- M-Mais qu'est-ce qu'elle fait au juste ?
- Je pensais qu'elle allait s'énerver après avoir mimé un égorgement devant l'équipe adverse mais…

Plus bas…

- Mooooooh mais ils sont trop mignooooons !

Assise sur la pelouse, Dolores cajolait les petites bestioles improbables qui lui sautillaient autour, s'amusant à leur donner des noms à chacun d'entre eux. L'un avec une moustache fut nommé Eckbert, celle avec des cils et un bec rose Gudrun, sa camarade qui sans nul doute était sa sœur et qui avait l'air de la jalouser car elle sortait avec Eckbert alors qu'elle l'avait toujours aimé se nommait Magdalena. Vraiment Magdalena était insupportable, d'autant plus qu'elle ne faisait même pas attention à Jeremias et ses quatre pieds qui la courtisait désespérément depuis plusieurs années maintenant ! Ouvre donc les yeux Magdalena !

Quoi qu'il en soit, Dolores avait complètement mis de côté le match pour se consacrer pleinement à l'étude de ces drôles de bestioles qu'elle nomma les Dotty-Dotty, puisqu'elle estimait être la première à les avoir découvert. Et pour certaines mauvaises langues qui lui reprocheraient d'avoir donné son propre nom à cette espèce, elle répliquerait en disant qu'il s'agissait avant tout du nom de sa mère. Et toc. Et puis on en parle de la Tour Eiffel ?

- Toi je te mettrai dans le tiroir à côté de celui d'Yvonne, et toi Eckbert tu iras dans le placard de la cuisine ! Je doute que Magdalena soit d'accord mais nous trouverons sans doute un arrangement.

Mais alors que la doctoresse tapotait la tête molle et rebondie de Jeremias, qui, il ne faut pas le cacher, était son préféré, le pauvre Dotty-Dotty fut soudainement projeté plusieurs mètres plus loin, violemment frappé par la balle, déviée après le tir maladroit d'Aldrick. Paralysée, pétrifiée devant une telle scène de violence, Dolores ne put s'empêcher d'hurler le nom de la pauvre victime, dont le corps inerte jonchait la pelouse, près des cages de l'équipe… Ah non il a l'air d'aller bien en fin de compte ! Mais peu importe. C'était la fin.

Voyant les joueurs adverses courir vers elle, Dolores se releva et posa sur sa tête Gudrun, Eckbert, qui était son nouveau préféré, et Magdalena, qui en profita largement pour se rapprocher d'Eckbert !  L'ogresse fut la première à l'approcher, mais la doctoresse tira la balle derrière elle avec son talon et s'arma de son arme fatale, la terrible de banane du nom de Printanière la douce, comtesse douairière des bananes. Visant avec précision, l'homonculus lança la peau jaune à la manière d'un boomerang pour la glisser sous la semelle de Griselda, la faisant tomber en avant jusqu'à un mur électrique. L'ogresse dorénavant occupée à se faire griller sur place, Dolores esquiva un tâcle de Hugh et récupéra la balle avant de commencer à traverser le terrain. Face à elle, Marcelin se plaça, prêt à intercepter, mais ne calcula pas la trajectoire du ballon qui vint se loger en plein dans son visage après un tir chargé de violence brute par la terrible doctoresse.

Le machiniste temporairement à terre, Dolores voulut récupérer la balle mais entendit soudainement le cri d'horreur de Jeremias vers les cages de son équipe. Son sang ne fit qu'un tour, elle oublia la balle, la laissant à l'équipe adverse, et courut vers le Dotty-Dotty en détresse.

Personne ne touche à Jeremias !

Jeremiaaaas !

Le ballon était toujours dans les pieds de l'équipe adverse. Même sonné, quelques secondes suffirent à Marcelin pour qu'il exécute une passe parfaitement millimétrée, rebondissant à plusieurs reprises sur les petites créatures débarquées sur le terrain, pour terminer dans les jupons de La. La sorcière s'était ensuite élancée à toute allure vers les buts, se rapprochant inévitablement d'Andréa.

