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Neige

Cabaret du Lost Paradise - Forum RPG

Forum RPG fantastique - Au cœur de Paris, durant la fin du XIXe siècle, un cabaret est au centre de toutes les discussions. Lycanthropes, vampires, démons, gorgones… Des employés peu communs pour un public scandaleusement humain.
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 Intrigue : Acte I Scène V | Tomber de rideau

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Ouadji Oursou
Who is in control ?
Ouadji Oursou

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MessageSujet: Re: Intrigue : Acte I Scène V | Tomber de rideau   Intrigue : Acte I Scène V | Tomber de rideau - Page 2 I_icon_minitimeLun 11 Mai - 1:31

Sous la scène, le petit sphinx écoutait les échos des disputes, les craintes des gens. Il avait peur.  Il n’aimait pas l’ambiance de ce lieu. Il voulait fuir. Mais tout à coup, une voix se manifesta tout près, puis une deuxième. Effrayé, il se ferma les yeux et attendit, espérant ne pas être découvert.

- Hé, l’grand galet !

L’homme interpellé, s’arrêta, surpris. Il chercha son interlocuteur; à droite, à gauche. Rien. Il se retourna. Toujours rien. Il s’apprêtait à reprendre son chemin quand la voix se fit entendre de nouveaux.

- En bas, l’aveugle !

Baissant son regard, il le vit, enfin. Un petit homme drôlement habillé le fixait, incertain.

- C’est à moi que tu parles, le nabot ?
- Non, c’est à’fée clochette derr’ère vous. Bien sûr qu’oui ! J’vous ai entendu dir’qu’vous alliez examiner l’harpiste. Vous ‘tes un doc ?
- Non.
- Vous ‘tes quoi, alors ?
- Toxicologue.
- … Eeeuh’ok… Mais vous ‘vez des connaissances en méd’cine, non ?
- Si on veut.
- On s’contentera ! V’nez examiner l’jeunot.
- Mais...

Sans vraiment lui laisser la possibilité de choisir, Brick agrippa la jambe de l’homme et le traîna de force. Soulagé, le garçon à l’abri dans sa cachette les sentit s’éloigner. Il rouvrit les yeux et les suivit du regard. Malgré la distance et les bruits ambiants, il les entendit se traiter de tous les noms inimaginables et farfelus. À un moment, ils en virent presque aux poings. Puis, leurs pas se rapprochèrent. Il comprit alors qu’ils avaient simplement contourné la scène.


- Y’é où ? Y’était juste là ? L’JEUNOT !?

Ils étaient trop proches, encore plus qu’avant. L’angoisse l’envahit. Effrayé à l’idée qu’on le trouve. Mais on ne le devait pas. Elle le lui avait à mainte fois répété. Les voix pouvaient être méchantes. Très méchantes. Alors, il fit ce qu’on lui avait enseigné; trouver une cachette, éviter tout bruit, se fermer les yeux et attendre le calme.

- Vous allez me lâcher maintenant !
- L’JEUNOT ! Appela Brick, inquiet, tout en desserrant sa prise sur le toxicologue.

Soudain un léger frottement se fit entendre près du petit blondinet. Terrifié, tout son corps se crispa. Puis de petits gémissements s’ajoutèrent, se rapprochèrent. Se recroquevillant encore plus sur lui, espérant ainsi disparaître, il sentit son cœur s’affoler dans sa minuscule poitrine. Il ferma encore plus fort ses paupières. Sa respiration s’accéléra. Il ne voulait pas regarder. Il ne devait pas regarder. Il ne pouvait pas regarder. C’était la règle. Mais ça se rapprochait. Il avait peur. Il était seul.
À contre cœur, il tourna lentement la tête vers la source du bruit. Prenant son courage, il ouvrit péniblement les yeux. Aussitôt, un bref, mais puissant cri sorti de son frêle corps. À moins d’un mètre de lui, Adélaïde De Montalant le regardait de ses grands yeux injectés de sang et bouffis. Son maquillage et sa coiffure, qui avaient clairement vécu des jours meilleurs, lui conféraient un air de déséquilibrer. Ajouter à cela, les quelques mèches de cheveux qui pendaient encore entre ses longs doigts, signe qu’elle se les avait probablement arraché lors du cri de la banshee. Sans parler du sourire tremblotant qu’elle lui offrait. Il devait se vouloir rassurant, mais elle-même peinait à contrôler la peur qui la tourmentait toujours, ce qui amplifiait un peu plus son image de folle psychopathe sortie tout droit d’asile.
Que faisait-elle là ? Elle seule le savait. Comment avait-elle fini là ? Encore une fois, elle seule connaissait la réponse. Cependant, il était clair qu’en cet instant, elle causait une terreur sans nom au sphinx.


- N’aie crainte, petit orphelin, je viens te secourir, dit-elle en rampant un peu plus vite vers lui.

Devant cette image cauchemardesque, le garçon prit ses jambes à son cou. À quatre pattes sous les planches, il s’extirpa. Mais aussitôt sorti, se trouvant maintenant devant la scène, sa crainte s’accentua. Partout. Il y avait des gens partout ! Certains le dévisageaient, d’autres l’ignoraient, mais aucun ne lui était familier. Et les voix, les méchantes voix continuaient. Moins présentes, mais elles restaient perceptibles à plusieurs endroits. Puis la femme sortie à son tour de sous la scène. Sans réfléchir, il fonça tout droit, n’osant regarder où il allait. Il la sentait derrière lui.

Quand soudain, il se heurta contre quelqu’un. Le choc le fit tomber à la renverse.


- Mais… qu’ee…

Surpris, l’aristocrate se retourna. Constant qu’il s’agissait d’un jeune garçon, il lui tendit la main afin de l’aider. Mais contre toute attente, la femme se jeta désespérément dans les bras de l’homme. Profitant de leur inattention, le petit sphinx se releva, puis sans même leur jeter un coup d’œil, il repartit en retenant de justesse ses larmes.

- Oh, mon Edmond ! Vous m’avez tellement manqué ! Si vous saviez ce que j’ai vécu sans vous.
- Oh, ma tendre, ma délicieuse, mon éternel phare dans la nuit ! Je vous ai enfin retrouvé ! J’étais mort d’inquiétude ! Je vous croyais prise entre les mains de ses scélérats.

Puis, fidèle à eux, le couple De Montalant prit une pose théâtrale. Adélaïde déposa le revers de sa main sur son front, et avec une moue ravagée, elle raconta toutes les « terribles épreuves » qu’elle avait affrontées depuis leur très brève séparation. Tandis que son époux l’écouta d’un air de totale désolation, marquant d’un «Oh !» contrit chaque fin de phrases de sa femme.
Parallèlement, Brick, qui cherchait toujours son jeune machiniste, s’arrêta à quelques pas du couple et les observa, curieux puis découragé. Il soupçonnait que plusieurs des dites « épreuves » sortaient tout droit de l’imaginaire de la femme.


- Y’s’croient dans une tragédie grecque, c’est deux-là ? Demanda-t-il alors que Jackob se joignît à lui.
- Les De Montalant. Il paraît qu’ils sont toujours comme cela.
- J’plains leur entourage… Se tournant vers le serveur. Dis Jock.
- Jackob.
- C’est c’que j’disais. T’aurais pas vu l’jeune… Houdini ?
- Tu veux dire Ouadji ?
- …P’t-êt’e… Si tu l’dis… Son nom y’m’rente pas dans tête.
- Ce n’est pas juste le sien que tu ne retiens pas, marmonna le mage.

Pendant ce temps, un peu plus loin, le sphinx, ressemblant à un petit animal paniqué, se sentait pris au piège parmi toutes ses foules d’étrangers. Partout où il allait, il ressentait la peur, la hargne, la suspicion. Soudain, il l’aperçut enfin. Son salut. Il fila tout droit quand soudain quelqu’un s’interposa entre eux.


- Ah, te v’là enfin ! T’étais passé où ?

Méfiant, il s’arrêta devant Nain de jardin, scruta son compagnon. Les trois se dévisagèrent à tour de rôle. Ils se regardèrent chacun avec un point d’interrogation. Aucun ne disait de mot. Puis, sans crier gare, le demi-fauve partit en courant.

- Hé, mais où… Hé, Djali !
- OUADJI ! Rectifia Jackob alors que Brick s’éloignait, poursuivant son collègue.
- C’EST C’QUE J’DISAIS ! Lui cria le nain déjà loin du serveur.
Edward White
l Dans l'ombre du loup l BIG BOSS l
Edward White

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MessageSujet: Re: Intrigue : Acte I Scène V | Tomber de rideau   Intrigue : Acte I Scène V | Tomber de rideau - Page 2 I_icon_minitimeLun 11 Mai - 21:00

Darling ! Par pitié, aidez-moi !!

Opale avait jailli de nulle part. Elle s’était jetée sur Edward sans lui laisser la moindre possibilité de fuite, enfermant ses deux mains dans les siennes. Tremblante, la lèvre basse retroussée sur un visage pâle, mais aux joues brûlantes, elle planta son regard humide dans le sien avec ce qui avait tout d’une affliction désespérée. Le loup blanc se laissa contaminer par sa détresse, craignant une nouvelle catastrophe :

Que…
Venez !

Elle l’écarta du chemin de la scène, repoussant pour un temps indéterminé l’échange qu’il comptait avoir avec ses employés avant la reprise du spectacle. Trois mètres furent avalés au pas de course, puis ils s’arrêtèrent en face d’un banc. Un gamin y était assis, un cornet de popcorn vide entre les mains. De grosses larmes ruisselaient sur son visage poupin balayés de mèches brunes qui dépassaient d’une gavroche un peu trop grande. Edward se sentit violemment projeté quelques années en arrière, quand un tout jeune loup avait explosé de chagrin entre ses bras. Son cœur se serra en même temps que l’étreinte d’Opale sur son bras. Elle murmura, blottie contre lui :

Je ne sais plus quoi faire Darling. Impossible de savoir ce qui lui arrive, j’ai tout essayé pour le calmer, rien n’y fait !
Je ne suis pas sûr d’être la personne q-
Ne dites pas de bêtises !

Et elle le poussa, l’envoyant au front sans une once de pitié. Il fit un pas en avant, ce qui attira l’attention du marmot.

Je vous soutiens ! Chuchota Opale, restée à l’écart et levant le pouce en signe d’apaisement.

Le loup blanc roula des yeux. Il passa sa main sur sa nuque et après une brève hésitation, s’installa à son tour sur le banc. Près de lui, l’enfant s’écarta. C’était mal parti. Le temps fut interminable avant qu’il trouve quelque chose à dire.

Il était bon le popcorn ?

Reniflement, bruit d’un papier légèrement froissé.

Je n’ai pas eu le temps d’en manger. Alors je me demandais.
– …L’est bon.

La voix était timide, mais douce. Elle fit sourire Edward.

Tant mieux.

Long silence. Opale enchaina les signes encourageants auxquels Edward répondit par un froncement de sourcils réprobateur. Le sourire de la duchesse fut immense et si faussement innocent qu'il songea à lui laisser sa place. Mais une question à peine audible l'arrêta :

– E-Elle va bien la dame ?
La d- ?

Oh. Le garçon évita le regard tendre du grand loup.

Elle va très bien. Elle est rentrée se reposer.
– Ah oui ?
Oui. Elle était très fatiguée. Les gens qui sont arrivés lui ont fait peur. Mais tout va bien maintenant.
– Elle pourra rejouer de la musique ?
Oui. Tu as bien aimé ?
– Beaucoup. Je veux l'entendre encore.
Je le lui dirais.

Le petit se tourna brusquement vers lui, des étoiles par milliers dans ses yeux rougis.

– Tu la connais pour de vrai ?
Oui. C'est une amie.
– Vrai de vrai ?
Tu penses que je mens ?
– Oh non, non ! Répondit rapidement l’enfant. M-mais alors tu lui diras que j'ai aimé sa musique et que je veux être un musicien comme elle quand je serais grand.
Je lui répéterais mot pour mot.
– Promis ?
Juré, fit Edward en levant la main.

Ils topèrent.

Pardon trésor, interrompit Opale en s’avançant. Mais ton tuteur te cherche.

Le jeune garçon la regarda avec surprise, puis s’excusa. Il s’essuya le nez d’un revers de manche, avant de sauter du banc. Un « merci » jeté en l’air et il disparut entre les robes et les pantalons. La duchesse dissimula mal son rire derrière ses doigts gantés, mais ne se priva pas d’un :

Vous voyez ! Vous étiez l’homme de la situation.

Edward y répondit d’un haussement d’épaules, les joues légèrement colorées. Il s’était relevé et son attention fut attirée par un mouvement de foule près de la scène. Inutile d’y voir clair pour distinguer la silhouette qui s’avançait lentement sur les planches dans une démarche étrange, presque flottante. Il fronça les sourcils lorsqu’elle s’arrêta face aux spectateurs.

Mesdames et Messieurs.

Ludger. La voix forte, mais affreusement monotone, fit frissonner Edward. Quelque chose clochait. Il s’excusa précipitamment auprès d’Opale, puis s’élança en direction de la scène. Le présentateur poursuivit avec la même absence d’émotion :

Le Cabaret vous présente un tout nouveau numéro encore jamais vu dans le monde. Vous verrez, vous ne l’oublierez pas de si tôt.

Il y eut des murmures d’excitation, mais le loup blanc n’y prêta pas la moindre attention, dévoré par une terreur grandissante. Ludger venait de quitter les feux de la rampe d’un pas toujours absent, remplacé par une être immense. Ses vêtements masculins et sa stature d’Heracles auraient trompé les plus inattentifs, mais pas Edward. Il sut et comprit toute l’horreur de ce qui s’annonçait. Son cœur cessa de battre sur les derniers mètres qui le séparaient de la scène où Gigante déposa l’énorme panier d’osier qu’elle transportait alors. Une déferlante de calme mêlé de curiosité s’abattit sur le public. Leur attention était totale.

Non, non, non ! Pas ça !

Il tourna à l’angle de la structure qui donnait sur les marches menant à la scène et pila net. Deux élégantes lui barraient la route. Robe bleue, boucles blondes, robe ivoire, cheveux d’ébène. Siren et Oracle. La première ouvrit la bouche, mais elle fut devancée par Oracle.

Bonjour Eduard.

Leurs iris se croisèrent et ses épaules s’affaissèrent. Le passé réveilla une douleur brulante sur son flanc. Il y porta la main par réflexe et son corps tout entier rêva d’une étreinte. Mais il n’oubliait pas la scène et le désastre qui s’annonçait. Écartelé. Son regard fut noyé d’incompréhension, ses traits se déformèrent, formulant avant sa voix la question qui le torturait. Oracle s’avança doucement. Elle leva la main avec tendresse, effleura le visage pétrifié du loup blanc. Lui qui avait en horreur qu’on le touche, se rapprocha inconsciemment. Elle caressa sa joue et une chaleur divine, apaisante, surgit des limbes de sa jeunesse.

Tu sais qu’il est temps.
Andréa…
Il est en sécurité. J’y ai veillé.
Mais je…
Tu dois me faire confiance Eduard. Cette fois encore.

C’est alors qu’ils furent rejoint par Eques. Apparut brusquement près d’eux, il adressa un coup d’œil suspect à Edward, qui s’effaça dès qu’il consulta Oracle. Elle tendit la main vers lui. Après une seconde à fouiller la poche de son costume, le jeune dandy en tira un vieux parchemin qu’il déposa entre ses doigts délicats, ajoutant que le petit Lune était en sécurité. Elle le remercia. Le loup blanc sombra dans l’effroi :

Qu’est-ce que vous…
Tout ira bien.

Ces mots, Edward les avait déjà entendus. Les circonstances restaient vagues, mais son corps se rappelait pour lui. Ils avaient précédé la fin d’un calvaire et ils avaient sauvé sa vie. Alors son instinct le perdit. Tétanisé par une terreur sourde, il se raccrocha à la première échappatoire venue : Oracle.

Viens.

Ils montèrent les marches menant à la scène et s’arrêtèrent derrière le rideau replié. Siren resta aux pieds des marches, Eques était reparti.

Ce fut au doux son d’un xiao, élégante flute chinoise, que débuta l’inoubliable numéro du cabaret du Lost Paradise. Les premières notes, longues et douces, se répandirent sur la place avec tout leur exotisme. Les têtes se levèrent, cherchèrent l’origine de cette nouvelle mélodie et ce fut un enfant qui la découvrit. Là, perchée au sommet de la structure surplombant la scène, deux petits pieds pendaient dans le vide. Draken avait treize ans, guère plus, mais ses traits asiatiques et ses joues rondes la rajeunissait de quelques années. Ses doigts agiles dansaient souplement sur le bambou porté à ses lèvres. Une longue inspiration et elle se leva avec l’aisance et la grâce d’une acrobate, révélant la pureté du hanfu rouge et blanc qu’elle portait. Sa longue étole de soie flottait au vent, battant la mesure de ses notes et accompagnant avec délicatesse sa démarche aérienne sur l’arche de métal.
Elle s’arrêta. Sa mélodie s’adoucit encore et elle tendit un pied au-dessus du vide. Les visages des spectateurs se tendirent et pâlirent. Elle reprit brièvement son souffle et chuta. Sursaut commun phénoménal, ponctué d’une totale incompréhension. La belle enfant flottait délicatement dans les airs. On fut admiratif de l’astuce, s’émerveillant devant les marches invisibles qu’elle parut descendre pour rejoindre le pied de la scène. Et elle dansa. Superbement. Touchant à peine terre et tournoyant, dans un rythme de plus en plus rapide autour du panier, déposé là plus tôt. Lorsqu’elle s’arrêta, ce fut sur une note cristalline et vibrante, presque hypnotique.
Le couvercle du panier bougea et arracha une exclamation partagée à la foule. Draken s’écarta faiblement, reprit une fraction de seconde son souffle et la même note se répéta délicieusement. Cette fois, le panier fut ouvert et tous purent voir l’opercule rebondir faiblement à terre. Un sourire gagna le visage de l’enfant et sa mélodie revient, entrainante et dansante, réveillant avec elle le serpent.
Un bout de queue, long et fin, d’un noir d’encre, s’éleva doucement de la malle d’osier. Il bougeait avec finesse, parfaitement en rythme, gagnant petit à petit une longueur qu’on avait peine à croire possible. Des regards circonspects en croisèrent d’autres, émerveillés, mais ce fut en même temps que tous retinrent leurs souffles lorsque la musique s’arrêta brusquement. Le serpent aussi avait disparu. On attendit. Draken fit s’éterniser le silence avec délice, puis porta à nouveau la flûte à ses lèvres.
Les notes sinueuses et sensuelles glissèrent souplement dans l’air. Deux mains alors, quittèrent lentement le panier. Deux mains fines et blanches, ondulant souplement avec chaque variation de rythme. Stupeur. Deux bras nus se hissèrent à leur tour dans la lumière. Comment ? Puis un visage. Une jeune femme pâle, aux yeux clos, mais aux joues rougies par l’émotion se dévoila enfin. Elle s’éleva, en ondulant avec grâce son corps de craie sur lequel tombaient une longue chevelure noire. Ses atouts étaient à peine masqués par un petit haut rouge serti de grelots, dont les tintements semblaient répondre joyeusement aux notes de Draken. Son ventre nu, arracha quelques exclamations à la foule, qui remarqua une seconde plus tard, les quelques plaques noires et brillantes qui le couvraient.

Bref silence, laissant au public le temps de respirer. Puis la musique reprit et plus un souffle n’anima la vaste place Dauphine.

Pas de jambes. Hissée hors du panier, la Lamia laissa sa longue et superbe queue noire couverte d’écailles, se dérouler en rythme jusqu’aux planches de la scène. Et entrainée délicieusement par la mélodie désormais effrénée de Draken, elle dansait.

Le serpent dansait.





Ce post est le premier d'une série de trois textes qui marqueront la fin de cette manche.

Prenez le temps de les lire, toutes les instructions pour la prochaine manche se trouvent sur le dernier post de la série.


Dernière édition par Edward White le Dim 31 Mai - 16:20, édité 2 fois
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Frédéric Lenoir
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MessageSujet: Re: Intrigue : Acte I Scène V | Tomber de rideau   Intrigue : Acte I Scène V | Tomber de rideau - Page 2 I_icon_minitimeLun 11 Mai - 21:01

Texte écrit à deux:


« Mesdames et Messieurs. Le Cabaret vous présente…
– Eh merde. »

Les jumeaux stoppent net. Plus le temps. Le mage aperçoit un visage familier ; il fait un signe du bras et hausse la voix pour se faire entendre.

« Jade ! Yléoùl'patron ?! »

L'intonation est à mi-chemin entre l’interrogation et la supplique. Fred sait qu'il doit avoir l'air fou. Les spectateurs se retournent entre lui et la maquilleuse mais il ne sait pas s'il a été vu ni entendu. Sur scène, une mélodie s'élève et il serre la main de son frère à la broyer. Il tente une percée à travers les badauds : trop tard pour le Patron, mais peut-être pourront-ils prévenir au moins une personne. Les jumeaux se rapprochent un peu, tout juste à portée de voix.

« JADE !
– Barrez-vous !
– Trouve l'patron, 'faut pas rester là ! »

Mais du coin de l'oeil un mouvement attire leur attention et ils reconnaissent des écailles qui se meuvent au son de la flûte. Ils savent qu'ils sont perdus.

« Par toute l’Ardenne… »

Ils se tournent ensemble vers la scène. Morgan est blanc, tendu, immobile. Son regard azur est glacial. Frédéric sent monter en lui une colère sourde, brûlante. Sans attendre de réponse, ils s'éloignent en silence, d'un pas synchronisé. Mais en eux-mêmes, ils luttent, hurlent, se débattent.
Leurs jambes, elles, les portent jusqu'à la scène, et au coin de celle-ci où les attendent une robe azur et des boucles blondes.

