Raelys venait tout juste d'être engagé, il ne connaissait encore personne dans le cabaret -à part le patron et encore...- aussi, sur les conseils du chef en chef, il avait décidé d'assister aux répétitions des autres artistes pour apprendre à les "connaître". Ça c'était une bonne idée ! C'est intéressant d'observer les autres, puis c'est pas trop fatiguant. Par contre il faisait rudement froid aujourd'hui et rester sans bouger ça allait pas l'aider, il avait donc enfilé, au lieu de sa tenue de scène, un gros pull de laine et un épais pantalon de velours dans lesquels il nageait un peu mais tant pis. Il se roula en boule sur un des sièges du milieux de la salle, bailla, détacha ses cheveux et se cacha sous cette longue masse noire. Les chansons, le hurlement régulier de la bonne femme qui faisait répéter les danseuses en rang d'oignons, le fait que la salle se réchauffe doucement, tout cela lui donnait profondément envie de dormir. Il s'assoupit et se mit à se balancer doucement de gauche à droite, de droite à gauche puis d'avant en arrière jusqu'à ce qu'une voix grave et rieuse sorte des coulisses.

-LENNOX ARRÊTE DE FAIRE LA DINDE ! Ce truc va t'exploser à la tronche !

Raelys-Alphonso sursauta et faillit tomber de sa chaise en clignant des yeux, ça devait être un machiniste quelconque. Il balaya la scène du regard et ses yeux se posèrent sur une silhouette frêle et androgyne coincée dans un costume. Il ou elle était joli(e), mais la remarque du gros bourrin avait pas eu l'air de lui faire plaisir. Lennox, c'est un nom d'homme non ? Quoi qu'il en soit, il avait attisé la curiosité de Raelys et celui-ci avait décidé d'observer le jeune homme à l'oeuvre, d'autant plus qu'en reniflant bien, il pouvait sentir ce qui ressemblait à une forte odeur d'épices, un odeur qui lui était familière et qui lui fit froncer les sourcils. Cette senteur lui rappelait quelque chose, de vieux souvenirs profondément enfuis, pourtant le type sur scène était bien blanc, il était même carrément blond. Il avait peut-êtres de très lointaines origines méditerranéennes ? Non, franchement non, ça serait étonnant. Il avait l'air Saxon bien comme il faut celui là. Une moue apparu sur le visage poupon d'Alphonso, il se demandait quelles étaient les racines de cet homme pour qu'il lui rappelle tant le pays. Pourtant, très vite, les tours du jeune homme le détournèrent de ses réflexions. Il avait beau être une "fée", la magie de cet homme le fascinait. Il ne se souvenait pas avoir vu pareille chose dans toutes ses vies et le dénouement de chaque numéro lui tirait des "aaah" surpris et des "oooh" ébahis, et même quand ils étaient loupés, le petit changelin applaudissait fébrilement. Il devait vraiment passer pour le dernier des paysans mais ça c'était le cadet de ses soucis. Ses pupilles s'était dilatées d'une façon assez extraordinaire et il n'osait plus cligner des yeux de peur d'en perdre une seule miette. Un grand sourire s'étala sur son visage et dès que le type dessinait un pentacle ou mélangeait diverses poudres, celui-ci se tordait dans des expressions plus cartoonesques les unes que les autres. Il sautilla ainsi sur sa chaise jusqu'à la dernière seconde de la répétition.

Il avait sans doutes fait peur au dit Lennox en s'agitant de la sorte mais tant pis, il devait à tout prix aller le féliciter. Il se leva et sauta sur scène avant de se coller pile devant ce qu'il avait prit pour un magicien. Là, il ne savait pas trop quoi dire, il se contenta donc de changer son sourire en une expression neutre et de dire d'un ton plat.

-Bonjour...je m'appelle Alphonso...j'ai beaucoup aimé ce que vous avez fait, c'était chouette.

Après un instant d'hésitation il lui tendit la main et offrit un sourire maladroit à son interlocuteur.

Tout avait pourtant commencé comme un soir banal. Il avait quitté son bureau chargé de manuscrits, feuillets volants, comportant tous formules, croquis, illustrations plus ou moins complètes, énigme indéchiffrables, texte historiques, cercles d'invocations et transmutation, etc... Bref, il quitta le capharnaüm qu'était le bureau qui trônait dans un coin de sa chambre, laissant Layth dévorer - au sens figuré, bien sûr, avec cet Idiot on ne sait jamais- son livre d'image sur le lit. Il s'arrêta un instant devant le spectacle ridicule du djinn, d’apparence adulte, "lisant" avec enthousiasme son livre d'image. Il changeait d'expression à chaque page tournée: admiration pour le dragon totalement Badass, émerveillement quand le prince sauvait la princesse etc.. Ce djinn était définitivement un idiot, et pour la énième fois de la journée, il lui arracha un soupir d'exaspération. Mais ô dieu pourquoi avait il ce genre de sentiment pour un imbécile pareil? C'est un mystère qu'il emporterais dans sa tombe, pensa t'il pour la énième fois de sa vie depuis 200 ans.

