Dr Jekyll and Mr Hyde

15 Juin 1870 - Savernake Forest
Les meurtres ont repris de plus belle. Mais le lieu a changé. Et ce, peu après ma visite de Newton-in-Bowland. J'ai pris ce changement comme un signe. Je suis retourné au village pour voir si un habitant avait déménagé récemment. Il semblerait que le jeune homme que j'avais interviewé en dernier était bel et bien le tueur. Je n'ai aucune idée de comment il camoufle si bien son visage ni où il a trouvé ces vêtements si spéciaux, ni même pourquoi il disperse des photos de lui-même sur les lieux du crime. En parlant de celles-ci, je n'ai pas réussi à en retrouver une seule. La seule preuve de leur existence qu'il me reste est un dessin que j'en ai fait. Mais ceci est sans importance, je compte bien découvrir plus sur cet homme. Je ne pense pas qu'il me reconnaîtra, donc je pourrais le suivre sans problème et étudier son comportement.
Je suis arrivé ce matin à Marlborough, et j'ai déjà son adresse. La traque peut commencer !

18 Juin 1870 - Marlborough
Après trois jours de filatures, je peux d'ores et déjà affirmer qu'il est bel et bien le tueur si redouté. Chaque soir, avant que le soleil n'ait disparu, il sort de chez lui et va en forêt. Pour le moment, personne n'y est retourné, et il n'y a pas eu de cadavres, je n'ai donc rien de tangible. Mais le fait qu'il rentre vivant à chaque fois est suffisant, d'après moi, pour dissiper tout doute quant à son identité. Je l'ai vu revenir deux fois de nuit, mais aujourd'hui il n'est rentré qu'au matin. Lorsqu'il rentre chez lui de nuit, il est grimé comme la fois où il m'a attaqué, alors qu'à l'aube il était habillé. C'était étonnant d'ailleurs. Lorsqu'il m'a agressé, il était retourné nu chez lui. Pourquoi ce changement ?

Mes filatures de jour n'ont pas été nombreuses, il passe beaucoup de temps enfermé chez lui, il ne sort quasiment que pour acheter à manger ou rendre visite à une vieille dame du village. Pendant ses pérégrinations en dehors de son antre, il ne parle à personne, les gens ne lui prêtent pas attention, on dirait un fantôme, invisible aux yeux des humains normaux. Mais j'ai remarqué une chose étonnante malgré tout. Hier matin, un enfant est tombé devant lui. Il s'est approché pour l'aider et l'a doucement remis sur ses pieds, il semblait très agréable. Lors de mon interview, il ne m'avait laissé qu'une impression de timidité maladive, il baragouinait des réponses, tripotait ses mains, se grattait le visage sans cesse en signe de gêne. Il n'était pas à l'aise. Ce n'était pas seulement dû à mes questions, cela semblait général. Demain j'irais posé des questions à la vieille dame à qui il rend visite.

19 Juin 1870 - Marlborough
Ce fut une journée des plus étonnantes à mon sens. J'ai appris à mieux connaître le personnage. La vieille dame, Mary, était la gentillesse incarnée. Elle a d'abord été étonnée que je veuille lui poser des questions sur cet homme, Tim comme elle l'appelle. Mais j'ai réussi à la mettre en confiance, en disant que j'écrivais une nouvelle et que je souhaitais en savoir plus sur lui, d'apparence si timide, pour baser mon personnage principal dessus. Voici la transcription de l'interview :