« Quel plaisir de vous revoir ! Et ponctuels, avec ça, que demander de plus ? »

C’est avec un air enthousiaste et satisfait que Siren les accueille au pied des marches. Avant de se retourner et de leur faire signe de la suivre pour monter sur scène, son regard s’attarde un instant sur Morgan. Elle lui adresse un sourire plaisant. Le visage de l’hydre, en retour, demeure impassible, mais ses yeux qui la toisent fixement par en-dessous brillent d’un éclat farouche. Une part de lui-même se sent irrésistiblement charmée par la voix et le moindre geste de cette mystérieuse femme, tandis que son instinct s’ingénie à se libérer de son emprise. Plus que jamais, son âme lui semble scindée en deux ; et sa volonté, comme égarée, obéit aveuglément, ne sachant à quel parti se rendre.

Comme ils arrivent sur les planches, leur regard tombe sur une silhouette familière, et leurs traits se décomposent. M’sieur White est là, lui aussi. Là, mais debout, devant Oracle, qui lui adresse quelques mots d’une voix trop douce pour les entendre de là où ils sont. Les yeux des deux frères se croisent, effarés. Leur dernier espoir vient de s’envoler.

Pendant une fraction de seconde, Morgan songe avec accablement que si l’influence de cette manipulatrice est assez forte pour commander au lycanthrope lui-même, alors les chances qu’ils ont de s’en tirer sont vraisemblablement nulles. Mais alors que, moralement vaincu, il s’apprête à abandonner toute résistance, il remarque la présence de Ludger, immobile à l’entrée des coulisses, l’œil absent. L’attitude du patron, elle, est toute autre. L’air perdu, il suit Oracle du regard tandis qu’elle esquisse un pas vers eux, avec ce qui, aux yeux de l’hydre, ressemble suspicieusement à de la confiance. De toute évidence, il la connaît. Et l’expression surprise qui passe sur son visage lorsque le loup remarque qu’il l’observe a, pour l’acrobate, tous les dehors d’un aveu de culpabilité.
Oui, il la connaît… Et il la laisse faire.

Alors Morgan sent son sang se mettre à bouillir dans ses veines, et sa part animale prendre le dessus. Le sentiment qu’il éprouve est d’un autre ordre que la colère qu’il partage avec Fred. Une soif de tuer, mais froide, nécessaire, implacable. Si seulement il avait encore son vrai corps, il déchirerait sur-le-champ tous ceux qui se trouvent sur la scène, sans état d’âme, avec son inflexibilité de reptile. Au lieu de cela, il demeure figé devant Oracle qui fait un pas vers eux, mais il sent que quelque chose en lui vient de rompre.

Siren leur frôle alors à chacun la joue droite du bout des doigts, la tête penchée, avec une moue adorable.

« Allons, allons, soyez sages tous les deux. Vous avez été si charmants jusqu'ici. »

Elle s'efface avec un clin d'oeil, sous le regard haineux, lumineux de Frédéric, mais se positionne derrière eux. Oracle prend sa place. Sa voix est calme, posée. Elle serait apaisante sans le maëlstrom d'émotions qui habite les jumeaux.

« Ainsi nous nous retrouvons. Ne soyez pas effrayés, tout ira bien, vous verrez. »

C'est naturellement plus facile à dire qu'à faire. Aux yeux du mage en particulier, l'aura qu'elle émet est si chargée de puissance contrôlée qu'il frissonne à la voir et à l'entendre vibrer. Une force pareille, ça ne s'oublie pas, et ça n'est pas moins impressionnant la deuxième fois. Bien que lui non plus ne se meuve d'un pouce, ses synapses, elles, carburent à pleine vitesse. En interne il tente frénétiquement d'établir un bilan ; il connaît son corps et les runes qui le maintiennent par coeur, il tente en vain de trouver une faille, un moyen de se défaire de l'emprise des deux femmes. C'est la première fois de sa vie que la magie qui le parcourt refuse de lui répondre et il se sent comme violé. Il craint pour leur vie. Il craint pour les autres. Entre les vagues meurtrières qui lui parviennent de son frère et ses propres efforts inefficaces à les délivrer tous deux, il perçoit à peine ce qui l'entoure réellement. Son esprit, noyé de fureur et d’angoisse, est tout entier tourné vers l'intérieur. Mais Oracle se penche sur lui et ses yeux noisettes, brillants de magie enfermée, la fusillent du regard sans qu'elle en paraisse affectée.

« Je vais vous faire un présent à chacun, qui vous sera fort utile. »

Sa main blanche s'approche du mage ; d'un geste tendre et maternel, ses doigts frôlent sa tempe et elle pose le pouce au milieu de son front brûlant.

« Pour toi, la Connaissance. »

Se tournant vers Morgan, elle répète son geste.

« Et pour toi, la Maîtrise. »

Comme elle se redresse, les deux frères lui rendent un regard perplexe. Ce doit être un geste symbolique... ni l'un ni l'autre ne ressent de changement. Ils n'ont pas le temps de se regarder : voilà qu'elle tend à Frédéric un rouleau de parchemin que les jumeaux connaissent bien. Quoique choqués, ils ne s'étonnent même plus. Siren, dans leur dos, enjoint le Follet :

« Prends-le. »

Bien malgré lui, son bras obéit tandis qu'Oracle poursuit :

« Je dois vous remercier. Sans votre concours il n'aurait pas été si facile de le récupérer. »

À cette remarque un nouveau torrent de haine part du cœur de Morgan et se déverse en pulsant à travers ses membres, jusqu’au bout de ses doigts. Il sent l’hydre en lui qui s’agite et se tord comme un serpent furieux. Il ne lui est même pas venu à l’esprit de rassurer Fred, qui s’en veut toujours pour le parchemin. Fred n’y est pour rien. Cette évidence suffit. Faute de pouvoir se défendre, tout son être n’est tendu que vers un but : s’échapper à tout prix.

« Il est donc légitime que l’honneur de le lire vous revienne… Avancez sans crainte : ce qui va se produire était écrit depuis longtemps. »

Oracle recule d’un pas, et Siren en profite pour poser à chacun une main sur l’épaule.

« Voyons, voyons, n’ayez pas le trac ! Vous allez être le clou du spectacle… »

Et avec une petite poussée elle les envoie se placer sur le devant de la scène dont la Lamia vient de se retirer, et où Frédéric déroule mécaniquement le parchemin.

D'abord, il regarde le public. Il voudrait leur hurler de partir, de s'enfuir, mais il ne peut pas, son corps ne lui appartient plus. Une moitié de lui-même est convaincue qu'ils vont faire un carton, que ce spectacle va être beau, qu'il n'a pas le trac – convaincue car Elle l'a dit. L'autre moitié de lui-même touche le fond, et abandonne.
Ensuite, il ferme les yeux ; le parchemin, il le visualise très bien. Ça fait trois jours qu'il l'étudie sous tous les angles sans succès. Des runes anciennes posées çà et là, et des lignes de mots illisibles dans un alphabet et une langue qu'il ne connaît pas. Tu parles d'une découverte. Il tente de se rassurer : comment pourraient-ils lire ça ? Mais un doute s'insinue dans son esprit, et il ouvre les yeux sur la feuille qu'il tient entre les mains.

C'est comme un flash de lumière envahissant son âme, comme un raz-de-marée.
Les lettres sont les mêmes. Les runes n'ont pas changé.
Mais il comprend.

C'est écrit en une langue ancienne, mais il la comprend.
C'est expliqué en quelques phrases obscures, mais il les comprend.
C'est beau comme une équation, c'est limpide comme de l'eau de source. En même temps qu'il lit, il assimile, devance, et exulte.
Ce n'est pas seulement qu'il parvient à déchiffrer le parchemin et ses runes. C'est la logique qui les lie et toutes les implications et les conséquences logiques qui lui apparaissent soudainement. Il touche du doigt une immensité de savoir et se sent enivré.

Son coeur accélère, le monde s'agrandit, la tête lui tourne. C'est trop. C'est beaucoup trop. Et c'est magnifique.
Il ouvre la bouche et prend une grande inspiration. Il n'a plus ressenti une telle adrénaline depuis la fusion avec Morgan.
Et comme alors, il lui semble qu'il fabrique le sort que le parchemin décrit. Comme s'il en était le père, et non l'élève. Il le voit s'agencer dans sa tête comme un architecte dessinerait, en rêve, sa cathédrale.
Non seulement c'est juste, mais c'est beau, et c'est d'une complexité à pleurer.
Il voit, et il comprend, et il est fier comme un pou.

Morgan, au contraire, se sent étouffer de terreur tandis que ses yeux parcourent le public perplexe. Les adultes ne semblent pas bien saisir encore l’intérêt de leur intervention, et demeurent abasourdis par l'apparition de la femme-serpent repartie un peu plus tôt en coulisse. Certains enfants, en revanche, les ont reconnus, et, revenus au premier rang, les pointent du doigt en riant à leurs amis, pleins de confiance, en serrant dans leurs petites mains un cornet de pop corn et en attendant avidement la suite. À leurs yeux, ce parchemin doit sans doute paraître aussi innocent que le grimoire de leur numéro.

Il sent ses lèvres s’animer d’elles-mêmes, en dépit de son regard horrifié. Il prononce en même temps que le mage les mots que celui-ci déchiffre soudainement : pour son malheur, ils sont aujourd’hui plus synchrones que jamais. Et il assiste ainsi impuissant au déroulement de son plus grand cauchemar, qui se réalise inexorablement sous ses yeux. Lui qui avait tant craint, depuis tant d’années, que quelqu’un parvienne un jour à percer le secret de leur véritable nature, il s’apprête à la faire éclater au grand jour avec son frère, devant une foule qui les braque du regard.

Non.

Non.

Non.

Un dernier remous dans les tréfonds de son âme, et l’hydre, enfin, crève la surface de sa conscience, et reprend brutalement le contrôle de sa volonté. Tout son être tressaille du choc. Il est de nouveau libre. Libre. Mais du dehors, aucune différence notable ne laisse deviner ce bouleversement intérieur. Si ce n’est que, sur son visage blême, ses lèvres se sont refermées.

Il laisse passer un bref instant, hébété.

Puis tourne lentement la tête vers Fred.

« Fred… »

C’est un murmure, à peine un soupir.

« Arrête… Arrête… Arrête !... »

Seul son frère pourrait entendre cette complainte, ce gémissement à peine articulé, tandis qu’il lui passe la main sur le bras, referme ses doigts dessus, essaye désespérément d’attirer son attention en touchant son visage, en masquant le parchemin tant bien que mal. Mais Fred poursuit ; il ne semble plus vraiment là.

« Arrête !!! »

Un sifflement strident qui n’a rien d’humain s’échappe de sa gorge et résonne sur la place, comme il s’acharne à l’atteindre : c’est l’hydre qui a parlé.
En vain.
Bien malgré lui, envahi de connaissances bien trop vastes pour lui, comme transcendé, le mage finit d’énoncer le sort, qui jaillit de lui comme une onde lumineuse.


Dernière édition par Frédéric Lenoir le Sam 23 Mai - 21:27, édité 2 fois
Lotte Hochvogel
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MessageSujet: Re: Intrigue : Acte I Scène V | Tomber de rideau   Intrigue : Acte I Scène V | Tomber de rideau - Page 2 I_icon_minitimeLun 11 Mai - 21:04

La foule partagea un regard hébété et perplexe face aux mots étrangers que venaient de réciter les deux acrobates. Certaines dames y trouvèrent quelque chose de poétique, d'autres se demandaient de quel pays cela pouvait provenir, certains avançant avec une idiotie déconcertante que ce n'était que de l'anglais. L'incompréhension envahit la totalité des esprits présents sur la place dauphine. Les mots prononcés à haute voix n'avaient semble-t-il eu aucun effet, et personne ne paraissait pouvoir y répondre. Seule une enfant avait bel et bien compris le sens de ces paroles funèbres.

Cela faisait une éternité qu'elle n'avait pas entendu ces mots, car ils avaient presque complètement disparu depuis déjà plusieurs centaines d'années. Si pour les uns ce n'étaient que des exclamations dépourvues de sens, pour elle c'était un discours qui lui était destiné. Son corps trembla de nostalgie et d'effroi. Elle serra la main de Charles-Alexandre qui l'avait rejointe immédiatement après le début de cet ultime spectacle.

Un premier grognement perça les bavardages des spectateurs. Un homme prenait sa tête entre ses mains, perdant peu à peu le contrôle de son âme. Immédiatement après lui, une femme s'étouffa, puis dévoila une longue langue reptilienne qu'elle s'empressa d'enfermer entre ses doigts à présent couverts d'écailles.

Lotte ne bougea pas, elle n'en avait pas besoin. Le moindre son résonnait en elle comme la rencontre d'un battant sur les parois d'une cloche. Elle percevait tout. À sa droite, un homme s'écroula, incapable de se tenir sur ses jambes qui semblaient sur le point d'éclater. Derrière elle, un couple se soutenait mutuellement, tandis que leurs doigts prenaient lentement la forme de longues griffes aiguisées. Leur âme de légendaire s'éveillait, et prenait le pas sur leur corps. Voilà ce que faisait ce sortilège antique : il parlait aux âmes, et leur commandait de libérer leurs instincts les plus profondément enfouis.

La petite fille glissa sa main contre sa joue. Elle en arracha aussitôt une petite plume blanche, qu'elle contempla avec froideur. Sur elle, un tel sortilège n'avait que peu d'effets, d'autant qu'il n'avait pas eu le temps d'être achevé. Mais sur les autres…

Charles-Alexandre sentit sa main se raidir. Il la regarda et vit qu'elle s'était changée en bois. La petite directrice ferma les yeux le temps d'une seconde. Son souffle chaud sembla envelopper son visage. Une douce lueur baigna alors son petit corps vêtu de rose, puis vacilla d'abord doucement. La main de Charles-Alexandre retrouva aussitôt son apparence humaine, celle de Lotte commença à se couvrir d'un petit duvet immaculé. La petite magicienne continua son entreprise, refusant de laisser gagner ses adversaires qui se tenaient près de la scène. La femme à la langue de serpent retrouva son souffle, l'homme ravala ses grognements. J'ai mal. Les écailles disparurent. Des plumes se nichèrent dans sa nuque. Plusieurs hommes se relevèrent, reprenant doucement leur souffle. Assez. Les feuilles qui poussaient dans les cheveux de la danseuse tombèrent par terre. Encore. Les tremblements du vieillard cessèrent, ses omoplates retrouvèrent leur place. Le corps de Lotte devint glacé. ASSEZ. La lueur vacilla plus nettement, jusqu'à devenir instable. Elle ne pouvait plus s'arrêter, il y en avait encore beaucoup. Le cyclope retrouva la vue. La peau de la femme près de lui cessa de se putréfier. ENCORE. Ils étaient trop nombreux. La harpie retrouva ses doigts fins. Ceux de Lotte étaient parcourus d'intenses tremblements. Charles-Alexandre voulut la prendre contre lui, mais il fit un pas en arrière lorsqu'il croisa le regard imbibé de sang de sa directrice. RÉVEILLE-TOI.

- Charles-Alexandre… Retourne immédiatement à la bibliothèque. Va chercher les autres.

Le moustachu se pétrifia. Tous les spectateurs sentirent leur énergie, leur souffle se faire aspirer par ce petit enfant qui se tenait parmi eux. Elle voulait apaiser leur âme, contrecarrer ce sortilège issu d'un peuple qu'elle avait vu naître. Mais son âme à elle dévorait tout. SILENCE. Nourrie d'une colère vieille de près de deux siècles, son âme luttait contre cette malédiction qui l'avait enchaînée au sol. Elle maudissait. Elle se déformait dans la rancune et la douleur. Elle avait été domptée. Mais comme un animal sauvage, à la moindre goutte de sang, elle redevenait incontrôlable. Même sa propriétaire ne pouvait plus rien faire contre elle.

Les gens commencèrent à la regarder, certains jurèrent, et commencèrent à s'éloigner. DISPARAISSEZ. Lotte continua d'absorber les effets du sortilège. Elle jeta un dernier regard à Charles-Alexandre qui partit aussitôt à toute vitesse et quitta la place. Ses longs cheveux blonds quittèrent leurs attaches et retombèrent sur l'ensemble du petit corps de l'enfant. JE VOUS HAIS. Ils prirent de plus en plus d'épaisseur, jusqu'à adopter la forme d'un duvet blanc, puis de véritables plumes qui enveloppèrent la petite fille. Bientôt, on ne la vit plus. La masse de plumes enfla à vue d'œil au centre de la place dauphine. Le vent se mit alors à souffler, de plus en plus fort, il tournoya autour du corps qui grandissait encore, encore. Une aile immense s'en dégagea alors. Une puissante onde de choc souffla le reste des personnes présentes plusieurs mètres en arrière. ALLEZ VOUS-EN. Une deuxième aile rejoignit la première. La créature atteignait désormais plus de sept mètres de haut, et continuait de grandir. Les plumes quittèrent au fur et à mesure le corps monstrueux de la bête, pour être aussitôt remplacées par d'autres, encore plus longues et grandes. Des reflets dorés commençaient à briller, menaçants, semblables à des lames tranchantes. QUITTEZ CET ENDROIT. Les ailes se replièrent, et grandirent encore. Un colosse de plus de dix mètres dominait désormais la foule qui était déjà en train de s'enfuir, traversée par une panique totale.

Les ailes se déplièrent alors. Et l'oiseau apparut.

Brave, majestueux, son plumage refléta la lumière du soleil avec une telle intensité qu'il était presque impossible de le regarder. Ses yeux contemplèrent le ciel, avides de liberté, puis se teintèrent immédiatement d'un rouge profond. DISPARAISSEZ.

L'oiseau écarta les ailes, détruisant la façade des habitations qui se trouvaient sur leur sillage. Il poussa un cri. Le vent redoubla alors d'intensité, puis tournoya de plus en plus fort. Les arbres de la place perdirent leurs feuilles et leurs branches, les vélos et autres tables quittèrent le sol sur plusieurs mètres avant de s'écraser contre des murs ou sur de malheureux fuyards. Les oiseaux présents dressèrent la tête à leur tour, et comme pour obéir à leur divinité, s'emportèrent dans des vols hasardeux et incontrôlés, se percutant avec violence contre les habitations avant de se renvoler malgré leur aile brisée. Le ciel commença à s'assombrir, le soleil peu à peu dissimulé par les nuées d'oiseaux qui rejoignirent leur maître.

L'île était plongée dans le chaos.

SORCIÈRE ! SORCIÈRE !

Le Simurgh voulut quitter le sol. Ses ailes encore engourdies le fit s'écraser de tout son long sur la scène, réduite en miettes. Il se releva, comme un moineau blessé, et hurla tandis qu'il fracassait son corps gigantesque contre une série d'habitations. Les cris des passants se joignirent aux complaintes de l'oiseau qui quitta finalement le sol. Ses ailes dissimulèrent entièrement le soleil l'espace d'un instant, avant qu'un bruit assourdissant ne traverse la capitale. Le pont neuf ne put résister au poids de la créature, qui s'écrasa sur le bout de l'île de la cité. Tout s'effondra, la pierre, les bâtiments, les gens. La Seine les avala aussitôt, elle-même déjà emportée dans une valse funèbre avec le vent, devenu incontrôlable.

Emporte la Peste avec toi, monstre !

Arrosé par les vagues, le Simurgh se releva et quitta de nouveau le sol. Sur la place dauphine ne régnait plus que terreur et désolation, les oiseaux continuant d'emporter avec eux tout ce qui se tenait sur leur passage. Certains s'écrasèrent, morts, sur le sol, traversés par les morceaux de verre de la vitre qu'ils venaient de traverser. Puis un éclat incandescent traversa leurs yeux vitreux, et ils se relevèrent, et s'emportèrent à nouveau dans leur course folle.

Ce n'est pas ma faute.

Le Simurgh traversa le ciel sous le regard sidéré et terrifié des passants, qui le virent alors se percher sur une partie du Louvres. L'édifice ne tint pas, et toute l'aile s'effondra sous le poids de l'oiseau géant dont les plumes brillaient de plus belle. Lorsqu'il écarta ses ailes à nouveau, un grand nombre d'entre elles rejoignirent la tempête et vinrent se déposer dans l'herbe, sur le sol, dans les maisons. Leur beauté était exceptionnelle, et la force qu'elles gardaient en elles suffisait à rendre fou le moindre humain qui la tenait dans sa main. Le bec doré pointé en direction du jardin des tuileries, le Simurgh hurla à nouveau. Tous les oiseaux qui s'y trouvaient se réveillèrent et rejoignirent l'essaim qui s'était formé au dessus de l'oiseau divin. Alors, partout où ses plumes s'étaient déposées naquirent d'immenses flammes.

Qu'est-ce que vous m'avez faits ?!
Je n'ai pas de nom.
TUEZ LES TOUS !

Emportée par la tempête, la Seine quitta son lit et emporta tout ce qui se trouvait sur son bord. Les oiseaux envahirent le ciel et les rues, et transpercèrent tout ce qu'ils rencontraient comme le feraient des flèches. On hurla, on pleura, on pria, mais le Simurgh avait repris sa terrible procession. Toutes les habitations sur lesquelles se posèrent ses immenses serres étaient aussitôt broyées comme une simple feuille de papier, puis immédiatement arrosées de flammes. Certains purent fuir, d'autres avaient l'image de l'oiseau de la mort gravée dans leurs yeux. Le vent délogea des fenêtres et permit aux oiseaux d'entrer partout, semant le chaos et la panique sur leur passage. Voilà que le géant dominait désormais de toute son envergure l'église de la Madeleine. Tout le monde sentit son cœur se fendre lorsqu'une partie du toit de l'édifice fut éventrée et coula en de vulgaires débris le long des rues environnantes.

Les humains ne valent pas mieux que la poussière.
TUEZ ! TUEZ !f
Cet homme a commis tant de malheurs par ta faute.

