Il y a des ombres au plafond.
Il y a des ombres aux murs.
Il y a des ombres autour de lui.
Elles vont avaler Silvery.
Narcisse.
Le deuxième acrobate.

Il ne peux pas rester là à rien faire. Évidemment, qu'il ne peut pas ! Alors il se redresse, tend un bras, conscient que s'il sort du cercle, ce sera la fin. Il voudrait l'attirer vers lui, vers sa bougie, vers son cercle salvateur.
« Silvery ! Narcisse ! Viens avec moi ! »
Mais les ombres s'épaississent, prennent forme sous ses yeux, deviennent le Sibara, le Karnabo, le Chasseur de la Fargne… Et dans son dos, là où son cercle imparfait s'étiole, où la muraille de sel s'est interrompue, un froid mordant s'élève et le paralyse.

Il fait froid dans ses chaussures comme ce jour, sur la Meuse gelée, où il a fui les bêtes gosses du village.
Il fait froid dans ses jambes comme ce jour où, Bambin, il s'était éveillé trempé après un cauchemar, une nuit de décembre.
Il fait froid dans son ventre comme le jour où sa mère, la Doucette, a perdu son combat contre ses fantômes.
Il fait froid dans ses bras comme à la cascade de Morgan, où il faisait si humide, où le monde entier semblait mourir, où enserrer le cou trempé d'une hydre ne suffisait pas à lui redonner force.
Il fait froid dans sa gorge, il ne peut plus crier.
Il fait froid dans son crâne, comme ces jours horribles où la magie lui manque, où le Pacte des Jumeaux devient trop lourd.
Il fait froid dans son âme.

Et les silhouettes dans les murs tendent leurs mains implorantes, lui demandent l'impossible.
Et les ombres de la pièce soudain reprennent force, se coagulent autour de lui.
Et la Grande Dame à qui il avait si bien échappé, vient réclamer son dû tandis qu'il reste là, figé comme un poteau, l'hiver, couvert de givre.  

« Tu m'as volé une âme. » semble-t-elle siffler dans le vent au dehors.
« Qui es tu, toi, Noireaud, pour penser pouvoir dérober un être à La Mort ? Tu me dois un cadavre. Tu me dois Son âme, et je viens la reprendre ! »

Et il pense Tu as eu un cadavre. Tu m'as déjà pris deux âmes. Laisse-moi celle-là. Laisse-moi celle-là !

Mais telles des serres griffues, des mains venues des murs l'agrippent et semblent hurler à ses oreilles. Il se voit, de retour, dans ce monde entre-deux dans lequel il était, en ce jour fatidique, dans lequel il lui semble avoir œuvré mille ans, à la sauvegarde du Mahwot, de l'hydre, de son frère.

Et la Mort à nouveau, comme alors, comme toujours, qui l'agrippe de toutes parts et chante « Rends-le-moi, rends-moi cette âme-là !
- Il n'est pas là. »

Fred sait que sa voix est trop faible. Qu'elle n'est qu'un murmure. Mais elle est sûre, défiante envers et contre tout. Il a déjà eu peur. Il sait ce qu'est cette terreur infâme, il la déteste. De toute son âme, il la déteste.

« Il n'est pas là. »
Le rire qui lui répond ne présage rien de bon, mais Fred reste planté là, droit comme un i tandis qu'autour de lui un cercle de runes protectrices s'illumine au sol, doucement, faiblement. Il n'en a pas conscience.

Et le rire de la Mort, qu'il n'entend que dans sa tête mais qui résonne, résonne, rebondis en échos infernaux jusque dans son cœur, le rire de la Mort finit dans une voix rauque et satisfaite :
« Mais il est en toi. »

Et quelque chose en lui se fend.
Il pourra mettre Morgan à l'abris à l'autre bout du monde. Il restera toujours entre lui et son frère un lien indestructible, tangible. Comme un cordon ombilical jamais coupé, comme une veine de magie les nourrissant tous deux. Un lien qui, à jamais, le relie à Morgan.

Si on le trouve, on trouve son frère.
Si on l'abîme, on blesse son frère.
Si on le coupe…

« Non. »

Et dans la pièce, tous les objets se mettent à trembler, à léviter légèrement tandis que le mage en son centre, une bougie presque fondue à la flamme tremblotante posée à ses pieds, ouvre sur le monde un regard lumineux, mais aveugle.
Il se défendra contre les fantômes dans les murs.
Contre les fantômes de sa mère.
Contre la Mort qui veut son frère.
Personne ne l'approchera. Il leur enverra tous les meubles de la pièce à la tronche, s'ils essayent.

Ainsi, lorsqu'à son esprit embrumé, il semble que des yeux améthyste le regardent du fond de la pièce et veulent s'en prendre à lui, il n'hésite pas deux secondes. Il envoie une lampe dans sa direction et attend la prochaine attaque, cerné comme il se croit.

Une douce lumière s'élève, mais elle ne vient pas de ta bougie, Alice.

