Extrait d'une longue vie.;

Un éclair illumina la pièce, tandis que la pluie battait contre la vitre. En cette froide nuit du 15 septembre 1740, une femme d'une quarantaine d'année finissait de tracer un pentacle sur le sol à l'aide d'une craie. Une bougie noire à la flamme rouge tremblotait sur une vieille commode où était posée une dague victorienne. Des gouttes de pluie, s'infiltrant par le toit, venaient au milieu du pentacle. Elle se redressa et d'un revers de la main chassa les perles de sueur de son front. Elle souffla, tendit la main et ouvrit la vieille fenêtre. Une bourrasque de vent, chargée de pluie, s'engouffra dans la petite pièce et manqua d'éteindre la petite bougie. Un grondement sourd provenant du ciel se fit entendre et quelques secondes plus tard, un nouvel éclair zébra le ciel et illumina la pièce pendant quelques secondes. Elle était meublée pauvrement, un vieux fauteuil élimé, couvert de poussière, était poussé contre le mur. Une commode victorienne à qui il manquait trois tiroirs, trônait piteusement à côté de la porte contre le mur en bois qui commençait à pourrir. Un grand miroir suspendu au-dessus de la commode renvoyait l'image de la bougie, de la dague et de la vieille femme. Grande, elle avait de long cheveux noirs, qui commençait à blanchir, virant au gris à certains endroits. Elle portait une robe de chambre, ample, couleur sang, en soie. Elle se tenait droite, le menton relevé. Ses yeux étaient gris et des rides commençaient à apparaître. Sa peau était comparable à la porcelaine, tellement elle était blanche. La femme inspira profondément et prit la dague sur la commode. Dehors la tempête faisait rage. Un nouveau grondement se fit entendre. Elle recula et tendit ses mains au-dessus du pentacle. Elle se fit une profonde entaille dans la main gauche. Au moment même où, les premières gouttes de sang touchaient le centre du pentacle, une boule de lumière entra dans la pièce, emportée par un violent coup de vent. Alors que la flamme de la bougie s'éteignait, la sphère lumineuse explosa rapidement en provoquant un bruit aussi fort qu'un tir du canon. La femme fut projetée contre le mur. Et puis...
Accoudée sur l'accoudoir du fauteuil, elle se releva lentement. La pièce était plongée dans le noir, la pluie tonnait contre le toit mais le grondement ne se faisait plus entendre. Soudain, la flamme de la bougie s'alluma. La vieille femme écarquilla les yeux. Assise sur la commode, une jeune fille aux longs cheveux blonds, presque blancs. Sa peau paraissait pâle, par cette faible lumière. Elle portait une robe de chambre blanche qui se teintait légèrement de noir en bas. Elle s'arrêtait un peu au-dessus des genoux. Une bande de tissu noir servait de ceinture était attaché au niveau de la taille. Elle était pieds nus. La femme frémit lorsque deux iris écarlates se posèrent sur elle. Soudain, la fillette demanda d'une voix douce et curieuse.

- Qui es-tu ?

La vieille femme inspira profondément et se releva. Elle leva le menton et s'approcha de l'enfant.

- Je suis Abigaelle Baldin, fille d'Éric Baldin couturier pour la noblesse de Versailles. Si je t'ai appelée, démone...

Abigaelle se stoppa dans son discours, elle venait de remarquer des griffes, pareilles à celles d'un chien, remplacer les mains de la démone. Et dans le miroir, une longue queue noire, qui se finissait par un petit triangle de couleur ébène, s'agitait mollement. Elle était terrifiée, à l'idée de se faire tuer si près du but. Elle retenait son souffle en voyant qu'elle penchait la tête sur le côté.

- C'est pour ? Souffla la jeune fille.

Abigaelle s'approcha de la démone et tendit sa main blessée qui avait cessé de saigner.

- Si je t'ai appelée, c'est pour passer un pacte avec toi.
- Un pacte ? La jeune fille gloussa en sautant de la commode. Qui te dit que j'ai envie de passer un pacte avec toi ? Et puis qu'est-ce que j'aurai en échange... Ton âme ? Ton argent ? Ton statut ? La démone ouvrit la porte et sortit de la pièce. Et si je ne veux rien de tout ça, qu'est-ce que tu m'offriras ?

