L'irréaliste spectacle avait figé Aldrick sur la dernière marche de l'escalier, son instinct affolé lui dictait à la fois de s'éloigner et d'aller chercher le mage. Rien de tout ça ne lui fut permit.
La déflagration lui vrilla violemment les tympans, le propulsant avec force au bas de l'escalier, où son dos heurta de plein fouet l'un des sièges. Cela fit résonner dans tout son corps la douleur de la balle d'argent aussi efficacement qu'un diapason vibrant pour donner le la. Le brun en eut le souffle coupé.
À demi-conscient, se tenant l'épaule, le loup noir resta immobile de longues secondes, regroupant ses pensées et ses forces, tandis que son instinct semblait prendre le dessus. Il ne comprit que quelque chose s'était effondré derrière lui que lorsqu'une nouvelle onde de choc lui parvint du sol. Se contorsionnant pour voir, il eut juste le temps de distinguer une immense volute de poussière et de débris épars, qu'aussitôt, ses doigts se crispèrent sans ménagement sur sa peau, la balle ressortant, une douleur nouvelle lui dévorait le bras.
Un cri bestial et rauque empli alors l'espace.
Le silence qui suivit, seulement parsemé du crépitement du décor, fut pesant. Pourtant, dans l'air vicié, quelque chose de pire encore gronda.
Lentement, la Bête s'était redressée, blessée, mais puissante, impossible à éluder, même cloîtrée dans le corps sanglant du commissaire.
Sans détourner ses iris d'or de ceux de son vis-à-vis, le loup vacilla légèrement, mais son premier pas lui permit de raffermir sa position. Les suivants le menèrent jusqu'à Frédéric. Alors qu'un fragment du plafond tombait derrière eux dans un bruit sourd, il se pencha pour saisir le petit avec ses griffes, afin de le soulever par la peau du cou. Mais le garçon lui semblait si affaibli et épuisé, qu'à son corps chétif se superposa un instant l'image d'Andréa, la nuit où il avait, sans le savoir, fait de lui son mordu. La vision de cette silhouette filiforme et mutilée le troubla grandement. Tant et si bien qu'il eut un mouvement de recul, entraînant sa proie avec lui, lorsqu'un sifflement furtif lui parvint. Ce fut juste avant qu'un autre morceau du toit ne termine en miettes là où plus tôt trônait l'enfant. Poussières et cendres se mélangèrent, son cœur s'affola, l'angoisse au ventre, l'animal songea aux chasseurs avec affolement. Les sens affûtés, il scruta la pièce d'un regard acéré, détailla chaque craquement, prêt à bondir sur n'importe quel opposant pour défendre son butin. Mais il ne distingua rien d'autre qu'un gémissement étouffé au fond de la pièce. Clignant des yeux, ne notant rien d'alarmant, il se reprit. Alors seulement, la carrure de sa prise lui apparut trop frêle et menue pour être celle du louveteau. Tout empestait le cramé, la chaleur était encore dense près de la toile en lambeaux, mais l'odeur qui lui parvint était différente : il était mage et non mordu.
Ce simple constat réanima partiellement la conscience d'Aldrick.
Sans même prendre la peine de le prévenir autrement qu'en ordonnant abruptement
« Accroche-toi » il le hissa sur son dos, envisageant trop tard qu'il était probablement inconscient. Le contact avec le corps chaud du jeune homme le troubla, mais ce ne fut rien en comparaison avec la vision singulière qui s'offrit à lui.
Un tintement familier retentit dans l'enceinte assombrie. Au milieu d'une allée bordée de sièges mal-en-point, le feu follet marron scintillait faiblement, semblant l'inciter à le suivre. Cela ne dura qu'une poignée de secondes, juste le temps d'un battement de cils et cette vision fantomatique s'évapora tout en réitérant son tintement, comme pour le presser. Il l'avait cru disparu pour toujours, mais ces petits êtres avaient plus de ressources qu'il n'y paraissait.
