu me retenir de lorgner avec tristesse et envie sur mon poulet en train de refroidir. Quand je sentis que mon interlocuteur s’apprêtait à se détourner de moi, j’osai hasarder à mon tour une question, et lui demander qui il était. Il s’agissait, naturellement, du proviseur, Lord Ken Macdonad.
Bien évidemment.
Il est des jours, comme ça, où l’on regretterait presque de ne pas avoir les manières, pour prolonger l’impression produite par la lavallière et le costume trois pièces : je paye ici mon goût des contrastes. Je compris ainsi peu à peu à mes dépens que nous étions moins là pour nous sustenter que pour discourir courtoisement devant nos assiettes, que l’on décorait d’un peu de viande ou de quelques pommes de terre par fantaisie. Lorsque Lord Mcdonald se tourna de nouveau vers moi pour me demander si je voulais du fromage ou du gâteau, je commis mon erreur la plus grave en répondant poliment que oui. Je lus l’embarras sur son visage tandis qu’il invitait les autres convives à passer dans la « coffee room », me laissant seule derrière s’il n’avait été une timide professeur d’ingénierie, qui, sensible à mon désarroi, resta pour me tenir compagnie, sous le regard amusé et compatissant du personnel chargé de débarrasser.

* * *

Ayant avalé mon dessert en quatrième vitesse, nous rejoignîmes enfin les autres dans la coffee room, qui avait tous les aspects d’un luxueux fumoir, et qui servait également de Salle Commune des Professeurs de Wadham. Les boiseries, les tables en bois sculpté, les journaux du monde entier déposés sur les tables et la vaste collection de thés laissés à la disposition des visiteurs ne manquèrent pas de me séduire. Le gestionnaire académique, Mr. Mike Froggatt, avec qui j’avais pu discuter un peu à table, vint me remettre une petite clé dorée : celle de la pièce où nous nous trouvions, et où je pouvais accéder à loisir en tant que membre de la « Senior Common Room ». Il m’offrit ensuite une visite de l’établissement, et m’expliqua dans son bureau comment je devais remplir les bulletins en ligne. Étourdie par le nombre d’informations que j’avais déjà dû engranger dans la journée, je rentrais à St Catherine’s me charger de quelques autres formalités administratives, récupérer dans le bureau d’Olivia les deux boîtes d’archives mystérieuses laissées par mes prédécesseurs, avant de partir en quête d’un vélo, de gel douche et d’un repas du soir, ne trouvant finalement que le dernier par manque d’organisation, pour enfin rentrer et poursuivre ce journal, puis me coucher aussi tôt que me l’auront permis mes diverses obligations du jour – c’est-à-dire à minuit moins vingt.

Retour à St Catherine's:


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MessageSujet: Re: Voyage en terre d'outre-Manche   Voyage en terre d'outre-Manche I_icon_minitimeDim 7 Oct - 13:10

Eh bien ! C'est un bien bel ouvrage que tu as là ! Ça promet ! D'autant qu'avec une aussi jolie plume, il sera vite bien rempli de fantastiques aventures =)

Je suis impressionné des façades grandioses de la ville et des boutiques, au moins tout autant que de l'univers que tu décris ! C'est dingue ! Jamais l'administration ne se comporterait de la sorte ici ! Ça doit vraiment être très déroutant ! En prime pouvoir se balader dans des rues aux infrastructures si démesurées doit être tellement grisant ! Est-ce qu'il y en a une que tu préfères ? Tu as déjà pu entrer dans une librairie ? A quand la superbe photo de ta toge magique ? :vieuxmage: J'ai vraiment hâte de voir la suite !
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MessageSujet: Re: Voyage en terre d'outre-Manche   Voyage en terre d'outre-Manche I_icon_minitimeDim 7 Oct - 21:47

Réponse à Aly:

Le 06/10/2018


Je suis réveillée au matin par le croassement des corbeaux, qui occupent la grande plaine sur laquelle mes fenêtres donnent. Par dizaines ils se tiennent ainsi répandus, en bandes serrées parmi la rosée, sombres virgules dans cette verdoyance.
Ces derniers jours se sont déroulés sans accroc. J’eus de nouveau beaucoup à faire jeudi, comme nous organisions les emplois du temps – tâche qui donne ici lieu à un processus très étrange que l’on pourrait penser voisin du loto, puisqu’il s’agit pour le professeur d’annoncer à voix haute une plage horaire, à laquelle les élèves doivent répondre s’ils sont disponibles ou non, jusqu’à obtention d’un créneau collectivement compatible. Naturellement, les plannings ainsi établis sont sujets à un certain nombre d’aléas, si bien que, sans surprise, les négociations ont dû reprendre hier pour au moins deux de mes classes.
J’ai néanmoins pu profiter de mon vendredi pour sortir faire un premier tour en ville. Où que se pose le regard, il n’est rien qui ne nous rappelle que nous sommes ici en Angleterre. Dans cette « city of dreaming spires », on marche toujours à l’ombre d’un clocher rêveur, ou d’un majestueux édifice qui sert d’écrin à un savoir plus noble encore. Le ballet incessant des bus à étage se reflète dans les vitrines des boutiques, où l’on vend des pulls et des écharpes aux couleurs des différents Colleges ; tandis que, sous les ponts qui enjambent la rivière Cherwell et la Tamise, dorment les « punts », de petites barques traditionnelles à fond plat, dont la coupe rectangulaire fait aujourd’hui le bonheur des touristes en excursion.

Vagabondage dans les rues d'Oxford:

Je saisis également l’occasion qu’offrait ma promenade pour commander ma « Fellow’s gown » chez Walters of Oxford. Puisque celle-ci devait, selon le vendeur, leur parvenir aujourd’hui, je m’autoriserai je crois l’innocent plaisir d’aller la chercher avant de m’atteler à la préparation maintenant urgente de mes cours, une fois sortie de mon bain (la baignoire de l’étage, située à côté de ma chambre, offrant, il est vrai, un luxe très appréciable !).

Les robes académiques de Walters of Oxford:

* * *

Comme convenu, je reçus dès 10h, heure d’ouverture du magasin, un message m’informant que ma toge m’y attendait. M’étant habillée prestement, je dévalai l’escalier en enfilant ma veste, et passai la porte d’entrée.
C’est ainsi que se fit ma première rencontre avec les pluies anglaises. Je m’étonnais, je dois dire, que nous ne nous fussions encore accointées.
Tirant de mon sac mon parapluie, je m’engageai le cœur non moins joyeux sous ce ciel gris, jusqu’aux abords de Turl Street. Là, prise je ne sais pourquoi d’une curieuse appréhension, je retardai ma visite chez le tailleur pour savourer un sandwich chaud, confortablement installée sous le porche de la Bodleian Library. Depuis mon abri clandestin, et surtout bien au sec, je contemplai la succession des parapluies et des cirés qui défilaient en nombre sur l’esplanade de Broad Street. Finalement repue et apaisée, je m’en retournai vers la boutique où me fut remis mon habit, en compagnie duquel j’eus le plaisir de reprendre le chemin de chez moi après essayage. En tant que professeur, ma « gown » a l’aspect d’une sorte de cape noire dotée de longues manches flottantes, dont l’étrange coupe, aux extrémités, évoque les ailes d’une chauve-souris. Il va sans dire que mon projet, en ce qui la concerne, est de la garder et de la chérir pour le restant de mes jours, si bien qu’une fois rentrée, l’enfiler fut mon premier geste ; suite à quoi, je le confesse, je la gardai sur le dos jusqu’à la fin de la journée.