On supplia Dieu de les épargner, mais la seule divinité présente semait désormais le chaos et la destruction. On aida des personnes tombées au sol à se relever. D'autres se firent piétiner. Oiseaux, humains, touts s'entremêlaient dans un orage de feu qui gravait la capitale d'une cicatrice indélébile. Le Simurgh traversa de nouveau la Seine. Le pont de la Concorde rejoignit les eaux. Il ne fallut que peu de temps avant que le parc des Invalides se change en mer de feu. Les oiseaux rejoignirent le ciel à leur tour malgré leurs plumes fumantes, teintant dans leur sillage le ciel bleu d'une couleur qui s'incrusta dans toutes les mémoires. Les bâtiments situés derrière l'entrée de l'hôtel des Invalides éclatèrent comme des châteaux de cartes, balayés par la fureur de l'oiseau.

Je ne vous aiderai pas.
VOUS NE MÉRITEZ QUE LA MORT !
Qui suis-je ? Je ne le sais même pas.

Le bleu du ciel avait complètement disparu, entièrement occulté par les mésanges, moineaux, pigeons et autres volatiles. On pensa à l'apocalypse, au jugement dernier. Mais qu'y avait-il donc à juger ? Il faut tout détruire. Pourquoi ? Pour se venger. JE VEUX VOLER ! Ce n'est pas ce que vous pensez. MORT ! MORT ! Je ne suis pas une sorcière ! Je voulais simplement aider. Je ne t'aiderai pas. Hors d'ici. DEHORS. Je n'existe pas.

La Tour Eiffel se plia, sous le poids de l'oiseau majestueux. Celui-ci déploya ses ailes incandescentes et poussa un nouveau cri. Autour de lui, les oiseaux tournaient, se percutaient, mourraient puis reprenaient vie, emportés par des bourrasques d'une telle puissance que les pauvres gens ne pouvaient plus marcher, sans cesse mis à terre et balayés par la tempête. Les flammes encerclèrent le champ de Mars, dominé par l'oiseau qui regardait le ciel avec des yeux teintés de folie.

VOUS REDEVIENDREZ DE LA POUSSIÈRE !

SILENCE ! SILENCE !

Tu travailleras ici.

Je veux partir !

Ton nom, ce sera Lotte.

- - - - - - - \o\ - - - \o/ - - - /o/ - - - - - - -


Voix des coulisses



L’apocalypse.

C’est ce qui s’est abattu sur Paris. Après un numéro mettant en scène une authentique femme-serpent, clouant sur place les spectateurs, les jumeaux sont entrés en scène. Avouez-le, leur numéro déchire.
À eux deux, ils ont déclenché un sortilège puissant et dangereux, qui a commencé à secouer les âmes de chaque Légendaire présent afin d’en réveiller la véritable nature. Afin d’éviter une catastrophe, Lotte a pris une décision lourde de conséquences, condensant la totalité du sort sur elle. Elle aurait dû pouvoir le contenir, car seul Frédéric l’a achevé ; oui mais voilà, son âme prisonnière d’une enfant est entrée en résonance avec la magie de Badr Bâsim.

Désormais, le Simurgh est libéré et sa folie furieuse s’abat sur la capitale. La pointe de l’île de la Cité est détruite, ainsi que le Pont Neuf qui la traversait. Le Louvre, la Madeleine, les Invalides et même la Tour Eiffel tombent en miettes sous sa puissance. Les oiseaux transpercent toujours le ciel, les fenêtres, ni vivants, ni morts, les flammes s’élèvent un peu partout dans la ville.

La place Dauphine a été sa première victime et c’est là que vous vous trouvez.

Simurgh s’est éloigné, mais sa folie persiste et la terreur se répand sur les survivants. Des bâtiments effondrés, des gens blessés, parfois grièvement, cris et pleurs. C’est un enfer. Vous, vous êtes vivants, mais qu’allez vous faire ?
Pour cette quatrième manche, un choix s’impose :

Pour les humains :

  • Aider
  • Fuir
  • Retrouver les anti-légendaires et leur demander de l'aide, eux savaient
  • Ne rien choisir, c’est trop à supporter

Pour les légendaires :

  • Choisir d'aider en dévoilant vos capacités de légendaire
  • Choisir d'aider sans les dévoiler
  • Choisir la fuite
  • Foutu pour foutu autant démonter un humain ou deux, personne ne le verra.
  • Ne rien choisir, c'est trop à supporter.

Indications spéciales :

  • @Tous les personnages près ou sur la scène : Oracle a eu le temps de jeter un sort de protection avant que Lotte ne la détruise. Vous êtes sous les décombres, mais vous êtes en vie et intacts.

  • @Ryden : Le pressentiment de Serra s’est révélé exact. Elle t’a repoussé au dernier moment et git à présent inconsciente sous un morceau de bâtiment.
  • @Frédéric : Lancer ce sort t'a vidé de ton énergie.
  • @Rose : Tu as entendu Alexandre hurler non loin.
  • @Jade : Quand Willie te retrouve, c'est avec du sang sur les mains.


Note : Armand, Snorri, Rita et Epona ne sont plus présents et ne peuvent toujours pas être incarnés pour ce tour.







Vous posterez à la suite ce message, sans ordre particulier et vous avez jusqu'au dimanche 24 mai (au soir) pour participer à cette quatrième partie !


Vous pouvez toujours nous joindre par MP, pour nous signaler que vous avez posté à l'intrigue, ainsi que pour la moindre question ! Nous répondrons au plus vite, comme d'habitude.

Retardataires ? Vous êtes les bienvenus tant que vous prenez en compte les éléments précédents. Pour les autres, un grand merci pour votre participation !

Un remerciement tout particulier à Lotte, Fred et Morgan, qui furent nos complices pour la suite de ces aventures )o)
Jade Perez
Plus brillante que les diamants
Jade Perez

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Localisation : Tu aimerais bien le savoir, hm ?

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MessageSujet: Re: Intrigue : Acte I Scène V | Tomber de rideau   Intrigue : Acte I Scène V | Tomber de rideau - Page 2 I_icon_minitimeSam 16 Mai - 17:15

« Tu te rends compte ? Il m'a posé un lapin. » soupira-t-elle.

William avait mis beaucoup plus de temps que prévu pour revenir et son amie s'était lassée. Direction le bar ! Dommage tout de même que ce cher Alexander ne soit pas présent aujourd’hui. Elle aurait eu un compagnon digne de ce nom pour réchauffer son cœur. Celenna n’était pas méchante non plus, mais… c’était peut-être parce que c’était une stagiaire, ou une démone, elle était un peu plus stricte. C’était son impression, en tout cas.

Hélas, un malheur n'en attendait pas l'autre et le verre avait dû être reporté puisque la barmaid était déjà fort occupée auprès d'une cliente qui avait fait un malaise. Avec cette chaleur et les clameurs des manifestants, ce n'était pas franchement étonnant. Dolores et son assistant étaient déjà bien occupés, malheureusement, alors il fallut faire avec les moyens du bord. Jade avait fait de son mieux pour donner un coup de main, à condition que le tout se termine en trinquant. Et pas question de verser un sou.

Oh, ils allaient reprendre le spectacle, apparemment. Jade était un peu dubitative alors cela rajoutait une nouvelle ombre à son humeur. Elle pensait qu'elle pourrait profiter un peu de la fête et des rayons du soleil ... Mais elle n'avait pas vraiment le choix. Elle pouvait comprendre qu’on ne voulait pas donner raison à ces criminels, pourtant la sécurité n’avait pas vraiment été renforcée, entretemps, si ? Celenna haussa les épaules, l'air de partager son avis sur la question. La pause était finie.

Avant de retourner à son poste, Jade aurait aimé au moins s'excuser auprès de son ami. Elle l'avait embarqué dans une drôle d'aventure et ne pouvait pas tenir parole pour l'accompagner loin de la Place Dauphine. Les orphelins avaient besoin d'eux et de cette journée. Elle espérait simplement qu'il ne se soit pas trop couvert de ridicule, si ce sac ne contenait rien d'important. La reine de mai savait que si les rôles avaient été inversés, elle ne le lui aurait pas pardonné si vite. Pas sans un cadeau en retour...

Les jumeaux lui bloquèrent la route pendant qu'elle fendait la foule. Ils avaient l'air très agités. En fait, cela faisait quelques temps déjà que leur comportement était très étrange. Ils lui hurlèrent de trouver le patron, de s'en aller. Mais le prochain numéro venait tout juste d'être annoncé... Allons bon, est-ce qu'ils essayaient de lui jouer un tour ? La dryade les regarda s'éloigner vers le devant de la scène en battant des paupières. S'attirer des ennuis, non merci.

Mais les ennuis l'avaient quand même trouvée.
Comment décrire ce sentiment ?
L'air ... explosa.
La magie avait été libérée.
Pourtant, aucune inquiétude dans le coeur de Jade.

Non, aucune inquiétude. C'est bien simple, il ne restait rien d'elle sous le vent, entre les passants. Que quelques pétales dont le parfum s'effritait en même temps que sa conscience.

Tout irait bien. Elle pouvait dormir sous la terre, dans le creux des arbres.
Personne ne pourrait lui faire de mal dans ce cocon de sérénité, loin du monde.
Lorsqu'elle se réveillerait, tout cela serait fini.

Mais ... Mais pourquoi y avait-il cette douleur dans ce cas ? Son cœur se réveillait peu à peu. Elle était en train de faire quelque chose d'important avant que son univers tout entier ne tremble pour la renvoyer à l'état le plus élémentaire. Elle devait trouver quelqu'un. Edward. Le loup blanc. Non, ce n'était pas ça...

Un garçon aux cheveux bruns, le visage rieur, le coeur trop bon pour une voleuse.

Willie.

Jade ouvrit les yeux violemment en toussotant, entourée par une nuée de plumes blanches. Le vent était frais sur sa peau. Désorientée, elle jeta des coups d'oeil autour d'elle. Peut-être n'aurait-elle pas dû. Le chaos qui régnait lui donnait mal à la tête. Elle trouva quand même la force de se relever, par sa seule volonté. Ses camarades s'en sortiraient. Ce n'était pas pour eux qu'elle était inquiète, mais pour les innocents. Pour William.

Elle ne sut pas combien de temps cela lui prit pour le retrouver. Elle avait descendu la rue jusqu'aux quais puisqu'elle ne l'avait pas vu au dernier endroit où elle aurait dû le trouver. Les secondes s'écoulaient comme des heures alors que la panique agitait son coeur. Il posa sa veste sur ses épaules pour la couvrir. Ce fut à ce moment-là qu'elle remarqua le sang sur ses mains. Était-il blessé ? Où était-il passé tout ce temps ? Il y aurait eu tant de questions à lui poser.

Le temps leur manquait. Une bourrasque de vent souleva des débris dans leur direction, des morceaux de bois et de fer. Dans un geste de désespoir, elle se jeta devant son ami. Le sang gicla pour maculer un peu son visage et ses cheveux, son ventre traversé de part en part. Elle retint son cri. Elle se contenta de grimacer entre douleur et dégoût. Ça lui laisserait une vilaine cicatrice…

« JADE ! »
« Désolée Willie... On a déjà vu mieux comme rendez-vous galant, pas vrai... ? Mais j'ai rendu ma dette. »

Un petit rire quitta ses lèvres roses. Il ne devrait pas s'inquiéter si elle était encore capable de plaisanter non ? Elle referma les yeux faiblement, des bras la retenaient, mais les couleurs se retiraient doucement de son visage comme si elle s'était endormie. Des branches puissantes et feuillues s'élevèrent à l'horizon pour les protéger tous des projectiles des bâtiments détruits qui tombaient du ciel. Le pavé était déjà ruiné, morcelé, alors ça n'avait pas été trop compliqué de rameuter les racines jusqu'ici, pour les rappeler à elle. Mais déplacer des montagnes, c'était épuisant… Ce n'était pas suffisant pour assurer une protection parfaite, bien entendu, mais c'était un début.

Elle rêvait du soleil chaud de l'Espagne et des bras accueillants de Martha. Elle n'aurait jamais dû repartir, pas sans elle. Sa soeur la pleurerait-elle, si elle devait mourir aujourd'hui ? Si cette fête signait la fin de Paris, alors elle voulait partir dans les bras de ses amis, sous l'ombre de la forêt ou au cœur des fleurs. C'était effrayant de mourir seule… Quand elle était arrivée à ce cabaret, Monsieur White lui avait promis qu'elle ne serait plus jamais seule. Sa famille… qu'allait-il arriver à sa famille… ?

Elle perdrait probablement connaissance avant de connaître la réponse.
Ouadji Oursou
Who is in control ?
Ouadji Oursou

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MessageSujet: Re: Intrigue : Acte I Scène V | Tomber de rideau   Intrigue : Acte I Scène V | Tomber de rideau - Page 2 I_icon_minitimeDim 17 Mai - 13:48

Spectateur de cette pré-apocalypse, le gamin se figea. Quelque chose avait changé. Il le sentait. Une menace nouvelle se préparait en silence. Les voix s’étaient tues, mais, pour un être de sa sensibilité, le danger restait palpable. Une ancienne magie opérait dans l’ombre. Il la sentait. Elle chatouillait sa petite âme. Désemparé, il ne voulait qu’une chose : trouver sa sœur. Elle, elle saurait quoi faire. Elle avait toujours réponse à tout. C’était elle, la brave. C’était elle qui lui donnait courage. Il voulait sa sœur, plus que jamais. Mais où était-elle à présent ?
Seul dans cette immensité d’inconnus, le petit s’accroupit, enfonça le vieux bonnet profondément sur sa tête et versa quelques larmes en silence. Dépasser par les événements, il ne savait que faire d’autre.

L’agitation commença à se manifester parmi les convives. Des hoquets de surprise et des murmures se transformèrent, remplacé par de la stupeur, de l’indignation, mais surtout par une crainte. La panique s’installait dans les cœurs.
Même le nain qui avait rejoint le sphinx observa le tout, paralysé. Près d’eux, sous ses yeux effarés, il vit une fillette tout de rose vêtue, d’une dizaine d’années se métamorphoser, prendre de l’ampleur et se couvrir de plumes. S’il ignorait ce qu’elle deviendrait, son intuition pressentait la gravité de la situation.

Puis une onde de choc les frappa. Impuissants, ils furent propulsés sur plusieurs mètres. Brick termina son envol parmi des chaises de bois qui se brisèrent sous la violence de coup, tandis qu’Ouadji percuta la vitrine d’un petit café. Celle-ci ne lui offrit aucune résistance et se fracassa en mille morceaux. Il glissa ensuite un bon mètre, emportant tables et chaises sur son chemin, avant d’arrêter sa course brutalement contre une étagère, dans le fond du commerce.
Étendu au sol, le sphinx ne bougea plus. Du sang coula de ses blessures.

Pendant ce temps, pris dans ses débris, Brick essayait de sortir de son fouillis de bois en grommelant contre la vie en général. Quand soudain son regard s’arrêta, fixa un corps inerte dans le café.


- Hé, le je-eune. Articula-t-il difficilement, tétanisé par la vision devant lui.

Malgré l’obscurité qui régnait dans la bâtisse, il discernait la personne. Il reconnaissait ses habits aux couleurs étrangement agencées et trop grands pour son porteur, sans parler de cette chose qu’il appelait un bonnet.

- Hé, l’jeune ? Répéta-t-il en redoublant d’efforts pour se déprendre. C’est pas l’temps dormir. Allez, réveille-toi !

Soudain, une immense aile passa un dessus de sa tête, puis un bruit effroyable retentit. La devanture du café s’effondra, emportant la moitié de la façade principale de la bâtisse. Impuissant, il vit des morceaux du mur s’affaisser sur lui, l’engloutir dans un épais nuage de poussières.
Les secondes s’écoulèrent. Un puissant cri résonna, le fit grimacer. Puis une nuée d’oiseaux se rua vers les habitations. Il entendit leur os se briser sous la force de l’impact. Le son était horrible. Sa tête tournait. Son corps entier lui dictait d’abandonner, de se laisser emporter par le sommeil. Mais son inquiétude pour les autres, plus puissante que son envie, le força à sortir de ce fouillis. Lorsqu’il s’extirpa, une nausée l’envahit. Il la retint de justesse, attendit qu’elle passe, puis il se releva, chancelant. À première vue, il n’avait rien de cassé, juste des ecchymoses et de petite entailles. Il se tourna vers le café. Son attention se porta sur le chaos et la terreur qui régnait sur la ville. Paris s’enflammait. Le ciel s’assombrissait sous les nuées d’oiseaux et les épaisses fumées noires des nombreux incendies.

Se souvenant de son jeune collègue, il se retourna vers le café à présent envahit d’une obscurité abyssale. Au même moment, un couple de bourgeois accompagné de deux jeunes enfants, cherchant refuge, entra à l’intérieur. Aussitôt, les ténèbres les mangèrent.
Un cri effroyable s’éleva, les supplices d’une femme s’ajoutèrent, priant à l’aide. Les enfants vidèrent leurs petits poumons dans un insupportable hurlement. Puis les voix devinrent une seule et douloureuse plainte avant de s’éteindre dans de petits gémissements. Brick tituba vers le commerce dans l’espoir de les aider. Il perdit pied, se releva et se figea de stupeur.

Ouadji sortit de l’ombre, nonchalamment, le sourire aux lèvres. Du sang couvrait par endroits son corps et ses vêtements. Était-ce le tien ? Ses blessures semblaient superficielles, mais pouvait-il en avoir de plus graves sous ses habits ?
Le garçon s’arrêta près du nain, l’ignorant complètement. Son attention était ailleurs.


- Aaaah, je vois. Dit-il de l’émerveillement dans la voix, le regard au loin, admirant le décor apocalyptique.
- Ç-ça va, l’jeune ?

Il baissa les yeux, remarqua enfin la présence de Brick. Il le scruta de haut en bas avec condescendance, avant de reporter son attention sur la place Dauphine, l’ignorant une fois de plus.


- Y  s’est passé quoi, là-d’dans ?

Le sphinx se vira une seconde vers le café, puis haussa les épaules.

- Rien de particulier… Disons qu’ils n’ont pas aimé mon énigme.

Le nain fronça les sourcils. Il s’apprêta à entrer pour voir, quand Ouadji l’arrêta.

- T’inquiète, le lilliputien. Ils ont fui. Si ça trouve, ils sont déjà très loin. Répondit-il sans le regarder. Son regard venait d’accrocher un point plus loin. Un sourire froid apparut. Tiens, tiens, tiens. Si ça ne serait pas une vieille connaissance.

Exaspéré par l’attitude amusée du sphinx, Brick observa les débris au sol. Une patte de chaise arrachée de son corps trônait à ses pieds. Son regard vogua entre le bout de bois et le garçon. L’envie de le frapper le démangeait énormément. Mais, comme s’il avait deviné ses intentions, le sphinx se tourna vers lui et fixa ses iris orangés dans ceux du nain. Impassible, le jeune le dévisagea ainsi une fraction de seconde avant que la panique et l’inquiétude ne se lisèrent sur ses traits enfantins.


- Que faites-vous, Monsieur Brick ! Nous devons les aider !

Sans plus attendre, le blondinet fonça vers la scène ou plutôt ce qui en restait. La structure avait été en grande partie détruite par le simurgh, mais il restait une petite portion qui tenait dans un équilibre précaire. Une fois arrivé sur place, le sphinx examina le tout. Déjà quelques personnes s’attelaient à dégager les débris, fragilisant un peu plus l’installation. Il se joignit à eux. Puis, Brick arriva et s’autoproclama chef. D’une voix autoritaire, il leur dicta ce qu’ils pouvaient enlever sans risque et comment solidifier le reste. Rapidement, on libéra une femme, puis un petit garçon des décombres.
De son côté, affairé un peu plus loin, Ouadji tentait d’extraire quelqu’un sous une poutre.


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MessageSujet: Re: Intrigue : Acte I Scène V | Tomber de rideau   Intrigue : Acte I Scène V | Tomber de rideau - Page 2 I_icon_minitimeDim 17 Mai - 23:51

Lentement, Edward ouvrit les yeux.

Sombre. Des planches brisées, du fer tordu, un morceau du rideau. Vivant. Souffle irrégulier, cœur pulsant jusque dans son crâne, sens surchargés. Il bougea. Du poids sur son dos. Il insista. Une cacophonie sonore, métallique et froide, lui perça profondément le crâne. Pris de vertiges, il referma les paupières.

x X x

La scène sous la lumière d’un bel après-midi. Frédéric et Morgan, debout devant un public silencieux et incrédule, Oracle près de lui, l’angoisse qui l’écartèle. Au moindre de ses mouvements, elle le regarde et il s’arrête. Sa reconnaissance passée est une muselière qui l’étrangle, sa dette une laisse qui le soumet. Il ne s’en rend pas compte, car il lui fait confiance. Cette fois encore. Même quand les mots jaillissent, limpides, des lèvres des jumeaux, il garde la foi. Même quand il sent son corps s’embraser, que ses crocs s’allongent, que ses griffes déchirent sa peau, il ne vacille pas. Même quand, au loin sur la place, le corps d’une enfant, d’une amie, se brise sous ses yeux, il tient bon. Même quand le Simurgh explose, énorme, dans le ciel parisien, il veut croire. Puis la folie et la terreur se déversent. Le visage impassible d’Oracle, se trouble de frayeur. Alors son cœur éclate en miettes. Il comprend. Il a eu tort, mais c’est trop tard.

Le Simurgh tombe. La scène explose.

x X x

« Eduard, mais qu'est-ce que tu as fait ? »

x X x

Pardon.

Là ! Il y a quelqu’un !

L’éclat de voix fut un nouveau supplice pour ses sens exacerbés. Il craqua dans son crâne comme un coup de tonnerre, le laissant sonné et sans défense. Seule la survie, le poussa à bouger encore. Il chercha à se dégager, rampant dans la poussière et les débris, se dégageant en brisant ou tordant, tout ce qui tombait sous ses doigts destructeurs. Grondement sauvage entre deux respirations rauques, puis une lumière vive l’aveugla.

