Le passé comme moteur de l'avenir.

Mon histoire est la mienne et personne ne me la prendra. Elle est à moi, à moi. Comme ma pierre.

Ma pierre, j'y tenais comme à la prunelle de mes yeux. Je l'arborai si fièrement aux yeux de tous – je l'aimais tant et j'étais si belle avec. Mais il n'aurait pas fallu l’abîmer – alors elle restait dans l'herbe quand je rejoignais les Naïades dans l'eau. Qui aurait osé toucher ma pierre, connaissant ma fureur ? Il faudrait être fou.

Et pourtant il a osé, lui. Il m'a arraché à mon petit îlot de paradis normand, lui. Il m'a tirée vers la capitale, pleine de bruits et de rafales, lui.

Lui, c'est une misérable et dégoûtante pourriture humaine, et le jour où j'ai posé ma griffe sur lui je l'ai détruit. Il n'a même pas eu le temps de regretter, ce sale petit voleur, quand je l'ai retrouvé à Paris. Mais il n'avait plus ma pierre.

Les humains sont de viles créatures. J'en ai croisé, des comme lui. Lui, il ne savait rien de nous autres légendaires et souhaitait simplement se faire un peu d'argent. Mais il y en a d'autres plus malins que lui, d'autres qui nous connaissent et qui nous chassent. J'ai vu une Naïade suffoquer. J'ai vu ce dont ils sont capables. Ils sont égoïstes, méchants, sans pitié.

Ambitieux aussi, et ils ne savent pas à qui ils ont à faire. Ils regretteront.

Quand je suis arrivée à Paris, la Curia a rapidement appris le crime que j'avais commis. L'article 5 était dans toutes les bouches. J'ai pu me défendre qu'il en allait en effet de ma vie – si ce joyau était détruit… Mais il n'avait plus le joyau. Il l'avait la veille, me défendis-je, et rien ne me portait à croire qu'il ne l'avait plus. Pourtant j'aurais pu récupérer le joyau et le laisser en vie.

Je crois que mon regard haineux les a persuadés d'arrêter là les inquisitions et de choisir une voie plus prudente. On ne vole pas la pierre d'une vouivre sans conséquence fatale. La Curia veut pourtant se retrouver seule juge et mettre fin aux vendettas. Nous ne serons jamais d'accord. Mais les légendaires respectent l'organisation – elle serait, a priori, assez juste. (Selon la définition de quelle race, je me le demande bien, mais soit. J'aimerai bien qu'on m'explique, un jour, cette surreprésentation des créatures de l'Ombre parmi les juges.) Au final, nous avons les mêmes buts : protéger l'existence des Légendaires. Plutôt que de se retrouver en antagonistes, nous avons donc décidé ensemble que je les rejoindrai, dans la branche exécutive. Ils ont insisté, considérablement et lourdement, sur le fait que mon rôle serait de leur ramener les humains ciblés, et non pas de leur apporter justice moi-même. Je sais bien – c'est la branche judiciaire qui choisit la sanction. Mais je jouerai mon rôle et je serai sage. Qu'ils les jugent, ces misérables, je me contenterai de les dénicher, de les effrayer un peu et de les leur servir sur un plateau d'argent.

Par contre, si je trouve celui qui a ma pierre, je ne réponds plus de rien.

Je ne suis pas méchante. Mais je déteste me croire à la merci des autres. Ils verront. Ce sont eux qui sont à ma merci. Celui qui tient ma vie entre ses mains finira bien par tenter de revendre le bijou à quelqu'un qui saura le tailler – à ce moment-là, mon escarboucle sera à nouveau atteignable. Faites que ce soit vite. Ces créatures sont si maladroites qu'elles pourraient faire tomber le joyau sans même le vouloir.