Abigaelle se hâta de la suivre. Elle était petite et arrivait, à peine à l'imposante poitrine de la vieille femme, mais elle était rapide. La démone se dirigeait un peu au hasard dans la petite maison qui était déserte. Abigaelle se félicita mentalement de ne pas l'avoir invoqué chez elle. Qu'auraient dit ses filles et son fils en la voyant avec la démone ? C'était une vieille maison abandonnée qu'elle avait trouvé des années auparavant avec ses défuntes soeurs. Elle se trouvait dans la propriété du manoir des Baldin, inhabitée depuis longtemps dont elle servait de remise ou de cachette. Soudain la démone se stoppa et attrapa un livre se trouvant sur une petite commode. Abigaelle se mordit la lèvre, plus jeune elle venait ici pour écrire dans son journal, elle avait continué mais beaucoup moins souvent. La jeune fille pencha la tête sur le côté, comme elle l'avait fait tout à l'heure. Pivotant sur sa jambe, comme Abigaëlle avait vu faire de nombreux danseurs, elle se retourna pour se trouver face à la vieille dame. Elle recula comme si elle était agacée.

-Admettons que j'accepte, quelle est la raison pour laquelle tu veux passer le pacte ?
- La jeunesse éternelle ! Je veux retrouver la jeunesse de mes vingt ans ! Avoir tous les hommes à mes pieds...

La démone se désintéressa du discours de la dame, et regarda par la fenêtre cassée du couloir. Un éclair zébra le ciel, et permit de distinguer la silhouette d'une immense bâtisse pendant un court instant. Elle se demandait s'il y avait plein d'autres de ces objets, qui ressemblent à celui qu'elle tenait dans sa main. Le pacte la tentait de plus en plus. Elle secoua la main, tenant le livre, pour interrompre le discours de la dame.

- Y a-t-il d'autres livres, dans ce bâtiment ?

La jeune fille pouffa en voyant les gros yeux que faisait Abigaëlle. À son avis, celle dernière ne devait pas souvent être interrompue de la sorte.

- O... oui, plein.

Le sourire que lui adressa la jeune fille, lui fit froid dans le dos. Abigaelle était soulagée, elle avait réussi à convaincre la démone. Le pacte fut passé. Elle sentit une horrible brûlure dans son dos, puis d'atroces douleurs partout. Elle tomba à genoux en gémissant. Les douleurs atteignirent leur summum, et elle se dit que sa dernière heure était arrivée. Et puis la douleur disparut aussi rapidement qu'elle était apparue. Haletante, elle accepta la main que lui tendait la démone. Au loin, les lumières de l'immense bâtiment s'allumaient une à une. Parfois on pouvait apercevoir une personne qui se pressait, d'une pièce à l'autre. Abigaelle porta la main à sa bouche en se demandant ce que penseraient ses enfants en ne la trouvant pas. Tout en se retournant, elle attrapa le parapluie posé contre le mur de bois. Elle ouvrit la vieille porte, puis le déploya et fit quelques pas dehors. Elle se retourna pour vérifier que la démone la suivait, et fut surprise de la voir sur le pas de la porte. Impatiente, elle dit.

- Viens.