Le garçon s'élança dans sa direction, mais chuta aussitôt au sol. Quelque chose venait d'entraver ses pieds. Pestant en silence, Andréa replia ses jambes au plus vite pour refaire le lacet sur lequel il pensait avoir marché avant de s'apercevoir avec stupeur que ses chaussures étaient liées entre elles. Un gloussement s'éleva à quelques mètres de lui. Gloussement typique de la hyène et pourtant, son auteur était d'une race toute canine.

– Finley !

Face au ton rageur du louveteau, le rire redoubla et laissa bientôt apparaître la silhouette d'un kitsune, rouquin et bien plus petit que lui, mais pourvu d'oreilles de renard et d'une queue assortie qui faisaient sa fierté.
Le sourire fin et sournois du goupil s'étira sous ses yeux en amende.

– Tu es surpris par mon camouflage hein ?
– En fait, ça sentait un peu le fennec, avoua le louveteau en réajustant ses chaussures.
– Nnnnnnnh !! Mais je suis un renard !!!
– Cela dit ce n'était pas très drôle comme farce, j'aurais pu me faire mal.
– Ah ! Tu reconnais la puissance de mon espèce !
– Ne fais plus ça, c'est dangereux.
– Ngrmgn !

Violoniste du Moulin Rouge, Finley avait rencontré Andréa chez le luthier. Il avait rapidement découvert la nature légendaire du garçon et, attendant qu'ils soient seuls, il lui avait ensuite fièrement exposer sa race de « Kitsune ». S'en était suivi un long silence avant une tentative hasardeuse du louveteau qui lui glissa un tranquille « à tes souhaits ».
Blessé dans un orgueil qu'il avait conséquent, Finley avait aussitôt déclaré la guerre au jeune lycan qui, aujourd'hui encore, ignorait tout de l'existence même du conflit.
D'ailleurs Andréa ne tarda pas à lui faire faux bond, inquiet de la percée de La dans son camp.

– Je n'ai pas le temps de jouer, désolé !
– Quoi ? Non ! Reviens ici sac à puces ! Andréa !!

Mais trop tard. Le louveteau avait à peine tourné les talons que sa silhouette s'épaissit brusquement. Son corps tout entier se cambra dans une nouvelle foulée, l'obligeant à poser au sol des mains qu'il avait de griffues et couvertes de fourrure immaculée. Le pas suivant fut gigantesque et l'immense loup au pelage sombre parsemé de blanc s'élança à la poursuite de La.

– Ce qu'il m'eneeeeeeerve ! Moi aussi je peux le faire !

Et à son tour, le corps du Kitsune revêtit son apparence animale, celle d'un renard imposant dont les cinq queues fouettaient rageusement l'air. Il partit à la poursuite d'Andréa sans considération aucune pour le match qui se jouait.

Aucune des petites créatures ne s'éternisa sur leur passage et rapidement un danger conséquent les menaça. À une dizaine de mètres d'eux la sorcière avait arrêté sa course, terrifiée.

– Non ! S-sales cabots allez vous en ! N… Ne m'approchez pas !

Le sol craqua et s'enfonça sous ses souliers sur une surface deux mètres de diamètre. Elle arracha une plaque de terre et dans un geste désespéré, la lança sur les deux canidés. Andréa l'esquiva d'un saut sur le côté, Finley l'utilisa comme tremplin pour prendre de l'avance sur le lycanthrope. L'esprit-renard retomba non loin de l'enchanteresse. Il se retourna pour savourer sa victoire au moment même où La se débarrassait violemment de la balle qu'elle croyait exciter les deux animaux. Le ballon fondit sur la pelouse abîmée et couvrit les quelques mètres qui le séparait de Finley à une vitesse ahurissante pour finalement s'écraser contre son flanc. Il endura fièrement le choc, sans se douter qu'un second se préparait, plus sérieux encore.
Au-dessus de lui, une ombre se détacha, immense. Le Kitsune eut tout juste le temps de lever la tête et vit s'abattre sur lui la silhouette massive d'Andréa. Par réflexe, Finley protégea le ballon entre ses queues, mais l'assaut du jeune loup les contraignit à une roulade au milieu des petites créatures qui s'enfuirent, paniquées. Leur acrobatie s'arrêta lorsque le lycanthrope cloua son opposant au sol de ses deux pattes avant. Il releva aussitôt la truffe, chercha le ballon, mais ce dernier avait roulé loin de ses pattes.

