– Archimède ? Que fais tu dehors, il est presque une heure du matin…

Cygne frotte doucement ses yeux encore encollés de sommeil. Pieds nus, il somnole sur le seuil de la terrasse de leur appartement parisien, son maigre corps enveloppé d’une robe de chambre mal nouée sur sa taille. Un bâillement le surprend à l’instant où la chaleur des mains de son majordome  entoure son bras.

– Ne restez pas là, vous allez prendre froid.
– Tu t’inquiètes trop… Réplique-t-il en frissonnant.

Il se laisse pousser sans protester, mais en s’écartant de l’entrée son regard est accroché par une étrange machine dont le métal luit, éclairé par la lampe sourde posée sur la table de jardin. Cygne n’en a jamais vu de tel et instantanément, la curiosité l’embrase.
Alors qu’Archimède s’apprête à refermer la porte, le jeune homme se glisse souplement derrière lui et s’élance avec légèreté sur le dallage glacé de la terrasse.

– Qu’est-ce que c’est ? Demande-t-il en s’approchant de l’objet sans oser le toucher.

La réponse tarde, car Archimède est allé chercher un manteau bien épais. À son retour, il le glisse sur les épaules de son maître et ami avant de lui expliquer :

– C’est une lunette astronomique, ou un télescope si vous préférez. Cela sert à regarder le ciel et les étoile de plus près.
– Ce n’est pas possible ! Rétorque Cygne en riant. Du temps où j’étais oiseau j’ai souvent volé vers les étoiles sans jamais les voir se rapprocher. Elles sont beaucoup trop loin.
– Voulez-vous essayer ? Il suffit de regarder par ce trou.

Pas d’hésitation. Sûr de lui, le jeune homme s’approche et glisse un coup œil dans le lorgnon. Il se redresse aussitôt, visiblement surpris, lève la tête vers la voie lactée, puis fronce les sourcils. Plus sérieusement cette fois, il masque l’un de ses yeux de la paume de sa main et observe à nouveau à travers la lentille, sans remarquer le sourire amusé apparu sur le visage de son majordome.

– Qu’en pensez-vous ? Demande-t-il après un certain temps.
– Est-ce encore de la magie ? Répond Cygne en se redressant. Je reconnais à peine le ciel tant il y a de nouveaux détails et ces couleurs sont incroyables !
– Il n’y a pas de sortilège, juste de la physique.
– Vraiment ? Tous les humains peuvent donc voir ce spectacle ?
– À condition d’avoir un télescope, oui. Hélas, ce n’est pas donné.

Le garçon semble pensif. Ses yeux bleus se tournent à nouveau vers le ciel, puis retombent sur Archimède. Le mage a retiré ses lunettes et consulte l’objectif. Sagement, le jeune homme tire une chaise et s’assied à ses côtés. Il le regarde manipuler l’engin, sans comprendre à quoi servent tous ces rouages qu’il tourne sans cesse. Finalement ses mains s’apaisent et Cygne interroge :

– Regardes-tu souvent les étoiles ?
– Cela m’arrivait souvent du temps où j’étudiais la magie, admet Archimède en se tournant vers lui. Désormais c’est moins fréquent, mais Jakob m’a appris qu’une comète passerait bientôt au-dessus de Paris alors j’ai eu envie de voir si mes vieux outils permettraient de l’observer.
– Qu’est-ce c’est, une comète ?
– C’est un peu comme une grande étoile filante, très brillante et avec une longue traine.
– Ça a l’air beau, soupire Cygne, rêveur.
– C’est le cas et c’est assez rare aussi.
– Pourquoi ça ?
– Eh bien, on pourrait ne pas en voir d’autre avant cinq ou dix ans.

L’annonce est un choc. Cygne ouvre grand la bouche, comme si la pire injustice venait de lui tomber sur le coin du nez. Il bondit de sa chaise qui manque de basculer. Archimède la rattrape à la seconde où éclate le timbre déterminé de son ami :

– Dans ce cas, organisons une grande soirée où tout le monde aura une chance de l’observer !

Le mage sourit. Il n’est pas étonné. Au cours de la conversation, il a remarqué qu’une idée avait germé dans le cœur généreux de Cygne. Maintenant, il sait qu’il a plus aucune chance de le dissuader et pour une fois, il n’en a aucune envie. La cause lui semble belle et lui plait. Il l’accompagnera comme il l’a toujours fait, mais avant :

– Je sais qui pourra vous conseiller, mais si vous attendiez demain pour le contacter ?

Cygne secoue la tête, mais un bâillement répond pour lui. Archimède étouffe un rire et le pousse gentiment vers l’appartement.

– Au lit, Maître Hibou. Une longue journée vous attend.