La démone pencha la tête sur le côté : traverser sous la pluie ? Et puis quoi encore ! Puis elle remarqua l'étrange objet qu'avait déployé la dame. Elle s'avança et fut étonnée de ne pas se faire mouiller. Elle eut une moue boudeuse en voyant à quel point elle s'était enlisée. Elle trottina à côté d'Abigaëlle, jusqu'à arriver à une porte. Là, la dame sortit une clé, d'une poche de sa robe de chambre, et ouvrit la lourde porte en bois. La démone la devança pour se mettre à l'abri de la pluie. Elle grimaça en voyant qu'elle avait de la boue jusqu'aux chevilles. Chacun des ses pas provoquaient un étrange bruit de succion. Un nouveau grondement se fit entendre. La démone inclina légèrement la tête sur la droite pour examiner la pièce.
Une immense table en bois trônait au centre de la pièce, mais il n'y avait aucune chaise. Plusieurs poêles à bois étaient poussées contre le mur et des dizaines de plats vides étaient en train de sécher. Il n'y avait qu'une seule et grande fenêtre. De la pierre servait de sol et de mur. La démone déduit que c'était la cuisine, ou un endroit où les plats sont préparés. Une épaisse porte s'ouvrit, et quatre personnes apparurent. Trois femmes et un homme. La première des femmes, qui était la plus grande, dépassait de quelques centimètres les deux autres, elle avait de longs cheveux blonds et des yeux marrons, une peau porcelaine et un nez busqué. Les deux autres se ressemblaient beaucoup. Comme Abigaëlle, elles avaient de longs cheveux noirs et soyeux, leur peau était très légèrement halée mais, elles avaient toutes les deux le même nez arqués. La seule différence était la couleur de leurs yeux, l'une les avaient gris et l'autre en possédaient des marrons. Quant au garçon, il était grand et dépassait les femmes d'une bonne dizaine de centimètres. Ses yeux étaient marrons et il avait des cheveux noirs. Bien bâti, sa peau était un peu rosée. La démone inclina la tête sur le côté, pour pouvoir voir Abigaëlle et l'autre femme aux yeux gris. Elles se ressemblaient beaucoup.

Abigaelle déposait le parapluie contre le mur. Comme elle l'avait prévue, la cuisine était déserte à cette heure si les servants dormaient, dans une aile du manoir. Elle sursauta en voyant les portes s'ouvrir. Adèle, Amandine, Amélie et Alphonse firent leur interruption dans la pièce. Ils se figèrent en même temps. Pendant quelques minutes, seuls le vent et la pluie se firent entendre. Ce fut Adèle, la jeune femme aux cheveux blonds, qui rompit le silence en demandant :

- Mère ?

Elle aurait voulu parler, mais les mots restèrent coincés au fond de sa gorge. Cela ne lui était plus arrivé depuis la mort de son défunt mari, Harold, trois ans auparavant. Aussitôt, Amélie, la femme qui lui ressemblait tant, voulu se précipiter vers elle. Mais Alphonse l'en empêcha en retenant son bras.

- Attends, Amélie... Qui êtes-vous ? Mère est beaucoup plus vieille que vous. Vous lui ressemblez mais...
- Alphonse Harold Jacque Baldin ! S'écrie Abigaëlle. Une mère reconnaît ses enfants, et ils doivent la reconnaître !

La démone secoua la tête, faisant voler ses longues mèches blanches. Elle n'aimait guère ces gens. Une jeunesse éternelle tant qu'elle avait accès au savoir était tout à fait raisonnable. Elle eut un petit sourire, bientôt elle pourrait lire autant qu'elle veut. Puis au moins, avec ce genre de pacte, elle n'avait nullement besoin de la suivre partout. Il...

- Mère, qui est cette catin qui salit le sol de ses pieds pleins de boue ?

La démone releva la tête et planta son regard dans celui de la fille qui avait parlé. C'était celle aux yeux gris. Elle lâcha un rire méprisant. La démone avança de quelques pas et finit par dire avec un haussement d'épaules.

- Je m'étais attendue à plus de respect de la part des enfants de madame Abigaelle, apparemment vous ne devez sûrement pas supporter une concurrente.

Elle acheva sa tirade avec un sourire sadique, aussitôt la jeune fille devient rouge. La démone posa sa main droite sur sa hanche et les observa attentivement. Ils étaient tous en robe de nuit, sauf le prénommé Alphonse qui ne portait qu'un caleçon. Finalement Abigaëlle brisa le silence en toussotant.

- Elle se nomme Alexandra Lucie Caldin et j'espère que vous la traiterez bien, car à partir de maintenant elle va vivre avec nous.