Restait à savoir qui l'avait récupérée.

Il devait se l'avouer : comme son frère, Fred avait légèrement perdu de vue le ballon. Devant lui, une magicienne de pacotille avait réussi à détourner l'attention de plusieurs joueurs - et d'une bonne partie du public - avec un tour de passe passe ridicule. Vraiment. Cacher un lapin dans un chapeau, qui se laissait encore prendre par ça ? Oui, y cacher un des trucmuches qui avaient envahi le terrain aussi.

Bon, à la vérité, Fred la trouvait plutôt jolie douée dans son genre. Disons que venant d'une humaine ce n'était pas si mal de réussir un escamotage correct.
Il n'avait juste jamais vraiment compris l'intérêt des tours de magie faits par des humains. Les humains détestaient la magie, ils tuaient, brûlaient, chassaient, montraient du doigt, plongeaient dans l'eau en imposant des règles de flottaison absurdes toute personne montrant la moindre capacité magique. Pourquoi étaient-ils aussi fascinés par de la fausse magie ?
Pourquoi le public de la CURIA (!!) était-il aussi fasciné ?!
Ne savaient-ils pas qu'il était hautement plus compliqué de faire de la magie humaine (ou de prétendre en faire) quand on était soi-même un mage, face à un public humain, tous les soirs ?

Fred était fasciné. Il ne se rendait d'ailleurs absolument pas compte que la technique de diversion de Sonia marchait parfaitement sur lui aussi.

Elle marchait tellement qu'il finit par se rapprocher d'elle jusqu'à commenter son travail.
Sonia s'énerva évidemment : ne voyait-il pas, lui, à quel point il était ardu pour une humaine de prétendre faire de la magie quand on n'avait pas une once de sang légendaire dans les veine ?
Ils commencèrent à se disputer, puis à se chamailler, puis à crier et se hurler des noms d'oiseaux en se lançant des défis magiques à la noix. Savait-il jongler avec deux lapins tout en maintenant un troisième caché dans son chapeau ? Savait-elle jongler avec des pommes en feu sans se brûler les doigts SANS utiliser de magie ?
Savait-il couper quelqu'un en deux à travers une boite sans le tuer et recoller les bouts après ?
Savait-elle cracher du feu bleu avec quelqu'un en équilibre sur ses épaules ?
Savait-il disparaitre en une seconde et échanger sa place avec un animal quelconque pour faire croire au public qu'il s'était transformé ?

Fred l'ignorait, mais il pensait qu'il en serait capable. Elle lui demanda de le prouver. Une colère folle s'empara de lui. Qui était cette humaine de l'équipe adverse qui OSAIT penser que a fausse magie valait la vraie - voire la surpassait ?! Il allait lui montrer qui il était. Un escamotage, vraiment ? Et les gens y croyaient ?

Qui était-elle pour lui dire ce qu'était la magie ? Il allait lui montrer !
Il avait transformé un animal en humain, lui, madame ! Et à onze ans s'il-vous-plaît ! Il était un mage, lui, un vrai ! De la magie d'humains, demandez-vous un peu... Il était un légendaire lui ! Il était un vrai mage, et un cracheur de feu ! Un descendant des Lenoir, les mages gardiens de l'Ardenne depuis des générations ! Savait-ele à quel point il était difficile de le cacher tous les jours ? Il savait la magie ! Il était Ardennais !