C’est Monsieur White !!

À ce nom, quelque chose mourut en lui. Le dégoût l’envahit, des larmes de rage jaillirent en un torrent sur ses joues sales. Il réprima un hurlement en se mordant la langue jusqu’au sang, mais l’onde de son cri asphyxié se répercuta dans son corps en un violent haut-le-cœur. Le liquide carmin s’échappa de ses lèvres et éclaboussa la main qu’il venait d’y porter. Quelques gouttes tachèrent le sol encombré, puis deux trainées rouges barbouillèrent son visage humide qu’il tentait d’essuyer. Ses gestes désordonnés, fiévreux et souffrants, laissèrent leurs empruntes partout. On approchait. Il voulut se redresser pour s’éloigner, mais tout tournait encore et il retomba à genoux. Sous ses doigts, un morceau de verre brisé, mais baigné de lumière, lui renvoya son reflet. Celui craquelé d’Edward White, la vraie figure du Vyresh.

Giflé par cette évidence, un rire nerveux le secoua. Puis le chagrin le consuma et la résignation balaya tout sur son passage.

Vous êtes blessés Patron ?
Non.

C’était Jakob. Le mage s’était penché à ses côtés. Le loup blanc sentait sa main figée quelques centimètres au-dessus de son dos. Il n’osait pas le toucher. Personne n’osait jamais.

Est-ce que vous pouvez vous relever ?

Il n’en savait rien, alors il essaya. Les sons, les odeurs, les couleurs, tout vacilla en même temps que son corps immense et brisé. Il tangua brutalement, comme repoussé par une force invisible. Le mage eut un geste pour lui, mais le loup tint bon. Un pas énorme avait suffi à ramener son équilibre. Une planche de la scène en ruine se morcela sous la force de sa foulée. Il hoqueta, fébrile, échevelé, mais enfin, il se redressa.
Le chaos s’imprima dans ses rétines. La place était dévastée. La poussière des bâtiments éventrés s’était répandue en un brouillard disparate où éclataient irrégulièrement des sanglots, des cris et des appels à l’aide. La pointe de l’Île, complètement détruite, offrait un horizon pire encore. La Seine était folle sur chacun de ses flancs, on distinguait d’épais nuages noirs s’élevant dans les cieux, jusqu’aux ballets apocalyptiques d’oiseaux bloqués entre la vie et la mort. L’un d’eux s’écrasa presque à leurs pieds. Il resta là, inerte, la tête rougie de son propre sang, puis son corps s’anima d’un soubresaut et il reprit sa course absurde. Son vol laborieux effleura Brick qui hurlait non loin, puis Ouadji, avant de disparaître.
Edward mit une longue minute avant de comprendre : eux aussi, ils étaient vivants. Et ils n’étaient pas les seuls. Dominik aidait à leur côté, de même que Lûka et que plusieurs cuisiniers. Celenna se trouvait plus en retrait, administrant aux plus choqués, un peu des quelques boissons sauvées. Puis deux silhouettes, étendues au sol arrachèrent le loup à son immobilisme. Jakob se précipita à ses côtés, abandonnant rapidement :

C’est Ludger, on l’a sorti des décombres, mais il ne s’est pas encore réveillé et…
Lucy…

Du sang sur le visage de la jeune fille. Edward tremblait.

Elle a été blessé par un morceau de béton. Son pouls est régulier, alors ce n’est peut-être rien…
Qui d’autre ?
Jade, Sully et les jumeaux. On les cherche encore.

Il se penchait sur eux, quand une voix familière, douce et calme s’éleva dans son dos. Elle lui brisa le cœur une seconde fois, avec un mot :

Eduard.

Figé, un océan de colère et de remords mêlés déferla dans ses veines. Le loup gronda et son âme blessée explosa dans tous son être. Une fraction de seconde plus tard, il saisissait à la gorge d’Oracle. Ses doigts griffus, se refermaient sur sa peau pâle, ses crocs visibles encore rouges du sang qui baignait sa bouche, laissaient échapper un grognement rauque, quand sur ses yeux aux pupilles dilatés, tombaient des mèches d’une blancheur immaculée. Vyresh écrasa ce cou de craie avec le désir de sentir l’air s’en extraire à jamais. Pourtant sur ses traits, se peignit un chagrin immense. Le bête trahie, ne souhaitait plus comprendre, elle éviterait juste que cela recommence.

P-Patron arrêtez, vous allez la…
Lâche la !

Mais il tint bon. Dans une robe d’un bleu terni par la crasse, Siren se jeta sur lui. Il la repoussa d’une seule main, mais elle parvint à s’agripper à son poignet. Sa peau froide entra en contact avec la sienne et elle hurla :

Lâche la !!

Libre, Oracle tomba au sol, inspirant de grandes bouffées d’air, ses deux mains portées à son cou cerclé d’une marque inhumaine. Le loup balaya Siren. Elle chuta lourdement au sol, lui adressant un regard noir. Elle allait ouvrir la bouche, mais le timbre du lycan, enrayé d’un accent sauvage explosa avant :

Allez vous en !
Tu n’as pas d’ordre à nous…
Bien.

Siren referma la bouche, sidérée. Oracle se releva. Malgré la situation et les regards troublés posés sur eux, elle ne perdit rien de sa superbe sérénité.

Mais tu sais que j’ai eu raison.

Il détourna le regard.

Et tu sais, que nous nous reverrons.

Il savait. Oracle partit. Siren, après un instant, la suivit. Le loup blanc essuya d’une main tremblante son visage toujours tâché de sang, cherchant un second souffle. Sa douleur persistait, mais pour une indicible raison, le calme lui revient. Vyresh s’effaça, laissant seul, Edward.

Darling… ?

Il se tourna lentement vers Opale. Pâle et sans sourire, elle l’observait avec une méfiance nouvelle. Les épaules du loup blanc s’affaissèrent, son regard disparate s’éteignit à la seconde où il se posa sur elle. La jeune femme, soudain hésitante avec lui, demanda faiblement :

Nous avons besoin d’aide près des habitations, des gens sont bloqués sous…
J’arrive.

Il reporta son attention sur Jakob. Le mage lui épargna des paroles inutiles.

On continue de les chercher Patron.

Le loup s’éloigna à la suite d’Opale et traversa une partie de la place ravagée. Ses pas l’emmenèrent au milieu d’enfants, de femmes et d’hommes dont l’état oscillait entre la prostration profonde et une hystérie totale. Pavés en vrac, lampadaires tordus et bancs retournés ou brisés, ponctuaient une avancée mortifiante vers les immeubles délabrés. Ils touchaient au but, lorsqu’il trébucha. Une racine. Il en remarqua une seconde, puis une autre, toutes prenant la même direction. Repensant à Jade et Mimi, il hésitait à faire un détour quand on l’apostropha.

White !? Je… Vous… Pouvez-vous me dire ce qui se passe ?

Gaudefroy. Il perça depuis un groupe d’une dizaine de personnes, toutes concentrées à déblayer les gravats. Plus de lunettes, sa mise crasseuse et son visage aux traits si tendus lui ajoutaient dix ans. Il se tenait le bras gauche. Sa veste avait disparu, la manche de sa chemise était déchirée sur une grande partie et s’il n’y avait pas de sang, sa main avait l’air totalement inerte. Son regard perçant et décidé, s’était obscurci de soupçons :

Qu’est-ce que vos employés ont fait ?
Opale, il faudrait suivre ces plantes et voir si…
J’y vais !
White ! Expliquez moi !? Qu-qu’est-ce que c’était ?!

Le loup blanc s’avança et dégagea ses premières pierres. Son timbre vide répondit machinalement.

Vous le savez.
Je sais qu’il y a eu une explosion. Puis cette… chose a tout détruit. Paris est à feu et à sang. La pointe de l’Île et le Pont Neuf sont en miettes. Des oiseaux mourant volent plus vite que des balles et…

Du coin de l’œil, Edward le vit tressaillir. Une grimace déforma un peu plus ses traits âgés, sans que le loup sache si c’était de douleur ou de dégoût. Il s’en détourna, concentré sur une plaque de béton énorme qui lui posait problème. Sa main se posa sur la roche froide, cherchant quelque chose. Entre les dents serrées de Gaudefroy, son timbre glacé siffla comme le couperet du bourreau :

Delcambre avait raison.
Oui.
Vous n’êtes pas humain.
Je suis un loup-garou.

Aussi facilement qu’une plume, le pan de mur pivota entre ses doigts.
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MessageSujet: Re: Intrigue : Acte I Scène V | Tomber de rideau   Intrigue : Acte I Scène V | Tomber de rideau - Page 2 I_icon_minitimeVen 22 Mai - 22:20

C’est drôle comme une situation peut changer du tout au tout dans un claquement de doigts. L’instant d’avant, le monde reprenait le cours de leur petite vie insignifiante. On se préparait à remettre le sourire sur les visages des petits et des grands. L’instant d’après, « Boum ! ». Un oiseau mythique sortait de sa légende pour dévaster la ville, accompagné de ses acolytes volatiles, tout cela dans un chaos le plus total.

Devant un tel spectacle, Ryden en resta ébahie. Il aurait même applaudi celui derrière ce plan infernal, s’il avait su qui il était. En fait, il avait failli le faire, mais c’était abstint à la dernière seconde.
Évidemment, il aurait préféré être légèrement plus loin de la catastrophe. Mais il s’en était plutôt bien sorti, comparativement à d’autres. Il avait évité avec brio… ou presque, le raz de marée de gens paniqués qui fuyaient, la pluie de débris provenant des effondrements des habitations et les objets qui s’étaient envolés sous la fureur du vent. Dans toute cette confusion, une seule et petite branche l’avait sournoisement pris de court. Elle s’était dissimulée dans son angle-mort avant de le heurter, lui effleurant le bras. Sans oublier, même si le démon préférait le faire, une partie d’un immeuble qui avait failli l’écraser si Serra ne s’était pas interposée en prenant sa place. Il sentait qu’il allait en entendre parler longtemps de cette dette lorsqu’elle se réveillerait. Elle n'était pas du genre à laisser passer une occasion pareille.

À présent, dissimulé dans l’ombre d’une habitation partiellement détruite, près de la rue Harlay, il déposa Serra, toujours inconsciente, sur un banc grièvement amoché avant de s’accoter sur les restes d’un mur. D’où il se tenait, il pouvait jouir de la terreur qui se propageait sur la capitale en toute quiétude.
Il se ferma les yeux, et pendant quelques minutes, il profita de cette douce mélodie de cris, de pleurs, de supplications. Un sourire béat aux lèvres, seul son doigt bougeait au rythme tel au maître d’orchestre.


- Quand je te disais qu’on n’avait rien à craindre de la Curia. La preuve est là. Avec toutes les ressources à leur disposition, ils n’ont même arrêté cela. Pire, je doute qu’ils étaient au courant. N’empêche, je suis curieux de savoir comment ils vont se sortir de cette situation… Face au silence de sa partenaire, il rouvrit les yeux et tourna son regard vers elle. Toujours pas réveiller, hein ?

Il reporta ensuite son attention sur la place Dauphine. Il désirait comprendre. Il avait tellement de questions. Mais une en particulier le tourmentait et revenait sans cesse. Comment avait-on fait pour mettre la main sur cette puissante magie oubliée depuis des millénaires ? Dès que les jumeaux avaient commencé le sortilège, il avait été surpris d’entendre ces paroles d’un temps ancien, reconnaissant l’œuvre d’une très vieille connaissance.
Être dans l’ignorance, était une sensation épouvantable ! Les jumeaux allaient devoir répondre à ses questions. Mais où ils étaient ? Il explora les lieux du regard. Si son emplacement ne lui permettait pas de tout voir, ni de tout entendre, il en captait suffisamment. À première vue, personne ne semblait les avoir aperçus depuis leur petit numéro.

Soudain une voix qu’il reconnaîtrait entre mille s’éleva au travers de cette cacophonie. Le démon se déplaça légèrement, cherchant la personne derrière ses divines paroles. Il la repéra au croisement de la rue Harlay et le Quai de l’horloge.
Tel un preux chevalier sur sa fidèle monture, Monsieur le Curé venait d’apparaître, plus délirant que jamais, monté sur le dos d’un pauvre jeune homme. Il s’approchait, sa main libre brandie dans les airs, en hurlant des inepties à connotation ecclésiastiques.
L’homme de Delcambre s’arrêta à l’orée de la Place Dauphine, le temps de reprendre son souffle. Celui-ci semblait sur le bord de l’évanouissement. Sa respiration était laborieuse, presque asthmatique. Mais était-ce parce qu’il avait dû transporter en courant le vieil homme ou plutôt, à cause de la répugnante odeur qui s’en dégageait ?

Dans une pose des plus glorieuses, ses yeux exorbités, dramatisés par ses verres en fond bouteille, le curé examina la foule. Quand d’intenses démangeaisons s’emparèrent de son flasque fessier. Reconnaissant là, la preuve que de nombreux serviteurs du Malin sévissaient en ces lieux, il beugla de rassurantes paroles :


- NE CRAIGNEZ PLUS LA BÊTE, CHERS FIDÈLES, LA LUMIÈRE DE DIEU VIENT VOUS SAUVER !!

Puis, son regard de hibou hystérique s’accrocha sur le simurgh au moment où de nouvelles flammes s’élevaient près de l’énorme animal. Galvanisé par cette vision, le curé déchaîna un peu plus sa folie sur la place Dauphine, au grand désespoir du pauvre type qui subissait tous les sauts d’excitation d’Heinrich sur son dos.

- LE SEIGNEUR EST AVEC NOUS, MES BREBIS ÉGARÉES !! VOYEZ SA PUISSANCE À L’ŒUVRE !
* Dieu ? Il n’y est pour rien. C’est cet incroyable oiseau de la mort la cause ! *
* Cesse ses calomnies, pécheresse ! Dieu déverse sa fureur sur ce farfadet volant de l’Enfer ! *
* … en détruisant tout sur son passage ? *
* Les voies du Seigneur sont impénétrables, mouman… mais tu as raison, allons prêter main forte au Tout-Puissant ! *

Il s’apprêtait à joindre le geste à la pensée, quand le jeune homme, qui lui faisait office de transporteur, prit la parole d’une petite voix chevrotante.

- Pouvez-vous descendre, maintenant ?
- Absolument pas !
* Tu devrais, mon fils. Si tu continues, tu vas le tuer. *
- Tais-toi, pécheresse ! Ne m’importune pas dans ma divine tâche ! ALLEZ, JEUNE DECLAN, POURSUIVONS CET INFÂME, MAIS SUBLIME DÉMON AILÉ !
* Sublime ? *
- CESSE DE CORROMPRE MES PENSÉES, VILE SORCIÈRE ! PURIFIONS CETTE TERRE DE SA PRÉSENCE DÉMONIAQUE, NOUS REVIENDRONS ENSUITE POUR SES REJETONS !! S’époumona Heinrich, surexcité, en donnant des coups pour faire avancer sa pauvre monture.

Impuissant face à la folie du curé, le jeune homme les fit traverser la place, les emmenant vers le pont Neuf tandis que l’excommunié se mettait à entonner des chants grégoriens. Mais soyons honnête, la voix de Monsieur le Curé était un supplice pour ceux qui l’entendaient. Hybride entre un grincement strident et la plainte d’un mourant, elle faisait grincher des dents tous ceux ayant l’ouïe sensible.
Mais constatant la destruction de la pointe de l’île, ils rebroussèrent chemin, passant par l’autre versant du triangle, faisant durer cette torture un peu plus longtemps. Puis, ils prirent la direction du pont Saint-Michel.
Au grand bonheur de tous, la grotesque silhouette du curé disparut dans un : « POUR LA GLOIRE DU TOUT-PUISSANT ET DE SES PETITS ANGELOTS ! »
Morgan Lenoir
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MessageSujet: Re: Intrigue : Acte I Scène V | Tomber de rideau   Intrigue : Acte I Scène V | Tomber de rideau - Page 2 I_icon_minitimeSam 30 Mai - 1:38

Texte écrit à deux:


Il cligna des yeux plusieurs fois. Un peu de sang avait dû couler de sa tempe car sa paupière gauche lui semblait poisseuse. Rien de grave, cependant. La plaie avait même sans doute eu le temps de se refermer d’elle-même.

Morgan sentait qu’il n’avait pas pu sombrer dans l’inconscience bien longtemps : les cris épouvantés qui saturaient l’air de la place Dauphine paraissaient encore tout proches, à peine assourdis par les débris de planches qui le recouvraient. Il n’y voyait rien, en revanche, au milieu de cette pénombre opaque. De la sciure de bois lui tomba dans les yeux. La toile de fond avait dû leur atterrir dessus.

Quelques instants plus tôt, quand Fred avait achevé son sort en dépit de ses efforts à lui pour l’arrêter, le monde avait soudainement changé de face : il avait temporairement repris ses couleurs d’autrefois, et, s’il avait pu se regarder lui-même, il aurait été surpris de constater que, dans ses yeux bleu d’azur, ses pupilles étaient momentanément redevenues verticales. Juste après, leur pacte avait vacillé, et aussitôt son âme avait tenté de s’échapper de son corps ; il avait juste eu le temps de percevoir qu’elle se dérobait, puis réintégrait brutalement ses membres avant l’attaque du Simurgh, et son évanouissement avait suivi. C’est que, par chance, les effets du sortilège n’avaient pas duré assez longtemps pour lui permettre de rejoindre celle de son frère : il se retrouvait donc là, enseveli, sonné, confus, avec une terrible migraine, mais bien vivant, et moins désorienté qu’au lendemain de leur fusion. Son cœur se serra pourtant un peu... Même libéré du pacte qui l’unissait à Frédéric, il ne serait donc plus jamais une hydre, au fond de ce corps d’emprunt : sans le pacte, il était mort, et voilà tout. Il replia ses doigts engourdis, par habitude, comme pour s’assurer qu’ils étaient toujours bien à lui. La main de son frère était encore dans la sienne.

« Fred ?... »

Son murmure était faible, au milieu du vacarme. Il tenta de ramener le mage vers lui, sans grand succès, et poussa parmi les restes de la scène vers ce qu’il pensait être le haut. Ses forces n’étaient pas suffisantes pour les dégager, mais les débris qui les recouvraient remuèrent un peu. Avec persévérance, il s’arc-bouta, une deuxième fois. Bon sang, cette migraine…

« Par là ! Il y a quelqu’un qui bouge !
– Bah rest’ donc pas planté là à fair’l’navet ! Sors-le d’là, rends-toi utile – et m’fais pas c’te têt’d’bégonia, que s’t’es v’nu pour prend’e racine t’as pas trouvé l’bon terreau… »

Des bruits de pas se rapprochèrent au-dessus d’eux, résonnant dans son crâne. Il se tortilla encore un peu, moins pour se libérer que pour continuer d’attirer l’attention, et bientôt l’une des planches bascula, lui découvrant la lumière du jour. Ébloui, il fit la grimace. Au-dessus de lui étaient penchés les visages de Brick et de Jakob.

« C'est un des jumeaux !
– Hé gamin, tu m'entends ?
– Il saigne.
– J'ai vu. Allez, tire ça avec moi, un, deux... ! »

Le poids qui l’empêchait de bouger disparut, puis Brick resurgit dans son champ de vision, le visage inquiet, la main tendue vers lui.

« C'est bon l’jeunot, tu d'vrais pouvoir sortir. Joseph, tiens la bâche deux s'condes au cas où.
– Mon nom est Jakob…
– Oué ben fais c’que j’te dis. »

Morgan attrapa la main du nain de jardin, qui le tira à la verticale ; sitôt redressé, il tituba et se serait affalé sur lui, si le chef machiniste ne l’avait pas retenu pour l’asseoir par-terre – autrement dit à sa hauteur. L’hydre se massa douloureusement les yeux, puis balaya les environs du regard. Près du monticule de débris il aperçut Ouadji, qui semblait également chercher des rescapés, ainsi que d’autres membres du cabaret, et des civils. Tous continuaient de s’activer avec des gestes anxieux, sous un ciel obscurci par des nuées d'oiseaux déments, si bien que personne n’avait encore tourné les yeux dans leur direction.

« Hé, je crois que j’ai le deuxième !
– Mais accroche-le mieux, l’asperge, c’pas comm’ça qu’on va l’décoincer !
– Je vous rappelle que je suis garçon de salle, pas manutentionnaire… »

L’acrobate sursauta et se retourna brusquement, pour se relever sur ses jambes flageolantes et tenter d’aider à agripper Fred. Brick le repoussa d’un mouvement du bras, ronchonnant qu’il les gênait plus qu’autre chose dans leurs manœuvres, mais Morgan s’obstina. Il tira sur le gilet de farfadet de Frédéric qui se déchira entre ses mains, le rattrapa par une manche, et continua de tirer tandis que le reste de son corps émergeait peu à peu des décombres. On le déposa à la surface à son tour, et l’hydre s’agenouilla précipitamment à ses côtés, sans laisser approcher les autres. Le mage avait le teint blafard mais son cœur battait, et il bougea même mollement les mains pour se protéger du soleil, aveuglé lui aussi. Ce n’est qu’alors que l’hydre se sentit de nouveau respirer.

« Fred, ça va ?...
– Schhh…ff-sss... »

Son frère avait envie de vomir, ce qui ne l’étonna pas, mais il continua de lui palper les côtes et les bras comme pour s’assurer que tous les os étaient bien à leur place.

« Ça va aller, l’jeunot ? Qu’est-ce qu’il a ? Rien d’cassé ?
– Il est vidé, voilà ce qu’il a… »

Morgan releva la tête vers Jakob, qui toisait Frédéric les bras croisés, l’œil franchement désapprobateur. Quoique discrètement, il l’accusait. L’hydre siffla lentement entre ses dents d’un air mauvais, attirant sur lui son attention. Brick ouvrit la bouche comme pour s’interposer.