La démone mima une révérence avec un sourire arrogant. Son ancien maître lui avait donné un nom bien meilleur que celui-là. Elle se retint de sourire en voyant leur air hébété. Abigaelle lui sourit. L'orage commençait à se calmer, et de par la seule fenêtre de l'immense pièce, on pouvait apercevoir la lumière du soleil qui se levait. Alexandra voulait absolument voir toutes les choses identiques à celui qu'elle tenait dans sa main. Abigaelle demanda à Amélie.

- Amélie, peux-tu lui faire visiter le manoir ?
- O...oui mère !

Alexandra suivit la jeune femme.

~ Avril 1870 ~

La promesse de la jeunesse éternelle est comme celle de l'immortalité, mais en bien meilleur. On ne peut mourir, mais en plus de ça, on ne vieillit pas. Alors qu' Abigaelle a traversé plus d'un siècle, assisté à l'enterrement et ses enfants, petits-enfants et même de deux arrières petits-enfants, elle gardait sa beauté de ses vingt ans. Grâce à ce pacte passé avec la démone qu'elle appelle, aujourd'hui encore, Alexandra. Elle a traversé les âges en échange du savoir, tant qu'il y avait des livres dans l'immense bibliothèque du manoir, la femme vivait. Au début Abigaëlle avait été surprise que la démone exige si peu, puis elle avait compris que la tâche serait plus ardue que ça. Car la démone passait le plus clair de son temps à lire et ne voulait que rarement sortir du manoir. Il lui arrivait de passer plusieurs jours sans la voir.

Abigaelle sourit en mettant ses boucles d'oreilles. Elle avait réussi à amener la démone à Paris ! Elle avait été invitée par un duc à une soirée. Naturellement, elle avait accepté. Alexandra, beaucoup moins. Mais l'important est qu'elle avait réussi à la faire venir. Abigaelle se retourna, tournoya sur elle-même et demanda à la démone qui était assise sur le lit.

- Comment me trouves-tu ?
- Affreuse... Pouffa la démone. Je me demande franchement comment tu vas faire pour passer les portes, et comment ton chapeau tient...
- Comment oses-tu ? Se moqua Abigaelle. Je suis ta maîtresse et tu es censée me complimenter ! Même quand tu n'aimes pas mes tenues !

Alexandra fit semblant de vomir puis éclata de rire. Abigaelle lui faisait souvent ce genre de reproche, mais elle avait finit par comprendre que la démone n'était pas un lèche-botte et disait les choses comme elles le sont. Elle se souvient des moues de dégoût qu'elle lui avait faites quand elle lui montrait des robes pour les nobles. La démone appréciait la simplicité et il n'était pas rare de la voir porter une robe similaire à celle qu'elle avait le premier jour. Alexandra se calma et se leva du lit.

- D'accord, d'accord ! Comme d'habitude tu es merveilleuse ! Mais tes robes te donnent l'air d'une dinde ! Pourquoi porter de telle horreur ?
- Alexandra, toi et tes goûts !

Abigaelle l'entendit murmurer quelque chose, mais ne comprit pas. Elle se retourna pour vérifier dans le miroir, si sa coiffe n'était pas en feu. En effet la démone faisait du feu et n'hésitait pas à brûler quelque chose quand elle ne l'aimait pas. La femme soupira, rien n'avait brûlé, elle se retourna et sourit. Alexandra s'était changé rapidement. Elle portait une chemise blanche avec par-dessus, une longue robe noire avec un corsage, aux lacets blancs. S'accompagnait d'une ceinture blanche à la taille. La robe descendait jusqu'aux chevilles. Abigaelle soupira en tombant sur les chaussures, des bottines... La démone ayant senti venir les reproches s'exclama.

- Pas question que tu me fasses porter ces chaussures ! De toute façon, je crois qu'il est temps...

On frappa à la porte. Alexandra se retourna vivement pour faire face à Abigaelle. Elle s'écarta quand sa maîtresse donna la permission d'entrée. Un valet entra, il était visiblement très essoufflé et des perles de sueur glissaient sur son visage. Il tendit un télégramme à Abigaelle. Elle le déplia, le lut et se raidit. Alexandra pencha la tête sur le côté et, d'une voix ferme elle ordonna.

- Sortez !

