Quelque part dans la ville de Paris, se tenait un petit café sans histoire. C'était une vielle bâtisse qui avait encore son charme malgré tout.
Un des habitués de l'établissement se nommait Michel Denoir, un petit horloger sans histoire non plus. C'était d'ailleurs peut-être pour ça qu'il venait ici, il se retrouvait dans ce vieux bâtiment qui, comme lui, n'avait pas d'histoire et serait oublié de tous à sa fin. Mais il appréciait venir, après le travail, prendre un verre d'alcool ou un café bien chaud lors des rudes hivers. Il venait toujours à la même table, celle du fond. De là, il pouvait observer l'ensemble de la pièce. C'était comme s'il observait un film, en détaillant les morceaux chaque jour.
Toujours, il avait à la table de la troisième rangé à droite, une femme à la chevelure rousse qui venait avec ses enfants pour goûter. Sans même la connaitre ou jamais lui avoir adressé un mot, il pouvait dire qu'elle était en froid avec son mari et se sentait bien seule. Elle n'avait rien d'élégant, se maquillait à peine, elle semblait fatiguée et soupirait souvent. Mais depuis peu, il pouvait dire qu'elle avait trouvé un amant. En effet, car elle était rayonnante depuis deux ou trois jours, se remettait à porter de somptueux ensembles. Sans doute prévoyait-elle de rejoindre son amant après avoir ramener ses enfants chez elle.
A quelque table de là, se trouvait un vieillard fumant la pipe. C'était un marin à la retraite, et tous les jours, le vieux arrêtait un des serveurs quelques minutes pour lui raconter ses épopées du temps où il était encore sur un bateau. Mais ses cheveux gris-blancs commençaient à tous tomber, ses toux plus fréquentes, et il lui arrivait d'avoir de légers moments d'absence. Sûrement que d'ici peu de temps, il ne le verrait plus, et ce serait une autre personne qui prendrait place à cette table.
Michel fut alors sorti de ses pensées par une des serveuses venant lui demander sa commande. Le petit horloger ne put s'empêcher de sourire. S'il venait tous les jours, c'était pour la voir, elle. C'était une jeune femme mince à la peau de porcelaine. Elle possédait de longs cheveux blonds légèrement ondulés ainsi que des yeux rappelant l'éclat d'un saphir. Et surtout, elle détenait un sourire d'une infinie douceur.
Et oui, son petit cœur bien s'était épris de cette charmante demoiselle. Et il s'était décidé, aujourd'hui même il la demanderait en mariage.
« Michel, ne le trouves-tu pas adorable? »
Se penchant pour observer le petit être dans les bras de sa femme, Michel ne put s'empêcher de sourire en observant celui qui serait son héritier.
Finalement, il avait eut le courage de le faire. Il avait demandé la serveuse du café en mariage, et cette dernière avait accepté. Ils vivaient ensemble maintenant, et Laure lui avait donné un enfant. C'était un petit bout d'homme, le portrait craché de sa mère. Cheveux blonds, yeux bleus. Comment ne pas craquer devant ce chérubin?
Oui, pour Michel, cette vie était celle qu'il avait toujours souhaité. C'était un vrai conte de fée pour lui.
Le temps passa et leur fils, Acesmé -c'était sa mère qui avait voulu le nommer ainsi- grandit, devant un splendide jeune homme. Ce dernier aimait beaucoup ses parents, faisant tout pour les rendre fier et répondre à leur espérance. Cependant, un point sensible demeurait dans ce tableau presque parfait.
« Mère, pourquoi ne puis-je pas montrer cela à père? »
Laure eut un faible sourire à la question de son fils. En effet, ce dernier ne comprenait pas. Si son père les aimait, lui et sa mère, pourquoi devaient-ils lui cacher cela?
Car oui, il avait une chose de l'ancienne serveuse n'avait pas dit à son époux. La vérité étant qu'elle n'était pas humaine. Elle était ce qu'on appelait un élémentaire de vent, et plus couramment un sylphe. Et elle avait donné cet héritage à son fils, qui n'était donc pas plus humain qu'elle.
