Toi ! Oui, toi, derrière ton écran ! As-tu gardé ton âme d'enfant ? Crois-tu encore aux mythes, aux légendes qui t'ont été rapportées ? Rêves-tu encore de ce monde merveilleux dont les portes se sont ouvertes milles et une fois pour toi ? Si oui, souris, tes espérances ne sont pas vaines. Cet univers fantastique, il existe. Et dans cet univers fantastique, tu peux croiser toutes les créatures qui ont bercé tes songes... Cet univers fantastique, c'est le tien. Oui, tu vis en compagnie de tes fantasmes d'enfance. Et parmi eux... voici l'histoire d'un dragon.Un dragon, oui. Un immense reptile cracheur de feu, vivant dans les plaines d'occident.
Le conte commença au siècle dernier, dans les années 1700. L’Homme réalisa qu'il n'était pas le seul être puissant à fouler sa planète. Il comprit que les créatures mythiques auxquelles étaient rapportées légendes et croyances étaient bel et bien réelles. Il aurait pu les adorer. Il aurait pu les vénérer. Seulement voilà, les humains sont égoïstes et cupides. La destruction massive ne les dérange en aucun cas, si elle leur permet de devenir plus riches et plus puissants. En Europe, lorsque l'existence des dragons fut révélée, on y vit là un magnifique gagne-pain. Et la chasse débuta. Malheureusement efficace, elle permit un véritable génocide, réduisant le nombre de monstres à quelques dizaines. Il fallait réagir. Il fallait évoluer. Alors les reptiles, petit à petit, gagnèrent la capacité de se transformer en hommes, et se cachèrent parmi eux. C'est dans ce contexte que naquit Narcisse Williams.

« Maman, Maman ! »
La voix d'un garçon se fit entendre dans une rue piétonne de Lyon. Ce dernier s'accrochait au jupon de sa mère, un grand sourire étirant ses lèvres.
« Regarde, ils vendent des jolies pierres ! Elles brillent ! », continua-t-il, enthousiaste.
Sa génitrice et le vendeur eurent un rire léger, amusés par l'excitation qu'éprouvait le garçon devant une simple roche.
« Je vois bien Narcisse, je vois bien, ria sa mère, mais tu sais comme moi que nous ne pouvons pas l'acheter, hm ? »
Une mine dépitée lui répondit. Le gamin était vraiment attendrissant, elle s'en fit la remarque. Ses grands yeux améthyste la fixaient avec une détresse enfantine qui faisait fondre une partie d'elle. Et la couleur argentée qui prenait tour à tour ses cheveux ou ses écailles... Oui, décidément son enfant était le plus beau de tous. Mais ce sont ce que disent toujours les parents, non ?
« Bon, si tu veux on achètera un bonbon au retour, d'accord ? », finit-elle par déclarer.
« Oui ! »
Narcisse avait retrouvé tout son entrain.

