Le bien vaincra !

Je n'étais pas vraiment prédestiné à devenir policier. C'est tout le contraire, en fait, j'aurais dû devenir un bourgeois ordinaire, dirigeant son petit commerce tranquillement dans sa campagne. Mais la vie en a décidé autrement.


Chapitre 1 : Une enfance heureuse.

Je suis l’aîné d'une famille de petite bourgeoisie. Mon père, Pierre Langevin, avait hérité de son père d'une entreprise de fret fluvial entre Rouen et Paris, les entreprises Langevin. Nous habitions près du port de Rouen. Ma mère m'avait mis au monde 18 mois après leur mariage. C'était assez tardif mais mon père voyageait beaucoup. Et ensuite elle s'était rattrapée puisqu'elle avait agrandi la fratrie presque tous les deux ans.

Alors que j'avais 6 ans, elle a perdu un bébé. L'enfant était mort-né et cet accouchement c'était très mal passé. Pendant presque deux ans, je l'ai aidée à s'occuper de la maison et des petits : Pete de deux ans mon cadet et Vicky qui avait deux ans de moins. J'ai de nombreux souvenirs de jeux sur les docks avec Pete au grand dam de nos parents. Nous jouions beaucoup avec les enfants de notre âge mais comme nous ne fréquentions que les dockers et les matelots, nous n'étions pas baignés dans l'étiquette bourgeoise. Je me rendais bien compte, quand je me retrouvais en présence de mes pairs, que je jouissais d'une liberté incroyable par rapport à eux. Je vivais ça comme une chance.

Anna naquit alors que j'avais 9 ans. Ma mère, Marie, allait beaucoup mieux et notre éducation redevint un peu plus ferme. Mais le commerce paternel était florissant et après la naissance de Jimmy, ma mère était de nouveau très occupée entre l'éducation de ses enfants et l'aide qu'elle apportait à l'administration de l'entreprise. Je cru donc que j'allais pouvoir avoir de nouveau un peu plus de liberté mais mon père décida de prendre les choses en main : à 12 ans, il me prit comme apprenti et commença à m'enseigner son métier.

J'adorais naviguer ! La Seine n'est bien sûr pas la mer, il n'y avait ni trop grosses secousses (surtout que les péniches sont des embarcations particulièrement stables) ni houle ou risque de se perdre. Néanmoins, je sentais une liberté incroyable et je prenais un plaisir immense à aider les matelots d'un bout à l'autre du bateau. Même quand je devais faire les corvées pour cause de mauvais coup, j'étais heureux. J'aimais moins quand il s'agissait de faire les comptes ou d'assister aux longues négociations avec les fournisseurs mais je me rendais bien compte de l'intérêt de ces deux exercices et je m'y appliquais du mieux que je pouvais. J'appris à ce moment le respect de la hiérarchie (il était hors de question de faire honte à mon père devant un client ou un fournisseur!) et à lire le langage du corps (tension, hésitation, contentement, méfiance…).

Je ne passais pas ma vie sur les bateaux, malheureusement. Mon père avait fait appel à un professeur pour compléter ma formation. Mathématique, Commerce, Anglais, Littérature… J'aimais apprendre. Je préférais bouger et je n'étais pas un élève facile mais mon professeur savait reconnaître ma valeur et je progressais vite. Ma vie était donc orchestrée entre les semaines sur l'eau et les semaines à mon bureau.


Chapitre 2 : Naissance d'un homme

J'avais 13 ans lorsque notre vie changea.

Mon père avait entendu parler d'un souci au port de Paris et avait profité du départ d'une de ses péniches pour y aller aussi, c'était plus rapide par voie maritime. Le voyage n'étant pas prévu à l'avance, mon professeur n'avait pas été prévenu, je devais donc l'honorer de ma présence. Cela me fâcha mais je me pliais aux décisions paternelles.

Malheureusement, la péniche eut une avarie à l'écluse de Méricourt et des bandits en profitèrent pour les attaquer. Des pirates sur la Seine ! Vous y croyez ? Moi, j'étais incapable de l'imaginer. La cargaison fut volée et tous les matelots massacrés. Mon père compris.

