Cette soirée était un désastre. Une catastrophe, un cataclysme, un cauchemar… Et rien n'allait en s'arrangeant. Non content d'avoir dû abandonner sa belle pour supprimer efficacement un vin à l'effet dévastateur, le maître des lycans manqua d'exploser de rage lorsqu'il la retrouva au bras de son rival. Aldrick. C'était injuste ! Absolument injuste et pas du tout fair-play. C'est vrai quoi ? Ce n'était pas comme s'il avait écourté leur entrevue pour un autre jolie postérieur. Il l'avait fait pour Walter. Peut-on être plus loin d'un Apollon ? Rien n'est moins sûr. Il ne pouvait plus douter que cette soirée avait été un fiasco, et si le pire avait été évité, il était tout de même préférable de rester sur ses gardes.

Adossé au buffet, se goinfrant rageusement de petit fours, Edward scrutait la salle d'un regard d'enfant puni. Il s'attardait sur les joyeux danseur, s'enrageait en passant sur les couples, fusillait les trop alcoolisés et s'agaçait définitivement sur n'importe quel autre individu. Il était de mauvais poil, et quand Edward White est de mauvais poil, l'homme sage est celui qui reste à distance. Un rien aurait pû le faire sortir de ses gonds, et pourtant dieu sait qu'il tentait de se calmer. Rongeant son frein en silence, il se servit un bon verre de whisky histoire de digérer un peu mieux sa vilaine humeur. Il observa alors de curieuses petites scènes qui ne lui arrachèrent pas un sourire. Il manqua de voler casser ses dents à un mousquetaire auquel son neveu semblait parler avec emportement, ingurgita goulument un paquet de petit toast quand il repéra le père Nathanaël interrompre la danse du commissaire et de sa douce et soupira de soulagement lorsqu'ils se séparèrent enfin. La chance tournait. C'était à son tour de retrouver la joie d'une valse avec la plus belle femme de la soirée. S'essuyant rapidement les lèvres, réajustant son costume, il s'engouffra dans la foule pour la rejoindre, l'esprit déjà occupé à trouver milles excuses pour se faire pardonner son absence.

« JE LE SAVAIS TU ES UN DE CES VIOLEURS !! »

Les mots parvinrent si férocement aux oreilles d'Edward qu'il manqua de se prendre les pieds dans un obstacle inexistant. Toute la salle ou presque l'avait entendu de toute façon. Bon sang ! Mais voulait-on sa mort ?! Il passa sa main gantée sur son visage livide et se dirigea d'un pas ferme vers le lieu de l'éclat de voix. Il savait sans peine qui avait osé hurler pareils mots avec une intensité absolument proscrite. Layth. Layth, Layth, Layth. Ce Djinn était irrécupérable. La foule s'était raidit comme un seul homme. Pensez-vous. Violeur. C'est un mot effroyable pour une si belle soirée. Il fait peur et en même temps, on est curieux. Alors on écoute en silence que la scène se poursuive. Tout le monde tend l'oreille sauf Edward qui en a bien trop entendu. Il faut arrêter le massacre maintenant ou sa fête sera définitivement ruinée. Il est presque sur place lorsque l'on hurle à nouveau.

« Mon cher pirate, venez tout de suite piller le trésor caché de Satan avant qu'on le vole à sa place ! »

Il déboucha sur la source des cris. Lennox, Layth et Walter étaient là. Ahah. Cela n'en était même plus étonnant. L'alchimiste était assis, désespéré, le djinn enrageait un mousquet à la main et le diable y avait collé joyeusement sa tête. À cet instant précis, l'esprit d'Edward calcula habillement plusieurs possibilités. La première était la plus douce à l'oreille. Leur arraché les membres un par un et les frapper avec jusqu'à ce que mort s'en suive. D'un caractère plus mesquin, les plonger dans un bain d'acide et les regarder se disloquer lentement était tout aussi intéressant. Quant-à la troisième, elle consistait en un dépeçage long à grand coup de petite cuillère. Oh, il y en avait bien d'autres ! Mais celles-là avaient un petit quelque chose qui laissait le maitre du cabaret rêveur. Un petit mixe de toutes ces subtilités aurait été à envisager si le temps ne lui manquait pas cruellement. Il n'y avait plus qu'un façon pour sauver sa fête.

Alors se dressant, droit et fier avec le talent des plus grands acteurs, Edward applaudit.

D'abord lentement, puis avec un vigueur qui ne laissait aucun doute, il battit des mains à tout rompre. Son plan fonctionna. Sans vraiment comprendre, mais pour ne pas paraitre impolis, toute la foule se lança dans une salve d'applaudissement inédite. Tout n'était peut-être pas perdu après tout.

S'avançant devant ses trois employés, il leur murmura d'un ton sec accompagné d'un regard qui ne laissait pas d'autre alternative :

« Alignez vous et saluez. Tout de suite. »

Et puis. Faisant volt face, il leur tourna le dos pour mieux les présenter :

« Dames et Messieurs, seriez-vous surpris ?
Pourtant n'ayez crainte c'est une comédie,
Ceci est un acte des Mille et une nuits.
Était-ce assez vrai ? Les acteurs vous ont conquis ?

C'est ici Simbad, marin expérimenté,
Incarné par Layth, Lennox est sa dulcinée.
Quant-à ce malicieux petit diablotin,
On applaudit Walter, d'habitude magicien.