La chute de mon identité secrète !...:


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MessageSujet: Re: Voyage en terre d'outre-Manche   Voyage en terre d'outre-Manche I_icon_minitimeMar 9 Oct - 19:41

J'aime beaucoup te lire. On a vraiment l'impression de découvrir un des récits de voyages du XIXe siècle, les bus, téléphone et appareil photo en plus. Ton écriture dans le carnet est aussi incroyable. Outre le fait que ce soit droit (ce qui relève de la magie pour moi), tes lettres sont très belles. Ça te fera un joli souvenir de voyage !

Les lieux ont vraiment quelque chose de magique et de hors du temps, ça doit être exceptionnel de pouvoir s'y promener et encore plus en temps que professeur. La « gown » te va drôlement bien d'ailleurs. C'est ultra classe. Ce que tu portes dessous c'est l'uniforme recommandé où tu t'habilles toujours comme un élégant lord ?

J'ai hâte de savoir ce que va donner tes premiers cours et quelles autres aventures le pays du thé et des scones te réserve.
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MessageSujet: Re: Voyage en terre d'outre-Manche   Voyage en terre d'outre-Manche I_icon_minitimeVen 12 Oct - 14:22

Paperblank célavie (même si c'est char/pan) !
J'ai ce genre de calepins aussi dans ma maison, je ne peux qu'approuver et admirer ta patience à écrire en style 19ème tout du long. Même pour un projet aussi cool je pense que je serais incapable de tenir sur la durée xD
GG à toi c'est très réussi !

ET T'AS VU CAMDEN COMME C'EST COOL ! )o)
On pourrait s'y perdre des heures ^.^

C'est assez fascinant, les bâtiments, les gens, les costumes, on se croirait figés au siècle passé c'est extra !
Et seigneur ce symbolisme jusque dans le "repas"... mais ils ont pas honte d'affamer mon frère ! (enfin... ma soeur, très mignonne au demeurant et qui prend la pose comme une professionnelle :p )

Merci pour ces aventures et les photos qui me font voyager !!!!!
Guh, l'angleterre me manque x)

PROFITE UN MAX et reviens nous vite avec la suite !!!
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MessageSujet: Re: Voyage en terre d'outre-Manche   Voyage en terre d'outre-Manche I_icon_minitimeMer 17 Oct - 22:43

Réponse à Eddy:
Réponse au FRANGIIIIIIN !:


Le 10/10/2018


Aujourd’hui devait marquer mon entrée décisive dans le monde de l’enseignement oxonien. Ce 10 octobre, je me suis confrontée pour la première fois à une classe ; et j’écris ces lignes depuis la Senior Common Room de St Catherine’s, où j’attends, ma gown roulée sur les genoux comme un vieux plaid, de faire mon entrée à la High Table. À cinq minutes pourtant du repas supposé, la salle, que je m’attendais à trouver grouillante de professeurs bavards, toge sur les épaules et tasse de thé en main, et au sein de laquelle j’espérais me fondre, est parfaitement déserte. Pas un chat, malgré le ronronnement trompeur de la bouilloire… Je ne peux qu’espérer en silence, dans cette étrange atmosphère nocturne, ne pas m’être trompée d’horaire, ou de jour – ou de pièce.

La SCR (Senior Common Room) de St Catz:

* * *

Les premiers cours que j’avais donné m’avaient laissé une impression incertaine. À 9h, j’avais fait la rencontre des « Finalists » de Wadham : un groupe de huit étudiants de dernière année, que mon rôle était de former à l’examen final dont je ne savais moi-même pas grand-chose. Il n’est pas évident de devoir incarner soudain, pour huit inconnus de presque son âge, une figure d’autorité – une référence, à laquelle ils doivent sentir qu’ils peuvent légitimement se fier. J’eus néanmoins l’agréable plaisir de les découvrir, sans surprise, très sérieux et investis, mais également indulgents devant ma posture quelque peu hésitante. Malgré ce respect évident et spontané qui leur acquis d’emblée toute ma reconnaissance, je crois que le malaise d’un professeur se communique à ses élèves, de même que l’eau, lorsqu’elle jaillit d’une source, ronge aussi les rochers en contrebas. J’en fis de nouveau l’expérience à 17h, alors que je rencontrais mes deuxièmes années, et que mes pirouettes, pour tenter de rendre l’exercice de thème vivant, tombèrent à peu près toutes à l’eau, aucun d’eux n’osant prendre la parole.

* * *

C’est avec ces sentiments mitigés que je regagnai donc St Catherine’s ce soir-là, et me rendis, solitaire, dans la salle où l’on m’a précédemment trouvée. Les premières arrivées se firent finalement à 19h pile, quand deux anciens étudiants taïwanais entrèrent dans la salle, l’un diplômé de maths, la seconde de musicologie. Ils furent suivis de près par deux professeurs d’informatique du College, et c’est ainsi que les présentations commencèrent. Chaque nouveau-venu qui pénétrait la salle commune serrait la main de tous ceux qui étaient là, et nous annoncions alors nos prénoms, dont je n’en retins presque aucun ; puis il se joignait au cercle que nous formions, lequel, peu à peu, ne tarda pas à s’étirer en ovale, à mesure qu’affluaient les convives. Intrigués sans doute par mon jeune âge qui contrastait avec ma Fellow’s gown (il y avait d’autres jeunes gens présents, mais ils portaient tous l’habit des élèves ou des doctorants), nombreux furent ceux qui vinrent me demander qui j’étais. Je leur expliquai donc, à tour de rôle, que j’étais la nouvelle lectrice française, en poste pour un an, et qu’il s’agissait de mon premier « dinner » ici. On me souhaita chaleureusement la bienvenue. Je me prêtai de nouveau aux traditionnels « small talks » de courtoisie, ne pouvant m’empêcher de poser quelques questions sur le fonctionnement de l’université, sur les coutumes que j’avais pu observer et sur ce qui allait suivre.
« Étant française, je suis parfaitement étrangère à ces rituels… confiai-je à mon voisin, un professeur au fort accent écossais.
– La plupart des Britanniques aussi », me répondit-il avec un sourire encourageant, dans lequel je crus deviner aussi une pointe de fierté contenue qui m’amusa.

