Il est né ce divin enfant...;

Troisième enfant d’une fratrie de quatre, Heinrich Kramer est né un peu avant sa jumelle. Sa naissance se déroula difficilement le 31 juillet 1840 à 20 h 45 alors que sa mère se trouvait en forêt, non loin du village où elle s’était installée avec son mari. La sage femme fit du mieux qu’elle put, mais Heirich chuta sur le sol durement. Pendant un moment, la mère et la guérisseuse se sont demandé s’il n’était pas mort sur le coup. Mais très vite, les hurlements du poupon eurent tôt fait de leur vriller les oreilles. On entendit un fracas plus loin, comme du verre brisé. À leur retour au village, les deux femmes constatèrent que toutes les fenêtres de l'endroit avaient simplement explosé. Mme Kramer blêmit, en proie à une angoisse que la sage-femme n’aurait pu identifier. Cette dernière lui remit son nourrisson aux jambes arquées et la laissa se reposer dans la petite chaumière familiale.

La mère travaillait comme blanchisseuse dans son village natal, connue pour son tempérament instable et hystérique. Son fils et ses filles semblaient tous avoir hérité de ses traits de personnalité pour le moins désagréable. Les trois sœurs furent cependant emportées par la maladie, ce qui valut l’effroi des pleurs déchirant de Mme Kramer. Son fils en fit les frais, étant directement témoin des crises de sa mère désespérée. Il avait toujours paru plus mature que son âge, les traits tirés de fatigue et d’angoisse, comme prêt à prendre la poudre d'escampette. Un jour, un hurlement perçant secoua le village. Terrorisé, Heinrich était parti se réfugier dans la forêt pour fuir la source du bruit. Cependant, pendant qu’il avançait dans les fourrées, il s’arrêta brusquement. De drôles de petits êtres se trouvaient non loin de là. Ils gesticulaient nerveusement. Puis en voyant le garçon s’approcher, les créatures disparurent promptement. Au sol gisait le corps inerte du père du jeune Kramer. Ce dernier ne se remit jamais complètement du décès de cet homme doux et patient et tint les étranges êtres surnaturels pour responsables de l’évènement.

Très tôt, Heinrich démontra un talent exceptionnel pour faire rire les gens à ses dépens, de par son manque de grâce total et son lunatisme avéré. Il était cependant indéniable qu’il excellait à créer des objets, dont l’utilité variait grandement de l’un à l’autre, pour le plus grand agacement de ses voisins. Les pétarades répétées et les gloussements inquiétants émanant de la maison des Kramer étaient le centre de ragots plutôt troublants.

À l’âge de 9 ans, le jeune Kramer eut ce qu’il appela son illumination. La curiosité le poussa à fréquenter très assidûment l’église locale, au point où il devint complètement obnubilé par Dieu et le christ. Ses croyances, enflammées par son imagination d’enfant et sa détresse psychique, virèrent rapidement au fanatisme le plus total. Il se brouilla avec ses rares amis et s’isola dans son sous-sol, d’où seule sa mère le tirait parfois. Les cris de celle-ci le perturbaient au plus haut point, le terrifiant jusque dans ses rêves, si bien qu’un jour l’adolescent qu’il était devenu prit la fuite. La cavalcade s'étira sur près de 10 mois, durant lesquelles la paranoïa le consuma, car il était convaincu que sa génitrice le poursuivait. Il entendait sa voix, encore et encore, qui criait, tantôt hystérique, tantôt arrogante, si bien qu’un jour, n’en pouvant plus retourna subtilement chez lui pour faire brûler celle qu’il pensait être une sorcière. Il mit le feu à la misérable masure et la regarda longuement être réduite en cendre. Puis, jaillit l’ultime hurlement, réel cette fois, de sa mère. Ce fut le seul moment de lucidité qui lui vint, le seul moment où dans son délire, il comprit l’horreur de ce qu’il avait fait. Il se mit à crier à l’aide, mais personne n'arriva . Les commères eurent trop peur des hurlements du fils et de la mère pour seulement sortir. Heinrich tenta d’enfoncer la porte, le feu léchant ses bras maigrelets, sans succès. Par la fenêtre au verre fracassé, il vit le visage terrible de sa mère dévorée par les flammes, horrifiante. Cette vision cauchemardesque le poursuivra toute sa vie. L’incendie mourut de lui-même quelques heures plus tard, alors que l’aube se levait. De la triste bicoque, ne restait que les poutres noircies et quelques éclats de vitres scintillant dans le jour naissant. Dans un état second, pour ne pas dire, hystérique, l’adolescent au physique ingrat creusait frénétiquement les cendres chaudes à la recherche de la dépouille de sa mère. La forme calcinée qu’il trouva finalement lui apporta momentanément le réconfort. Plus jamais, pensait-il, il n’aurait à supporter cette voix terrible qu’elle avait ni ses lamentations terrifiantes qui semblaient surnaturelles. Il prit comme macabre souvenir, l’os du gros orteil droit, le seul qui ne s’était pas effrité sous ses doigts engourdis par la souffrance. Il fallut que les timides villageois le sortent de force des ruines brûlantes avant qu’elles ne s’effondrent sur lui. Les témoins se rappellent, non pas sans un frisson d’épouvante, le faciès dément qu’arborait Heinrich alors qu’ils le traînaient vers la demeure de la guérisseuse. Ses paroles incohérentes avaient de quoi inquiéter même les plus rationnels d’entre eux. Il fut interné sans autres formes de procès.

Durant son séjour à l’asile, il décida d’embrasser la carrière de prêtre pour racheter ses péchés passés et il parvint à maintenir un semblant de normalité pendant quelques années. Il sortit de l’asile 8 ans plus tard, déconnecté du monde. Il ne lui fallut pas longtemps pour sombrer de nouveau dans sa psychose, puisqu’il entendait régulièrement sa défunte mère s’adresser à lui, narquoise et cynique. C’est donc fou à lier que notre cher curé allemand poursuivit sa vie. Durant ses pérégrinations, il tomba sur le Malleus Maleficarum, et les écrits de son prédécesseur l’inspirèrent. À l’instar du premier, le second Heinrich Kramer serait lui aussi un inquisiteur. L’Église, catastrophée par son comportement chaotique fini néanmoins par l’excommunier, chose qu’il nie encore par ailleurs, tout dévot qu’il est. Il se servit de son talent à l’invention pour s’équiper d’armement terrible et mortel pour les créatures légendaires. Et avec son flair terrifiant (et hasardeux), n’eusse été ses méthodes peu orthodoxes (lire ici étranges et loufoques) et sa propension à délirer, il aurait sûrement été le chasseur de monstres le plus craint que la terre eut connu. Il tenta de retourner les habitants d’un village contre leur sage-femme, sans succès et il fut expulsé à cause de son comportement problématique. Il fut d’ailleurs tristement célèbre pour avoir essayé de commencer une nouvelle chasse aux sorcières à plusieurs reprises sans y parvenir, heureusement pour tous les êtres légendaires qui ont croisé son chemin. Sa propension à tirer d’abord et questionner ensuite lui vaut d’être pourchassé régulièrement. Il fut réinterné dernièrement, mais il s’est échappé de nouveau, plus fou que jamais.