Pendant un mois, l’enquête de police piétina. Le mode opératoire avait été particulièrement cruel mais les coupables n'avaient laissé aucune trace. Je n'avais que 13 ans et pourtant je suivais ça de près. En fait c'est que je ne me sentais surtout pas prêt à devenir chef de famille… Ca faisait pourtant plus d'un an que j'étais en apprentissage avec mon père, j'étais capable de gérer théoriquement une bonne partie des choses et ma mère savait gérer le reste et aurait été capable de me l'apprendre… mais comment dire… j'avais envie de rester encore un peu un enfant.

Pourtant j'étais déjà un homme.

Quand l'enquête fut classée sans suite faute de résultats, je suis resté enfermé pendant quatre jours. Je n'arrivais pas à encaisser que ces truands ne seraient ni retrouvés ni condamnés pour le meurtre de mon père. Cette injustice me pétrifia comme si on m'avait arraché le cœur. J'ai d'abord été incapable de réagir, de comprendre, de penser, même. Ma vie s'écroulait face à cette aberration. Quand enfin j'émergeais de ma transe je déclarais à ma mère que j'allais reprendre les recherches… et elle me fit redescendre sur terre en quelques mots : pendant un mois je n'avais fait que suivre l'enquête sans m'occuper de rien d'autre, elle avait géré l'entreprise et la famille, elle était épuisée… Et nous avions perdu beaucoup d'argent dans cette affaire, outre la perte du bateau, il avait fallu rembourser la cargaison. Nous étions dans une situation explosive. Il fallait reprendre les choses en main.

« Ton père n'aurait pas voulu que sa mort détruise toute la famille, Billy. Alors relève toi ! Comment crois-tu que réagissent tes frères et sœurs en te voyant ainsi ? Comment imagines-tu que nous allons survivre si toi et moi ne faisons pas tourner les affaires ? »

C'était comme si elle m'avait frappé. Je regardais enfin autour de moi et je vis les petits. Ils jouaient mais avaient perdu leur entrain. C'est ce jour là que j'ai changé. C'est là que je suis devenu l'homme positif et enjoué que je suis. Je ne pouvais être un père qui dirige cette tribu avec autorité alors j'apprivoisais l'humour et le maîtrisais assez bien… à moins que mon public n'ait été conquis d'avance, qui sait… Mais la blessure est restée, cette injustice, comme une trahison.

Je me cachais derrière cette joie. Oh ! Je ne suis pas déprimé et je ne broie pas du noir à l'intérieur, je ne suis pas si bon acteur, j'ai toujours été quelqu'un de positif et d'enjoué, j'exagère juste mon trait naturel, à l'excès parfois. Surtout quand ça ne va pas. Mais en général je suis vraiment comme ça. J'ai toujours été l'enfant courant et riant, que ça soit sur les docks ou sur les péniches. Mais l'insouciance était terminée, il fallait faire cela en conscience et ça n'avait pas le même goût.

Mais le plus improbable c'est que ça a marché professionnellement aussi. Avec ma mère, nous avons réussi à redresser la barre de l'entreprise, à absorber les pertes et à poursuivre le commerce. Il faut dire que c'était un secteur en plein essor. Ma mère et moi ne ménagions pas nos efforts, ni pour le commerce ni pour les petits. Ça me réussissait assez les responsabilités, en fait. Cette vie commençait à vraiment me plaire quand ma mère s'est remariée.


Chapitre 3 : L'homme haït

J'avais 15 ans. J'étais encore trop jeune pour reprendre l'entreprise familiale mais c'était l'avenir vers lequel je me dirigeais avec enthousiasme. Mais…

Mon beau père était l'un de nos concurrents directs et il voyait les choses bien autrement. Ma mère était fatiguée, il fallait prévoir l'avenir des petits. A-t-elle épousé cet homme par amour ou pour leur bien à eux ? Je l'ignore. Probablement pensait-elle qu'il me prendrait comme vice-président après la fusion… Ça aurait été une solution idéale, j'en conviens. Mais ça n'était pas envisageable.