De part sa nature, en vérité, ni Acesmé, ni sa mère ne grandissaient ou vieillissaient véritablement. Non, c'était eux même qui modifiaient leur apparence au cours du temps pour donner cette impression. De même, s'il le souhaitait, le jeune sylphe pouvait complètement se changer en vent, devenant un simple courant d'air.
Il aurait aimé partager cela avec son père, mais sa mère le lui avait formellement interdit. Elle avait peur de la réaction de son mari, peur qu'il ne l'aime plus, qu'il la traite comme un monstre. Alors Acesmé tenait parole et ne disait rien de cela à son paternel.
Mais cette situation ne pouvait durer indéfiniment pour le jeune homme. Il avait besoin de liberté, de pouvoir être réellement ce qu'il était sans avoir à le cacher. Ainsi, avant de faire une bêtise et de détruire le bonheur de leur famille, Acesmé décida de quitter le nid familial. Il avait à peine 16ans à l'époque. Il décréta qu'il était assez grand pour partir, qu'il voulait voir le monde et ainsi forger sa propre expérience. Son père, bien qu'inquiet pour son fils, accepta de le laisser partir. C'était un garçon responsable après tout, et ce voyage lui apporterait sûrement beaucoup de choses.
Le jeune sylphe, sa valise en main, fit ainsi le tour de la France et de l'Angleterre. Il découvrit de nombreux lieux, rencontra de nombreuses personnes, mais il ne trouva pas l'endroit idéal. Un endroit où il pourrait s'installer et être lui même sans crainte. Finalement, ce fut 'à ses 18 ans qu'il rentra à Paris. Entre temps, durant son voyage, il s'était découvert un don pour le chant, lui venant sûrement de sa nature de sylphe.
Il rendit bien sûr visite à ses parents à son retour, ces derniers l'accueillant chaleureusement avant de lui demander de raconter tout son voyage, bien qu'il leur avait souvent écrit.
Ne sachant pas encore quoi faire de sa vie, il se mit à travailler comme assistant à la boutique de son père. Ce n'était pas un travail qui le passionnait plus que ça, mais c'était en attendant de vraiment trouver ce qu'il lui plaisait.
Durant le travail, il avait toujours pour habitude de siffler ou de chanter doucement. Qui aurait cru que c'était ça qui allait lui donner une opportunité de trouver enfin ce qu'il cherchait? Pas lui en tout cas.
En effet, un beau matin, quelques semaines après qu'il est atteint ses 19 ans, un homme se présenta à l'horlogerie, demandant à voir Acesmé. C'était visiblement une sorte de chercheur de talent ou quelque chose du genre, et ayant entendu parler des qualités vocales du garçon, il avait voulu le rencontrer. Visiblement il proposait un emploi dans un cabaret qui avait ouvert il y a peu.
Le jeune sylphe ne s'était jamais imaginé travailler là dedans, mais pourquoi pas. Jeter un simple coup d'œil ne lui coûterait rien après tout, il verrait bien si c'était un travail pour lui ou non. C'est ainsi donc qu'il se rendit à l'établissement en question. Là, il fit une prestation de chant, ses mots ressemblant plus au souffle du vent dans les arbres, qui fut dès plus appréciée. Et il semblait aussi que son physique, quelque peu féminin, aidait aussi.
Il pouvait avoir l'emploi visiblement, mais Acesmé hésitait encore. Il aimait vraiment chanter, mais est-ce que cet endroit lui conviendrait vraiment? Ce fut un simple détail qui le décida. Lorsqu'il comprit que tous ceux qui étaient engagés dans ce cabaret était comme lui, ils n'étaient pas humains. Alors peut-être que l'endroit qu'il avait tant cherché se trouvait justement ici.
C'est ainsi qu'il entra dans le cabaret en tant que chanteur.