Le valet obéit sans un mot. Alexandra ferma à clé la porte. Abigaelle s'était assise et haletait. Impatiente, la démone lui prit le papier. Elle le lut une fois, un sourire apparut sur son visage. Elle le relut juste pour le plaisir. Elle ferma les yeux et se laissa submerger par sa véritable apparence. Ses mains devinrent griffes, une queue de démon noir ébène apparut, suivie de deux petites cornes aussi blanches que de l'ivoire. Les pointes de ses cheveux prirent une légère teinte rouge. Abigaelle se mit à genoux devant Alexandra.

- Je t'en prie, Alexandra ! Ça ne peut pas se finir comme ça ! Je t'en prie !
- Tes prières ne servent à rien ! La démone prit le menton de la femme dans sa main. On a un accord, jeunesse éternelle contre savoir, or ton savoir a brûlé ! Il a brûlé ! La démone jubilait. Certes, le pacte fut très long ! Tu t'en rends compte plus de cent ans ! Mais maintenant, ton âme doit être délicieuse !

La démone lâcha le menton de la femme. Elle décrocha le miroir du mur et le planta devant sa maîtresse. Un grand sourire au visage, elle lui dit.

- Regarde-toi ! Regarde-toi, comme tu es vieille ! Vieille et affreuse... Même sous cette apparence de vieille femme, cette robe est toujours aussi hideuse !

La démone rit. Abigaelle leva la tête de ses mains, et se retint de crier. La démone avait raison. Ses cheveux si noirs étaient devenus aussi blancs que la neige, des rides creusaient son visage et son teint si blanc était livide. Elle sursauta lorsqu'elle sentit une main se poser sur son dos. Elle tourna la tête et tomba nez à nez avec Alexandra. Accroupie près d'elle, la démone lui prit de nouveau son menton de sa main glacé. La vieille femme eut un frisson glacé lorsqu'elle murmura.

- Voila ce qui arrive quand on joue avec les créatures du diable...

Abigaelle se dit que si elle n'était pas allée à Paris, elle aurait pu vivre encore longtemps. S'enrichir et être comblée par les hommes. Elle fut terrassée par une atroce douleur, ses mains se crispèrent sur son coeur. Elle eut l'impression de se faire aspirer et puis plus rien. Alexandra se releva, et sautilla de joie. L'âme de cette vieille Abigaëlle était délicieuse ! Même plus ! Celle de son ancien maître ne l'était pas autant. Elle jeta un dernier regard au corps sans vie de la vieille dame et sortit de la chambre, en reprenant une apparence humaine. La petite démone ignora le valet, posté dans le couloir et, descendit les escaliers. Elle n'avait plus rien à faire ici.

La démone rencontra un homme, prénommé Arthur Villeneuve. Écrivain et parfois journaliste. Grand, les cheveux roux, une peau légèrement hâlée, des yeux verts. C'était un humain tout ce qu'il y a de normal, à part son goût immense pour la lecture. Il s'était amouraché de la démone, en la voyant déambuler dans les jardins publics. Peu de temps après, il avait découvert qu'elle était un être surnaturel en l'espionnant. Atteint d'une maladie au poumon, il avait finalement passé un pacte avec la démone. Pas pour guérir mais, pour qu'elle reste avec lui jusqu'à ce que la mort l'emporte. Il l'amenait tout le temps à un cabaret, qu'il avait découvert deux ans auparavant. Il ne lui avait jamais raconté comment il l'avait connu, mais chaque fois qu'ils y allaient, il voyait dans des étoiles dans ses yeux. Arthur s'inspira de la démone pour écrire plusieurs livres. Il était tombé amoureux de cette flamme de joie qui dansait sans arrêt dans ses yeux, de sa longueur chevelure pâle souvent en désordre et bien sûr de son rire et de sa franchise. Pendant qu'il tapait sur la vieille machine à écrire, il se souvient le jour où il avait pactisé avec sa Muse....