La majordome vint finalement se poster dans l’encadrement de la porte. Nous la suivîmes jusqu’à l’entrée de la grande salle, où elle nous invita à passer. Nous nous avançâmes en colonne dans l’immense pièce, remontant l’allée de droite sous le regard respectueux des élèves qui nous accueillirent debout. Une fois parvenus à la High Table, qui se trouvait au fond, perpendiculaire aux autres rangées de tables et légèrement surélevée, chacun se posta derrière l’un des sièges à haut dossier contemporain qui l’entouraient. « Benedictus benedicat ! » clama le doyen qui présidait le repas ; et, avec un grand coup de marteau, il marqua le début du dîner.

Bienvenue à la High Table:


Je m’assis. Jamais je ne m’étais trouvée confrontée à autant de couverts à la fois. Je dénombrai une cuillère à soupe, deux fourchettes, deux couteaux, un troisième couteau plus petit dans une assiette destinée exclusivement à couper et beurrer son pain, ainsi qu’une petite cuillère et, enfin, trois verres dont deux à pied, pour le vin rouge et le vin blanc qu’on commençait déjà à nous servir.
« From the outside to the middle », me souffla discrètement Tom, le professeur de droit dont le hasard avait fait mon voisin, lorsque je lui fis part de mon embarras. Remarquant que tous avaient déplié sur leurs genoux leur serviette de table en coton blanc, je m’empressai d’en faire de même. On nous apporta, ce soir-là, une soupe de poisson à la rouille avec sa tartine de fromage gratiné ; un carré d’agneau aux herbes enrobé d’une fine croûte croustillante, et accompagné du gratin de pomme-de-terre le plus fin que j’aie mangé ; enfin, nous eûmes en dessert une tartelette au coing, avec une boule de glace à la vanille. Je savourai le tout avec délice, tout en faisant la conversation, comme il était de rigueur. Quand nous eûmes fini de manger, le doyen se leva le premier de son grand fauteuil, bientôt suivi de tous. « Benedicto benedicatur ! » s’exclama-t-il cette fois, et, dans le froissement des toges noires, nous refluâmes dignement vers la Common Room. Je restai quelques minutes boire une tasse de thé en compagnie de mes « collègues ». Puis, ma gown sous le bras, je regagnai le calme de ma chambre, où, comme il semble devenu mon habitude, je m’endormis, épuisée par les nouveautés de la journée.


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Frédéric Lenoir
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MessageSujet: Re: Voyage en terre d'outre-Manche   Voyage en terre d'outre-Manche I_icon_minitimeMer 17 Oct - 23:26

Dieu ce que c'est impressionnant >.<

Je peux comprendre pourquoi ils appellent le Dining Hall "le parking", mais les tables en elles-mêmes...
Et les repas O.O Tu vas manger comme au restaurant comme ça tous les soirs ?!

C'est tellement... impressionnant, il n'y a pas d'autre mot !
Je comprends que tu t'endormes comme une masse, à ce stade xD

Courage à toi pour la suite de tes aventures Oxfordiennes !!!
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MessageSujet: Re: Voyage en terre d'outre-Manche   Voyage en terre d'outre-Manche I_icon_minitimeMer 24 Oct - 1:09

Réponse à Freddy:


Le 11/10/2018


Mes cours de la journée suivante s’avérèrent plus réussis. Les tentatives balbutiantes de la veille s’étaient muées en expérience à la faveur de la nuit, si bien que, préparée à ce qui m’attendait, je me présentai devant les élèves avec plus de confiance et de spontanéité. Ce changement dut aussitôt se sentir, et je suis surprise, même dans ces circonstances, de la facilité avec laquelle le courant passa pour mes deux classes. Je profitai d’ailleurs d’avoir organisé un jeu avec mes premières années – une partie de « Il était une fois », dont le principe est d’inventer un conte à partir des cartes que l’on a en main – pour me joindre moi-même aux festivités vers la fin de l’heure. Nous avons bien ri. Je ne pris d’ailleurs qu’alors conscience de l’état d’isolement dans lequel je me trouvais : n’étant ni élève, ni tout à fait professeur, il y avait plus d’une semaine que je n’avais pas eu d’interaction plaisante et désintéressée avec mes semblables, si l’on omet le dîner de la veille, où les sociabilités frappaient surtout par leur artificialité. La solitude n’est pas au rang des choses qui me pèsent ; néanmoins, la simplicité des échanges, à la fois compromise ici par l’aspect social et linguistique, commence à me manquer un peu.

En sortant du cours de thème avec mes deuxièmes années, je me sentais donc rassurée quant au déroulement de l’année à venir. Je rentrai chez moi récupérer les dernières copies qu’on m’avait envoyée, et, les ayant imprimées, je me mis à les corriger en salle des profs, bien décidée à en avoir fini dans la soirée puisqu’il me fallait les rendre le lendemain.
Quand les premiers collègues arrivèrent, je n’avais toujours pas fini d’annoter provisoirement le premier devoir. Je filai dans ma chambre passer ma gown, et redescendis pour me prêter aux mêmes rituels que la veille.

Si le dîner fut, comme on pouvait s’y attendre, très semblable à celui du jour précédent (j’avais décidément sous les yeux une tradition réglée comme du papier à musique, et au sein de laquelle chacun, autour de moi, semblait connaître par cœur sa partition), je me dois cependant d’évoquer certains éléments qui participèrent à le rendre, pour moi, tout particulier.
Premièrement, il y eut l’homme en face duquel je fus assise : un vieil Indien coiffé d’un grand turban bleu Klein, dont l’épaisse barbe blanche, qui lui donnait des allures de brahmane, détonnait dans cette atmosphère très « british ». Il m’apprit qu’il était physicien. Nous ne tardâmes pas à sympathiser, et alors que nous évoquions mon École à Paris, où il se trouve qu’il avait donné des conférences, nous fûmes interrompus par les hurlements de l’alarme incendie.
Le premier mouvement de la vénérable tablée fut d’échanger des regards perplexes. « En vingt-cinq ans, c’est la première fois que je vois ça ! » me confia mon interlocuteur au-dessus du bruit assourdissant des sirènes, avec une nonchalance qui n’eut pas vraiment pour effet de me rassurer. À ma droit comme à ma gauche, personne n’esquissa le geste de se lever, arborant simplement sur les traits une expression poliment contrariée et patiente. Je compris alors, sidérée, que rien n’interromprait ce repas dont chaque étape était pour ainsi dire gravée dans la pierre, dussent les domestiques s’armer d’extincteurs pour en garantir le bon déroulement. La majordome vint d’ailleurs souffler quelques mots à l’oreille du doyen qui se contenta de hausser les épaules, imperturbable.
Puis, après quelques minutes encore, l’alarme s’interrompit enfin, chacun soupira silencieusement d’aise, et les conversations reprirent. Le vieil Indien relança notre discussion où nous l’avions laissée, ouvrant grand la bouche quand il riait pour en laisser échapper un noble toussotement, les yeux pétillant derrière ses lunettes cerclées d’or. Quant à moi, je restai encore interdite de longs instants, abasourdie, je l’avoue, par l’expérience que je venais de faire de cette fameuse indolence toute britannique.