Soudain, le regard de Sonia sur lui changea. Baissa, aussi, littéralement, Frédéric la vit de plus haut, comme si elle rétrécissait. Lui-même se sentit grandir, et prendre de l'espace. Ses appuis étaient plus fermes, le terrain minuscule. Son odorat changea... et il avait des défenses ? Et quatre pattes ?
Frédéric le Sanglier Géant, fidèle image de Woinig le Légendaire, gardien des Ardennes et compagnon d'Arduinna la déesse de la forêt, sentit sur son sabot arrière droit comme une piqûre de moustique.
Sa gigantesque tête se baissa, ses yeux porcins - toujours couleur noisette - se baissèrent sur la balle et l'agglomérat de bestioles jaunâtre massé dessus. Son sabot se leva, lentement, puis s'abaissa, massivement, sur Hugh qui s'apprêtait à sauter sur la balle. Sonia partit en courant. Il vit du coin de l'oeil un renard et un loup s'agiter, des étincelles jaillir de la barrière électrique et tout en bas, tout en bas, une femme-serpent se mettre en colère.
Frédéric sentit son coeur s'embraser.

Le match. sonia avait réussi à le lui faire oublier. Comment avait-elle osé ?
Le sanglier gigantesque perça la balle de sa défense gauche, releva la tête et tapa du sabot une fois - il souffla bruyamment - deux fois - son regard noisette fixa les petits buts, là bas tout au fond - trois fois. Il chargea, la balle plantée sur sa défense, crinière au vent, arrachant au terrain des monceaux de terre à chacun de ses pas.

Il n'avait qu'un seul but en tête, une seule idée : il fallait gagner ce match !

Spoiler:

Mais j'halluciiiiiiine ! C'est un sanglier géant qui vient de marquer ce but enoooooooooorme pour l'équipe du Lost Paradise !
Les scores explosent avec cette super frappe qui vaut 2 points, sous un public en délire total !

Ah mesdames et messieurs je crois que nous venons d'assister à la naissance de la future mascotte du cabaret de White ! M'est avis qu'on va se bousculer pour se faire tatouer la silhouette de ce gros cochon sur la fesse droite dans les jours à venir ! À moins que le sanglier ne devienne le nouvel animal de compagnie à la mode cette saison ? Allez savoir !

Non mais regardez moi ce morceau ! Rien ne lui a résisté ! Un vrai tremblement de terre à lui tout seul !
Je peux vous dire que je préfère de loin ma petite place à celle de Sonia ! Aucun tour de passe-passe ne pouvait arrêter ce monstre ! La gardienne du Moulin Rouge a fini au fond des filets avec le ballon et l'animal titanesque. Je crois que l'odeur forestière ne plait pas vraiment à la demoiselle, à moins que ce ne soit ce contact prolongé avec un joueur adverse ? Ah ! Et le voilà qui retrouve son apparence humaine. Les spectateurs sont dingues, mais espérons que le jeune Lenoir ne souffre pas d'une soudaine envie de glands pour les jours qui viennent.

Oh on dirait que May cherche des ennuis au jeune mage ! Visiblement elle a mal digéré cette envolée du score. Amon intervient rapidement et sépare les deux équipes avant que la rencontre dégénère.
La fée maudite en est réduite à passer ses nerfs sur les quelques créatures farfelues – au temps pour moi on vient de m'apprendre que leur nomination en Dotty-Dotty a été acceptée par le congrès de science réuni parmi le public – qui n'ont pas été expédiées hors du stade par la charge du sanglier !

Le choix est fait de déblayer le terrain par mesure de sécurité pour cette nouvelle espèce peut-être déjà en voie d'extinction.

Le ballon est donné à May qui replace ses troupes. Oh ! L'équipe du Moulin Rouge adopte une structure clairement offensive, pour ne pas dire létale ! Le Lost Paradise a intérêt à déployer une défense d'acier pour contrer le retour en force qui se prépare !

Et goooooooooo ! Le match reprend ! May s'élance comme une furie ! Elle prend immédiatement sa forme reptilienne et après avoir évité deux joueurs de l'équipe adverse, elle passe la balle à Odilon qui se jette dans la mêlée et fonce droit vers les cages adverses dans un pas de danse chaloupé !

– Bien joué Fred ! Tu as vu la tête de May, c'était énoooorme !

D'un geste spontané, le loup blanc décoiffa le jeune mage avant de reprendre sa place sur le terrain. Profitant qu'il ne soit pas encore trop éloigné, il ajouta avec un sourire jusqu'aux oreilles, enfilant ses gants au rouge intense :

– Refais moi la même et Lûka te préparera des plats à base de poisson pendant une semaine !

