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| Sujet: Pour oublier la solitude [PV Nath] Sam 21 Juin - 5:44 | |
| C'était toujours la même histoire. La nuit tombait, le cabaret s'agitait. Il montait sur scène, jouait en mettant son âme dans chaque morceau et ne faisait qu'un avec le piano. À ce moment, il sentait qu'il se rapprochait de ce qu'on appelait le bonheur. Puis il frôlait la dernière note et les ténèbres revenaient. Il sortait de scène, passait généralement à sa loge et terminait au bar, les yeux dans le vide, l'obscurité de son coeur l'engloutissant.
Dominik empoigna la chope qu'on lui tendait et savoura sa première gorgée. Cette nuit-là ne faisait pas exception. Il soupira. Plus jeune, il aurait pensé que c'était bien plus amusant d'être un fantôme. Mais ici il n'avait personne à embêter ou à qui faire des coups pendables par vengeance. Après tout, personne à Paris ne lui avait rien fait. Il soupira de nouveau et jeta un coup d’œil à sa montre. Si tôt. La soirée était encore jeune, à son grand désarroi. Le temps était long, l'éternité encore plus. Il lui fallait vraiment se trouver des activités pour l'occuper, ou encore... disons des compagnons. Seul problème : il détestait s'accrocher à des gens. Ou même devoir adresser la parole à quelqu'un. Il était terrifié, en fait. Le pianiste avait eu son lot de mauvaises expériences. S'il souvent n'osait dire un mot, son côté borné, toutefois, refusait de l'écouter et déballait n'importe quoi. C'était une lutte sans merci entre deux aspects de son esprit. Une lutte... dont l'issue était indéchiffrable. Chaque fois, ça se terminait par un siège vide aux côtés du sien. Dominik ne comprenait que très vaguement pourquoi. Parce qu'il préférait les envoyer paître maintenant que de les blesser plus tard? Parce qu'il refusait de se faire briser? Encore, peut-être était-ce pour éviter aux humains de découvrir son identité? Ou simplement parce que personne ne pourrait jamais le comprendre?
Le revenant secoua la tête, comme pour chasser toutes ces pensées obsédantes et inutiles. Si seulement il pouvait souffler la flamme qui alimentait toutes ces réflexions jours et nuits... Un peu de répit ne lui ferait pas de tord, ne serait-ce qu'une journée. La boisson coulait le long de sa trachée et se frayait aisément un chemin jusqu'à son estomac (oui, même les fantômes boivent). Il parcouru alors du regard les alentours, ses sens commençaient déjà à l'abandonner un peu, rendant ce simple geste plus difficile. Les gens riaient, s'exclamaient, s'agitaient au rythme de la musique du numéro... Ils étaient bruyants. Dominik avait toujours du mal à déterminer s'il jalousait ce sentiment d'effervescence que le public dégageait ou si, au contraire, il l'énervait à un point tel où l'envie de le ressentir aussi s'était égarée quelque part entre le bar et les tables. La frontière entre la jalousie et la simple haine restait toujours floue. Néanmoins, le pianiste restait certain d'une chose : tous ces gens étaient bruyants. Bruyants de par leur vie.
Dominik soupira à nouveau. Il avait beau se répéter sans cesse la même chose, rien n'y faisait. Ses pensées sombres revenaient toujours. La seule qui ait jamais réussi à les faire disparaître sans le moindre effort était désormais introuvable. Il l'avait pourtant cherché ardemment, jamais un seul indice ne lui était tombé sous la main, pas même le monde auquel elle appartenait désormais. Elle avait disparue. Si bien que depuis quelques temps, Dominik remarquait qu'elle faisait de moins en moins irruption dans ses pensées, alors qu'elle y était depuis quatre ans omniprésente. Elle s'évaporait tranquillement, comme un souffle dans l'hiver. Et un jour, il ne resterait d'elle qu'une vague impression, comme un rêve perdu dans une partie éloignée subconscient. Il déposa sa chope vide sur le comptoir et presque aussitôt fut resservit. On connaissait bien ses habitudes. Le pianiste ne se contentait jamais d'un seul verre. Et à cet instant précis, malgré tous les gens qui l'entouraient, malgré la musique et l'ambiance, malgré la compagnie de la boisson, Dominik se sentit plus seul que jamais. |
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