En parlant d'incendie, je n'ai pas pu m'empêcher de bien rire en voyant ça:

Dernière découverte de la soirée, non moins marquante : la promptitude qu’ont les domestiques à vous resservir quand vous finissez votre verre de vin. N’étant guère amatrice de la boisson, mais soucieuse, par politesse, de faire honneur aux crus qu’on daignait nous servir, je tentai, contrairement à la veille, de m’en « débarrasser » avant de commencer le plat, afin de pouvoir pleinement le savourer… On me resservit à chaque service. Et ce zèle à s’assurer que je ne manquasse de rien fit si bien que j’avais cessé de marcher droit, au moment de quitter la table et de remonter en sens inverse l’allée qui menait à la salle commune. Consciente de mon état peu glorieux, je m’éclipsai sans prendre le thé, et passai une bonne heure piteusement immergée dans la baignoire. Avant de me coucher, j’eus une pensée navrée pour mes copies : il leur faudrait, de toute évidence, attendre finalement jusqu’au lendemain matin.

Comme je n'avais pas beaucoup de nouvelles photos en rapport avec cette journée, je vous laisse savourer l'image de quelques plats anglais !:


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MessageSujet: Re: Voyage en terre d'outre-Manche   Voyage en terre d'outre-Manche I_icon_minitimeMer 24 Oct - 23:54

Le 12/10/2018


Les conditions dans lesquelles je m’étais couchée la veille ne m’ayant pas laissé le loisir de trouver un sommeil correct, je me réveillai à 2h30, et, chassée comme une malpropre des tendres bras de Morphée, j’attendis que 4h fussent sonnées avant de me résigner totalement à mon sort, allumant la lumière, et reprenant la correction de mes copies où je l’avais laissée. Je fis bien. Quand vint l’heure, à midi, d’aller donner cours à mes First Years de Wadham, je n’en étais toujours pas venue à bout, ayant adopté, comme je devais le comprendre ensuite, une méthode beaucoup trop complexe et détaillée. Les mains tremblantes de fatigue – car l’appel de mon lit s’était soudainement fait plus doux, au fil des heures – et de la crainte de n’avoir pas fini à l’heure, je parvins finalement au bout de ma tâche cinq minutes avant le moment fatidique, et filai retrouver ma classe.

Quand le cours s’acheva, deux heures plus tard, je sortis du bâtiment avec le sentiment du devoir accompli. Je soupirai, soulagée. Malgré quelques erreurs et quelques approximations, j’avais pour impression que ces premiers débuts ne s’étaient pas avérés trop mauvais.
Le métier de professeur m’était apparu comme un numéro permanent, lors duquel l’artiste, en montant sur les planches, doit mêler à la transmission du savoir ses talents d’improvisateur et d’équilibriste. Il faut garder ses sens en éveil, et se tenir prêt, à tout instant, à répondre à une question que l’on n’aura pas prévue ; à raviver l’attention, lorsqu’elle tend à se dissiper ; à marcher sur le fil ténu qui concentre l’alchimie d’un groupe, laquelle doit être pressentie sous peine de voir ses efforts accueillis par la gêne ou l’indifférence. Pour ne pas être aisée, cette situation n’en est pas moins stimulante, et je me réjouis d’en avoir fait l’expérience ici, pour la première fois.

Ces pensées ayant soufflé comme une brise sur les brouillards de ma lassitude, je me rendis en ville profiter des derniers rayons de soleil de l’après-midi. Il me sembla ne réaliser qu’alors que les arbres s’étaient teints d’orangé, répandant sous les pieds des passants leur feuillage fauve. Errant au hasard, je m’aventurai dans des ruelles étroites où abondaient les pubs. Devant l’un d’eux, mon regard fut attiré par un grand homme pâle aux cheveux bruns mi-longs qui semblait attendre, dans son long manteau noir et son veston de brocard vert. Sa silhouette mélancolique et ses yeux ornés de sombres cernes habillaient le mince passage d’une présence fantomatique. Je poursuivis ma route vers l’Ouest, remontant la familière High Street et visitant quelques boutiques.

Promenade vespérale:

Lorsque je pris le chemin du retour, la nuit était tombée sur Oxford, et, sur le ciel étoilé, se détachaient les pointes obscures des clochers de la ville. Les façades ouvragées avaient pris des reliefs gothiques dans les contrastes de cette semi-pénombre. L’atmosphère s’était faite, non pas lugubre, mais surnaturelle, comme je passais devant le portique de St Mary Virgin Church, au point qu’il me sembla avoir changé d’époque, et entendre les édifices parler entre eux une langue d’autrefois qui fit vibrer dans mon cœur de lointains échos. Dans cet état de conscience second, alors que j’avais regagné St Cross Road, me vint soudain l’envie de rendre visite à mes voisins silencieux d’Holywell.

Retour nocturne:

Le cimetière, qui borde une ancienne église rattachée au College de Balliol, a servi de lieu de sépulture dans la seconde moitié du XIXème siècle, et son aspect apaisant, qui m’avait dès mon arrivée interpelée depuis la rue, invite aux promenades méditatives. Du trottoir on aperçoit quelques rangées de pierres tombales aux formes désuètes, dressées, sans dalle, à même le gazon vert – partiellement effacées ou inclinées par le passage du temps. L’endroit, délaissé, est devenu un refuge pour la vie sauvage des environs. Jusqu’à ce jour, je ne m’y étais cependant encore jamais aventurée.
Aucune crainte ne s’empara de moi au moment de pousser le portillon grinçant. À la lumière des réverbères, je m’engageai dans une première allée, qui me mena devant l’escalier s’enfonçant vers la crypte de l’église. La porte en étant verrouillée, je revins sur mes pas et trouvai enfin le passage, dissimulé entre deux haies en friche, qui devait me conduire dans le cimetière proprement dit.

L'entrée de Holywell Cemetery:

Je me baissai et m’engageai sous la voute, parmi les longs branchages tendus. La lumière se fit plus rare. Une fois parvenue de l’autre côté, je dus attendre plusieurs instants que mes yeux se fissent à ces nouvelles ténèbres. Puis les tombes m’apparurent, et je me félicitai d’avoir fait ce détour à cette heure.
Les lieux étaient parfaitement vides et silencieux. Je cheminai d’abord au hasard, m’éloignant du monde des vivants. Puis, tandis que j’errais calmement, me vint la pensée que je voulais atteindre le fond du cimetière – me hasarder au plus profond. Comme je poursuivais mon avancée, les sentiers se firent plus anarchiques ; les arbres, plus hauts. Il vint un moment où je ne sus plus clairement si je marchais sur les allées ou sur les tombes, tant les broussailles qui les enserraient étaient maintenant épaisses. Le vent s’était levé : il faisait grincer les troncs oscillants et frémir les branchages d’où s’envolèrent quelques corbeaux. Après une longue traversée, ma progression fut finalement interrompue par le muret d’enceinte. L’angoisse était toujours absente de mon cœur. Il me semble presque que j’aurais pu dormir là – moi aussi.