Le gong retentit et la partie reprit. Deux échanges entre les joueurs du Moulin Rouge précédèrent la transformation soudaine du terrain. De la rase pelouse jaillirent arbres centenaires, bosquets de ronces et champignons colorés, dont la densité transformait radicalement les lieux. Une forêt épaisse serait leur nouveau terrain de jeu.

Autant dire qu'Edward était ravi.

Il se mit en route avec une vélocité nouvelle et sauvage et utilisait son environnement à son avantage. Les troncs étaient autant de prises pour des virages serrés et les rochers rien d'autres que de parfaits tremplins. Tous ses sens en éveil, il ne lui restait plus qu'à retrouver la trace d'Odilon et le débarrasser de son ballon.
D'un écart rapide sur sa gauche, Edward évita une rangée de frênes pour préférer se faufiler le long d'un étroit ruisseau qui serpentait dans le bois. La tactique était la bonne, car après une course d'à peine deux minutes, le flair du roi des loups perçut le fumet iodé de l'hydre. Impossible pour lui de le confondre avec Morgan chez qui l'odeur marine était systématiquement accompagnée par un relent de suie. Le danseur était sur sa droite et semblait progresser avec peine.

Parfait.

Un sourire immense s'étira sur les lèvres du patron du Lost Paradise, qui hurla à ses troupes :

– Restez derrière moi !

Edward ajusta ses gants et ferma les mains. Se positionnant derrière un arbre large d'un bon mètre, il s'orienta dans la direction où se trouvait Odilon. Il ajusta ses appuis dans la terre humide du terrain. Après une inspiration profonde, le loup arma son bras droit et, de toutes ses forces, percuta l'arbre de poing ganté.
Le tronc explosa sous sa force. Son geste s'accompagna d'une bourrasque titanesque qui arracha, plia, désintégra, tout sur son passage. Dans la forêt tout juste élevée, un sillon se creusa, vide de toute végétation. Sillon qui emporta sur son passage la silhouette fluette d'Odilon dont le vol se termina dans un cri aiguë contre la paroi électrique.

Edward jubilait.

Mais son équipe avait-elle récupéré le ballon ?

Pendant que les nombreuses silhouettes de joueurs parcouraient le terrain de long en large, au milieu des Dotty-Dotty rapidement remplacés par une épaisse forêt elle-même désintégrée par le patron du Lost Paradise et incendiée par le dragon qui désormais semait le chaos sur le champ de bataille, une autre ombre, plus petite, restait en rentrait dans un coin du terrain.

- Allons Madame la directrice ! Retournez sur le terrain !
- Non.
- Mais on est tous venus vous encourager ! Vous n'allez pas rester là tout de même !
- Hmpf.
- Ce n'est pas parce que vous avez raté votre tir que…

La puissante aura magique qui enveloppa soudainement la petite Lotte fit rapidement taire Indira qui leva les yeux pour ne pas croiser le regard assassin de sa patronne. Celle-ci gonfla ses joues et tourna la tête, encore vexée de l'échec de son tir cuisant. En particulier parce que ce petit mage de pacotille, lui, avait réussi… Et dire que cette vieille bique de Li a assisté à ça ! Lotte comprit qu'elle  n'avait plus le choix, elle devra anéantir tous les êtres vivants susceptibles de colporter cette histoire. Détruire le stade devrait suffire, à moins que le match soit retransmis à la radio. Cela ferait beaucoup de dégâts collatéraux, mais c'est le prix à payer pour conserver son honneur et son intégrité.

- Elle ne veut pas bouger…
- Il faudrait trouver un argument massue !
- Laissez-moi faire.

Fennella s'approcha du mur électrique et s'adressa à sa patronne, toujours enfermée dans son air ronchon.

- Si vous restez ici, Dame Eulalie risque de marquer un but. Le Lost Paradise gagnera malgré tout, quand on voit l'avance de votre équipe.

Lotte ouvrit les yeux et se tourna à peine vers les lèvres pincées de son employée à trois yeux.