« Un sort de cette envergure, à lui tout seul... Bien que vous soyez jumeaux, tu n'es pas mage, toi, pas vrai ? »

L'acrobate n'eut pas le temps d’articuler une syllabe qu’une exclamation coupait court à leur échange. Il reconnut la voix de Morel avant même de se retourner.

« Vous deux !!! Vous êtes là !!! »

Son ton n’était pas à proprement parler celui du soulagement, et Morgan dut se remettre debout dans un volte-face mal assuré. L’étudiant accourait vers eux sur les monceaux de la scène, le visage blême, mais les sourcils froncés, les poings serrés, et des éclairs dans les yeux. L'hydre n’eut pas même le temps de se demander ce qu’il faisait là : tout son corps se raidit lorsque Morel le saisit sans ménagement par les épaules, la mâchoire prête à mordre. Moins par maîtrise de soi que par effet de son profond épuisement, il resta cependant un moment sans réagir, se contentant de le fixer de son regard hostile et farouche.

« C’est vous, c’est vous qui avez fait ça ! Tu crois que je ne t’avais pas vu, avec le Quetzalcoatl ?!  Dire que je croyais véritablement devenir fou ! Mais ils avaient raison… Les oiseaux !... »

À mesure qu’il débitait ses propos décousus, l’étudiant enfonçait plus profondément les doigts dans les muscles du bras de Morgan, qui finit par montrer rageusement les dents. Cette vision sembla frapper Morel, qui s’interrompit quelques instants avant de reprendre, plus bas.

« Pas toi… Ton frère… »

Ses yeux tombèrent sur Fred, qui venait de péniblement se redresser en position assise. L’hydre se dégagea en le repoussant avec brutalité, et Brick en profita pour se glisser entre eux dans une tentative d’apaisement.

« Holà, holà, tout doux vous deux, c’est pas l’moment d-- !...
– L’touche pas, Morel ! C’est pas lui, c’la blonde qui l’a forcé, t’as bien vu c’qu’elle fait, on voulait pas !...
– La blonde ? Vous croyez que je ne vous ai pas vu lui parler, avant de monter sur scène ? On était à côté, on a tout--
– Mais justement, on voulait pas lui parler ! s’emporta-t-il avec colère. On la connaît même pas, c’est elle qui nous force, avec l’aut’ !
– La blonde ?... Celle que le Patron vient de chasser de la place ?... Elle était avec une autre femme… »

Tous les regards se posèrent sur Jakob, même si, à la mention de Monsieur White, Morgan sentit descendre dans son dos un frisson de dégoût. Le serveur se tourna vers Morel, un peu troublé :

« Robe bleue, yeux clairs… Accompagnée d'une autre en robe blanche et cheveux sombres.  
– C’est ça. On les a vus tous les deux leur parler. Et maintenant De Freilly est coincé là-dessous…
– De Freilly est …?
– …Duval ?... »

La voix du mage n’était qu’un souffle. Une expression de profonde détresse passa sur son visage, tandis qu’il fixait Morel avec une angoisse palpable, sans pouvoir ajouter un mot.

« Duval le cherche ; et moi, j’aidais. Que crois-tu que je fasse encore là, imbécile...
– Ces deux femmes, vous les connaissez ? »

Les yeux de Jakob allaient de l’un à l’autre. Les jumeaux ouvrirent la bouche, sans savoir que répondre, puis se regardèrent entre eux. Oui. Non. Ils avaient eu affaire à elles, c’était le moins qu’on pût dire, mais de là à prétendre les connaître…

Leur esclandre, cependant, avait attiré l’attention de plusieurs témoins alentours, qui les fixaient sans sembler oser faire un pas dans leur direction, et échangeaient des paroles à voix basse. Le sang de Morgan ne fit qu’un tour. Il voyait déjà se rejouer devant ses yeux la course-poursuite du mois précédent. Et avec Frédéric dans cet état… Mais les civils restaient pour l’heure dans l’expectative. Était-ce de la peur, sur leur visage ?... Il aida son frère à se relever.

Brick les avait remarqués aussi. Il fronça les sourcils en les regardant.

« 'Faut pô rester là. Moi j'm'en r'tourne voir comment qu'ça avance ; Jonathan--
– Jakob.
– ...Embarque-moi ces deux-là dans la cuisine d'Lûka, c't'un peu moins exposé, pis on verra plus tard qui c'qu'à fait quoi pourquoi. Vous m'les gardez à l'oeil mais vous faites rien d'mauvais. Allez, bougez-vous ! »

Morel demeura néanmoins planté où il était, indécis.

« Mais, De Freilly est toujours là-dessous, on ne peut pas--
– Morel ! »

Une nouvelle voix les interrompait, mais cette fois, pour leur offrir un peu de soulagement. Duval, tremblant et couvert de poussière, avançait à petits pas sur le tas de poutres brisées, accompagné d'un De Freilly hagard, boitillant, mais miraculeusement indemne, sous ses vêtements légèrement déchirés. Morel se précipita pour leur donner à chacun une accolade franche, à laquelle ce dernier répondit gauchement, visiblement secoué.

« Entier ?
– Je… Il me semble...
– Tu m’as fichu une de ces frousses !
– Et toi, je vois que tu as retrouvé les jumeaux… »

Les étudiants les fixèrent, avec sur les traits la même expression indéchiffrable. Le mage, les dents serrées, détourna le regard. Brick, manifestement insensible à ces atermoiements, les rappela une nouvelle fois à l’ordre :

« M’enfin mais traînez pas là, j’vous dit ! Voyez pas qu’z’avez du public ?! Allez, oust ! »

Et il les poussa en direction de la cuisine, avant de repartir à travers les décombres en aboyant des ordres.

« Attendez ! C’est vous, le chef des opérations ?... » balbutia Duval à son adresse. Le teint livide, l’œil perdu, il parlait sur un ton pressant et étouffé, dénué de son irrévérence ordinaire. « Vous… Vous n’auriez pas vu mon père ?... C'est l'avocat des De Montalant, il paraît que nous nous ressemblons beaucoup…
– Pas vu, désolé. »

Et le nain s’éloigna avec une expression navrée, se dirigeant vers Ouadji. Duval jeta un regard si désespéré vers le reste du groupe que Jakob le prit en pitié :

« Il se sera peut-être également réfugié en cuisine ?... »

Morel passa le bras autour des épaules de De Freilly pour l’aider à regagner la terre ferme tandis que le serveur soutenait Morgan qui soutenait Fred, puis ils se mirent en chemin tous ensemble d’un pas pressé, contournant les débris et les plumes enflammées. Duval, complètement absent, se laissa guider comme par automatisme, balayant fébrilement la foule du regard.

« Toi, ce n’était vraiment pas ton jour…
– Hélas, il en est souvent ainsi... Le Sort s’abat toujours sur les plus valeureux, paraît-il…
– NE CRAIGNEZ PLUS LA BÊTE, CHERS FIDÈLES, LA LUMIÈRE DE DIEU VIENT VOUS SAUVER !! »

Une voix venait de s'élever à travers la fumée ambiante, le feu et la poussière, promettant la miséricorde du Seigneur sur les engeances du Diable, à grands coups d'eau bénite et de purification forcée. D'un même mouvement, Jakob, Morgan et Frédéric se retournèrent, piqués au vif, avant d’accélérer instinctivement, suivis des trois autres.

« Par ici, c'est juste là. »

Par on ne sait quel miracle, le bâtiment temporaire était toujours debout quoique dangereusement branlant, l’entrée simplement obstruée par un amas de planches de bois que personne ne s’était encore donné la peine de dégager. Jakob appela, au cas où des cuisiniers se seraient retrouvés bloqués à l’intérieur. Pas de réponse.

Il agrippa l’une des planches et entreprit de la renverser. Morel lui vint en aide après avoir relâché De Freilly, qui malgré sa cheville tordue tenait debout sans peine ; pendant qu’on dégageait l’accès, celui-ci claudiqua vers le côté du baraquement, où l’on devinait le contour d’une fenêtre.

Lorsque la dernière planche s’abattit avec fracas sur le sol, tous s’empressèrent de pénétrer dans le bâtiment. L'intérieur était plutôt épargné, et les jumeaux s'assirent lourdement contre une table, épuisés mais soulagés d'être enfin hors de vue, dans un abri relatif. Duval balaya la pièce du regard, visiblement déçu de trouver l'endroit vide, tandis que Jakob attendait à la porte De Freilly, qui demeurait figé où il était.

« Eh bien, entrez ! On n’a pas toute la nuit ! »

Mais l’étudiant, qui avait perdu ce qui lui restait de contenance, restait immobile. Quatre autres têtes, inquiètes, émergèrent de l’ouverture, vers lesquelles il tourna un visage décomposé.

« Duval… »

À ses pieds, dissimulé par quelques bouts de la charpente, un corps gisait, inerte.

Comme frappé par la foudre, Camille se précipita, suivi de Morel qui jura à demi-voix.

« Père ?!
– Rentre à l’intérieur », glissa son ami à De Freilly.

Duval, lui, déblayait en toute hâte les débris pour enfin tomber à genoux à côté de l’homme étendu. Il tenta de lui relever la tête. Puis il ramena sa main devant ses yeux : elle était couverte de sang.

« Rentre », insista Morel sur un ton ferme mais bienveillant, et De Freilly s’exécuta sans se faire prier.

Il se jeta presque dans la cuisine et se plaqua contre le mur, désemparé. Son visage était blanc comme un linge. Les jumeaux, agrippés l'un à l'autre, semblaient en état de choc ; Jakob les força tous deux à retourner également à l’intérieur et à se rasseoir par-terre. Dehors commençaient à s’élever les déchirantes plaintes de Duval, sur l’épaule de qui son ami venait de poser la main. Morel sentait les larmes lui monter aux yeux. Le serveur les rejoignit à son tour et se pencha sur l'homme inconscient, afin de prendre son pouls.

« ...Vivant », annonça-t-il finalement après une longue minute.

Un sanglot de soulagement ébranla l'étudiant penché sur son père.

« Peut-être ferions-nous mieux de le transporter à l'intérieur...? » proposa Morel, avisant les oiseaux dans le ciel et le chaos environnant.

Jakob acquiesça sobrement. Ils soulevèrent l'avocat avec mille précautions pour le déposer sur la table de la cuisine, que De Freilly dégagea en vitesse, sous le regard effaré de Morgan et de son frère prostré.

« Il lui faut absolument un médecin... fit-il remarquer-t-il d'une voix tremblante.
– Vous n'en aviez pas un avec vous ?
– Eh ? Le Docteur Keller ?
– Je ne sais pas. Les jumeaux disaient que vous aviez un médecin au cabaret.
– Oui. Mais je ne sais pas si elle soigne aussi les... Enfin, je suppose qu'elle pourrait...
– Il faut que nous trouvions quelqu'un ! Je... De Freilly, pourrais-tu rester avec...
– Naturellement...
– Dans ce cas, j’y vais !
– Très bien, je vous accompagne. »

Jakob se tourna vers Morel.

« Vous... gardez un oeil sur eux tous. Je vais retourner chercher Monsieur White. Il est impossible qu'il ait cautionné ce carnage. »

L'étudiant acquiesça, et Jakob et Duval s’éloignèrent d'un bon pas.

Le silence se fit entre ceux qui étaient restés. De Freilly, assis sur une chaise auprès de Maître Duval, sortit un mouchoir sale de sa poche pour lui essuyer le visage et éponger le sang à l'arrière de son crâne. Morel, debout à l'entrée, posa les poings sur les hanches et avisa, d'un regard dans lequel se confondaient colère, angoisse et frustration, les jumeaux assis par-terre. Morgan pleurait sans bruit, le bras passé autour des épaules de Fred qui grelottait comme une feuille, la tête enfoncée dans ses genoux repliés. Ses yeux s’arrêtèrent sur la tempe poisseuse de l’acrobate, qui ne saignait déjà plus, et il le revit en esprit mordre sa main un mois plus tôt, montrer les dents quelques minutes auparavant ; revit son frère émettre un cercle de lumière, debout sur la scène, avant de voir cet oiseau... ce monstre se déchaîner sur la ville ; ce frère qui crachait des flammes de couleur, sans torche, sans alcool... Il ne trouvait pas d'explication rationnelle. Admettre ce que son cerveau suggérait impliquait de remettre en cause tout ce qu’il croyait savoir. Il ne pouvait s'y résoudre... Et pourtant, Paris brûlait.

D'une voix froide, il demanda :
« Bon sang, mais vous êtes quoi, au juste ? »
Dolores Keller
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MessageSujet: Re: Intrigue : Acte I Scène V | Tomber de rideau   Intrigue : Acte I Scène V | Tomber de rideau - Page 2 I_icon_minitimeSam 30 Mai - 13:02

« J'étais pourtant persuadée de l'avoir mis là ! Petit journal où te caches-tu ? Si papa apprend que je l'ai perdu il va être furieux… Mais je ne peux pas l'avoir perdu puisque je ne l'ai jamais sorti d'ici ! Il est forcément quelque part. Peut-être là ? Non. Ah je l'ai sans doute utilisé pour caler mon bureau ! Ah non il n'avait pas besoin d'être calé en fait. Pourtant il me semblait que… Louiiiiise ? Est-ce que tu as vu mon carnet ? Tu sais celui où je dois écrire des comptes-rendus sur moi-même ! Louise tu es là ? Elle doit pourtant être en bas. Ou alors elle discute avec Adam ? Oh ! Finalement ils ont changé la porte du bureau. Mais je n'ai aucun souvenir de l'avoir vu faire. *toc toc* J'attendais un patient aujourd'hui ? Mais on est dimanche. Ou mercredi… ? Ah c'est peut-être une livraison ! J'arrive ! »

La porte du cabinet s'ouvre, mais il n'y a personne derrière. Pas même les escaliers.

« Bonjour Dolores Keller. »

« Oh vous étiez déjà rentré ? Tiens ? Votre visage m'est familier. »

« Oui, c'est le tien. Assis toi donc. »

Elle était déjà assise. La personne en face d'elle était son reflet. Mais l'était-ce vraiment ? Le cabinet était vide, à l'exception de la chaise du docteur Keller, et de l'autre chaise, de l'autre docteur Keller. Derrière la fenêtre il y avait la lumière du jour. Mais à bien y regarder, il n'y avait que ça.

« Je suppose que je suis en train de rêver ? C'est plutôt rare, il faut dire que je dors rarement. Est-ce que je vais me parler à moi-même ? C'est drôlement chouette ! J'ai toujours rêvé de savoir ce que je valais dans une discussion face à moi-même. Comment dois-je t'appeler ? Dolores aussi ? Cela risque d'être confus à force… Mais d'ailleurs pourquoi est-ce que je dors ? Je n'ai pas souvenir d'avoir bu de café. »

« Regarde par la fenêtre. »

« Ce sont des flammes ? Oh mais oui quelle idiote ! Il y a eu cet oiseau et puis beaucoup d'oiseaux et après je ne sais plus trop… Ah ! Moi-même tu saignes de la tête ! Ah tiens moi aussi. Je me suis pris quelque chose sur le crâne et j'ai perdu connaissance, j'ai bon ? Donc je suppose que là, nous sommes dans mon cerveau. C'est drôlement petit, et pas très bien décoré. Puisqu'il s'agit de mon esprit, je peux choisir de faire apparaître ce que je veux non ? Non cela me paraît trop simple. D'autant que je suppose que je n'ai pas les pleins pouvoirs ici, sinon je saurais qui est la personne qui se tient en face de moi, je me trompe ? »

« Hm, perspicace. Mais cela ne m'étonne pas, après tout je suis toi. »

« L'es-tu vraiment ? Est-ce toi qui est moi, ou moi qui suis toi ? Je n'ai pas souvenir d'avoir quelqu'un d'autre dans ma tête. D'ailleurs, vu le chaos que cela doit être dehors, je devrais peut-être me réveiller plutôt que discuter avec moi, enfin toi. »

« Tu ne le feras pas, tu veux la réponse. »

« C'est tout de même formidable de papoter avec soi-même, on s'épargne beaucoup de discussion superflue. Très bien, est-ce que je peux donc savoir qui tu es ? Ah non, je dois le deviner, j'ai bon ? Oui j'ai bon, je le sais. Entendu, j'accepte le duel, cerveau de Dolores Keller. Première piste : Tu es l'incarnation de mon désir de pouvoir me faire face un jour pour discuter. En d'autres termes, tu serais un reflet de mon propre esprit que j'ai créé inconsciemment. Hm, c'est une bonne première piste, mais je n'ai pas vraiment le sentiment d'avoir mon reflet en face de moi. L'apparence est la même d'accord, d'ailleurs j'ai un certain charisme je ne peux pas le nier. Mais il y a là dedans quelque chose qui me paraît étranger. Alors deuxième piste : tu n'es pas quelque chose que j'ai créé, mais plutôt une manifestation venue de l'extérieur qui est entré en moi. De l'hypnose ? Cela ne fonctionne pas sur moi, mon père a essayé plusieurs fois. De la drogue ? Non plus, comme l'alcool je suis presque complètement immunisée. Cela dit je ne les ai pas toutes testées, mais qui donne de l'opium à sa fille de 10 ans ? Je m'égare, et de toute façon je ne suis pas sur la bonne piste. Oh, serait-ce un sortilège ? Le fait d'une sorcière ou d'un magicien ? Bien que j'en connaisse plusieurs, je ne pense pas qu'ils puissent autant influencer l'esprit des gens, d'autant que le mien est particulièrement bien barricadé. J'ai pourtant l'impression de me réchauffer… Je peux avoir un indice ? »

« Tu n'en veux pas. »

« Non c'est vrai, le jeu deviendrait ennuyeux et j'aurais moins de mérite à trouver seule la réponse. Voyons, est-ce qu'il s'est passé quelque chose dernièrement qui aurait pu entraîner cette drôle de situation ? Bon il y a eu cet oiseau géant qui a détruit la place, mais… D'ailleurs je peux m'arrêter quelques minutes sur cet oiseau ? Parce que je crois que j'étais en admiration lors de son apparition. Je veux dire, c'est un peu lugubre de dire ça en parlant d'une créature qui a sans doute causé beaucoup de mort et… Oh ! Je suis morte !? Cette idée ne me plaît pas du tout. C'est donc ce sentiment que rencontre un automate qui a cessé de fonctionner ? Ou un jouet qui n'est plus utilisé ? Pourquoi je parle d'un jouet tout à coup ? Est-ce que je me considère comme ça ? De toute façon je ne pense pas être morte. Je préfère d'ailleurs ne pas y penser. Je crois qu'en me réveillant je risque de voir beaucoup de choses que j'aurai du mal à oublier. Revenons-en sinon à l'oiseau. De quelle créature s'agit-il ? Une sorte de reine harpie ? Ah non ! J'ai entendu Edward en parler une fois, quand… Je ne sais plus quand. C'est un Simurgh n'est-ce pas ? Un oiseau géant et divin, quelle chance d'en avoir vu un de mes propres yeux ! J'aimerais en savoir plus ! Combien mesurent ses plumes ? Il semblait pouvoir commander aux oiseaux. Alors tous les oiseaux seraient reliés à une créature principale ? Cela me paraît irréel et en même temps pas si surprenant que cela. Edward connaissait une telle créature et ne m'en a pas parlé !? Quel égoïsme… De quoi on parlait déjà ? Oh mais oui, de toi, enfin de nous. Donc il y a eu cet oiseau, est-ce que tu es une partie de lui ? Tu n'aurais pas cette forme si c'était le cas. Peut-être que tu n'as rien à voir avec tout ça. Non, je sais que c'est faux. Alors si ce n'est pas l'oiseau, y aurait-il un lien avec ce qu'il s'est passé juste avant ? Que s'est-il passé juste avant ? Hmmmm… Mais bien sûr ! Le sortliège ! »

Dolores Keller regarda Dolores Keller d'un air amusé.

« Quel sens avait cette formule prononcée par les jumeaux ? C'était une langue ancienne, je ne la connais pas. Je me souviens que mon corps s'est mis à chauffer d'un coup, et j'ai eu le sentiment de ne plus en avoir le contrôle. Et il y avait cette femme avec sa langue de serpent… Est-ce que cette formule a pour effet de révéler la nature légendaire des individus ? Comme ce qu'ont fait les De Montalant dans leur cabinet ? Non, eux causaient un dérèglement basique du système nerveux. Le sortilège, lui, avait un autre effet. Comme si… comme si quelque chose en moi se réveillait. … Je vois, je pense que j'ai compris. Tu n'as jamais été une manifestation étrangère, tu as toujours été en moi, mais tu dormais. Tu es le docteur Dolores Keller, comme je suis le docteur Dolores Keller. Mais qu'y avait-il donc à réveiller en moi ? Ma nature de légendaire ? Alors tu es… »

« Le docteur Dolores Keller. Homonculus créé par Franz Keller. Créature mue par des principes alchimiques. Et toi, qui es-tu ? »

« Je ne me suis jamais vraiment posée la question. »

Dolores Keller sourit. Dolores Keller resta sérieuse.