Les tréfonds du cimetière:


La seule appréhension qui put me frôler, quoiqu’elle me semblât très improbable, fut la possibilité de croiser un vivant égaré aussi dans cet endroit reculé – les morts, pour leur part, n’ayant généralement pas l’indélicatesse de se lever, et de vous poser la main sur l’épaule.
Je repris ma route en sens inverse, sous les frondaisons qui dans le mystère de la nuit susurraient toujours, et finis par retrouver la haie et le portillon, derrière lequel se trouvait la vie civilisée. Quand mes souliers retrouvèrent les pavés du trottoir, j’eus l’impression d’être rentrée chez moi, après un long voyage.


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MessageSujet: Re: Voyage en terre d'outre-Manche   Voyage en terre d'outre-Manche I_icon_minitimeJeu 25 Oct - 12:26

Morgan je ne sais par quoi commencer !

Que dire de tant d'épopées ?
Sinon que, ma foi, la « Fellow’s gown » te va à ravir, tu sembles admirablement professionnelle dans cette tenue Wink *s'incline devant cette vision incroyable*
Je ne peux que valider également chaque parcelle de ce voyage que tu nous fais découvrir à travers tes descriptions hypnotiques, ton humour sympathique et tes photos incroyables, aussi impressionnantes qu'hilarantes par moments !
J'ignore si tu tentes de transmettre un vocabulaire si enrichi à tes étudiants (m'est avis qu'il te vient naturellement de surcroit), mais s'ils en retiennent ne serait-ce qu'un tiers, sache que tu auras fais de l'excellent travail !
Quand à ta description de l'enseignement, j'avoue qu'elle n'ait pas sans me rappeler aussi (égoïstement je l'avoue) une certaine part de l'administration d'un forum. Donc si tu te sens plus à l'aise avec cet exercice dans le futur et que le cœur t'en dis de créer une nouvelle aventure, sache que tu devrais avoir quelques """"""prérequis"""""" pour ça. (Navré, ce n'est pas le plus séduisant, mais je n'ai pas trouvé de terme plus adapté pour évoquer mon ressenti à ce sujet).
En tous cas, je ne saurais me lasser de pareille lecture ! Même si, je dois l'avouer, c'est aussi un peu rageant car ça pourrait se résumer par : « Saperlotte ! Il écrit sacrément bien ce saligaud ! »
Mais c'est toujours si prenant qu'on à l'impression d'y être ! Comme si subitement il nous était donné de squatter ton épaule comme un lutin malicieux et d'avoir accès à tout ce que ce pays a de plus fascinant et de poétique à la fois ! Aussi on ne saurait t'en vouloir bien longtemps. Vraiment c'est un vrai tour de maître. Bravo ! Il me tarde d'avoir la suite de tes aventures !
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MessageSujet: Re: Voyage en terre d'outre-Manche   Voyage en terre d'outre-Manche I_icon_minitimeLun 29 Oct - 22:18

Réponse à Aly:


Le 19/10/2018 (Partie 1)


Ma deuxième semaine se divisa en deux temps. Il y eut d’abord mon week-end, que je passai prostrée pour la première fois depuis de longues semaines, car, ayant fait la grasse matinée samedi matin, j’avais oublié le lunch auquel je devais me rendre, en l’honneur des nouveaux-venus de St Catherine’s. La pensée de cette place aux couverts savamment disposés restée vide, et la mauvaise impression qu’avait dû causer mon absence ainsi trahie, me hanta dans une mesure elle-même disproportionnée. Je passai plusieurs jours cloîtrée dans ma chambre sans presque manger, toute en proie à ma contrition – discipline dans laquelle j’excelle au demeurant, et que, comme toute virtuose de sa catégorie, ma psyché se fait un devoir de pratiquer régulièrement, soucieuse sans doute de ne pas perdre la main.
Ce n’est que le mardi que, menacée de sombrer tout de bon dans la neurasthénie, je me résolus à mettre le nez dehors, et partis prendre un « breakfast » à l’anglaise qui me permit de reprendre pied dans la réalité.

Le breakfast salvateur:

Les jours qui suivirent et le lot de travail qu’ils apportèrent achevèrent de me détourner de mon état d’accablement. Jamais je n’aurais pensé que corriger des copies serait si fastidieux et chronophage. Je ne manquai pas d’y prendre néanmoins un certain plaisir, quoiqu’il fallût me lever à 4h pendant encore trois jours d’affilé. Le jeudi venu, je confiai ma fatigue à mes deux tutrices, puisque l’une m’avait invitée au lunch de 13h à Wadham, et l’autre à prendre le thé à 16h à St Catz. Toutes deux montrèrent beaucoup d’inquiétude pour ma santé, et m’assurèrent qu’il ne serait préjudiciable à personne que j’en fisse moins, elles-mêmes laissant les élèves effectuer une partie de leur correction en autonomie – je fus touchée de leur sollicitude. La veille, déjà, j’avais eu l’occasion de déjeuner avec Michael, le professeur français en charge des lecteurs qui m’avait accordé mon poste au printemps dernier, et sa collègue Irène, française elle aussi, spécialisée dans la littérature humaniste. Tous deux avaient suggéré que nous nous retrouvions ainsi le mercredi, afin que je ne me sentisse pas livrée, seule, à mon sort. Dans ces conditions, je ne pouvais pas n’être pas sensible à tous les égards dont je me sentais si généreusement entourée.

Ma carte universitaire, qui avait tardé à m’être délivrée, ayant enfin été associée au réseau de Wadham, j’avais pu réserver un dîner à la High Table de mon second College.
(Qu’on m’excuse l’évocation de tous ces dîners, qui doivent donner à mon récit un ton très mondain : jusqu’à présent, c’est là que j’y ai fait le plus de rencontres, puisqu’il s’agit semble-t-il d’un des hauts lieux où les sociabilités se nouent, et où les traditions perdurent).
Vendredi soir, en sortant de classe et après un détour par Holywell Cemetery que je n’avais encore jamais vu de jour, je me rendis avec près d’une heure d’avance à Wadham, peu certaine de l’endroit où nous devions nous retrouver. J’y avais déjà fait un crochet un peu plus tôt car, à l’occasion d’une conférence qui avait lieu dans l’après-midi, des manuscrits du XVème siècle y étaient temporairement exposés. Malgré moi, j’arrivai au moment où les archivistes les rangeaient, et me résignai donc à ne faire que les entrapercevoir, par la fenêtre de la salle où je m’étais postée tristement. L’une d’entre eux m’aperçut, sembla prévenir les autres, et me fit signe d’entrer avec enthousiasme. Trop heureux, me dirent-ils, d’avoir un visiteur, ils s’empressèrent de réinstaller les ouvrages malgré mes protestations, et je pus contempler, dans cette pièce que j’avais pour moi seule, les premières productions des presses d’Oxford, dont la mise en page si particulière laissait place par endroits à de riches lettrines et enluminures peintes à la main.