- Mais que dirait-on si Eulalie marque un but alors que la grande Lotte Hochvogel n'y est pas parvenue ?

La Simurgh resta d'abord impassible. La mâchoire serrée, les bras croisés, elle fit mine de ne pas mordre à l'hameçon. Mais ce fut lorsque ses yeux s'ouvrirent en grand que Fennella comprit qu'elle avait fait mouche. Le regard déterminé, Lotte tira la cape sur laquelle elle était assise et l'attacha autour de son cou avant de disparaître subitement en s'envolant dans les airs. L'employée de la bibliothèque se retourna et redressa nonchalamment ses lunettes, tandis que l'ensemble de ses collègues l'applaudissaient avec distinction.

Réfugiée dans les airs au-dessus du terrain, Lotte cibla rapidement la balle, déviée par le dragon à la suite d'une passe manquée du cuisinier du cabaret. L'imposant reptile poussait de terribles hurlements et crachait des nuées de flammes sur tous les joueurs qui entraient dans son champ de vision. Le ballon finit par rebondir et rouler jusqu'aux pieds d'Eulalie, armée d'un petit moulin à vent coloré. Les deux mages croisèrent de nouveau leur regard.

Round 2.

Li afficha un sourire énervé et invoqua une puissante bourrasque à l'encontre de la petite blondinette volante qui plongea en direction de la sorcière. Ses bras tendus en avant, Lotte fila à toute vitesse entre les nombreux assauts de la maîtresse des vents qui enchaînait les tornades et les rafales tranchantes. La Super Simurgh exécuta plusieurs acrobaties aériennes, enchaînant loopings et tonneaux, puis finit par atteindre sa rivale qui se réfugia dans un puissant ouragan, balayant même les flammes du dragon. D'abord incapable de s'approcher de la sorcière, Lotte fut rapidement projetée en arrière, soufflée par les vents indomptables d'Eulalie. Celle-ci, emportée dans sa furie, exprima un rire triomphal et brandit le petit moulin qui à force de tourner, finit par éclater. Surprise par la trahison de son artefact, la sorcière jura contre cette « maudite camelote » puis leva les yeux et croisa le regard de la terrible directrice à la cape magique qui plongeait vers elle.

Avant même d'avoir le temps de faire une passe, Li poussa un cri et finit avalée dans un large nuage de poussière provoqué par l'impact de Super Lotte qui n'avait même pas cherché à s'arrêter. Quelques secondes plus tard, le ballon fila hors du nuage opaque, prêt à être réceptionné par l'équipe visée. Qui des deux magiciennes avait donc eu le dessus ?

Frédéric était tout simplement euphorique. Ils entamaient, lui et son frère une danse de la victoire d'un art douteux.
-Refais moi la même et Lûka te préparera des plats à base de poisson pendant une semaine !

Un instant il pensa "Quoi ? Déjà un c'était pas assez ?!"
L'instant d'après il pensa : "POISSON UNE SEMAINE !"
Lui et Morgan échangèrent un regard pendant qu'autour d'eux la forêt poussait.

La suite ne fut que course folle et diversions ridicules, jusqu'à ce que le dragon et la forêt disparaissent dans une tempête de sable. Ben voyons.
Afin qu'ils ne se perdent pas de vue, Fred enfila le haut de sa combinaison fluo, Morgan enfila le bas. Ça n'aida pas tant que ça à se voir l'un l'autre, mais ça facilita quand même le repérage : les gradins étaient du côté où ça rigolait. Le bas était sous leurs pieds, le haut était là où le dragon rugissait. Les buts étaient euh... Probablement de ce côté ? Qu'est-ce que t'en penses Morgan ? Ou plutôt par là ? Oui je sais qu'il fait trop sec, viens on se creuse un trou.