Le visage de ses parents était grave. L'atmosphère était soudain devenue lourde, pesante comme un soir d'orage. Une tension si présente qu'elle paraissait presque matérielle avait pris possession de la maison toute entière. Narcisse ne comprenait pas. Difficile d'assimiler, me direz-vous, lorsqu'on est un enfant  tout juste en âge de ne plus demander d'histoire pour aller dormir. Le gamin, tentant de cerner la conversation qui se déroulait à l'étage plus bas, se glissa dans la pénombre jusqu'à être à côté des escaliers. Enfin la voix de sa mère se fit entendre :
« Je ne te saisis pas, Éric. Pourquoi y aurait-il un quelconque danger ? Cela fait trois ans que nous ne nous sommes pas transformés, nous vivons dans un petit village de haute montagne où personne ne peut accéder sans être repéré... »
Un... Un danger ? Le cœur du garçon se serra sous une peur nouvelle qu'il n'avait jamais ressentie. Celle-ci était concrète, réelle, et il savait qu'il avait raison de l'éprouver.
« Écoute, chérie. Je ne peux pas t'expliquer maintenant. Il faut qu'on parte le plus vite possible. »
Et ils étaient partis, le lendemain matin, avec pour seuls bagages quelques vêtements et leur trésor, seule chose ayant encore de la valeur pour eux.
Ils avaient atterri dans un autre minuscule village des Alpes. Là enfin, ils avaient trouvé la paix... et des semblables. C'était une première pour Narcisse, qui n'avait de sa vie fréquenté que des humains. Une joie immense s'était emparée de tous. Il leur semblait qu'enfin, la vie allait être plus agréable. Ils avaient trouvé le bonheur, et ils en profitèrent. Durant plusieurs dizaines d'années ils bénéficièrent de cette vie légère et heureuse. Ils s'étaient faits des amis. Narcisse grandit dans le plus beau contexte, dans la joie et la bonne humeur. Les années passèrent et il atteint l'adolescence. Il avait alors l'impression que rien ne pouvait l'atteindre. Il était beau, il était fort, il avait des amis et une famille qui l'aimaient autant qu'il les aimait... Sa vie était ce qu'il entendait par "perfection absolue".
Une fois par mois, il se rendait en ville afin de chercher quelques petites choses dont ses connaissances avaient besoin. Ce jour était arrivé. Heureux de pouvoir enfin sortir un peu du cocon que les villageois s'étaient constitués, il prit la liste de course et partit rapidement sur le dos de son majestueux cheval, sans même remarquer que, à cet instant, ses parents étaient plus crispés que d'habitude. Il n'avait pas remarqué que ses amis étaient tendus, que certains avaient les larmes aux yeux. Il n'avait même pas fait attention à la date, qui indiquait que ce n'était pas le jour des achats.
C'est avec entrain qu'il rentra chez lui, le soir. Les montagnes, éclairées par le soleil couchant, étaient d'une beauté dont jamais il ne se lasserait. Il ne restait plus qu'un kilomètre à parcourir, aussi descendit-il de son destrier. Et là, soudain, quelque chose le frappa. Une forte odeur de brûlé se répandait sur le chemin, provenant vraisemblablement de son village. Tentant de rester calme, il avança promptement en sa direction, priant pour que rien de grave ne soit arrivé. Et brusquement il sentit. Il n'y avait pas que la senteur du feu, il y en avait d'autres... Celle du sang, celle de cadavres, celle de la mort. Lâchant la bride de son cheval, Narcisse courut vers l'entrée de son chez-lui, de là où il avait trouvé le bonheur et la paix, suppliant une quelconque entité divine de protéger sa maison, sa famille, ses amis. Ses jambes ne sentaient même pas la difficulté de grimper la pente, elles se posaient l'une devant l'autre sans distinction aucune du terrain. Cela n'avait plus d'importance. Il arriva enfin aux portes de la bourgade. Son espoir éclata en milles morceaux devant le spectacle qui s'offrit à lui. La cité toute entière était la proie du feu. De gigantesques flammes léchaient les bâtiments, causant l'effondrement de certains d'entre eux. Il y eut la peur. La même terreur qui l'avait pris il y avait de cela vingt ans, reprenait soudain tous ses droits. Elle imbibait son corps, faisait trembler ses membres, embrumait son cerveau. Pitié, pitié, sauvez-les... Il marcha entre les décombres, réalisant que les écroulements n'étaient pas tous causés par le brasier intense qui saisissait le bourg. Son quartier apparut devant lui. Il hurla. Des cadavres, partout. Certains avaient été privés de leur capacité de voler par d'énormes filets, d'autres avait été criblés de balles. Tous avaient le crâne fendu, sans doute dans le but de voler leur dragonite. Des larmes embuèrent ses yeux tandis qu'il cherchait ses parents de ses mains tremblantes, priant plus que jamais pour que quelque chose, n'importe quoi, les ait privés du sort qui avait accablé les autres. Ses recherches n'aboutirent à rien. Et alors qu'il avait retrouvé l'espoir, il les trouva, devant chez lui. Atroce sensation qu'est celle de passer de l'espérence à la désillusion. Et quelle désillusion...Leurs visages étaient figés dans une expression de douleur atroce, leurs corps étaient horriblement mutilés. Narcisse réalisa qu'il ne trouverait plus rien de ce qu'il avait eu. Il n'aurait plus de trésor, plus de parents, plus d'amour inconditionnel. Les moments qu'il avait passé à leurs côtés lui revinrent en mémoire; comme ils riaient ensembles, comme leurs sourires lui étaient essentiels. Les larmes qu'il avait tant retenues s'échappèrent, pour se transformer en lourds sanglots qui secouèrent son corps tout entier. Il tomba à genoux, le poids qu'il avait sur les épaules semblant soudain beaucoup trop lourd pesant à porter. Brusquement, il comprit. Il comprit pourquoi on l'avait envoyé en course le mauvais jour ; pourquoi tout le monde avait le visage grave lorsqu'il était parti. Ils le savaient. Ils l'avaient sauvé. De nouveaux pleurs l'agitèrent.
Ce soir là, au coucher du soleil, on put entendre un hurlement de détresse résonner contre les pics rocheux.

Suite à cet événement Narcisse ne fut plus jamais le même. Animé par la peur de subir le même sort que ses proches, il fuit et s'engagea dans un cirque, où son agilité lui permit de devenir acrobate. Cherchant toujours un endroit où il serait en sécurité, il voyagea avec sa troupe de villes en villes, jusqu'à arriver dans la capitale. Là, c'était parfait. Au milieu de la foule, il était introuvable. Il n'était qu'un individu parmi un million d'autres. Il démissionna et se mit à se balader au gré de ses envies le longs des avenues parisiennes. Il se mit à réfléchir, à se souvenir... Il savait que ses parents auraient adoré Paris. Leur mort... il ne la comprenait toujours pas, et il avait peur de la comprendre. Peur que ça fasse encore plus mal que ce n'était déjà le cas, que ça détruise tout ce qu'il avait réussi à reconstruire. Peur d'ouvrir le mystérieux journal que sa mère avait laissé derrière elle, seul souvenir d'elle, de voir ce qui y était inscrit. La terreur, c'était désormais tout ce qui guidait sa vie. Il était lassé. Il avait besoin de ressentir autre chose. Des émotions positives, et du repos, voilà à quoi il aspirait. Un soir, alors que la nostalgie animait ses pas le long d'un quartier tranquille, il le découvrit. Une lumière chaude et accueillante, un nom inscrit en néons chatoyants... Le « Lost Paradise » brillait au milieu de sa nuit, l'invitant à rentrer. Et puisque le nom semblait si bien convenir pour ce qu'il cherchait, il avait poussé la porte.