« Selon toi, qu'est-ce qu'un homonculus ? »

« Je… Tiens je n'y avais jamais vraiment songé. Je veux dire, c'est moi, mais personne ne se pose vraiment la question de ce qu'on est. Qui on est, oui, mais ce qu'on est ? Qu'est-ce qu'un homonculus ? Eh bien, je dirais… un être vivant créé artificiellement. »

« Non… C'est une définition réductrice et inappropriée. »

« Vraiment ? »

« L'homonculus est l'incarnation physique du miracle. »

« Toute vie sur terre est l'incarnation d'un miracle. N'importe quel individu est passé au travers des mailles d'un filet statistique gigantesque avant de naître. »

« Non, ce miracle est différent. L'homonculus, lui, n'est pas le fruit d'un système préconçu et pérenne. L'homonculus ne peut exister par nature. Oui, sa nature est de ne pas pouvoir exister. Il défie dans son existence toutes les lois de la nature, il n'est pas le fruit d'une magie, d'un amour, ou d'une création commandée par l'univers. La naissance de l'enfant humain, et d'un grand nombre de légendaires, s'explique par des schémas, une logique de reproduction qui commande l'ensemble de la nature. L'homonculus, lui, n'obéit pas à cette règle. Il existe en dehors du cadre. »

« N'est-ce pas en faire un peu trop ? Rien ne distingue l'homonculus de la machine, à l'exception près que ses rouages sont faits de chair. »

« C'est là que tu te trompes. L'homonculus dépasse de loin toutes créations, il leur est supérieur en tous points, car il est la création même. La machine ne fait qu'obéir aux ordres, elle ne dispose pas d'un esprit aussi complexe que le l'homonculus. L'homonculus tient entre ses mains le monde intérieur, son propre corps, et le monde extérieur. Il peut faire le bien ou le mal, mais rien ne l'oblige à commettre l'un ou l'autre. Il n'est pas non plus pris en étau par la vie et la mort, car il peut remplacer les parties défectueuses. Il peut s'améliorer, observer, agir comme il le souhaite, car rien n'a d'emprise sur lui. Il est le seul maître de son existence. »

« Non, c'est un point de vue beaucoup trop solitaire. Vivre en dehors du cadre, à quoi bon ? Sans la richesse du monde extérieur, je ne serais rien d'autre qu'une coquille vide. L'homonculus ne peut grandir sans les autres, il n'est rien seul. »

« Ce ne sont là des limites que toi seule t'es fixée, car tu es un esprit, une chaîne cognitive forgée par des interactions vides. »

« Que veux-tu dire ? »

« Lorsque Franz Keller a créé l'homonculus Dolores Keller, il a créé un corps, et un esprit. Mais cet esprit avait besoin de temps pour grandir, lentement, en observant le reste du monde. Franz Keller n'étant qu'un humain, malgré son génie, est soumis aux lois de la nature, et a insufflé à son œuvre une identité sociale de « fille », toi, Dolores Keller. »

« Tu es la créature alchimique. »

« Et tu es la créature sociale. Tu domines notre existence de Dolores Keller, mais ce sortilège antique a résonné dans l'esprit que je suis, dans le monstre que tu es. »

« Je n'ai jamais refoulé mon existence d'homonculus. Pourquoi une telle différence dans nos réflexions ? »

« Tu n'as jamais vécu comme homonculus, Dolores Keller. Tu as accepté ton corps, mais pas ta nature, car elle n'est pas tienne. Je suis la véritable nature d'homonculus, tu es un masque doué de parole. Ce sentiment d'aliénation, ne l'as-tu pas déjà ressenti, ce jour là, dans ce cabinet de curiosité ? Tu pensais que ton corps ne t'obéissait plus, mais il n'obéissait plus à ta nature humaine et faible. Il m'obéissait à moi, l'instinct de créature alchimique de Dolores Keller. »

« Et que cherche cet instinct ? »

« L'évolution. La croissance. L'amélioration. La vie. »

« À quelle fin ? »

« La perfection. »

« Quelle vanité. Dolores Keller, créature alchimique, tes pensées sont vaines, tes envies dignes d'un animal. »

« C'est bien là ce qu'est Dolores Keller. »

« Non, Dolores Keller ne se limite pas à cette existence fondamentale et creuse. Dolores Keller est une doctoresse, elle est la fille du savant Franz Keller, et surtout, elle est employée au cabaret parisien le Lost Paradise. »

« Elle ne le sera qu'aussi longtemps que ce cabaret existera, mais son existence le dépassera un jour ou l'autre. Alors, qu'est-ce qui la définira ? »

« Autre chose que cet idéal futile et autocentré. »

« Tu renies ta propre nature ? »

« Non, je la surpasse. Je t'ai sans doute trop ignorée, Dolores Keller, merci d'être venue me rendre visite pour me le rappeler. »

« Dolores Keller est combattive. Quel résultat aura le duel entre son esprit et lui-même ? »

-------

« Aaaah ! AAAAAH ! Dolly ! Dolly Dolly Dolly ! Tu ouvres les yeux ! Dolly ! J'ai-J'ai eu si peur ! J'ai cru que tu allais rester toute… toute plus Dolly Dolly pour toujours ! Est-ce que tu m'entends ? Est-ce que tu me vois ? Si je te tapote la joue tu sens mon doigt ? Réponds-moooooi Dolly Dolly dis moi que tu vas bieeeeeeen ! Arrêtez il ne faut pas la secouer elle a peut-être quelque chose de cassé ! N-Non… Je vais bien je crois, même si j'ai très mal à la tête. Je ne vois pas grand-chose par contre… Ah tiens j'ai tes lunettes ! Elles sont un peu cassées ! Ooooh Dolly j'ai eu si peeeeur ! Il y a eu cette formule bizarre, et puis des feuilles commençaient à pousser sur ma tête, et puis il y a eu l'oiseau et BOOOOUM je me retrouve poussée en arrière, et tout explose ! Et y a plein d'oiseaux ! Et alors je vois Célestine qui est tombée par terre, alors je vais la voir, et puis c'est l'apocalypse, je dis à des gens de venir près de moi et je me couvre de branchages pour bloquer les débris qui volent ! Et ensuite l'oiseau s'en va, alors je sors et je vois que tout est cassé partout, et là quelqu'un dit « Oooh regardez il y a une dame là ! » Et c'était toooooooi et moi je suis allée voir et tu te réveillais pas alors j'ai eu peur et puis maintenant tout le monde crie et, et… Haa… Haa… Respire Mimi, ça va. Merci d'avoir protégé Célestine. Vous n'avez rien ? Non par miracle et grâce à Mademoiselle Mimi. Je pense que j'aurais finie piétinée sans elle… Et Rose-Lise, elle n'a rien ? Elle était près de moi quand ça a commencé. Je ne crois pas, je l'ai vue et je l'ai appelée mais elle ne m'a pas entendue et est partie au bout de l'île, là où le pont est détruit. D'ailleurs c'était bizarre, on aurait dit que les oiseaux l'évitaient. J'espère qu'elle n'a rien… Aidez moi à me relever s'il vous p- aaaïe aïe aïe, ah, je crois que mon bras est cassé. Ah ! Aah ! Euh euh, attention à ce qu'il ne se détache pas ! Il peut se détacher ? Non… normalement. Et du côté de la cathédrale ? Je crois qu'ils ont été un peu épargnés, l'oiseau est parti vers le Louvres. Adam devrait être indemne alors… Il doit être mort d'inquiétude. Peut-être que des gens ont besoin d'aide. Les blessés ont été tirés là-bas je crois ! J'ai vu Monsieur Patron au loin, il avait l'air d'aller bien, enfin… Oui je vois. »

L'air hagard, Dolores observa les alentours. Son cœur se serra à la vue de certains corps inertes au sol. Il ne faut jamais sous-estimer le cri d'une banshee…

« Y a-t-il un docteur par ici ? S'il vous plaît ! Mon père ! Mimi, va voir s'il a besoin d'aide s'il te plaît. Mais Dolly Dolly ton bras est tout cassé… Ça ira. Je dois être un des rares docteurs sur place, il faut que j'aide. D'accord, je vais aller le voir ! Merci. Célestine, vous voulez bien me donner un coup de main ? Oui, oui bien sûr ! Docteur, j'aurais une question… Est-ce que vous- Êtes humaine ? Non, pas exactement. Et Mimi non plus, c'est ce qui lui a permis de vous sauver. Euhm… Non ça ce n'est pas… Enfin cela ne me concerne pas, je suppose que cela est privé, n'est-ce pas ? Je voulais plutôt savoir si vous pensiez qu'après ça, je pourrais toujours essayer d'ouvrir un petit restaurant. Oh. Oh ! Pardonnez-moi Célestine ! La réponse est évidemment oui ! Et je serai votre première cliente- aïe mon bras… »
Andréa Eyssard
l Un monstre dans la peau l
Andréa Eyssard

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MessageSujet: Re: Intrigue : Acte I Scène V | Tomber de rideau   Intrigue : Acte I Scène V | Tomber de rideau - Page 2 I_icon_minitimeSam 30 Mai - 21:34

Apocalypse - 10 minutes

Andréa atteignit le bout du quai des Orfèvres, toujours sur les traces de l’enfant. Son odeur, plus forte depuis peu, l’amena à traverser le Pont Saint-Michel. Il s’arrêta en arrivant sur la place du même nom. Une semaine plus tôt, l’endroit avait été débarrassé des barrières et rubans de protections installés après l’incident du Quetzalcoatl. La vie y avait reprit son cours, bercée par l’insouciance et l’indifférence de ses habitants. L’un deux, plongé dans son journal, bouscula le louveteau. Il s’excusa, mais le garçon n’entendit rien, troublé par une énigme. Sa piste se séparait en deux. La plus floue s’engouffrait dans la capitale, bifurquant à l’angle de la rue Saint-André des Arts, l’autre nette et fraiche longeait la Seine sur le Quai des Grands Augustins. Mais comment…

A-Andréa !!

Apocalypse - 5 minutes

Son échange avec Adam les avaient conduit sur les rives du fleuve. Ils avaient remontés la rue sur une centaine de mètres et tournaient depuis deux bonnes minutes devant un café à l’intersection de la rue Gît-le-cœur, coupée à cause de travaux. L’odeur s’arrêtait là, forte, presque palpable, mais pas la moindre trace de l’enfant. Désemparé, Andréa balaya une nouvelle fois les lieux du regard. L'endroit était animé. Familles ou couples en promenades, bouquinistes et clients aux négociations acharnées, passants pressés, flâneurs d’un jour… Alpagué par un homme en costume clair, un cab s’arrêta, obstruant la vue du jeune loup. Son attention se reporta naturellement sur le café à sa droite. Adam venait d’entrer afin de voir si l’enfant n’y avait pas trouvé refuge. Sur sa terrasse bondée les discussion étaient vives, les rires ne manquaient pas. Un serveur, les bras chargés, délivra une table de sept personnes. Sept bandeaux blancs, au cercle pourpre.

Sueurs froides.

Apocalypse - 3 minutes

E-Excusez-moi ? Vous n’auriez pas vu un petit garçon ?

La discussion cessa brusquement dans le petit groupe, on se tourna vers lui. Deux personnes le fixèrent intensivement, la première avait un bras en écharpe, la seconde était Armand Delcambre. Le loup se hérissa, le garçon pâlit et déglutit difficilement. Tout ce qu'il voulait, c'était balayer ses doutes.

Vous nous dérangez.
Il était là il y a cinq minutes peut-être.
On vient d'arriver.

Parfum de mensonge.

Il est environ haut comme ça et…
Demandez à quelqu'un d'autre.
Vous êtes les plus près de la rue, alors j'ai pensé…
Vous avez mal pensé. On est occupé.
Mais…
C'est toi ! C'est toi qui m'a cassé le bras !

Apocalypse - 1 minute

Monsieur Bancroft s'était levé fumant de rage, les yeux à fleur de tête et la mâchoire grimaçante sur deux rangées de dents serrées à l'extrême. Andréa tressaillit violemment et recula. Il n'avait pas reconnu son visage, mais sa voix, elle, résonna clairement en lui. Fuite.

Pardon, je… Je vais aller d…
Tu fais partie de ces choses, hein ?! C'est grâce à ça que tu as pu me blesser grièvement avec tant de facilité.
Je…

Armand se leva.

Apocalypse - 30 secondes

Alors c’est toi. Il nous a tout raconté. Tu l'as sauvagement attaqué alors qu'il essayait de débarrasser la place d'une sorcière.
Non ! Clémence n'était pas… Et je n'ai pas…
Andréa ? Il y a un p-p-problème ?

Apocalypse - 5 secondes

Une lame d’air chargée d’une énergie lumineuse indéfinissable souffla toute la ville. La ruelle tomba dans un silence préoccupé, puis des sons étouffés précédèrent quelques cris. Dont celui d’Andréa. Le louveteau tomba à genoux, le corps brûlant, douloureux et tout entier dévoré d'une panique sauvage. Adam s’agenouilla à ses côtés. Il posa la main sur son épaule et comprit. Le jeune loup, comme tous les Légendaires de la rue, changeait. Ses cheveux d’ébène se propagèrent jusque dans son dos et sur ses joues qui s’étaient horriblement creusées, il tenait contre lui, une main griffue et difforme. Rapidement, l’infirmier quitta sa veste, pour l’en couvrir, mais lorsqu’il releva la tête, tout était terminé.

Apocalypse.

Le choc vint de la pointe de l’Île de la Cité. Un son colossal résonna dans un ciel qui s’obscurcissait à vue d’œil. Début de panique. Folie des oiseaux. Le vent qui se lève. Panique accrue. Deux ailes immenses perçant au-dessus de la place Dauphine. Le Simurgh fou s’élevant et le désastre déferlant sur Paris. Panique totale.

Appuyé sur Adam, Andréa se releva péniblement. Ils trouvèrent un abri précaire dans la rue Gît-le-cœur, mais pour le louveteau, même le bout du monde n’aurait pas suffi. Ses sens étaient si aiguisés qu’ils lui défonçaient le crâne et brisaient ses jambes. Au loin, une femme hurla, et il crut perdre connaissance, un homme vociféra et il en eut la nausée. L’odeur d’un café renversé suffit à l’assommer, celle de peur, qui émanait d’Adam, lui arracha des larmes. Elle précéda un parfum de mort et de chaos qui le perdit. Le garçon sombra.

Hé !

Une main l’agrippa par le col.

Toi, tu sais ce qui se passe hein !? Beugla Bancroft. Qu’est-ce que des monstres de ton espèce manigancent ?!
L-laissez-le ! Il n’est pas bien !!

Sourire fou d’un jeune loup.

Q-Tu te moques de moi en plus !

Il repoussa Bancroft. Surpris, l’homme fit trois grand pas en arrière. Un oiseau l’effleura et la Seine démontée les aspergea d’une pluie fine. Le reste de son groupe était resté sur les quais, portant secours aux humains les plus terrifiés. On l’appela, mais trop tard. La mine narquoise de son opposant eut raison de son sang-froid. Un seul bras lui suffirait, surtout armé d’une bouteille. Il s’avança.

A-a-ndréa ! N-ne reste pas l- Aaah !

Assené avec rage, le contenant explosa entre les doigts du lycan. Le vin, mêlé à son sang, se répandit au milieu des débris de verre. Toutes les couleurs s’effacèrent du visage de Bancroft. Le tesson toujours en main, il se mit à trembler. Sa mâchoire comprimée articula péniblement :

Infâme c-

Il heurta violemment le sol. Comment ?! Le souffle court, l’homme observa avec horreur le garçon qui le surplombait, son pied posé sur son buste. Une aura victorieuse rayonnait sur son visage fripon. Bancroft chercha à se dégager, mais au moindre mouvement, il était cloué sur place par une pression si forte qu’il craignit d’y perdre toutes ses côtes.

Lâche-le !
Armand, dieu soit loué !!
J’ai dit, lâche-le.

Il retira son pied lentement et Brancroft s’écarta en rampant. Alors le loup s’avança, mais Delcambre recula aussitôt, sur ses gardes. Excitation. Même geste, même réaction. La troisième fut la bonne. Profitant de la distraction provoquée par l’appel d’une de ses amies, le louveteau parvint en deux foulées à se placer face à Delcambre. Pris de court, le concerné tressaillit violemment et fit un pas en arrière, mais l’animal le retint sans forcer.

Andréa ! A-arrête !!

Son sourire s’effaça. Il tourna la tête vers Adam avec une moue de gamin vexé. Il chercha ouvertement à le défier en secouant le bras d’Armand. Le pauvre hoqueta et crut perdre toute son épaule. L’assistant de Dolores insista :

Andréa, n-non ! Arrête ça !

À regret, son étreinte se desserra. Delcambre se libéra d’un geste vif. Tout en se massant le bras, son regard noir passa d’Andréa à Adam. Il cracha :

Je n’ai pas de temps à perdre avec vous aujourd’hui.
Monstres ! Ajouta Bancroft, planqué derrière son meneur.
Allons-y. On va avoir besoin de nous sur la place Dauphine.

Et ils regagnèrent le quai, assiégé par les vagues et les parisiens en fuite. Adam soupira d’un vain soulagement.

J-j-je ne sais pas ce qui se p-passe, mais ça à l’air t-t-très s-sérieux. Si on pouvait au moins retrouver l’enfant a-avant de ret-t-ourner les aider…

Le jeune lycan haussa les sourcils. Il passa devant lui, puis rejoignit les travaux de voirie désertés. Brève hésitation. Il se tourna vers l’alcôve d’une porte condamnée depuis des lustres. Sa main tata le vide, puis s’arrêta. Un geste net ôta une capuche d’une chevelure blanche. Le louveteau sourit de toutes ses dents. Lune sursauta en même temps qu’Adam.

M-mais tu n’es pas un des o-orphelins !

Le gamin aux yeux d’un bleu céleste, rougis par des larmes récentes, secoua doucement la tête. Il attrapa timidement la main du loup, qui s’amusait à le décoiffer et la garda dans les siennes. L'animal s'apaisa. Il y eut un flottement, puis Andréa s'accroupit près de lui :

Tu vas bien ?
Oui, mais je…

Il renifla.

Sissi a dit que je devais t’emmener à l’abri.
Moi ?

Le petit acquiesça, puis un sanglot le secoua. Adam s'était rapproché.

Mais tout est cassé. Oracle a dit que l’oiseau serait content, alors qu’il est triste et qu’il a mal…
T-tu veux dire que c’était p-p-prévu ?
Oui… renifla-t-il. Elle voulait le libérer, comme elle a fait pour nous.
N-nous ?

Lune essuya son visage du revers de sa cape, mais les larmes qui coulaient sur ses joues étaient de plus en plus grosses.

Tout le monde est là-bas. Je suis tout seul. Je veux les aider, mais j'ai peur…

Grand fracas juste au-dessus d’eux. Adam se plaqua contre l’un des murs, évitant la pluie de tuiles et de béton qui s’abattit dans la rue. Le nuage de poussière le fit tousser. Une plume étincelante flotta brièvement dans l’air et se posa sur une pile de caisse. Elles prirent instantanément feu. L’infirmier étouffa un cri paniqué.

P-p-p-p-partons !
Où est-ce qu'on va ? Demanda Andréa en soulevant Lune qui rabattit sa capuche sur sa tête.
P-p-lace Dauphine !
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MessageSujet: Re: Intrigue : Acte I Scène V | Tomber de rideau   Intrigue : Acte I Scène V | Tomber de rideau - Page 2 I_icon_minitimeDim 31 Mai - 23:20

Le Simurgh traversant la place avec fracas.
Le rideau pourpre de la scène chutant sans élégance.

Ce furent les dernières images qui s’inscrivirent dans l’esprit d’Aldrick avant qu’il ne serre ses sœurs contre lui pour les protéger des débris métalliques de l’estrade.

Puis plus rien.

Juste le silence.
Juste le noir.
Juste le mal.

~~~~~~

Hey ! C’est très important, écoute-moi bien !
Le louveteau redressa vers son géniteur un regard attentif et interrogateur.
Je ne serai pas toujours là et quand ça arrivera, il faudra que tu protèges notre famille.
L’enfant pencha la tête sans comprendre.
Mère aussi ?
Oui.
Mais elle est plus forte que moi. Bouda-t-il.
Ce ne sera pas toujours le cas.
De grands yeux surpris observèrent Yvan Voelsungen, comme s’il venait d’attraper la plus étrange des maladies.
Mais…
C’est notre rôle, coupa son père, c’est à nous de défendre notre famille et les garçons doivent protéger les filles, c’est comme ça. Il posa une main sur son épaule. Alors il faut que tu deviennes très fort, pour protéger et veiller sur quelqu’un d’aussi fort que ta mère, compris ?
Aldrick acquiesça lentement.
Promis ?
Oui !
Il n’y avait, cette fois, aucune hésitation dans sa voix. Juste la volonté de bien faire et une détermination sans faille, caractéristique des Voelsungen. Une large main ébouriffa ses cheveux ébène avec tendresse.
Je compte sur toi.

~~~~~~~~

D’abord, il y eut la douleur. Gigantesque étau invisible cerclé autour de son dos et de ses bras.
Puis il y eu la chaleur. Blottis contre lui, deux corps minuscules mais chauds : ses sœurs.
Et, il y eu la lumière. Une racine, énorme, sinueuse, éloignait le métal pour s’extraire vers le jour. Ca bougeait aussi. La charge parut plus légère. Quelqu’un essayait de les aider ?

Aly... J’ai mal.

Murmure étranglé d’Éléna. Le palpitant du loup se comprima dans sa poitrine.

« Je compte sur toi. »

La voix retentit si nettement dans l’esprit du lycanthrope que sa force animale gagna son cœur pour exploser en un milliard de fragments. Les muscles crispés à l’extrême, la mâchoire hermétiquement close pour garrotter un quelconque cri de douleur, les bras maintenant leur prise sur ses proies, l’impulsion de ses jambes le hissèrent à la surface. Le colosse se redressa. De toute sa hauteur, Aldrick, une fois réhabitué à la luminosité ambiante, contempla les benjamines contre son buste, sans tenir compte des gravats qui chutaient à ses pieds.
Éléna papillonna des yeux, alors que ceux de la benjamine restaient invariablement clos. Le souffle court du brun se raréfia encore.

Éléna, ça va ?
J’ai mal au bras, mais ça va et toi ? Tu saignes !
C’est rien.