Moi : Mary, comment avez-vous rencontré Tim ?
Mary : Le jour de son emménagement, lorsque le fiacre est arrivé et qu'il est descendu. Le village était rassemblé, curieux de voir qui en descendrait. Étrangement, la plupart sont repartis à partir du moment où il a posé le pied au sol. J'avais préparé un petit panier de bienvenue après avoir vu les déménageurs installer quelques meubles la veille. Je me suis avancé, l'ai interpellé et lui ai offert mon modeste présent. Jamais je n'avais vu une expression si infantile sur le visage d'un adulte. Il semblait heureux comme un petit garçon à qui l'on donnerait une sucrerie.
Moi : Il a l'air très réservé en public, mais l'est-il autant en votre unique présence ?
Mary : Oh non ! Il est très serviable, et agréable. C'est rare de nos jours un homme de cet acabit. Il me traite comme sa propre mère, est toujours aux petits soins avec moi et viens souvent me rendre visite. Il est aussi très intelligent, il m'a aidé à résoudre des énigmes -mon petit péché mignon- à plusieurs reprises.
Moi : Pensez-vous qu'il vous cache des choses ?
Mary : Quelle drôle de question ! Dîtes-moi mon bon monsieur, vous avez des secrets vous aussi, n'est-ce pas ?
Moi : Bien sûr.
Mary : Eh bien tout le monde en a. Mais je ne suis pas curieuse, sa vie reste sa vie, tant que j'en fais partie, je suis heureuse pour lui. Si un de ses secrets le pèse trop, je serai là pour l'écouter, mais s'il ne lui en vient pas l'envie, je ne demanderai pas. Avec le temps, on apprend à respecter la vie privée de ses proches.
Moi : Ma question peut vous paraître étrange mais... A-t-il déjà montré des signes de violence, ou de sadisme ?
Mary : Grand Dieu non ! Il est aussi doux qu'un agneau, il ne supporte pas la vue du sang. L'autre jour, je me suis piqué le doigt en tricotant et une goutte de sang a perlé de la blessure. Vous l'auriez vu, il est devenu blême, il s'est empressé de trouver de quoi bander ma plaie. Il ne supporte pas la violence non plus, il m'a parlé des hommes du village qui sont déjà ivres avant le coucher du soleil et qui se battent dans la rue. Il a eu tellement peur qu'il est venu directement me voir. J'ai parfois l'impression que c'est un enfant coincé dans le corps d'un géant.
Moi : En parlant de soleil ! Vous a-t-il parlé de la forêt la nuit ? Il semble s'y aventurer souvent. Je me demandais si c'était en quête de solitude ou d'autre chose ?
Mary : Il m'a en effet demandé de ne plus m'approcher de la forêt lorsque les incidents ont commencé à y arriver. Je dois dire que les villageois commencent eux aussi à avoir peur de la forêt, peu de gens y va ces derniers temps. Il est d'une nature si inquiète. Mais ce problème n'en est pas un avec moi, je suis bien trop vieille pour m'aventurer là-bas ! (petit rire) Vous dites qu'il y va souvent la nuit ? C'est sûrement pour chercher à savoir qui est le tueur. Avec son cerveau, il ne devrait pas tarder à le débusquer si vous voulez mon avis.
Moi : Merci beaucoup, madame, vous m'avez beaucoup aidé.
Mary : Tout le plaisir était pour moi.
Moi : Si vous pouviez ne pas mentionner notre entrevue à votre ami, je vous en serai reconnaissant, je voudrais lui faire la surprise avec la nouvelle.
Mary : Oh ? Très bien. Ce sera notre petit secret. (petit rire)

Mes déductions sont quelques peu confuses. La vieille dame semblait persuadée de tout ce qu'elle disait. Comment quelqu'un de si naïf pourrait tuer des gens par dizaine ? Je ne sais pas vraiment. Mais il faut reconnaître que son comportement est radicalement différent de nuit. Pour avoir été présent lors d'une de ses "chasses", il me semblait plutôt violent. Pas physiquement en effet, mais psychologiquement. Il s'amuse avec l'esprit de ses victimes, il joue avec elles avant de les tuer.

Quoiqu'il en soit, je pense que je pourrais bientôt prouver qu'il est le tueur en série, et je pourrais publier mon article et enfin récupérer la récompense que je convoite tant.