Baisse la tête et regarde autour de toi, le sol qui s'éclaire d'une aura écarlate. Elle s'infiltre dans les pierres, entre ces lignes gravées qui s'étendent en une véritable toile d'araignée dans toute la pièce. Tu es au centre et tu es coincée, prisonnière du cercle de sel qui ne te protégera pas de ce qui s'annonce.

L'éclat rougeoyant t'englobe et te noie de sa teinte inquiétante, puis une goutte tombe sur ta joue. Elle ruisselle sur ton visage de porcelaine et tâche ta jolie robe. Rouge. Tu relèves ton visage paniqué vers le plafond. Horreur. Il dégouline. Il pleut dans la salle écarlate. Le liquide incertain ruisselle sur ta main, colore tes cheveux blonds, ton jupon de dentelles et le sel qui te préserve prend, lui aussi, cette teinte ensanglantée.

Tu essuies ta figure, sans savoir si ce sont tes larmes ou cette eau répugnante dont tu te débarrasses. Tu es en danger. Ton regard s'élève jusqu'à la porte que tu as si soigneusement vérouillée et embrasse une salle bouillonnante. Un liquide visqueux déborde de chaque interstice. Des bulles d'air le déforment et l'animent. Vivant, il est vivant.

Ton cœur se serre à en crever.

À peine quelques mètres te séparent du couloir. Tu te dis que, peut-être, en faisant vite, tu aurais une chance de t'en tirer, d'échapper à l'immondice qui se dessine près de toi. Tu sais que Lui aussi est là.

Choisis.

Un monstre pour un autre.

Il fait froid, il fait froid il fait froid.

Et soudain, une flamme immense, gorgée de magie naturelle s'élance vers lui.

Il réagit par réflexe : il s'accroupit au sol pour éviter le plus gros et d'un geste de chaque main, bras tendus, redresse en une seconde les deux lits à ses côtés, qui s'accolent devant lui, à la verticale, les pieds vers l'extérieur, en un bouclier de fortune.
Et Freddy pense : La Mort n'a pas de magie naturelle. La Mort n'est pas un légendaire.

Mais les démons le sont. Les chasseurs peuvent l'être. Les milliers d'ennemis, au dehors, cachés en n'importe qui...

Comme le feu s'acharne sur les lits, le mage recule. Il se sent épuisé, soudain. Il lui semble que l'air est si froid, malgré tout, que son souffle est visible devant lui.
Des doigts venus de nulle part le saisissent par-derrière, lui lacèrent les vêtements et il envoie encore, sans y penser, une onde de choc dans le mur, qui fait trembler les vitres des fenêtres.
Un tableau se décroche, se fracasse par-terre, de la suie tombe du plafond. Maddie s'effondre dans un cliquetis de rouages et ses ombres à elle s'ajoutent aux autres, rampent au sol vers lui, s'approchent encore, encore, toujours plus près.
La bougie au sol luit à peine, elle est presque consumée. Mais à quoi bon ?
Il voit, comme une masse tangible, les ombres tendre vers elle.
Il ne voit plus la pièce, il ne voit pas le sel, il ne voir pas les meubles.

Il se voit dans un monde fait d'obscurités, prêtes à l'avaler, à l'écarteler, à lui déchirer l'âme jusqu'à lui arracher Morgan, toutes les parties de Morgan nichées en lui. Prêtes à défaire le puzzle de leurs âmes jumelles, liées, remaniées, et ne laisser plus de lui qu'une chose incomplète, des lambeaux épars de ce que fut autrefois le Noireaud, des restes d'humain, incomplets.

Le feu s'est arrêté, il s'en rend à peine compte.
Il est debout au milieu d'un cercle d'obscurité, la bougie s'est éteinte. Il y a toujours quelqu'un. Quelques uns.
Il les entend, comme un millier d'être, qui respirent, qui grouillent, qui s'approchent.
Il est cerné.

Il a beau se tourner d'un côté ou de l'autre, il ne voit que la nuit. Une nuit infinie. Un vide interminable.

Et au milieu des ombres, distingue une silhouette. Des doigts griffus.
Cette fois elle est bien là.

Son coeur bat la chamade, son corps est couvert de frissons, sa nuque est un glaçon.
Il a déjà défié la Grande Dame. Il l'a déjà esquivée une fois, il y a si longtemps. Oh, Morgan, si longtemps !

Tandis qu'elle s'avance, devant ses yeux terrorisés, une voix venue de son passé, une voix presque oubliée, qui lui manque, qui lui manque tellement ! Une voix faible, féminine et épuisée murmure à son oreille "Qui peut lui échapper deux fois, Pouillon ? Mon Freddy, mon bonhomme, qui s'enfuit de la Mort deux fois ?"
Et il pense : "Personne".

Oh Maman, personne.
Une larme roule contre sa joue, mais il ajoute : "Y 'faut quand même qu'j'essaie !".