C'est alors que face à eux un couloir de dessina dans la tempête. Au bout, ils virent Finley qui tenait une baguette des vents à bouts de bras, tandis que Marcellin tentait de retrouver la balle dans cette purée de poix.
- Mais je te dis que le but est par-là, disait le plus âgé en pointant du doigt. Selon mes calculs, la balle a dû rebondir par là.
- Tu es sûr de tes calcu--?
- Je te l'ai dit quatre fois : L = α π r/180. Etant donné que a= 27 et r=4mètres, alors "L"égal27pi400sur...
Finley changea de direction et le couloir dans la tempête s'éloigna.
Les jumeaux n'avaient retenu qu'une chose. Ils se dirigèrent vers le but.

Quand ils arrivèrent devant par miracle, Sonia gisait à terre, assommée. Le ballon roulait au bas d'une dune de sable. Morgan s'élança pour le récupérer, fut surpris par Marcellin qui apparut à sa gauche, qu'il évita d'un salto avant, récupéra le ballon entre ses pieds, entama une roue et lança le ballon à Fred qui, à trois mètres du but, n'en croyait pas ses yeux.
"Poissons une semaine", se répétait-il "Poisson une semaiiiiiiine !"
Il recula son pied, prêt à frapper, quand le vent redoubla. Dans la tempête, il entendit son frère :
- Le renard avec la baguette il t'as vuuuu!

Pour ne pas que la balle s'envole, il s'assit dessus.
Nan mais et puis quoi, on allait pas lui voler sa semaine de poissons, non plus !
Frédéric décida que ça avait bien assez duré cette affaire.
Il se concentra, se créa une bulle de calme dans la tempête et se releva, ballon au pied. Ce serait donc une frappe magique.
Il y mit toute la puissance qu'il put, frappa et... sursauta deux mètres au dessus du sol quand il vit la balle déviée par la femme serpent qui surgit soudain du sable dans un grand "BOUH !"

Morgan, revint vers lui en courant, lui prit la main et Frédéric tenta, de loin, d'en re-dévier la trajectoire vers les buts par magie.

Allez, pensaient les jumeaux, allez, allez, allleeeeeeeeeeeeez !

Et deeeee quaaaaaaaaaaaaatre ! Frédérique marque à nouveau ! Il a mangé du Léviathan au petit-déjeuner celui-là ! Le Lost Paradise continue de faire monter le score, sans aucune pitié pour l'équipe adverse ! À n'en pas douter, c'est une humiliation que White cherche à infliger à May et il va réussir son pari si l'équipe du Moulin Rouge ne se réveille pas rapidement !
Bon sang, vous entendez ces huées ? Avec cette tempête de sable, je peine à voir la totalité des supporters du cabaret de Montmartre, mais je suis prêt à parier qu'ils grimacent davantage que les victimes du dentiste ! Ça risque de ne pas beaucoup plaire à la fée tout ça !

Ah enfin un peu de visibilité ! Le terrain XXL remplace les sables du désert. Oh ! C'est une coccinelle géante qui vient de passer devant ma cabine ? Je ne suis pas le genre à craindre la bête à Bon Dieu, mais dans ce format-là, j'aurais clairement peur qu'elle m'arrache un bras. Le Moulin Rouge n'est vraiment pas gâté pour leur troisième remise en jeu !
Attendez… Où est passée May ? Je ne la vois plus sur le terrain. Ah ! Si ! Elle est du côté adverse. Mais… Elle tient le ballon ! Oh ça sent le zombie un lendemain de cuite ça… Soit pas bon ! Pas bon du tout !
Vous avez vu cette aura ?! Malgré leur taille d'hippomobile, les scarabées n'osent même pas s'approcher d'elle.
Les joueurs du Lost Paradise sont trop loin pour l'intercepter, May fait seule face aux cages et… Mais où est passé le goal ! Ah non ! On dirait bien qu'il y a quelqu'un, mais… Mais c'est un pigeon ! May est seule face à un pigeon ! Et Amon qui n'est pas là ! Attendez… Attendez, mais s'il est là ! Mais Eulalie est en train de le distraire avec un superbe service à thé en faïence vénitienne !