Le jour, à mon retour, avait baissé ; si le soleil brillait encore, tout le College semblait baigné dans l’ombre. Je cherchai quelqu’un apte à me renseigner sur les us et coutumes du lieu, ce qui me conduisit derrière les cuisines, où je savais que se trouvait l’escalier de la salle de lunch, la réserve à argenterie – territoire privé du majordome en chef –, et, pour toutes ces raisons, bien souvent, des domestiques. Je trouvai pourtant le couloir désert. Nous étions à l’heure des Vêpres. Dans la solennité que confère aux décors le jour mourant, il me sembla percevoir, comme suspendus dans le silence, les échos d’un chant monacal. Je crus d’abord avoir rêvé. Puis, le mirage se prolongeant, je m’engageai, perplexe, sous les voutes du corridor. Mes pas me menèrent devant une lourde porte en bois ornée de ferronneries. Alors, le doute ne fut plus permis, et je compris. Je retraversai le couloir en sens inverse aussi vite que mes jambes purent me porter, me précipitai dans la cour, et la remontai en courant, de crainte de manquer la fin. Je parvins devant la porte de la chapelle, que j’entrouvris avec précaution. J’avais devant moi le dos des choristes. Je reculai donc, tirant la porte sans la clore tout à fait, et m’adossai contre le second battant. Puisque le porche de la chapelle est situé sous l’arche qui donne sur les jardins, l’endroit restait relativement passant, quoique l’heure fût plutôt tardive. Ils furent plusieurs à me sourire, en allant ranger leur vélo ou en rentrant d’une promenade en amoureux, amusés sans doute de me voir écouter ainsi clandestinement les cantiques sur lesquelles les siècles n’ont pas encore resserré leur emprise. Depuis mon renfoncement, dans l’encadrement de la porte, je leur souriais en retour.

Les chants d'Oxford:

(À suivre...)


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MessageSujet: Re: Voyage en terre d'outre-Manche   Voyage en terre d'outre-Manche I_icon_minitimeLun 29 Oct - 22:59

(...La suite.)


Le 19/10/2018 (Partie 2)


Puis, comme l’heure tournait, je dus me résoudre à me détacher des répétitions des chanteurs, sous les ordres de la chapelaine, et à reprendre ma quête. Je tombai cette fois-ci sur un domestique à l’accent espagnol qui m’avait déjà aiguillé un peu plus tôt dans la semaine, alors que je cherchais la salle du lunch. Il m’indiqua d’un ton serviable que le vin serait servi à 18h45 dans la Senior Common Room. J’opinai et m’y rendis, perplexe, en me demandant s’il était ici de coutume de prendre l’apéritif avant de manger. Je devais apprendre que j’avais en fait, sans le savoir, choisi pour mon premier dîner une occasion spéciale : la « Guest Night », lors de laquelle professeurs et élèves sont invités à faire venir un ami. Inquiète, je demandai naturellement s’il n’était pas de mauvais ton que je sois venue seule ; on m’assura avec empressement que non, et de fait, je constatai bien vite que nombreux étaient ceux dans mon cas. Dans la salle commune, des coupes de vin blanc étaient élégamment alignées sur une table, et à l’heure convenue, les deux serveurs qui étaient là commencèrent à circuler dans la pièce pour en proposer aux groupes de convives, dans une atmosphère en apparence décontractée, mais qui n’était pas sans évoquer les réceptions victoriennes. Un peu gênée, je restai assise sur un fauteuil à l’écart, avec à la main une coupe dans laquelle je n’osai pas boire.

La SCR (Senior Common Room) de Wadham:

Une professeur de russe d’un certain âge, mais au tempérament entier et d’une absolue bienveillance, vint s’asseoir à côté de moi, et me prit en quelque sorte sous son aile pour le restant de la soirée. Elle s’appelait Julie, avait une fille de mon âge, et m’apprit qu’elle avait été au lycée français de Londres entre quinze et dix-sept ans. Elle affirma n’avoir plus vraiment eu l’occasion de pratiquer la langue depuis lors. Puis se mit à me parler dans un français parfait.
Nous abandonnâmes donc l’anglais, et je découvris en elle la personne la plus intègre qu’il m’ait été donné de croiser depuis longtemps. Nous discutâmes cœur à cœur, plutôt que de sa spécialité universitaire ou que de mes projets d’étude, ce qui est ordinairement l’usage. Nous nous assîmes ensemble à table, quand vint l’heure d’aller manger. Je mettais alors le pied pour la première fois dans le dining hall de Wadham, et fus aussitôt subjuguée par les vitraux, les bougies, le plafond vouté, et les tableaux aux murs dont les plus anciens remontent à la fondation du College. La surface de la table en chêne avait été rendue lisse par le passage de tous ceux qui s’étaient assis là, et les inscriptions, sur les antiques couverts d’argent, étaient à demi-effacées. Sur ma cuillère à soupe, je parvins cependant à déchiffrer une date : « 1815 ».

Le Dining Hall de Wadham:

Le chef, pour l’occasion, s’était surpassé. Il n’y eut pas un plat qui ne fût absolument délicieux. La soupe aux petits pois d’un vert vif fut un pur régal, accompagné de deux tranches de lard et d’un œuf poché. Puis nous eûmes une assiette de variations sur l’agneau – Julie s’en amusa, me disant que le chef faisait cela, parfois, quand il n’arrivait pas à se décider. Enfin nous fut servi en dessert un gâteau à la rhubarbe accompagné de glace à la rose, que je ne pus finir malgré tous mes efforts, tant le dîner avait déjà été copieux, et qu’à la moindre bouchée je me sentais menacée d’un haut-le-cœur. Les vins étaient également de grands crus, notamment un Chambertin 2002 pour lequel on adressa à Julie de nombreuses louanges, qu’elle promit de faire passer. Elle m’apprit donc à cette occasion qu’au cours des 43 ans qu’elle avait passés à Oxford, elle avait épousé Ray, ancien professeur d’allemand maintenant à la retraite, qui était aujourd’hui chargé de goûter le vin – « près de 2000 par ans ! » précisa-t-elle – pour le compte du College, outre les huit heures de cours hebdomadaires qu’il continuait de donner par goût de l’enseignement, et sa participation active à la chorale. Elle me le désigna, à l’autre bout de la table, et il nous adressa un signe avec un regard malicieux. Ce vin était apparemment son préféré.

Quand vint le moment de sortir de table, je songeai à rentrer chez moi, incapable d’ingurgiter quoi que ce soit de plus, sous forme solide ou liquide. Julie m’indiqua cependant que je devais garder avec moi ma serviette de table, car nous allions tous prendre le « dessert » dans le réfectoire de l’étage. Je fus surprise, car nous avions déjà eu du gâteau. Il s’agissait en fait d’une lointaine tradition, qu’on réservait pour les grandes occasions. Nous montâmes donc l’escalier en bois qui menait à la salle de lunch, au sommet duquel des domestiques nous débarrassèrent de nos gowns. Puis nous entrâmes dans la pièce obscure, qui avait totalement changé d’aspect, éclairée par la seule lueur des chandeliers en argent. Le couvert était mis sur l’une des longues tables, qu’on avait chargée de coupes de fruits et d’assiettes de chocolats.