Et autuor de lui un cercle de flammes s'allume, bien plus efficace que du sel contre les démons. Bien plsu efficace que du sel, contre les Ombres. Bien plus efficace que les larmes, contre le Froid.

Et quiconque le franchira aura du poil roussi.
C'est peu.
C'est presque rien.
Mais c'est tout ce qu'il peut, tandis qu'en lui-même il se blinde, blinde son lien avec Morgan, et le planque au fond de son âme. Même s'il se fait prendre, personne n'aura Morgan. Même s'il doit servir de rempart entre lui et la Mort pour toute l'éternité.

3 h 33.

Toutes les horloges sonnent dans la maison, la cacophonie est totale. Aucun rythme, aucune synchronisation, les sons métalliques se répercutent sans cesse entre les murs, n’annonçant aucune heure, sinon la sienne. Et le calme revient. Un coucou enroué est le dernier à se taire, replongeant les lieux dans un silence assourdissant.

La poignée de l’entrée tourne lentement. Le battant de bois pivote, une bourrasque nocturne humide, encore pleine de pluie, s’engouffre dans l’embrasure. Elle parcourt chaque pièce, effleure chaque âme, puis repart brusquement en emportant avec elle l’air glacial et malsain qui a infecté le manoir. Un sifflement accompagne sa fuite. La porte entrebâillée claque violemment, à en faire trembler les murs et les vitres.

Bravo. Vous avez gagné.


Veille d’Halloween.

Hé ! Mais c'est mon Homme de Minuit ! Comment ça va ? T'as l'air en forme dis moi. Plus que d'habitude. Je t'assure, on dirait que t'es mort hier ! Allé avoue, t'as fait un truc. Laisse moi deviner… Repassé ton manteau ? Enlevé les mites alors ? Limé tes ongles ! Tes dents ? Non ? J’aurais parié.

…

Dis moi, mon petit René. Tu permets que je t’appelle « Mon petit René » ? « L'Homme de Minuit », ça en jette mais je préfère « Mon petit René ». Alors dis moi, je me demandais, tu comptes vraiment aller à la fête du vieux Slenderman demain soir ? Oui je sais qu’il t’a invité, ce serait moyen de pas te pointer, mais en même temps, toi et moi on sait bien qu’il est démodé maintenant. Sérieusement. Qui aurait peur d’un grand machin tout maigrichon avec un collant blanc 40 deniers sur la tronche ? Non, il a fait son temps, mais tu sais comment il est, avant qu’il l’admette on a le temps de tous se faire enterrer une deuxième fois.
En vrai, je te plains. Dommage que tu ne puisses plus mourir d’ennui, ça aurait raccourcit la nuit infernale qui t’attend. Mais je penserai bien à toi pendant que je m’éclaterai de mon côté et que toi tu feras la chenille, coincé entre les cheveux gras de Kayako et l’haleine putride de Mothman. Parce que ma soirée à moi, ça va être une tuerie !
Ah ah ! Non, je ne dirais rien. Même sans orbite, je te vois venir. Maintenant tu regrettes, tu vendrais père et mère pour y échapper, mais comme tu l’as déjà fait pour obtenir la dédicace de Frankenstein, t’es foutu. Sauf si quelqu’un te remplace, mais bon. Qui serait assez débile pour accepter ?

Ah non, ne me regarde pas comme ça ! Tu sais bien que j’ai jamais pu résister aux globes oculaires vides et injectés de sang ! Tu peux crever, enfin façon de parler. Non. En plus j’aurais rien à y faire ! Peut-être une danse ou deux avec Giselle. Mes phalanges sur son bassin de rêve, son œil de verre perdu dans mes orbites abyssales… Ah Giselle, cette seconde où je t’attraperai pas les côtes et où je t…

Allé j’accepte ! Vraiment ! C’est ça l’amitié mon petit René ! Et puis, oui, je suis comme ça. Le cœur sur la main, ou la main sur le cœur, pas le mien cela va de soi. Mais c’est bien parce que c’est toi.

Tu me files ton invitation alors ? Comme c’est répugnant. Dire que je vais abandonner une soirée mémorable pour une fête de din…de. Une fête de dinde. Je t’ai dis que Slendy avait prévu un ballet concert de dindes mangeuses d’hommes ? Tellement années 90.

Allé, ne me remercie pas mon vieux, je fais ça pour toi. T'es l'Homme de Minuit ! Tu ne va pas passer Halloween dans une fête de bas étage où on va danser toute la nuit, boire à n'en plus finir entre deux fournées de pactisants à Satan. Il te faut quelque chose de plus grand, de plus innovant !

Tiens, voilà l’adresse où je devais aller. Tu verras le casting est sympa. Jolis timbres d’aiguës dans les cris hystériques et bon potentiel de bain de sang. Et puis profite. Il devrait y avoir une grande brune aux longs cheveux bruns et à la fesse flasque. Tout ce que tu aimes !

Foi d’Aribert !