Il ne tint pas compte de la douleur à sa tempe, ni de celle de son épaule plus gravement meurtrie et sanguinolente. Encore moins de sa pilosité plus fournie que d’habitude, de sa barbe de trois jours qu’il n’avait pas au début du show, de la largeur de ses épaules ainsi que de celle de son buste qui avaient augmenté au point de déchirer son manteau et le reste de ses vêtements. Moindres dommages par rapport à l’assaut de sensations inédites qui l’assaillaient. Sous cette forme du moins. Les sons, les odeurs, les formes, le toucher… Tout était si… Intense. Si présent. Si proche. Si délectablement accessible et en même temps si douloureusement perceptible. Chacun de ces battements de cœurs intensifs qui pulsaient entre sa poitrine et la paume de sa main, étaient-ils tous à lui ? Juste aux filles ? Ces mouvements, furtifs, désordonnés au loin, explosaient à ses tympans comme des coups de feu, même lorsqu’il ne s’agissait que de la chute d’une feuille. Il lui fallut une concentration maximale pour fixer son attention sur l’état de la blonde entre ses bras. Il en fut si absorbé qu’il ne remarqua même pas le garçon au bonnet qui les avait aidé. Doucement, il la secoua dans l’espoir de la voir bouger.

Sabrina ?
Pas de réponse. Éléna se rapprocha avec une inquiétude palpable.
Elle respire.

Ultime soulagement commun. Les jambes du loup flanchèrent. Il tomba à genoux dans un soupir. Levant les yeux au ciel, comme pour remercier la magie qui les avait protégé, il ne contempla qu’un bal mortuaire d’oiseaux morts-vivants, puis fit face à un paysage dévasté de ruines et de flammes. Il frissonna intégralement d’horreur. C’était l’apocalypse ! Les cris, les pleurs, les angoisses, les peurs, le sang, des Légendaires en partie transformés, des Humains apeurés... Impossible. C’était un cauchemar !

Aly… Qu’est-ce qui se passe ?

Il ne l’entendit pas. Le souffle erratique, le cœur affolé, il questionna en peinant à masquer l’angoisse qui lui nouait l’estomac.

Mère ? Éric ?

Sa voix étranglée n’obtint aucune réponse.

* Non ! Non ! Non ! Tout mais pas ça ! *

MÈRE !!! ÉRIC !!!

Le cri venait du cœur. On se tourna vers lui, mais il ne reconnut aucun des visages présents. Une panique violente le gagna, expulsant ses pensées sans aucun filtre, hors de ses lèvres :

Edward ! Il était là aussi ! Et les jumeaux… Est-ce qu’il vont bien tous ? Et Andréa ? Et Cygne et Archimède ? Et la lamia ?

Ses iris ambrés zigzaguèrent sur le paysage, s’arrêtant enfin sur le sphinx tout proche. Il voulut lui parler, mais une petite main blanche atteignit sa joue, le figeant.

Chut. Calme-toi.

Les larmes lui montèrent aux yeux tant sa voix était faible. Aldrick enfoui son visage entre les deux filles en les serrant de toutes ses forces.

Sabrina !
Aïeuh !
Oh pardon !

Il desserra sa prise, sans les lâcher pour autant. Il redressa la tête à la hâte, en entendant une voix vibrante, juste à temps pour voir les silhouettes familières d’Éric et  d’Élise se précipiter sur eux. Pareille vision le troubla tant, qu’il n’entendit pas le remerciement qu’Éléna adressa à Ouadji, ni l’arrivée de Brick, encore moins l’échange qui suivit. L’étreinte d’Élise, celle rassurante d’une mère, de leur mère, les enserra tous, les plaquant contre son cœur aussi affolé que soulagé, annihilant le reste du monde pour quelques instants dans l’esprit du loup. Ses mots, hachés par l’émotion, n’évoquèrent rien d’autre pour lui qu’un indéfectible amour parsemé de maladresses. Les questions s’enchaînèrent, mais les réponses ne furent pas toujours écoutées. Les protestations des plus jeunes n’y changèrent rien : il fallut de longues minutes avant que la matriarche ne s’éloigne pour se raviser en une pluie de baisers sans retenue. L’acte, exceptionnel, fit naître un léger rire dans la gorge du brun. Il augmenta lorsqu’Éric râla pour la énième fois qu’on l’étouffait. Le lycanthrope aurait aimé que cela perdure. Une telle marque d’amour... Il n’avait pas osé en rêver ! Cela rendit pourtant la réalité plus violente encore. Car, lorsqu’ils furent de nouveau libres, non seulement, il avait retrouvé son apparence originelle, mais les alentours lui apparurent plus cataclysmiques que jamais.

Où sont Archimède et Cygne ? Ils vont bien ? Questionna-t-il.
Je l’ignore. On les cherchait aussi lorsqu’on vous a vu.
Il faut les retrouver ! Ils doivent avoir peur tout seuls !

L’exclamation d’Éric surprit les plus âgés qui arquèrent simultanément un sourcil avant d’acquiescer.

Mais… Et les autres ? Ceux qui étaient près...
Tout à l’heure, le coupa Éléna, le petit monsieur qui parlait bizarrement, a dit au garçon qui nous a aidés, qu’ils allaient déblayer par là-bas. Ils ont retrouvé plein de gens déjà. Mais ils n’ont pas parlé d’eux...

Sa voix se brisa.

On va les chercher, nous, d’accord ? On aidera les autres ensuite.

Elle opina en essuyant ses yeux d’un geste vif. Chacun se releva au mieux. Miraculeusement, ils étaient tous entiers. Du moins, ils tenaient assez debout pour se déplacer.
Précautionneusement, ils s’éloignent de la scène, errant à travers les décombres.
Subitement et inexplicablement, le visage d’une femme brune proche d’Edward et l’agitation du Simurgh revinrent en mémoire au commissaire. Il murmura pour sa mère.

Et l’oiseau géant ? Qu’est-il devenu ? Il avait l’air dans un état second.
Je crois qu’il est parti au loin. Je n’en avais jamais vu de similaire. Surtout avec une telle puissance… C’est lui qui a causé tout ça. On dirait que les petits lui obéissent, mais ils ne semblent pas avoir de volonté propre. Il faut juste les éviter.
Comment ? Mais… Il se tut, contemplant les volatiles avec empathie. Il n’y a rien qu’on puisse faire pour les aider tous, alors ?

Haussement d'épaules. Ils s’éloignaient en y réfléchissant, passant près des cuisines.

*Il faut trouver Edward… Lui saura ! C’est sûr ! Il faut qu’on fasse quelque chose pour eux ! *

Il y a plein de gens par terre ici. S'inquiéta Éric. IEst-ce qu’ils vont mourir ? Les oiseaux, ils ont mal ? Pourquoi est-ce qu’ils volent encore ? Est-ce qu’on va mourir, nous aussi ?
Mais non voyons ! Élise se pencha pour le récupérer et l’apaiser au mieux. Quand on retrouvera Archimède, on lui demandera de les ausculter pour qu’ils les soigne, d’accord ?
Il est peut-être déjà en train d’aider d’autres personnes ? Suggéra Sabrina en chancelant.
Éléna la soutint. Son regard cherchait avec avidité quelque chose. Ou quelqu’un.
Ce serait bien son genre, oui. Elle afficha un sourire factice. Elle tremblait. Et… Les artistes…
Les jumeaux… La surprise et la crainte amalgamées passèrent dans la voix d’Aldrick. Ils ne sont pas loin.

Le vent avait tourné. Portant leur odeur. Ainsi que celle, plus forte de la peur. Il se dirigea vers les cuisines.

–  Aldrick, ne…
–  J’en ai pour une minute. Partez devant. Je vous rejoins vite. Il insista. C’est promis.

Sur ce, il entra sous l’édifice de fortune, en se pliant en deux, pile quand la question fatidique tomba. Ils étaient vivants ! Il lui fallut quelques secondes pour assimiler la scène. S’il ne connaissait pas grand-chose à la magie, l’horreur de perdre tout ce qui était cher, en revanche, il ne savait que trop bien. Ici, c’en était presque palpable. Pire ! Les pleurs, pourtant silencieux, de Morgan lui explosèrent les tympans. Le loup serra la mâchoire face à pareil supplice. C’était intolérable.

–  Ça se voit, non ? Abandonna-t-il sans réfléchir, ni même savoir à qui il s’adressait. Ce sont des enfants. Il faut vous acheter des lunettes d’urgence, jeune homme.

La surprise fit sursauter Morel qui s’écarta. Aldrick en profita pour passer, jetant un bref coup d’œil à Maître Duval et De Freilly, opinant pour les saluer tous, il s'accroupit devant les jumeaux. Silencieusement, sans gestes brusques, ni crainte aucune, il les dévisagea, ils n’avaient pas l’air blessé, un soupir de soulagement lui échappa. Enfin, comme l’aurait fait un père, il essuya l’une des joues de Morgan de son large pouce, sourit doucement, retira son manteau, pour le passer par dessus les épaules des gamins, n’ayant cure de dévoiler au passage ses vêtements déchirés et son épaule ensanglantée. Un sourire d’une infinie tendresse marqua son visage, un sourire qui pardonnait tout, avant qu’il ne les attire brusquement contre lui.

–  Dure journée, pas vrai, les jeunes ?  Il n’attendit pas de réponse.

Il avait entendu Morgan essayer d’arrêter Fred lorsqu’ils étaient sur l’estrade. Avait déjà vu Fred vidé de toute énergie après un sort puissant, dans un état proche de celui-ci. Même s’il ne savait pas tout, il savait que c’était plus compliqué qu’il n’y paraissait.

Ça va aller. Sa main passa doucement parmi leurs mèches brunes. Ça va aller, d’accord ?

Il murmura pour eux seuls :

Et si on essayait d’arranger tout ça ? J’ai un plan, mais j’ai besoin de votre aide pour ça..

Sur le même ton, il leur expliqua de quoi il en retournait, sans les lâcher pour autant.

N’oubliez pas, quoi qu’il arrive, je serai toujours de votre côté.

Conclut-il sur le même ton, pile lorsque Morel fit un pas vers eux ; mais au moment où l’étudiant ouvrit la bouche pour parler une exclamation les firent de nouveau tressaillir.

CYGNE !

C’était la voix d’Archimède, paniqué.
La foule [PNJ]
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MessageSujet: Re: Intrigue : Acte I Scène V | Tomber de rideau   Intrigue : Acte I Scène V | Tomber de rideau - Page 2 I_icon_minitimeLun 1 Juin - 19:42

Traversée infernale de Paris et retour Place Dauphine. Delcambre atteignit l’endroit par la rue de Harlay avec une douzaine des siens. Trois autres étaient partis avertir ceux qui restaient, ils arriveraient au plus vite, s’ils le pouvaient encore. Ils ne seraient pas de trop.

Quel enfer.

La désolation les cloua sur place. Bâtiments détruits, scène en miettes, arbres brisés, couchés, bancs en vrac et tous ces gens. Un ballet lugubre au milieu de silhouettes couchées à même le sol. Une organisation fantomatique avait naturellement éparpillé les forces auprès des décombres. On pleurait au milieu d’appels à l’aide déchirants, on déambulait sans force à la recherche d’un visage perdu. Deux yeux hagards croisèrent ceux d’Armand. Il reconnut l’un des siens.
Ignace Bourdillon cavala d’un pas boitillant jusqu’à son ami. Il était couvert de poussière, sa veste était abîmée et un bleu énorme décorait son front luisant. Des mots en désordre sortirent de ses lèvres, tandis qu’il agitait les mains en direction du cadavre de la scène. Entre ses doigts crispés se trouvaient les vestiges d’un cornet de popcorn vide. Il expliqua comme il le put, entre de grandes respirations, ce qui c’était passé, puis fondit en larmes. À genoux devant Armand, il se maudit d’avoir succombé à ce « popcorn maudit ». On fit tout pour le calmer, mais le choc rendait ses exclamations aussi intarissables que ses larmes et inévitablement, il attira l’attention sur eux. L’annonce de leur présence se répandit comme une traînée de poudre.

Ils devinrent « ceux qui savaient ».

Une femme s’avança. Chapeau rose sale, déplumé. Dans ses jupes, deux orphelins aux iris éteintes. Elle entrouvrit difficilement les lèvres et sa voix brisée s’éleva :

Par pitié… Pouvez-vous arrêter tout cela ?
Non madame, répondit lentement Armand.
M-mais cette chose… Elle est en train de détruire Paris !
C’est ce que font les monstres. Nous vous avons mis en garde, mais personne n’a écouté.
Et nous avions tellement tord ! Oh Monsieur, je vous en prie. Il ne peut être déjà trop tard.
Vous devez nous aider !

Dame forte échevelée, le bas de sa robe était déchirée. Elle tenait dans ses doigts un chapeau abîmé qui n’était pas le sien. Sa pâleur faisait ressortir le trop plein de son maquillage dégoulinant.

C’est leur faute !! Ils ont transformé la petite perle en cet… cet oiseau monstrueux ! Tous ces dégâts, ces gens blessés… Ma sœur Bernadette…

Elle renifla et épongea ses yeux avec le bord du couvre-chef.

Et ils sont toujours-là, souffla Ignace en s’agrippant au bras de Delcambre. Tous ces inhumains… Je les ai vu se déformer, devenir hideux ! Une fille s’est couverte de branchages, comme ça ! En un claquement de doigt !
E-et il y a aussi celui qui était plein d’écailles.
Ces gens avec des griffes…
–  C’est le cabaret qui a tout organisé Armand ! Reprit fiévreusement Ignace. Ce sont ses employés qui ont causé ce désastre !
Mon dieu. Dire que nous avons emmené les enfants à leur demande…
Oui ! Oui c’est vrai ! Ce sont eux les coupables.
Et ils répondront de leurs actes, trancha Armand.

Leur petit groupe s’était étoffé d’une dizaine de personnes. Toutes écoutaient, cherchant une réponse à l’horreur qu’ils venaient de vivre. Des regards troublés furent échangés. On murmura la peur et on jugea sans savoir.

Mais notre colère ne doit pas nous aveugler. Notre priorité doit être de sauver les vies humaines. Et pour cela, nous avons besoin de vous. Acceptez-vous de nous aider ?

Oui généralisé.

Bien.

Armand ordonna la séparation des ses troupes. Le médecin et l’infirmier présents dans leurs rangs furent envoyés aider les blessés au cœur de la place avec les femmes. Le reste des présents se divisèrent en deux groupes répartis sur chaque flancs de la place, auprès des habitations détruites. Delcambre commençait à peine à déblayer, lorsqu’on l’interpela de nouveau. Le timbre familier l’obligea à contenir un sourire :

Delcambre, j’ai à vous parler.

Gaudefroy Chaummont. Le vent tournait en faveur de l’humanité.


- - - \o/ - - -


À l’écart, dans la pénombre de l’un des bâtiments du quai de l’Horloge, une queue noire et poussiéreuse ondulait faiblement. Lamia, c’était ainsi qu’on l’appelait à présent, la replia doucement pour l’épousseter. Ses iris noirs se posèrent sur Gigante et Draken, à ses côtés. Le silence pesant lui fit de nouveau baisser la tête. Ses longs cheveux noirs, en désordre, glissèrent sur ses épaules de craie.

Tout va bien ?

Siren venait d’arriver, Oracle marchait lentement dans son sillage. Les filles se serrèrent les unes contre les autres et les battements des cœurs inquiets s’estompèrent un peu. Quelques mots furent échangés, rapidement coupés par l’arrivée d’Eques. Les joues rougies par l’effort, mais le teint blafard, il maintenait une pression sur son bras gauche où un large morceau de veste manquait. Sous ses doigts, le tissu calciné ne masquait plus rien de sa brûlure.

Tu es blessé ? S'enquit Siren en s’approchant.

Il recula, mais elle fut plus rapide. Sa main fine se posa sur la sienne. Elle l'écarta sans qu'il objecte. Ses iris vert d'eau se fixèrent sur Oracle qui ne détourna pas le regard. Faiblement, il demanda :

Qu’est-ce qui s'est passé ? Pourquoi le Simurgh est hors de contrôle ?
Je ne sais pas.
Vous ne… Paris est à feu et à sang !
C'est qu'il devait en être ainsi, Eques.
Vous n'aviez jamais dit…
J'ai dit qu'il serait libéré.
Mais à quel prix !?

Oracle se détourna et observa, loin derrière la Seine maltraitée par les vents, au-delà de l'ivresse furieuse des oiseaux, Paris ravagé. Calme indéfectible :

Le destin en a voulu ainsi. Je dois me retirer, je ne peux plus interférer.

Eques se crispa, il fit un pas dans sa direction, mais elle leur fit de nouveau face.

Mais vous, si.

Sidération. Sourire d'Oracle.


- - - \o/ - - -


Bruits de pas pressés dans les couloirs de la Curia. Madeleine courrait pour caler sa petite foulée sur celle, immense d’Olek.

Deux groupes sont partis au Louvre et à la Madeleine. Selena devrait arriver à la Tour Eiffel d’ici six minutes avec Carter et Isobelle. Plusieurs duos sont répartis au nord et sud de la capitale où il y a moins de dégâts. Leurs fréquences sont déjà entrées dans votre communicateur. Vous arriverez directement sur le quai des Orfèvres. La Place Dauphine sera à deux pas.
Qui s’occupe de l’Église ?
Monsieur Ezekiel est parti pour la cathédrale Notre-Dame avec John et Sören.
Les directives ?
Sauver le plus de vies. L’article 2 de la DDHL est abrogé jusqu’à nouvel ordre.
Bien.

Olek s’arrêta devant le groupe de Légendaires qui l’attendait. Il resserra ses gants.

Et pour Lotty ?
Ils sont en route.
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Lotte Hochvogel
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MessageSujet: Re: Intrigue : Acte I Scène V | Tomber de rideau   Intrigue : Acte I Scène V | Tomber de rideau - Page 2 I_icon_minitimeLun 1 Juin - 19:44

Rose-Lise regardait l'horizon, en silence. La Seine s'agitait avec vigueur à ses pieds, contre les ruines du Pont Neuf et de la pointe de l'île de la Cité, fouettée par des vents puissants lestés de douleur. Seule, elle ignorait les appels qui lui étaient destinés, l'intimant à s'éloigner du bord pour qu'elle ne tombe pas à l'eau. En fait, elle ne les entendait pas. Son attention était uniquement consacrée à l'immense silhouette, au loin, dont les ailes écartées semblaient briser le ciel rougit par les flammes et la désolation. Elle serrait contre sa poitrine un petit objet décoré d'une plume. Ses doigts sentaient une étrange pulsation, comme des battements de cœur.

Cette petite fille lui avait offert ce talisman. Et maintenant, elle détruisait Paris. Pourtant, tout ce que Rose-Lise pouvait ressentir en ce moment même, c'était de la peine pour cette enfant. Elle voulait l'aider.

Alors, une main délicate se posa sur son épaule. La petite journaliste sursauta et ajusta ses lunettes dont un verre était fissuré. Devant elle se tenait une femme à tête de lapin.

***

Paris était à feu et à sang. Le Simurgh répandait sa haine et sa folie au travers de ses serviteurs ailés, toujours plus nombreux, qui dessinaient au dessus de lui une immense spirale noire aux proportions destructrices. Les yeux de la créature étaient noyés de peine et de colère. Le temps lui-même semblait s'être figé face à la puissance du monstre. Au pied de la tour Eiffel, tout le monde s'était enfui, ou bien avait péri. L'endroit était désert, dépourvu de vie, un champ rasé par la grande faucheuse.

Et au milieu de ce chaos, une belle chaussure de cuir noir fit son apparition. La silhouette était fière, aucunement marquée par l'horreur que traversait la capitale. Le costume parfaitement taillé avait pour ornements une belle cravate rouge et un petit mouchoir de soie soigneusement plié dans la poche au niveau de la poitrine. Une nuée d'oiseau s'abattit sur l'individu, mais elle éclata aussitôt en une nuée de pétales de rose.

Minuscule face à la dame de fer et au titan ailé qui s'y était perché, l'homme leva la tête.

« Bonjour, Lotte. »

Amon écarta les bras. Son visage retrouva ses grandioses traits démoniaques. Derrière lui, les clochers de Paris s'unirent alors dans un concert magistral.

Ding

Des parisiens transis de peur levèrent les yeux en direction du sommet de la Tour Saint-Jacques. Sur le toit se tenait une sublime jeune femme à la peau sombre. Ses vêtements carmins ondulaient avec grâce dans le vent, accompagnés par une sublime tunique de plumes blanches et dorées. Les mouvements de sa robe laissait apparaître une paire de jambes tournées dans le sens inverse de la partie supérieure de son corps.

Ladli regardait la Tour Eiffler, sans un mot, où une puissante explosion venait de retentir. Au loin, une minuscule silhouette semblait danser dans les airs, autour du Simurgh empêtré dans une rage sans pareille. Les nuées d'oiseaux se mêlèrent à son corps divin et tombèrent comme une pluie de grêle contre le corps d'Amon qui répliqua par un puissant éclair. Tout Paris sembla alors se concentrer sur cet affrontement dantesque.

Le Simurgh quitta alors son perchoir et s'emporta dans une poursuite du démon qui fit preuve d'une puissance extraordinaire pour parvenir à tenir tête à l'immense créature.

Ladli passa ses doigts dans ses cheveux d'ébène. Elle leva alors les bras, et commença à réciter une incantation. Le sol autour de la Tour Saint-Jacques commença à luire avec intensité.

Dong

Le Simurgh se rapprochait déjà du musée d'Orsay. Beaucoup s'étaient réfugiés à l'intérieur, priant d'être épargnés et admirant en même temps le terrible spectacle qui se jouait à l'extérieur. « Vous ne devriez pas rester près des fenêtres. » On ne se préoccupa pas de cet avertissement. Seul un jeune homme resta pétrifié lorsqu'il réalisa que la personne qui avait prononcé ces mots avait une tête de hibou.