La Lunch Room de Wadham:

La règle voulait que nous n’ayons pas les mêmes voisins qu’au « dinner » : je fus donc placée entre Ray, et un professeur d’Histoire médiévale visiblement guindé. Celui-ci me demanda si je connaissais le rituel qui allait suivre. Je répondis que non. Il se chargea donc de me l’expliquer :
« Le principe est de s’imprégner d’autant d’alcool que possible. Les trois bouteilles que vous voyez là-bas vont circuler autour de la table dans le sens des aiguilles d’une montre, et quand elles vous parviendront, vous pourrez vous en servir autant que vous voulez. La tradition d’ici veut hélas qu’elles ne fassent que trois tours : je vous recommande donc d’y aller franchement. Toutefois, faîtes attention aux mélanges ; je n’y ai pas pris garde la première fois, et je ne vous raconte pas ma gueule de bois du lendemain… »
Je clignai des yeux, croyant à une plaisanterie, mais mon vis-à-vis resta imperturbable. Quand vint mon tour, je me servis donc un verre de chaque – vin blanc, vin rouge, et porto dans une bouteille à décanter –, et décidai que j’en resterai là pour la nuit.

Les bouteilles avaient déjà fait deux tours, quand je sentis que Matthew (car c’était là son nom) commençait à s’impatienter. Non seulement celles-ci étaient restées bloquées à la hauteur d’un des convives d’en face, qui semblait avoir oublié leur existence, mais surtout, son autre voisine ne lui avait pas encore adressé la parole, trop absorbée par sa conversation avec l’homme à sa droite.
« Autrefois, l’usage voulait que nous parlions à l’un de nos voisins au premier service, puis à l’autre au deuxième, et ainsi de suite, je ne sais plus dans quel ordre, commenta-t-il. Ce qui permettait d’éviter ce genre… d’incivilités.
- Malgré tout, ce n’est pas si grave… osai-je remarquer.
- Certes, mais ce n’est tout de même pas très courtois ! » renchérit-il sans cacher sa contrariété.
Les six verres d’alcool que j’avais dans le sang aidant, je ne pus m’empêcher de pouffer à la vue de son air pincé, ce qui ne fit que redoubler son agacement. Je crois que je ne pourrai jamais me faire à tout ce decorum.

Le pauvre Matthew finit néanmoins par gagner l’attention de l’indélicate, et je me tournai à mon tour vers Ray.
« Comment vous sentez-vous, Constance ! me demanda-t-il, l’œil pétillant.
- Je me sens bien… et aussi un peu pompette, répondis-je laborieusement.
- Mais ce sont là deux états qui font très bon ménage ! »
…Autant dire qu’il me plut immédiatement.
Je découvris en lui le digne compagnon de Julie, débordant à la fois d’humour, de sincérité et d’intelligence. Quand je lui confiai,  au détour de la conversation, ne pas me sentir « membre » de l’université, mais plutôt dans une position d’invitée ou d’observatrice très privilégiée, il retrouva son sérieux, et me tint le discours qu’il me dit adresser à ses élèves depuis de longues décennies : que depuis près de cinquante ans qu’il fréquentait Oxford, lui aussi se sentait toujours, comme nous, un complexe de l’imposteur, mais me garantit que je méritais de faire partie des leurs. Je fus émue aux larmes. Nous sortîmes de table peu de temps après, et je suivis passivement le groupe jusqu’à la salle commune. Julie et Ray ne s’attardèrent pas ; quant à moi, je me trouvais impliquée dans une discussion sur le Brexit de laquelle je m’éclipsai dès que les circonstances le permirent. Je sortis dans la nuit et regagnai St Catherine’s par Holywell Street, zigzagant sous les réverbères.

La nuit, les Oxfordiens sont gris:


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Frédéric Lenoir
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MessageSujet: Re: Voyage en terre d'outre-Manche   Voyage en terre d'outre-Manche I_icon_minitimeSam 10 Nov - 20:16

Ah ce que j'aurais donné pour voir les lettrines avec toi >.<
Quant à l'enregistrement... entendre un petit oiseau se joindre à eux, m'a donné l'impression d'y être. merci merci merci <3

On dirait que plutôt qu'un voyage en outre-manche, tu effectues un voyage dans le passé. J'avoue que le style que tu as choisi pour le raconter n'aide pas à se souvenir du passage du 21ème siècle xD
Et par delà tout ce décorum, c'est amusant de voir comme les gens se l'approprient, chacun à sa sauce : certains en s'y jetant, d'autres en "éternels observateurs". C'est presque irréel...

J'espère que tout se passe toujours aussi bien pour toi, et je suis bien contente de voir que tu es entourée !
Profite toujours autant ! Et merci de nous faire partager, c'est vraiment génial !!!
Morgan Lenoir
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MessageSujet: Re: Voyage en terre d'outre-Manche   Voyage en terre d'outre-Manche I_icon_minitimeSam 24 Nov - 16:09

Journal d'outre-Manche, le retour !:


Le 28/10/2018


Cette semaine fut peut-être plus tranquille que la précédente : je crois commencer à trouver mon rythme.

Samedi, je pris le chemin qui menait du côté de Magdalen, et, ayant passé la Cherwell, je fus intriguée par ce qui me sembla l’entrée d’un parc, que l’on nommait « Angel and Greyhound Meadow ». Malgré l’humidité ambiante (il avait plu plus tôt dans la journée), j’en passai les grilles, et me retrouvai au cœur d’une prairie, en plein centre-ville. Je m’engageai avec prudence dans l’herbe verte, traversant le grand pré qui s’étalait devant moi. Il fut suivi d’un autre que je laissai également derrière moi, gagnant par instinct le couvert des arbres. Je me retrouvai ainsi dans le sous-bois qui marquait l’extrémité de la prairie. Les jambes suspendues au-dessus d’un cours d’eau, je poursuivis l’écriture de mon journal, contemplant le ballet des écureuils qui se chamaillaient dans les branchages, et le plumage coloré du pic-vert que j’eus la chance d’apercevoir.

Verdoyance anglaise:

***

Dimanche, je poursuivis mon exploration pastorale, puisque mes pas m’avaient cette fois menée à l’entrée du parc universitaire. J’y pénétrai en fin d’après-midi, une heure environ avant l’horaire de fermeture, et flânait au hasard dans les allées de ce grand jardin à l’anglaise. Avisant un pont en demi-cercle qui surplombait la rivière, je le franchis, et c’est ainsi que, poursuivant ma route toujours tout droit, je me retrouvai perdue en pleine campagne. Ma course fut d’ailleurs interrompue par un enclos, où des vaches paissaient paisiblement. J’avais de toute évidence quitté le parc sans le savoir, mais il me fallait le regagner pour espérer retrouver le chemin de chez moi. Le jour commençait à décroître, la fermeture devenait imminente, et les sentiers forestiers que j’empruntais se finissaient tous en cul-de-sac. Je me résolus à reprendre exactement le même chemin qu’à l’aller, parvins au pont, le traversai. Le parc, au crépuscule, était absolument vide, et je ne savais plus par où j’étais venue. Je tentai de refaire mon trajet de l’aller en sens inverse, ce qui me mena devant une sortie que je crus celle par où j’étais arrivée. J’avais cependant fait erreur, et, ne sachant quelle rue emprunter, je pris la direction opposée à celle de chez moi. S’en suivit une longue errance nocturne, puisque, le sort s’acharnant, je n’avais à disposition aucun moyen de m’orienter. Je décidai donc de transformer mon égarement en promenade, et appréciai les rues pour certaines ornées de lampions, car je n’avais jamais mis le pied en ces lieux. Je finis cependant par admettre, après plus d’une heure passée ainsi, que je n’allais pas retrouver ma route seule. Sur les indications de plusieurs passants, je réussis donc enfin à retomber sur Broad Street, et de là, à suivre le chemin de mon humble logis.