Bref, il ne devait pas être en retard à la répétition; Lennox se hâta donc de descendre dans la salle de spectacle où déjà se mettaient en place décors, danseurs, machinistes, artistes, serveurs; un vraie ruche. Layth n'étant pas de service ce soir, il était tranquille pour la soirée; c'était aussi reposant qu'un jour de congé. Quoique. Les jours de congés il devait se le coltiner; disons que ça l'était plus, en fait. Il tapota ses joues pour sortir cet idiot de ses pensées. Pourquoi devait-il penser à lui tout le temps? Aah! Ce le rendait fou! C'est dire! Il était rare qu'il n'ai pas sa petite place dans sa pensée.

En pensant à toutes ces choses si banales qu'inutiles, comme tous les soirs, il alla s'assoir devant son piano, plaça ses partitions, réajusta sa fidèle cape, passa la main dans ses cheveux pour les remettre dans un état convenable et prit une grande respiration; il était fin prêt, maintenant. Il attendit un instant gentiment que tout le monde se mette en place, que l'on donna le départ pour la répétition. Au top, il commença sa danse avec les touches du clavier du piano à queue, jouant avec un plaisir presque palpable les différents morceaux choisis pour ce soir et ces numéros précis. Tantôt il effleurait à peine les touches, parfois il les écrasait - mais toujours avec la délicatesse d'un pianiste - contre le socle du clavier. Bientôt le temps ne fut qu'une vague notion lointaine, et en un flash, la répétition toucha à sa fin. On laissa tout sur place, prêt à servir dans quelques heures, quand les clients commenceront à affluer dans le cabaret, cherchant plus ou moins désespérément une distraction qui saurait le tirer des sables mouvants de l'ennuie et de la monotonie de leur quotidien. Mais alors qu'il s'apprêtait à quitter la salle pour retourner à son décryptage de manuscrit près de l'abruti au livre d'image de princesses, une main s'abattit sur son épaule.

Quand l'alchimiste se retourna, il vit le sourire étrange qu'arborait un quelconque machiniste; un sourire qui ne présageait rien de vraiment bon.

"Minute papillon! T'veux pas nous montrer un pt'it tour, sorcier?" dit l'homme avec une haleine de poney alcoolique.

Lennox soupira et ôta avec délicatesse la main du rustre

"Je ne suis pas un sorcier, monsieur, mais un alchimiste. Et je ne suis pas non plus un animal de foire"
Ceci dit, aimablement, malgré l'once d'irritation présente dans sa voix pour avoir été confondu avec ce qu'il n'était pas, il tourna les talons et continuation son chemin.

"Ouais en gros t'es une poule mouillée, magicien raté qui dit faire quelque chose de ses dix doigts mais ne fait que faire semblant de décrypter des écris incohérents." L'homme-poney-alccolique répliqua soudainement.

Là, Lennox ne pouvait pas ne pas répondre à la provocation. Il s'arrêta. Se retourna brusquement. Marcha vers l’impertinent. Se posta devant lui. Leva la tête pour essayer de paraître moins petit par rapport à ce tas de muscles.

"Challenge accepted, malotru!" Une fois cela dit, il alla cherche du papier, des craies, des crayons, des grimoires. Il traça des cercles de toutes sortes, transmuta, fit des tours de passe passe. Il fallait bien protéger son honneur, non?

Puis l'homme-poney-des-machines lui cria avec un ton rieur

"LENNOX ARRÊTE DE FAIRE LA DINDE ! Ce truc va t'exploser à la tronche ! "

Là...TROP C'ETAIT TROP. Il s'arrêta un instant. Serra les poings.

"Faut savoir ce que vous voulez, rustre sans cervelle!!!" Et sous la frustration, il redoubla d’efforts.

Tout devenait mieux. Il traçait des cercles plus complexes, plus beaux, faisait des transmutations plus complexes elles-aussi. Puis au fur et à mesure qu'il s'efforçait à prouver son talent à l'autre pingouin de poney alcoolique, Lennox remarqua une silhouette qui s'agitait et semblait s'émerveiller à chaque mouvement qu'il effectuait. Ce comportement innocent lui arracha un petit rire bienveillant.