La métaphore était forte, un peu trop peut-être,
Comédiens passionnés, ils se sont emballés,
Jusqu'à en oublier la source du conte de fée.
Dames et Messieurs, les mots n'étaient que paraitre. »

Il s'inclina en maître de cérémonie, laissant aux trois autres le champs libre pour un nouvel éclat d'applaudissement. Mais ne vous y trompez pas, bien que la bourde soit rattrapée, Edward n'est restait pas moins furieux, et précédant le public improvisé, il se pencha vers les troubles faits et lâcha entre ses dents :

« Vous trois, demain dix heures dans mon bureau. »

Puis se redressant, il sourit à la foule qui se pressait déjà pour féliciter les acteurs. Il les surveilla du coin de l'oeil s'assurant qu'aucun d'eux ne manquerait de jouer son rôle et une fois certain que l'erreur était oubliée, il ajouta :

« Il se fait tard, il est temps de se préparer,
Car bientôt Roi et Reine seront déclarés.
Je vous laisse profiter de ces derniers instants,
Que ces minutes ne soient qu'un ravissement. »

Il sourit légèrement et se glissa une nouvelle fois dans la foule. Bien. Le problème était résolu, grossièrement certes, mais résolu. À peine avait-il quitté son rôle d'hôte que son visage repris une expression agacée. Il avait hâte que tout cela cesse histoire de pouvoir épancher son fiasco en toute tranquillité avec une bonne bouteille de vodka. Un léger soupire s'échappa de ses lèvres. Bon sang quelle soirée !

Il arrivait souvent à Edward de regretter d’être devenue quelqu’un de relativement civilisé. Vivre parmi les hommes avait certes, quelques avantages, mais surtout beaucoup d’inconvénients ! Pour un lycan, le pire devait être cet étrange principe de régler un problème avec les mots. On allait d’arguments en arguments pour expliquer et décortiquer le fond de sa pensée afin de rallier son ou ses interlocuteurs à sa cause. Les êtres humains utilisaient également les pots-de-vin. La pratique très répandue chez eux semblait d’ailleurs leur tenir à cœur. Quelques billets glissés sous la table et un développement caduc devenait la plus formidable des preuves. Chez les lycans, c’était bien plus simple. Le différent se réglait généralement par une bonne bagarre entre les protagonistes et le gagnant voyait son idée imposée. Pas de triche. De la force pure et dure. Force dont Edward se serait bien servi pour calmer l’ardeur de trois de ses employés.

Enfin, l’orage était passé, et même si le maître du cabaret bouillait encore de colère, il se félicitait d’avoir sauvé l’affaire. Cela ne fut cependant pas au goût de tout le monde. Ce cher Walter trouva son jeu annulé et s’en vexa. Saluant la foule avec une sympathique publicité pour ses numéros et le cabaret, il trouva judicieux d’aller faire une remarque à son patron. Edward lui aurait bien tordu le coup sur place, mais conservant un calme olympien, il se contenta de songer à la punition qui attendait ce diable de magicien. Point de coup ni de hurlement, mais une superbe brosse à dents et une bonne cinquantaine de plats à récurer et astiquer jusqu’à leur rendre jeunesse et beauté. Edward laissa échapper sur ses lèvres un sourire de satisfaction tendis qu’il observait Wally quittant la pièce agacé.

La fête dura encore le temps d’un morceau, laissant aux retardataires le soin d’inviter une autre demoiselle à danser. Surveillant Aldrick du coin de l’œil, Edward le repéra conviant la jeune journaliste sur la piste de danse. Visiblement ces deux-là étaient liés plus que part une simple relation professionnelle, raison de plus pour rester sur ses gardes lorsque Miss Lefevre venait assister aux représentations.

Le patron du Lost Paradise glissa aux musiciens de ne pas reprendre de morceaux une fois celui en cours terminé et s’en alla grignoter quelques pâtisserie en attendant qu’ils aient terminé. Tout le monde avait l’air de s’être amusé finalement. Rares étaient les visages grognons ou malheureux. Seul un pirate avait l’air terriblement mal à l’aise, tandis que Dorothée maugréait dans son coin. Même Andréa semblait s’être finalement détendu, grignotant ses petits-fours tout en observant la piste de danse. Cela fit sourire Edward qui se préparait à monter sur scène.

La musique s’arrêta enfin, cavaliers et cavaliers se saluèrent et l’hôte du bal put réclamer poliment l’attention de ses invités. Après s’être raclé la gorge discrètement, il lança :

« Dames et messieurs, la soirée s’achève,
C’est la fin de ce merveilleux conte de fée.
Les héros d’histoires devront s’en retourner,
Mais avant Reine et Roi vont être couronnés !

Monsieur Voelsungen, voulez-vous avancer ?
De même que Rita, aujourd’hui Dorothée.
Vous avez tous deux démontré votre talent,
En alexandrins vous fûtes les plus brillants.

Fleurs et tiare pour la souveraine de ce soir,
Couronne et chocolat pour son partenaire.
Cette ultime valse sera votre exutoire.
Dorothée et Cyrano faites donc la paire. »

La foule applaudit, Edward sourit. On félicita les gagnants et la soirée d’anniversaire du Lost Paradise se termina tranquillement au rythme de la dernière danse. Edward salua ensuite chacun des invités, les remercia chaleureusement et laissa le rêve des contes s’échapper lentement de son cabaret. Ils rentrèrent chez eux, parant pour quelques minutes les ruelles de la capitale d’un peu d’enchantement.

Et comme l’on pourrait le lire dans de si nombreux livres, et ils vécurent heureux jusqu’à la fin des temps ! Ou tout du moins… Jusqu’au lendemain matin ~