~ Souvenir ~

- Dis-moi Alexandra. Pourquoi ne vas-tu jamais à l'Église ?
- Je n'aime pas ça, et toi pourquoi y aller ?
- Pour prier... Mais pourquoi tu n'aimes pas y aller ?
- Parce que.
- Parce que n'est pas une réponse, tu n'es pas catholique ?
- Ce n'est pas ça... Je n'aime pas ça, c'est comme demander à une personne pourquoi elle préfère le sucré et pas le salé...
- La religion n'est pas une question de goût...
- Peut-être...
-...
-...
- Je sais qui tu es...
- Vraiment ? Alors, dis-le-moi.
- Tu es une créature du vilain à l'apparence d'un joyeux du Père... Qu'est-ce qui te fait rire ?
- La façon dont tu le dis, mais aussi ton audace. Pourquoi t'être entiché d'une démone si tu es un bon homme qui n'attend que son salut ?
- Parce que cette créature est magnifique et que je voulais la connaître...
- Comme si !
- C'est la vérité ! Pourquoi tu ne me crois pas ?
- Je ne te crois pas car, je ne te crois pas !
- Ce n'est pas une réponse.
- Si !
- Non.
- Si !
- Ce n'est pas une réponse !
- Je te dis que si !
- Et si je t'offrais mon âme, me répondras-tu ?
-...
- Alors ?
-... Pour si peu ? Le jeu n'en vaut pas la chandelle...
- Alors, que dois-je faire pour que tu me réponds !
-...
-... Je suis malade...
-...
- Une maladie des poumons, je n'ai jamais fumé et pourtant ça tombe sur moi. N'empêche-je compte vivre à fond le peu de temps qu'il me reste !
- Éternel optimiste qui croit qu'Il se bougera pour le sauver ?
- Tu ne devrais pas parler de lui comme ça. Oui pour la première partie, non pour la seconde. Je sais qu'Il ne fera rien, mais peut-être que si une créature du vilain m'aider...
- Tu n'es absolument pas discret... À quoi ça te servira à part te fermer les portes du ciel ?
- À être sûr que tu restes avec moi . Et puis, je suppose que rien que par le fait de t'avoir hébergé, j'ai déjà perdu les clés.
-... Optimiste, entête... J'ai l'impression d'avoir affaire à un âne...
- Hé ! ça ce n'est pas sympa ! Alors ?
- Qu'est-ce que ça m'apportera ?
- Mon âme en moins... Les médecins ont dit, dix ans. Donc mon âme avant que dix années ne soient passées, et en plus un toit après ma mort... Toit et métier !
- Franchement ! *rire* Tu ne préférerais pas la guérison.
- Pour faire quoi ? Vivre plus longtemps. Certes c'est alléchant comme proposition mais, je préfère vivre le temps qu'il me reste et faire de formidable rencontre, que de vivre plus longtemps et de devenir un cobaye pour la science, car je suis sûr que cette guérison ne passera pas inaperçue. Et puis... Je ne voudrais pas t'offenser, mais à forte dose tu deviens invivable !
- Hé ! Tu n'as pas le droit de me parler comme ça !
- Aïe ! Pour une dame tu cognes affreusement fort !
- Je peux te poser une question, Arthur.
- Mais bien sûr !
- Comment tu l'as su ?
- Euh... Je l'ai su car, je l'ai su...
- Ce n'est pas une réponse !
- Eh bien tu vas devoir t'en contenter !
- *grognement* C'est d'accord...
- Tu capitules drôlement vite. M'enfin...