Il décida de l'observer un peu aussi. Il gigotait, poussait des cris de stupeur, d'émerveillement à tout va. On aurait dit un enfant. C'était pur, c'était mignon.
Bientôt, la prestation improvisée fut finie. Et avant qu'il n'eut le temps d'aller demander ce qu'il en pensait à l'autre malendrin d'alcolo-hippique, devant l'alchimiste se posta l'individu qui l'observait. Lennox eu un mouvement de recul léger sous la surprise puis se ressaisit, rendant son sourire au jeune homme.
Mais d'un coup, son vis-à-vis perdit toute expression et le complimenta sur un ton monotone. C'était le type timide? Lennox sourit avec douceur et serra la main tendue de l'autre

"Enchanté, Mr.Alphonso, je suis Lennox Von Wolfstadt, et comme vous avez pu le voir, je suis alchimiste de mon état." Il s'inclina légèrement pour terminer cette présentation. Souriant toujours, il demanda " Vous êtes intéressé par l'alchimie?"

H.R.P.:

-L'al-chi-mie ?

Alphonso fit la moue et fronça les sourcils, plongé dans une réflexion intense, ça lui rappelait quelque chose mais il ne savait plus trop. Il secoua la tête, ça lui reviendrait bien à un moment ou à un autre. Il sourit largement au "magicien".

- Ça à l'air chouette...je crois que j'en ai déjà entendu parlé...mais ça me plairait pas d'en faire, je suis trop nul en magie, du coup je vais tout rater et je vais encore pleurer...

Étrangement, il continuait de sourire largement.

- N'empêche que c'est trop beau ce que tu fais et puis toi aussi t'es joli.

Raelys rougit un peu même si cette réflexion sur le physique de son interlocuteur avait été prononcée tout à fait innocemment. Son estomac se mit à grogner.

-J'ai faim monsieur Lennox....vous voulez bien manger avec moi ?

Le nabot aux cheveux noirs se figea d'un coup, un air catastrophé sur le visage, les yeux ronds, un petit cris d'horreur lui échappa, il colla ses mains sur sa bouche et fixa le visage du nabot blond avant d'enlever ses mains de devant sa bouche en tremblant.

- C-c'est où qu'on mange ? Je sais même pas où c'est le manger...

Il était à deux doigts de pleurer. S'il il mangeait pas, il allait avoir faim, si il avait faim, ça ferait mal au ventre et puis il allait mourir et s'il mourait, il serait mort et ça c'est pas chouette, pas chouette du tout. C'est donc avec sa plus belle tête de chien battu qu'il accrocha sa p'tite mimine à la manche de la chemise du blondinet qui faisait bien une tête et demie de plus que lui.

- Vous voulez bien me montrer où c'est s'il vous plais ?

Il espérait que le bonhomme à cape serait assez gentil pour ne pas le laisser mourir de faim, surtout qu'il lui offrait une vu plongeante sur ses grands yeux humides, son épaisse tignasse noire et sur son adorable petit corps tout maigre, tout frêle perdu dans son épais et immense pull de laine, une vision kawaiisime en somme.

-Vous croyez qu'ils ont de la purée à la cantine ?

Il ne lâchait pas la manche de Lenny et se collait même à lui, pas spécialement par affection mais pour pouvoir passer entre les artistes qui fourmillaient, sortant des toutes parts, grouillant comme des insectes pour êtres sûrs que tout était en place et qui l'auraient sans doutes écrasé sans s'en rendre compte. Au moins, accroché à l'alchimiste, il faisait partie d'un bloc assez conséquent pour ne pas être emporté par la foule (comme dirait Edith). Il le lâcha tout un coup. L'alchimie ! ça lui revenait ! C'était un truc d’égyptiens, les prêtres distrayaient les pharaons avec des choses comme ça !

Un flash lui vint, il était allongé paresseusement aux côtés d'une femme, une très belle femme au teint matte et aux cheveux noirs qui lui caressait distraitement la tête. Il faisait chaud, heureusement des esclaves les éventait lentement et leur portait des boissons. Deux hommes en toges blanches se sont approchées et ont commencé des tours. Changer l'eau en sable, le sable en sang, le sang en rubis et les rubis en une petite fleur d'or blanc et de diamants ouvragés. Ils l'ont offert à la femme qui lui a offert à lui. Cette femme, il se souvenait ni de son nom ni vraiment de son visage, il se rappelait juste de l'avoir aimé, bien aimé, et qu'il avait été triste quand il avait dû mourir.C'est tout ce dont il se souvenait.

Tout son être avait été sur pause pendant que ces images lui revenaient, puis il avait cligné des yeux.

-Ouai en fait j'avais déjà vu de l'alchimie...On va manger ?

Il lui reprit la main pour être sûr de ne pas se perdre. Il l'aimait bien finalement ce type, il avait l'air gentil, un peu étrange mais gentil comme tout et puis il avait une odeur qui lui rappelait quelque chose mais il ne savait pas quoi.