Dès que je l'ai rencontré, ça a été une catastrophe.
J'étais avec les petits, ce jour là, ils étaient inquiets par cette rencontre alors je faisais en sorte de les détendre avec une ou deux pitreries ou acrobaties, je ne sais plus exactement. Cela n'a tellement plus d'importance…
Mais c'est là et dans cette position qu'il m'a vu. Il est entré dans la pièce et le regard qu'il a posé sur moi en disait long. Du mépris. Malgré toutes les farces que j'avais pu faire sur terre ou sur l'eau, jamais on n'avait posé un tel regard sur moi. Notre relation était terminée avant même de commencer.

Je crois qu'il est la seule personne à qui je n'ai jamais réussi à arracher un sourire. J'ai plutôt pris des coups. Et pas qu'un peu. J'avais toujours été aimé et respecté par mes parents et mon entourage et voilà qu'on me battait avec violence. J'avais fréquenté les dockers et les matelots, je savais me battre et je savais encaisser les coups… mais pas les siens. Il y allait trop fort. Voulait-il me tuer ? Quand j'y repense, je suis incapable d'être certain que ça ne soit pas le cas.
D'un autre côté, j'avais conscience de le chercher, je faisais toujours en sorte d'attirer son ire pour qu'il ne s'intéresse pas aux petits. J'étais déjà le chevalier roux même si personne ne me donnait ce surnom.

Face à lui, je me suis renfermé, je suis devenu une personne sombre. Il m'a dépossédé de mon avenir, de ma bonne humeur, de ma mère. Il m'arrivait de ne pas pouvoir sortir pendant plusieurs jours à cause des marques sur mon visage, je n'étais pas présentable disait-il. J'étais en train de sombrer de nouveau. Je me sentais envahit par la haine. Je ne me reconnaissais pas, j'avais peur de ce que je devenais et des idées qui m'envahissaient à son sujet. Je voulais le faire disparaître de ma vie, quelque soit la manière. C'est probablement pour ça que je suis incapable de parler de lui aujourd'hui, cette haine est toujours présente.

J'ai tenu un an puis j'ai abandonné les miens, j'ai sauté sur le premier prétexte pour m'enfuir : le service militaire.


Chapitre 4 : La vocation

Mon beau-père tenait à son image, c'est pour ça qu'il était si strict avec nous et intransigeant face à ma personnalité naturellement enjouée, bordélique et impulsive. Il fit donc en sorte de jouer de ses relations pour que j'intègre la prestigieuse école d'officiers supérieurs de Saint Cyr l’École.

Franchement, je n'avais pas besoin de ça, je ne voulais pas lui être redevable de quoi que ce soit... mais il espérait probablement que les formateurs poursuivraient son éducation stricte et violente. Par chance, il n'en fut rien. Enfin, pas trop, j'ai quand même écopé de dures sanctions à plusieurs reprises.

En tous cas, j'avais d'avantage d'espace pour m'exprimer et être moi-même. Je me fis rapidement de nombreux amis (ça aide de faire le pitre) mais j'ai aussi trouvé ma vocation et je me suis investi très sérieusement dans mes études. Je voulais entrer dans la police.
Bien sûr, jamais l'enquête sur la mort de mon père ne serait rouverte et encore moins élucidée mais je voulais tout faire pour qu'une chose comme ça ne se reproduise pas.

Je me suis montré efficace à l’entraînement et audacieux sur le terrain. Je me suis aussi fait remarquer par mes capacités à souder les équipes et à motiver mes pairs. Nous étions un groupe de cinq et nous partagions tout : notre dortoir, les repas, les épreuves, les exercices, les colis de nos parents, les corvées, les punitions (nombreuses) et même, parfois, les filles. Pourtant, jamais ils n'ont connu la blessure que j'avais en moi, jamais ils ne m'ont demandé pourquoi je ne rentrais pas le week-end. Je leur en suis reconnaissant. Naturellement, ils m'ont donné une place de meneur que ça soit sur le terrain ou pour les mauvais coups et jamais ils ne m'ont reprochés les sanctions dont nous écopions. Les doigts d'une main.