Excursion dans la campagne britannique:

***

Lundi, j’allai rejoindre Blandine avec qui nous avions convenu de manger.
Blandine était une ancienne camarade de classe qui se distinguait par l’impressionnante longueur de ses cheveux blonds, et que je n’avais plus revue depuis l’époque de ma khâgne à Lyon. Nous n’avions jamais été spécialement proches, et à vrai dire, nous ne nous étions même jamais vraiment parlé ; nous fûmes néanmoins surprises de nous reconnaître, et de découvrir que nous étions toutes deux lectrices, à la réunion de début d’année.
En ressortant des jardins de Wadham où j’étais allée déambuler (car j’étais arrivée sur les lieux en avance), je tombai donc sur Blandine, que son jeune âge, sans doute, rendait autrefois assez discrète, mais qui portait à présent avec confiance des habits sombres, et un rouge-à-lèvres bleu marine. Je la saluai avec amitié. Ne sachant où aller manger, je suggérai de nous rendre pour l’occasion à « The Eagle and Child », que je savais à quelques rues de là. Fondé en 1650, il s’agissait du pub où avaient coutume de se retrouver les Inklings, le groupe d’écrivains dont faisaient partie C.S. Lewis, auteur des Chroniques de Narnia, et J.R.R. Tolkien. C’était par conséquent là que s’étaient élaborés les roman qui avaient fait ma jeunesse ; là que les manuscrits inachevés avaient été lus, corrigés, commentés pour la première fois. Elle accepta.

L’emblème de l’établissement, un aigle qui tenait entre ses serres un enfant enveloppé dans des langes, m’évoqua aussitôt l’épisode des aigles transportant Bilbon ou Frodon. Nous entrâmes. J’eus le plaisir de constater que le pub, quoique célèbre, ne s’était pas transformé en piège à touristes : au contraire, les tarifs étaient les mêmes que dans n’importe quel autre établissement, et l’endroit n’était que peu fréquenté en ce début de semaine. Nous eûmes même pour nous seules la « Rabbit Room », ancien quartier général des Inklings.

Le seul bémol de ce repas, pris dans de si parfaites circonstances, fut un peu de la négativité française que je retrouvai en Blandine, dans sa façon de rouler des yeux en parlant de ses élèves, ou de railler au détour d’une phrases les manières britanniques des professeurs. Peut-être fut-ce le décalage entre certains de ses commentaires et l’enthousiasme que je me sentais qui me fit me sentir légèrement mal à l’aise ; je fus néanmoins déçue de n’avoir pas pu pleinement partager mon propre émerveillement. Mais il se peut aussi qu’elle ait seulement voulu éviter de paraître trop candide devant moi.

Parlez, ami, et entrez:

***

Mardi, au lieu de travailler autant que je l’aurais dû, je me rendis à la Bodleian Library, dont l’accès est réservé aux membres d’Oxford, sauf visite. Je confesse qu’il fut jouissif de passer entre les rangs de touristes, et de franchir calmement le portillon en présentant ma carte de « College staff »… Puis, après y avoir corrigé quelques copies, j’en ressortis pour me rendre à une exposition sur Tolkien où étaient présentés certains de ses manuscrits originaux, de ses dessins – je l’ignorais jusqu’alors, mais il s’avère qu’il était un excellent illustrateur –, et de ses cartes de la Terre du Milieu tracées avec la précision d’un géographe.

Sortie culturelle !:

***

Le week-end s’acheva avec la reprise des cours mercredi. J’appréhendais un peu, car il me semblait ne pas les avoir préparés avec assez de sérieux. L’efficacité avec laquelle je corrigeai cette fois les copies me permis toutefois de n’en rien laisser paraître.

À l’occasion de mon lunch à Wadham, je pus sympathiser avec Alvaro, l’employé espagnol que j’avais déjà plusieurs fois croisé, tandis que je revenais dans la salle après le repas pour tenter de la photographier. Depuis mon arrivée, quoique très reconnaissante pour la place qu’on m’avait accordée et les honneurs qui allaient avec, je dois avouer que je me sens assez gênée à la pensée d’être « servie ». Étant française, je ne saurais me permettre de juger ces vieilles traditions oxfordiennes d’un œil véritablement critique ; mais parfois simplement avec le regard quelque peu déconcerté du spectateur étranger, qui ne peut s’empêcher d’interrompre sa conversation et de dire « merci » quand on remplit son verre, en songeant qu’une telle mise en scène du pouvoir intellectuel serait sans doute intolérable en France.
Derrière certains moments de ravissement, je ne pouvais donc m’empêcher de me demander comment la situation était ressentie « de l’autre côté de la cuillère à service » - si j’ose dire. Alvaro m’avoua comme en secret ne pas beaucoup apprécier le caractère très aristocratique de l’institution, peut-être parce qu’il n’était pas anglais lui non plus. Il avait auparavant servi dans la restauration, et les mœurs de l’université ne lui étaient pas familières. En baissant la voix, il m’apprit qu’il s’était fait réprimander par le majordome en chef après le « dessert » de vendredi dernier, pour avoir lui-même soufflé les bougies, tandis que cette tâche était normalement réservée au membre le plus récemment admis à la SCR – vraisemblablement moi ou Matthew. Je ne pourrai décidément jamais me faire à tout ce decorum… Je lui témoignai bien entendu ma propre indignation, ce qui sembla m’attirer sa confiance et son amitié : il me répond désormais « You're welcome, Constance » quand je le remercie à table, comme dans un acte de rébellion feutrée.

***

En dehors de cela, ma semaine se déroula sans évènement majeur. Je découvris par hasard que du gâteau et des club sandwiches étaient gracieusement apportés dans la Common Room de St Catherine’s tous les après-midis pour le goûter, ce dont je ne manquai pas de profiter. Je dois retrouver dans quelques minutes les autres lecteurs français d’Oxford, avec qui nous nous sommes donné rendez-vous au pied de la Carfax Tower. J’ose croire que je ne suis pas la seule à apprécier ce que je fais ici, et que nous pourrons passer ensemble un moment agréable.

***

Le rendez-vous a été correct. Ils sont dans le genre de Blandine.

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