Secouant la tête pour se défaire de sa torpeur, le loup noir, réajusta sa prise sur le mage, sans tenir compte du sang qui s'écoulait abondement de son épaule, il rebroussa chemin et abandonna le souffle court pour le feu follet sans nom, une fois qu'il l'eut rejoint dans le couloir :
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Merci.Un nouveau tintement et il disparut pour réapparaître près des Humains et de la sortie. Seulement, il n'était pas seul. Un loup blanc se tenait sous ses rayons sombres, figeant le sang d'Aldrick, alors qu'il abandonnait d'une voix sans timbre :
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Edward... ?La Bête en lui grogna, méfiante, ne semblant pas comprendre comment pareil miracle pouvait être possible alors que l'agent conservait son propre corps d'humain. Précautionneusement, sur ses gardes, les sens aux aguets, flairant une odeur inconnue, différente, il se rapprocha à pas de loup, réduisant considérablement la distance entre eux, non sans s'octroyer le luxe d'une fuite possible. Il fallut que leurs regards se croisent pour qu'il comprenne : des yeux carmin.
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Qui... Êtes-vous ? Il était prêt à en découdre pour défendre l'enfant, mais le mystérieux loup indiqua simplement la sortie de sa truffe, où le feu follet les avait devancé, avant de rejoindre d'un bond l'humain malmené, pour tenter de le sortir des décombres du balcon. Mille questions tiraillaient l'agent sans qu'il n'osât bouger, jusqu'à ce qu'un nouveau mouvement du loup ne dégage davantage l'homme. Alors seulement il l'envisagea comme un allié potentiel.
Le commissaire pensa d'ailleurs un instant à l'aider, mais un filet de sang lui dégoulina dans le cou, lui rappelant sa priorité absolue. Toujours méfiant cependant, il rejoignit le feu follet sans quitter les deux autres des yeux jusqu'à ce qu'il cogne contre quelque chose. Bien que cela ne lui fit pas mal, un juron lui échappa et le petit être translucide émit un son réprobateur. Aldrick s'excusa à mi-voix, s'étonnant de retrouver son arme à ses pieds. Elle avait dû voler loin des bandits lors de leur chute. Il la ramassa au mieux, non sans tâcher davantage le sol, avant de la coincer dans sa ceinture et de s'engouffrer dans l'embrasement dénué de porte de la sortie.
L'air frais lui fouetta le visage, lui redonnant des couleurs. Miraculeusement, dans la nuit déserte, les sabots de chevaux claquèrent non loin sur le pavé. Sans réfléchir, il se jeta presque sur le cab pour l'arrêter, confiant au cocher alarmé qui l'écouta avec effroi :
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Vite... Rue Saint-André des Arts, il faut qu'il voit le Docteur Keller...Le brave homme les aida à monter tous deux et lorsqu'il claqua la porte derrière lui, Aldrick discerna alors par la fenêtre, dans la pénombre du théâtre, la luminescence du feu follet qui éclairait le pelage ivoire du loup. Son ultime tintement, tel un au revoir, accompagna la métamorphose de l'animal, dont l'immense silhouette humaine aux yeux carmin le salua d'un signe de la main, avant de lever son pouce vers le ciel.
Pour une obscure raison, l'instinct du commissaire, plutôt que de l'inciter à retourner chercher les rescapés, lui dicta que tout irait bien pour ces Humains. La sérénité qu'engendra cette pensée suffit pour qu'il s’effondre de fatigue en serrant le corps malmené du mage contre lui.
- Spoiler:
Fini /o/ Merci pour ce rp délirant, plein de moments WTF, de posts cool et d'autres qui m'ont bien donné du fil à retordre, j'en conviens. C'était pas toujours simple mais on a l'a fait fiston !
En tout cas, j'espère que ça t'a plu autant qu'à moi et qu'on aura l'occasion de vivre pas mal de nouvelles aventures prochainement !