~Souvenir~

Arthur eut un sourire mélancolique. Il se souvenait parfaitement de l'atmosphère qui régnait ce jour là. Il y avait de la brume, tellement qu'il avait eut l'impression de marcher dans des nuages sinistres. Tel un serpent, elle s'était déployée lentement, et avait finit par recouvrir la ville entière. La lune était cachée par des nuages noirs, et la faible lumière des lampadaires ne suffisait pas pour éclairer. Alexandra ne lui avait toujours pas répondu à sa question et lui non plus. Il rit seul. Les médecins avaient dit dix ans et pourtant ça en faisait presque trente. Il soupçonnait que sa muse y était pour quelque chose mais il préférait ne pas le savoir. Il regarda l'astre de nuit, seule compagne de ses écrits nocturnes, qui trônait haute et belle dans le ciel. Il venait de terminer son dernier livre pour une personne spéciale et surprenante. Il rit nerveusement en imaginant la réaction de la créature quand elle sera arrivée au bout du livre. Il s'était toujours refusé à l'appeler "démon". Le coeur gros, il finissait de rédiger une lettre à l'intention du maître du cabaret Lost Paradise. Il avait promis, à sa Muse, qu'à sa mort elle aurait un toit pour dormir et un métier, et quoi de mieux que ce magnifique endroit. Il éclata de rire en l'imaginant servir d'autre humain que son maître. Il inspira profondément, il fallait qu'il se calme, pour approuver cette sage décision une quinte de toux le secoua. Il retira la lettre fraîchement tapée et soupira. Sa muse ne se levait jamais avant le soleil, il ne lui restait plus qu'à aller se coucher. De par la petite fenêtre de son bureau, il aperçut la lune juste au-dessus de la pointe de la belle tour Eiffel récemment achevée. Cette vision lui arracha un sourire, s'il n'avait pas pactisé avec Alexandra, jamais il n'aurait vu cette si belle oeuvre. Il alla donc se coucher.
Arthur trouva sa belle muse, dans la cuisine en train de faire du café. Il sourit et passa une main dans ses cheveux ébouriffés. Il rit en s'asseyant sur une chaise.

- Qu'est-ce qu'il y a ? Il interrogea Alexandra.
- Je me disais juste que c'est dommage que tu ne cuisines pas aussi bien que tu serves...

Pour seule réponse, il eut un grognement. Au loin, les cloches de l'église sonnaient. L'écrivain se retient de soupirer, ça faisait tellement longtemps qu'il n'y était pas allé. Peut-être devait-il y aller une dernière fois... Il posa une lettre sur la table. Sa muse y jeta à peine un regard.

- C'est pour qui ?
- J'aimerais que tu la donnes au maître du cabaret...
- Je peux me charger de la poster si tu veux.
- Laisse-moi finir, Alexandra... J'aimerais que tu la donnes au maître du cabaret une fois que je serai mort...

Alexandra posa bruyamment sa tasse sur la table. Arthur sursauta légèrement. Depuis quelques temps elle s'énervait si facilement. Il prit soin de boire une gorgée du café fumant avant de continuer.

- Et... J'aimerais... Non, je souhaiterais que tu arrêtes...
- Pourquoi ?
- Parce que je t'avais promis dix ans et ça en fait presque trente...
- C'est de ta faute... Grommela-t-elle. Troisième hospitalison tu as dit : Je souhaiterais tant ne pas avoir cette maladie !
- Oui mais j'ai dit ça comme ça !
-...
- Je n'aime pas t'ordonner de telle chose, mais arrête ça.

Il eut de nouveau des grognements. L'écrivain tenta de capter le regard de sa muse, mais cette dernière gardait les yeux rivés sur la table.

- S'il te plaît.
- Pourquoi rechignes-tu autant ?
- Parce que.
- Ce n'est pas une réponse.
- Si.
- J'aimerais pouvoir te voir de mes deux yeux... Ne pas à avoir le cacher des autres.
- Tu serais pendu haut et court si les gens de l'église le découvrent...
- Ton optimiste se serait-il transformé en pessimiste ? Moi qui croyais que tu serais contente d'avoir mon âme.
-...
- Tu veux jouer au jeu du silence ? Prépare-toi à perdre !
- Tu es aussi bavard qu'une pie, tu ne tiendras jamais aussi longtemps !

Ils éclatèrent tous les deux de rire.

- Bon d'accord... Mais je te préviens, je ne te porterai pas jusque dans ta chambre !
- Oh, allons-y alors.

L'écrivain se leva, le coeur gros. Il lui avait fallu du courage pour le lui dire et maintenant il avait une légère appréhension de la mort. Il grimpa les escaliers et une fois parvenu en haut, il se tourna vers sa muse qui le suivait en traînant des pieds.

