Franchement, qu'est-ce qui lui avait pris d'accepter ce défi idiot ? Voilà une autre raison pour laquelle Samuel n'aimait pas les gens. Ils étaient bruyants, et capricieux. Et cette fille ... Ginger avait beau avoir des idées géniales de recettes, elle était trop bizarre. Pleine de vie et d'entrain. Ça le fatiguait rapidement à chaque fois qu'elle passait au café ; sans doute que c'était pour cela qu'il avait accepté en fin de compte. Pour qu'on le laisse tranquille et qu'il puisse retourner à ses fourneaux.

Du coup, Sam se retrouvait aux commandes pour réaliser une incroyable pièce montée pour le week-end de Pâques. Les clients seraient certainement ravis ... Lui, un peu moins. Certes, c'était pile le genre de défis qui lui plaisait, mais ... D'abord, il n'était pas tout à fait certain qu'ils aient encore assez de temps pour tout préparer. Le souci, c'était surtout qu'ils avaient épuisé leurs réserves de chocolat quelques jours plus tôt. À cette période de l'année ... il serait difficile de mettre la main sur le précieux ingrédient. C'est un peu penaud et perplexe que Samuel se présenta devant son patron avec ce dilemme.

Heureusement, Allan connaissait bien les autres commerçants. Il était certain qu'ils trouveraient le nécessaire chez la chocolaterie Lindel. Un appel suffit à confirmer l'affaire. Tout serait réglé dès demain. Le petit pâtissier ne put pas vraiment refuser de se coller à la tâche d'aller récupérer le tout. Son problème, ses emmerdes. Avec de la chance, il y aurait peut-être moins de clients à la fin de la journée. Il ferait sûrement moins chaud aussi.

Sam observa la boutique à travers la vitrine. Il n'était jamais venu chez Lindel, dans ses souvenirs. C'était une boutique de bourgeois, pour les bourgeois, dans sa tête. Le chocolat était hors de prix. M'ais il était de qualité, pour sûr ... Lorsque les autres clients furent tous sortis, le jeune homme attendit encore quelques instants, ramassa son courage, et poussa timidement la porte d'entrée. Il restait quand même beaucoup de bruit et d'agitation. Il hésita à remonter sa capuche sur sa tête pour s'y cacher. Il se serait senti un peu moins mal à l'aise. Mais il parait que c'est pas très poli, et qu'il faut toujours être poli envers les demoiselles. Pourquoi ? Ça, il n'avait pas trop compris. La jeune vendeuse lui facilita au moins un peu la tâche en lui posant une question simple.

« Bonjour. Je viens chercher la commande pour Alan Miller ... »

Ses syllabes étaient un peu lentes. Concis et efficace. Il était clairement mal à l'aise. Il sortit finalement le papier apposé de la signature du patron, pour prouver ses dires. Il avait de quoi payer, aussi. Il ne restait plus qu'à espérer que ce soit suffisant parce que sinon il faudrait l'appeler et ça ne disait trop rien à Samuel de le déranger pendant le boulot ...

Le seul signe qui montra que Samuel suivait la conversation fut un léger hochement de tête. Ça ne lui dérangeait pas d'attendre. Au contraire. Il appréciait le silence. Cela signifiait qu'il n'était plus obligé de faire des efforts pour construire des phrases bien tournées. Ça lui laisserait aussi un peu de temps pour réfléchir à sa fameuse recette de Pâques. Il allait créer une pièce montée qui renverserait tout simplement les papilles de Ginger. Et pourtant, quelque chose le ramena presque brutalement au moment présent.

Alice ?

Il y eut comme un moment de flottement dans son esprit. Son visage déjà pâle blanchit encore plus. Plusieurs auraient dit que ce n'était sûrement qu'une coïncidence. Ou alors, peut-être qu'il avait mal entendu. Mais il n’était pas n’importe qui. Ce que les autres nommaient le destin était souvent le dessein de toutes sortes de créatures qui tiraient les ficelles dans l’ombre. Et voilà qu'après tous ses efforts pour en apprendre plus sur sa soeur, quelqu'un qui possédait presque le même prénom se trouvait sur sa route.

Il se leva comme un automate pour se diriger vers l'arrière-boutique. Le pâtissier ignora royalement les regards intrigués ou impolis qu'on lui adressa et retrouva la blonde assise dans un coin reculé de la pièce. Elle était concentrée sur une boîte, la sienne, en l’occurrence, et sursauta un peu quand elle perçut sa présence. Hm, ce n'était peut-être pas permis d'habitude pour les clients de prendre de telles libertés. Foutue bêtise humaine.

« Vous devriez pas les laisser vous parler comme ça, miss. »

Le regard gris de Sam soutint les iris bleus de la vendeuse jusqu'à ce qu'elle les rebaisse vers le colis sans commentaire. Ça lui arracha un petit sourire. Elle mettait du coeur à l'ouvrage même si la commande avait été tardive et pas super, niveau calendrier. Bon, la réputation du patron devait avoir aidé à ce qu'on accepte, mais le carton n'était pas obligé de briller pour qu'il laisse tomber les piécettes. Pour lui, tant que les ingrédients étaient de qualité, le reste, il s'en moquait, après tout, ça allait finir au fond d'une marmite. Il n'aurait pas craché sur quelques bosses. Alors, tout cela lui donnait envie de lui remonter un peu le moral. Il lui donnerait les raisons plus tard, si on lui demandait. En attendant, Sam désigna le reste de la salle de la main avec un sourcil élevé. C'était le bazar.

Avant qu'on lui offre une explication ou qu'on le chasse, son regard s'accrocha à une affiche qui piqua sa curiosité. Un concours ? Le café avait déjà eu son lot de célébrité et de publicité avec l'affaire caramel, avait-on vraiment besoin de rajouter le chocolat à la liste. On ne le laisserait plus respirer si ses pâtisseries faisaient beaucoup trop fureur. Mais il n'avait pas pu aider Alicia. C'était son plus grand regret. Peut-être pouvait-il aider Alice. Il rangea les mains dans ses poches pour se donner un air nonchalant même si ça lui en demandait beaucoup de prendre le risque de s'impliquer dans cette situation qui lui échappait encore.

« Je suis pas venu pour le chocolat pour rien. J'en avais besoin pour un dessert. Alors si vous avez besoin d'aide... je sais pas... Autant être utile. »

Ou sinon, il pouvait toujours présenter les idées de la petite. On n'avait pas l'air de la prendre au sérieux et pour un artiste culinaire, c'était sûrement une des pires insultes.