J'alternais les gardes au commissariat de Versailles et les journées de cours. Je n'avais pas besoin d'argent mais ces gardes en plus me permettaient de développer mes aptitudes bien plus sûrement que les exercices codifiés de l'école. Je ne me ménageais pas. Ai-je jamais su le faire ? Quoi qu'il en soit, après deux ans à ce rythme j'empochais mon diplôme d'officier et j'avais déjà fait une grosse partie des heures que je devais à l'armée. Mes amis et moi fument alors mutés un peu partout en France et je perdis contact avec eux. J'espère sincèrement que la vie m'amènera à les recroiser un jour.

Grâce à mon investissement, j'entrais au commissariat de Versailles en tant que Lieutenant mais je gardais contact avec l'un de mes formateurs devenu ami : Jean Chatel. Quand mon service militaire fut terminé, j'étais Capitaine et Jean me proposa de m'aider à obtenir ma mutation dans son commissariat du 4e arrondissement de Paris. De bonnes rigolades nous attendaient, je n'hésitais pas un seul instant. J'avais tout juste 20 ans.


Chapitre 5 : Le Chevalier Roux

Mon arrivée à Paris ne fut pas des plus aisées.

Tout d'abord sur le plan personnel il m'a fallut m'habituer à la capitale qui n'avait rien à voir ni avec Rouen et son port, ni avec St Cyr. J'ai été tenté de m'installer près du Port de Paris, d'ailleurs, mais j'avais vraiment envie de commencer une nouvelle vie… même s'il m'arrivait régulièrement d'y flâner quand j'avais besoin de réfléchir, son ambiance m’apaisait. Avec le temps, j'ai trouvé d'autres lieux apaisants à Paris. Les bords de Seine ou un certain Cabaret, par exemple.

Je me suis finalement installé dans une chambre à deux pas du commissariat, c'était plus simple pour moi. Et j'y suis resté même après être devenu Commandant et avoir les moyens de me payer mieux. J'y suis bien, finalement dans ce petit cocon.

Outre la question matérielle de la vie parisienne, il y a eu mon intégration au commissariat d'Aldrick Voelsungen qui ne fut pas une sinécure. Travailler sous les ordres de deux hommes insensibles à l'humour (parce que le préfet est pire que le Commissaire, sur ce plan là), ça a été un défi de taille. Heureusement que Jean était là pour m’encourager et me soutenir. Il a pu m'apprendre les dernières ficelles du métier, c'était vraiment un atout de travailler avec lui. Et ça l'est toujours.

Finalement, j'ai réussi à bien m'intégrer dans l'équipe et à y trouver ma place. J'ai pris beaucoup de plaisir à mes premières missions d'infiltration et j'ai vite compris qu'Axel Roméan, notre légiste, était la personne idéale pour m'aider à peaufiner mes interprétations. J'ai découvert cet homme sous un jour que d'autres n'imaginent même pas. Les collègues ne comprennent toujours pas comment un homme aussi extraverti que moi peut bien s'entendre avec un taciturne comme lui. Je trouve dommage qu'ils s'arrêtent ainsi aux apparences mais je me vis aussi comme un privilégié.

L'arrivée d'Allan dans le service m'a bien aidé aussi. Ce garçon a un caractère tellement compatible avec le mien, nous sommes devenus complémentaires. Les remarques qu'il osait faire au Commissaire m'ont aussi libéré de plusieurs de mes réticences et j'ai pu créer un lien plus juste avec lui.

Mais finalement, et heureusement, c'est mon attitude sur le terrain qui a permis ma bonne intégration à l'équipe et mon évolution très rapide au sein du service. Aujourd'hui, même s'il se plaint encore souvent de moi, Aldrick me fait confiance et inversement. D'ailleurs, j'ai bien pu ressentir sa confiance et celle de toute l'équipe quand cette rumeur s'est répandue… Il parait que j'aurai posé nu pour un peintre controversé… Quand à savoir si c'est vrai ou faux, je vous laisse imaginer.