May a définitivement le champ libre et elle en profite ! La végétation gigantesque s'agite de plus en plus violemment au tour d'elle. On dirait… Oui ! Elle lévite ! La balle à ses pieds tourne de plus en plus vite ! Elle gagne encore de la hauteur ! Je peine à voir la balle tant elle va vite ! On dirait qu'elle est en feu ! La voilà qui prend sa forme reptilienne, elle… Elle se replie comme un ressort ! Et tiiiiire ! Le coup de tête est magistral ! C'est un boulet de canon qui fonce vers les cages et son gardien emplumé !

Minute… Je vois double ou bien… Deux ballons ! May a dupliqué les ballons ! Elle cherche à égaliser avec le Lost Paradise en UNE SEULE FRAAAAAAAAAAAAPPE !

– Écoutez euhm… Je suis extrêmement flatté de l'intérêt que vous me portez, mais je ne suis pas sûr d'être la personne qu'il vous faut… Wha !

Une pierre venait de couper court à la tentative de fuite d'Andréa. Perdu parmi les hautes herbes du terrain, il se retrouvait en face à face avec une superbe limace qui s'était visiblement entichée de lui. Le louveteau se releva à la hâte et recula aussi vite qu'il le pu face au sculpturale gastéropode qui cligna aléatoirement ses yeux de biche, probablement surpris par l'éloignement soudain du garçon. Un gracieux ondoiement les rapprocha, mais le capricieux destin, appréciant toujours de dresser des obstacles sur le chemin de l'amour, choisit cet instant précis pour faire rouler le ballon jusqu'aux pieds du jeune homme. Évidemment il lui accorda une attention qui sembla intolérable à Miss Limace qui chercha aussitôt à s'en débarrasser.
Andréa réussit à garder la balle en esquivant sur le côté. Il voulut s'expliquer, mais derrière lui, l'équipe adverse se rapprochait :

– Puisque j'te dis que je l'ai vu tomber par là cet idiot d'lycanthrope.
– Et moi je dis que j'ai vu la balle partir de l'autre côté !
– Tu m'excuseras d'pas faire confiance à un type qui sait même pas où il a laissé son fut'… Ramène toi Hugh.
– De toute façon je suis bien mieux sans ! Aieuh ! Mais ça pique !
– Chochotte…

Griselda devait se frayer un chemin avec la délicatesse qui lui était propre, car après un craquement désagréable, Andréa vit s'abattre à quelques mètres de lui la longue et épaisse tige d'un coquelicot. Un frisson lui remonta l'échine et, préférant ne pas s'attarder, il mit le cap sur les buts adverses après un dernier signe à sa gluante prétendante.

– Je… Désolé ! Je dois y aller !

La chute d'une autre fleur lui coupa la route. À vrai dire, il aurait pu passer par-dessus, mais la vue soudaine d'Hugh sans son pantalon se jetant sur lui et le cri guturale qu'il poussa dans cette tenue eurent raison de ses réflexes. Heureusement la jalousie de mademoiselle Limace étouffèrent d'un même coup le hurlement de l'effeuilleur et son attaque, laissant à Andréa trois secondes pour faire face à Griselda dont la silhouette se détachait au dessus d'eux. Le louveteau tira de sa poche la bombe fumigène, prêt à s'en servir, mais l'ogresse se laissa retomber de tout son poids sur le terrain et fit vibrer et craquer le sol avec tant de force que l'explosif lui échappa et tomba aux côtés du ballon. D'abord déterminé à le récupérer, le jeune loup changea finalement d'avis après un coup d'œil vers son adversaire et préféra s'en éloigner le plus vite possible.

– Ha ! Enfin un qui a compris ou était sa place ! On ne lutte pas face à Griselda ! On s'écrase ou on se fait… Hé ! Mais écoute moi au moins quand je te p…

L'ombre aussi sexy que menaçante de la limace se détacha sous les pieds de l'ogresse. Le ballon toujours dans le viseur de cette possessive amoureuse, elle s'en débarrassa avec force d'un seul et unique coup, déclenchant en même temps le fumigène. Une fumée épaisse se rependit entre les plantes, offrant à Andréa la possibilité de filer tandis qu'au-dessus de lui volaient Griselda et le ballon. Il ne lui restait plus qu'à espérer que ce shoot magistrale les laisserait en possession de la balle.