- Pourquoi être si joyeux alors que la mort arrive ?
- Parce que c'est la vie et que personne n'y échappe...
- Mes autres maîtres m'avaient imploré à genoux pour que je leur laisse la vie, et toi tu fais tout le contraire...
- Parce que je ne suis pas comme les autres !
- Arrête avec tes "parce que" ce n'est pas une réponse !
- Tu vois, ma belle, même toi tu le reconnais !

Nouveau grognement. Arthur eut un sourire, la main sur la porte il la poussa doucement. ça lui faisait étrange de pénétrer dans sa chambre en plein jour. Il regarda le manuscrit sur le bureau, il n'avait pas eu le courage d'écrire les trois derniers mots. Il s'assit sur le lit. Sa muse avait pris sa véritable apparence. Démoniaque mais si belle. Elle remarqua l'air béa de son maître.

- Si je fais ça, tu vas mourir...
- Je crois qu'on a déjà fait attendre trop longtemps la mort...
-... Dans d'atroces souffrances.
- Woah... L'écrivain eut un rire nerveux. Où est passée ton optimiste ? Et puis, je te l'ai dit, tu es charmante mais à forte dose tu es exécrable !

Elle étouffa un juron et Arthur dût se retenir de rire, elle était si belle lorsqu'elle se mettait en colère. Il inspira profondément, et releva le menton de sa muse. De son oeil valide il planta son regard dans les beaux yeux de sa muse.

- Qu'est-ce qu'il y a ?
- Euh... Rien, rien. Au fait tu vois le livre sur le bureau ?
- M'oui ?
- J'aimerais que tu le lises...
- Maintenant ?
- Non après, mais lis le jour après jour.
- Jour par jour ? Je pense que c'est une mauvaise idée, il vaudrait...
- Alexandra... Tu comprendras quand tu l'ouvriras.

Encore un grognement. Arthur sourit, il s'allongea sur le dos. La démone prit la chaise la porta près du lit et s'assit.

- Tu n'as pas l'air enjouée, lui fit-il remarqué.
- Parce que je ne le suis pas.
- ça ne te fait pas plaisir de prendre mon âme... J'aurais cru à la façon dont tu m'as décrit comment tu avais pris celle de ton autre maître.
- C'est différent. Elle était une vieille bourrique qui ne s'intéressait qu'à la beauté, aux robes et aux hommes. Et l'autre était un vieux avare qui a osé pactiser avec un autre démon, du coup pour lui, j'en ai eu deux alors que j'aurai dû en avoir qu'une.
- Quel est ton opinion sur moi ?
- Un écrivain un peu fou amoureux d'une démone qui l'ignore ?
- Si peu ? Demanda-t-il.
- ça en fait déjà beaucoup.
- ça aurait pu faire un bon titre...

Il n'acheva pas sa phrase car la douleur était revenue. Il ferma les yeux et son visage se tordit dans une grimace. Il pencha la tête vers sa muse et réussit à sourire. Il crut entendre un léger rire suivit d'un "imbécile" dit doucement. Malgré la douleur, il réussit à ouvrir son oeil valide. Il crut apercevoir deux perles scintillantes aux yeux de la muse. Son seul regret, était de ne pas connaître les sentiments, de sa belle, pour lui. Son visage s'apaisa lorsque la démone prit son âme. De toutes les âmes qu'elle avait eu la chance de dévorer, celle-ci était la plus délicieuse. La démone prit la livre et descendit. De tous ses propriétaires celui-ci était le plus étrange, mais aussi celui pour lequel elle avait eu dû mal vouloir prendre l'âme. C'était aussi le seul qui avait réussi à la faire pleurer. Elle attrapa la lettre, et sentit des remords en voyant les deux tasses de café. Avant de sortir de la maisonnette, elle lut le titre du manuscrit. "Extrait d'une vie aussi vieille que le monde". Elle sourit tristement pendant qu'elle sortait de la petite maison à étage, et flâna dans les rues, la lettre et le livre dans les mains. Elle se doutait que le cabaret soit ouvert à cette heure-ci, elle décida donc de s'y rendre quand la nuit sera tombée.