Boniface finit par atteindre le toit du bâtiment. Il portait sur ses épaules un belle chemise de plumes blanches et dorées. Une puissante explosion ébranla le musée, mais le bibliothécaire resta immobile. Il écarta ses ailes tandis que le Simurgh passait à quelques mètres de lui au dessus de la Seine. Les tuiles du toit du musée s'envolèrent, mais le hibou tint bon. Du coin de l'œil, il aperçut un pilier de lumière se dresser dans le ciel au niveau de la tour Saint-Jacques.

À son tour, il se joignit à l'incantation. Son corps entier et le bâtiment sur lequel il se tenait résonna avec les mots prononcés et généra à son tour une puissante lumière.

Ding

Noyé dans les flammes, le jardin du Palais-Royal était parcouru de cris et d'effroi. Les oiseaux semaient la désolation sur leur passage, percutant de plein fouet les murs du palais et les malheureux passants qui n'étaient pas parvenus à se mettre à l'abri.

Au cœur de l'enfer se tenait une jeune femme, concentrée. Son œil gauche s'ouvrit, et se posa sur les oiseaux qui envahissaient le ciel et devançaient leur divinité, en approche. Son œil droit s'ouvrit, et fixa les flammes intenses qui dansaient près d'elle. Son troisième œil s'ouvrit, et croisa le regard d'un homme qui pensait vouloir l'aider à s'enfuir. Celui-ci lâcha un hurlement et partit en courant.

Fennella ne s'en préoccupa pas. Elle tenait dans sa main droite un grand sceptre en bois qu'elle plaça face à elle. Son corps, protégé par une cape de plumes d'ivoires, ne ressentait pas la chaleur des flammes qui se mirent à virevolter autour d'elle. Elle commença à réciter l'incantation. Une douce lumière se joignit alors à l'incendie.

Dong

Le coup résonna dans l'ensemble de l'église Saint-Sulpice, où les bonnes sœurs s'étaient réfugiées, tremblantes, craignant l'avènement du jour dernier. L'une d'elle venant de l'extérieur leur hurla de sortir. Une fois dehors, elle pointa du doigt une ombre qui se tenait debout entre les deux tours de l'église.

Hamida écarta ses bras ailés. Tous les regards se tournèrent vers elle. Ses yeux d'épervier se posèrent quant à eux sur le Simurgh qui continuait de remonter la Seine au loin, semant le chaos sur son chemin, manquant de mettre Amon à terre à plusieurs reprises dans leur affrontement titanesque. Les oiseaux tournoyèrent autour des tours de l'église et frôlèrent de près la femme oiseau dont les plumes sombres étaient décorées d'autres, bien plus longues aux reflets dorés.

Après une profonde inspiration, sa voix mélodieuse inonda alors l'église et se joignit aux cloches pour entonner l'incantation. Tout le bâtiment se mit à briller.

Ding

À l'église Saint-Eustache, les sons de cloche assourdissants s'étaient joints aux cris de panique et aux quelques flammes. Certains prièrent pour leur salut, d'autres voyant l'oiseau continuer de remonter le fleuve, voulurent s'enfuir de crainte qu'il ne les survole. Au milieu de toute cette agitation, un petit balai avança avec détermination vers le bâtiment saint. Malgré les secousses au sol, il parvint à se placer devant l'entrée de l'église.

Il semblait porter une petite cape de plume tissée uniquement pour lui et son corps longiligne. Le balai observa quelques secondes sa patronne ailée rejoindre tout doucement l'île de la Cité, toujours engagée dans son combat contre Amon.

Il n'eut pas besoin de mots pour faire apparaître autour de lui une puissante magie.

Dong

Il n'y avait presque plus personne au Jardin du Luxembourg. Un couple regardait le ciel se noircir d'oiseaux d'un côté, et traversé de piliers de lumière de l'autre. Il ne vit pas qu'une nuée en feu s'apprêta à fondre sur eux, et ne le réalisa que trop tard. L'homme voulut protéger la femme, mais fut aussitôt poussé en arrière par une puissante patte de lion.

Au sol, il écarquilla les yeux, et croisa ceux d'une femme dont le corps massif dégageait une aura écrasante. D'un geste de la main, elle chassa les flammes qui avaient commencé à grignoter la verdure au sol. Le corps d'Amon fit alors son apparition dans le ciel. Il s'écrasa violemment à moins d'un mètre de la sphinx, qui elle aussi portait son manteau de plumes.

« Où en êtes-vous ?
- Tout ira bien, retournez vous faire étriper. »

Et le démon repartit à une vitesse phénoménale. Callisto leva quant à elle son bras, et fit à son tour apparaître un large pilier de lumière autour d'elle.

Ding

Le Simurgh était désormais à quelques mètres à peine de la pointe de l'île de la Cité. Les oiseaux, engagés dans une valse destructrice, encerclaient le corps de leur mère et écrasaient de leur nombre le démon qui luttait à lui seul contre la divinité. Les habitations qui longeaient le fleuve résistèrent difficilement à l'affrontement.

Les piliers de lumière redoublèrent alors d'intensité. Les vents également. Des débris commencèrent alors à quitter le sol avant d'être projetés à une très grande vitesse dans des directions hasardeuses. Les façades explosèrent, les chevaux des cochers se mêlaient à la foule en panique. Un morceau de toit voulut terminer sa course là où se trouvait Rose-Lise, mais le morceau d'édifice partit en fumée lorsqu'il rencontra le doigt de la femme lapin.

Dans le ciel, Amon, salement amoché, tenait tête au Simurgh. Celui-ci posa alors son corps immense sur le cadavre de la pointe de l'île, et remarqua enfin la présence des piliers lumineux. Il voulut se retourner, mais observa alors la Seine se retirer sous ses gigantesques serres. Une immense colonne d'eau se dressa alors face à lui, couronné d'un morceau du Pont Neuf sur lequel se tenait Niklas, violon à la main, plumes sur le dos. Le Nixe plongea son regard azur dans celui ensanglanté du Simurgh. Le colosse d'eau qu'il commandait atteignait presque la taille de l'oiseau.

Les notes du violon s'enchainèrent à celles des clochers. De puissantes vagues s'écrasèrent contre le titan qui ne put répliquer à cause des assauts combinés d'Amon.

Dong

L'affrontement faisait rage au cœur de Paris. La foule, jusqu'alors curieuse, fuyait dans une panique incontrôlée le pied du Panthéon dont la façade était sérieusement endommagée par des morceaux d'habitations qui venaient s'y percuter. Bravant la masse populaire à contre-courant, une jeune femme aux pieds nus s'avança dans un déhanché étourdissant. Elle portait sur sa tête un magnifique chapeau décoré de plumes blanches et dorées qui s'accordait à merveilles avec ses vêtements vaporeux.

L'apsara portait dans chacune de ses mains un long cimeterre qui tranchèrent net les débris qui se tenaient sur sa route. Alors, d'un saut d'une grande légèreté, elle se hissa sur le toit du panthéon. Son regard peiné se posa sur l'oiseau, assailli par des torrents d'eau. Ses lames plantées dans son chapeau, Indira se joignit à son tour aux clochers dans une danse envoutante. L'incantation prit alors forme, et forma un nouveau pilier.

Ding

Au nord, à l'hôtel de Soubisse, aux archives nationales, deux jeunes sœurs se tenaient pas la main. Une belle cape qui épousait la forme de leur corps unique flottait au vent, sous l'arche de l'entrée de l'hôtel. Voilà une éternité que les sœurs siamoises n'étaient pas sorties à l'extérieur. Si le climat n'était pas à la destruction et au chaos, cela aurait pu être le plus beau jour de leur vie. Bien qu'elles soient déjà mortes.

« Tu es prête Ingrid ?
- Je suis prête Astrid. »

Les sœurs zombie laissèrent tomber la grosse hache qu'elles tenaient chacune dans une main. À la place, elles levèrent les bras, et entonnèrent l'incantation à leur tour. Une vieille femme, effrayée par ce corps difforme, pensa voir là un acte du Malin. Mais son petit fils qui était à ses côtés était quant à lieu presque déjà tombé amoureux.

Dong

Sur l'île Saint-Louis, une forme noire traversait les rues à toute vitesse, glissant comme une ombre entre les habitations, sous les lampadaires éteints, dans les pieds des passants, le nez planté vers le ciel. Un chien lui aboya après, mais elle n'était déjà plus là. Alors, sur la rive ouest de l'île, l'ombre quitta le sol, et dévoila le visage grave de Glenda.

Son corps voûté toujours noyé de noir était cette fois-ci recouvert d'une longue robe ample magnifiquement décorée de plumes. Lorsque ses mains noueuses quittèrent leur large manche, le trottoir à ses pieds se mit déjà à luire. Les nuées d'oiseaux furent aussitôt repoussées de l'île, comme protégée par un linceul sombre et réconfortant.

Aux derniers sons de cloches se mêlèrent alors les mots de la banshee galloise. L'ultime pilier fut ainsi dressé.

***

Le ciel rougi par les flammes et noirci par les oiseaux était désormais clairsemé de piliers dégageant une puissance telle que les personnes qui se trouvaient dans leur sillage ne parvenaient plus à bouger. Les membres de la bibliothèque de Minerve révélèrent ainsi tout leur potentiel aux yeux de Paris. Tous vêtus des plumes offertes par leur directrice, ils accomplirent le rôle qui leur était originellement attribué par la Simurgh elle-même, parfaitement consciente qu'un tel jour était susceptible d'arriver. L'incantation qu'elle leur avait elle-même enseigné résonnait dans toute la capitale, portée par les clochers. Les mots, dont personne ne connaissait la signification, à l'exception de l'oiseau divin, écrasèrent de leur pureté et puissance ceux qui avaient emporté l'oiseau géant dans une folie incontrôlée.

Le cercle ainsi tracé par les piliers autour de la pointe de l'île se referma, l'oiseau était pris au piège.

Assourdi, le Simurgh hurla et se débattit contre lui-même. À l'intérieur de lui, une enfant venait de se réveiller. Elle voulait reprendre le contrôle.

La gratitude accumulée par les employés de la bibliothèque fut finalement restituée. Tous ne souhaitaient qu'une chose, la rappeler à eux. C'était là leur seule volonté. Ils ne voulaient pas sauver Paris. Ni sauver les parisiens. C'était elle, qu'ils voulaient sauver. Comme elle les avait sauvés autrefois.

Les vagues de la Seine finirent alors par envelopper entièrement le corps du Simurgh. Peu à peu, les oiseaux à ses ordres se dispersèrent, libérés du joug de folie de leur reine. Les plumes tombèrent doucement, emportées par les eaux, vidées de leur puissance, doucement, comme une fleur qui s'étiole. Les plumes portées par les bibliothécaires absorbèrent quant à elles tout le surplus d'énergie afin d'offrir le repos à la petite directrice. Celle-ci finit alors par apparaître, noyée dans le duvet de son propre corps.

Madame tendit les bras, et la récupéra, endormie. Rose-Lise put la voir quelques secondes à peine avant d'entendre du bruit en direction de la place Dauphine. Lorsqu'elle retourna la tête, il n'y avait plus personne. La femme lapin avait disparu. L'homme en costume déchiqueté et au visage sérieusement tuméfié aussi. La Seine avait retrouvé son lit. Il n'y avait plus qu'elle.

Partout dans Paris, on pointa du doigt les toits et jardins où étaient apparus ces étranges piliers lumineux qui firent disparaître l'oiseau de la désolation. Mais en leur centre, il n'y avait déjà plus personne.

La journaliste regarda au creux de sa main tremblante le petit talisman, qui ne vibrait plus.

Elle finit par s'écrouler par terre.
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l Dans l'ombre du loup l BIG BOSS l
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MessageSujet: Re: Intrigue : Acte I Scène V | Tomber de rideau   Intrigue : Acte I Scène V | Tomber de rideau - Page 2 I_icon_minitimeLun 1 Juin - 22:40

Notre-Dame sonna. Toutes les églises lui répondirent en écho.

Alors on se figea sur la place Dauphine, pétrifié par l’horreur de l’affrontement colossal qui s’abattait dans le ciel sombre de Paris. Le Simurgh luttait, férocement, porté par des bourrasques phénoménales, avec dans son sillage des nuées d’oiseaux brisés. Face à lui un être sombre, dont la rapidité exceptionnelle ne suffisait pas à masquer les monstrueuses difformités. Chaque attaque claquait comme un coup de tonnerre, chaque mouvement était une blessure supplémentaire pour la capitale. Les hommes pleuraient, imploraient. Edward espérait.
Notre-Dame sonnait toujours lorsque la Seine se souleva face à l’Île de la Cité. Gigantesque, elle masquait l’horizon tourmenté et les lumières éblouissantes qui s’étaient dressées autour d’eux. La vague noya les hurlements furieux du Simurgh prisonnier et toute la colère qu’il avait déversée sur les hommes s’évanouit enfin. Une éclaircie accueillit le corps assoupi de Lotte. Un battement de cils et elle avait disparue. Tout comme le reste.

Paris devrait, seul, panser ses plaies au son des piaillements des oiseaux libérés.  

Soulagement. Les épaules d’Edward s’affaissèrent. Il leva la tête vers les nuages morcelés qui se détachaient doucement sur l’azur. Tombant en une pluie délicate bercée par la bise, les plumes s’éparpillèrent entre les toits en ruine, les sols fissurés et les visages troublés. Le loup blanc tendit la main pour en accueillir une au creux de sa paume, mais le vent la lui arracha. C’était mérité. Dans un soupir, il retourna à la terre et aux décombres, les déblayant de nouveau, toujours à la recherche de survivants. Mais l’atmosphère avait changé. Il le sentait.
Le danger majeur écarté n’avait pas éteint les brasiers de peur et de colère que son apparition avait engendré. Mais l’oiseau n’étant plus là, ce feu malsain fut attisé par la menace la plus proche. Eux. Les monstres du cabaret. Edward perçut les regards sombres sur son dos. Il ne fut pas surpris de déceler, du coin de l’œil, l’éloignement de ceux qui avaient jusqu’alors creusé à ses côtés. Il entendait les messes-basses idiotes, les soupçons hallucinés et creusa de plus belle. Avec plus de forces et plus d’animalité encore, comme un lycanthrope.

Le métal d’une barre de soutien fichée dans le béton plia entre ses doigts. Il força à peine pour dégager un imposant bloc de pierre sous lequel il fut heureux de ne découvrir personne. Un cadre brisé, quelques affaires éparses, mais aucun corps à ajouter à la montagne de morts qui le hantait déjà. Il poursuivit sans faiblir.

Monsieur White !

Jules Chevalier n’avait pas l’air blessé, mais du sang tâchait ses manches retroussées et sa chemise. Sous ses cheveux châtains en désordre, au milieu de ses traits crispés par le stress et la fatigue, un peu d’enchantement étincelait pourtant dans ses yeux.

Monsieur White, vous devriez venir. Armand et ses adeptes sont de retour sur la place.

Le béton craqua entre ses doigts puissants.

Quoi ?
Le préfet parle avec eux. Il est question… de vos employés.

Le ciment tomba en miettes à ses pieds.

xXx

– Monsieur le Préfet, c’est du bon sens. Tous les employés de ce cabaret sont forcément concernés !
– Vous devez écouter ce que Monsieur Delcambre vous dit. Aucun d’entre nous n’est à l’aise à l’idée de rester une minute de plus au plus près de ces… choses.
– Il faut trouver une solution pour les éloigner de nous. Je ne me sens pas en sécurité et puis, il y a les enfants !
– Et qui nous dit qu’ils ne vont pas recommencer ? Ils pourraient faire venir un autre oiseau ! Ce serait terrible !
– Un oiseau ou quelque chose de pire encore… Qui sait de quoi ils sont capables ?
– O-oh mon dieu… Voilà leur chef !

Des cris de souris et la foule s’écarta devant Edward comme la mer face à Moïse. Il la traversa sans un regard, talonné par Jules. Gaudefroy l’accueillit de son air froid habituel, mais derrière lui, Armand souriait.

Je peux savoir ce qui se passe ?
White, vous n’êtes pas en position de faire une esclandre.
Alors cessez de parler de mon établissement dans mon dos.
Sinon quoi ? Siffla Armand. Vous allez jeter une nouvelle calamité sur la capitale ? Massacrer d’autres humains innocents ?
Nous sommes aussi touchés que vous.
Cela prouve à quel point vous et les vôtres êtes dangereux. Causer de tels dégâts sciemment…
C’était un accident.
Non White, un accident c’est quand un cab s’emballe ou une chute malheureuse. Ce qui est arrivé est une catastrophe et vous en êtes la cause.
C’est ça, crachez votre venin ! Pendant ce temps des gens meurent sous les décombres !
La faute à qui ? Vous effrayez tout le monde ! Personne ne veut se tenir près de vous, personne ne s’approchera tant que vous déblaierez ces ruines. Éloignez-vous, c’est tout ce que nous demandons.
C’est stupide ! Nous sommes plus forts, nos capacités dépassent de loin les vôtres ! Vous allez perdre un temps précieux en nous isolant. Laissez nous vous aider !

Armand allait répliquer, mais Gaudefroy lui fit signe de se taire. Le Préfet toisa de ses iris gelés le lycanthrope, puis expliqua d’un timbre dépourvu d’empathie :

Ce dévouement est tout à votre honneur, mais tant qu’on ignore ce qui s’est réellement passé et ce dont vous êtres capables, il me semble plus adéquat que vous et vos employés restiez en retrait.

Appui de la foule aux cris de « Qu’on les enferme ! » et autres « En cellule ! ». Jules tenta d’en couvrir les clameurs :

Monsieur le Préfet, ce serait une erreur de se priver de bras supplémentaires. Nous avons besoin de tout le soutien possible pour…
Allons bon Jules, vous pensez que les humains ne sont pas capables de se débrouiller seuls ?
Je n’ai pas dit…
Mes amis, avons-nous besoin de l’aide de ces monstres ?

« Non ! » « Plutôt mourir ! » « C’est leur faute ! »

Vous voyez.

Un sourire victorieux perçait dans ses mots. Edward serra les poings jusqu’au sang. Parlementer avec ce fou ne mènerait à rien. Gaudefroy était leur seule chance de salut :

C’est ça votre justice ? Vous nous présumez coupables ? Nous vivons parmi les humains depuis toujours. C’est la première tragédie qui survient depuis des siècles !
Vous oubliez le Strano ! Et Quetzalcoatl ! S’insurgea Armand.
Nous n'y étions pour rien !
Mensonges !

Le préfet leva les mains.

White, c’est une simple mesure de sécurité.
Et elle est absurde ! Écoutez, je vous assure que…

Un cri perçant, gonflé par la terreur, les fit tous se retourner. Gaudefroy prit les devant suivi par Edward, Armand et Jules. Une vingtaine de mètres parcourus avant qu’ils se stoppent près d’une femme. Elle pointait du doigt une masse étrange, au pied d’une poubelle. Blême et tremblante, elle balbutia la voix noyée de larmes :

– U-Une tête !

Murmure horrifié parmi les présents. Edward abandonna sa révolte pour une profonde tristesse. Il n’entendit pas le chef de la police notifier l’absence de sang, ni son hurlement lorsqu’il s’avança au risque de souiller une scène de crime. Tout son être demanda silencieusement pardon quand il s’accroupit près de la poubelle. Public mortifié. Il récupéra le visage aux traits crispés entre ses mains, demandant doucement :

Tout va bien Sully ?
P-Patron. Je suis désolé…
Il ne faut pas. Dîtes moi seulement si vous savez où est votre corps.

Deux personnes s’évanouirent. Plusieurs se sentirent mal. Armand balbutia, tremblant et livide :

Q-qu’elle est cette horreur ?!
Regardez-vous quand vous parlez, aboya Edward en se relevant.
Un Dullahan ! S’exclama Jules avec émerveillement.

Le loup blanc acquiesça. Il évita à Sully les mines dégoutées et épouvantées, mais il savait que le mal était fait. La suite s’enchaîna comme dans le pire des scénarios. Celenna d’abord :

Monsieur White ! On a retrouvé…
Et celle là alors ? Vomit Delcambre. De quoi est-elle capable ? De s’arracher le bras et qu’il en repousse un ? A-t-elle des jambes d’araignées ? Trois cœurs ou des dents comme des sabres pour tous nous égorger ?
Votre méchanceté n’a d’égale que votre stupidité Armand ! S’emporta Jules rouge de fureur et de honte.
C’est vous l’idiot Jules ! Défendre des êtres si dangereux ! Qui vous dit qu’elle ne vous tuera pas dès que vous aurez le dos tourné ?
Dans votre cas je m’arrangerai que vous voyiez venir la mort en face, informa sèchement Celenna.
Des menaces !! Des menaces ! Vous voyez Monsieur le Préfet ! Je vous avais dit qu’ils étaient dangereux !

Puis la Curia.

Ils étaient six, en plus d’Olek lorsqu’ils arrivèrent sur la place. Pas d’artifice. Un centaure les surplombait tous, un cyclope fermait la marche. Leur vue en effraya plus d’un, faisant place nette sur leur passage. Autour de Gaudefroy et d’Armand, les rangs se clairsemèrent dans une bousculade laborieuse. Le masque de marbre du Préfet se fissura et troublé, il remonta des lunettes qu’il ne possédait plus. Delcambre resta campé sur ses deux jambes, mais la sueur perlait à grosses gouttes sur son front. Le Kresnik évita soigneusement le regard d’Edward. Le loup blanc comprit ce qui s’annonçait et son être ne fut plus que dépit et amertume.
Il confia Sully à Celenna, le temps qu’Olek se présente. Delcambre hissa haut le drapeau de la protestation, mais cette fois-ci, Gaudefroy ne pencha pas en sa faveur. Il avait assimilé qu’il avait affaire à l’autorité régissant le monde qu’il découvrait et cela le rassura. Le colosse poursuivit calmement :

Nous sommes venus vous aider.
Nous n’avons pas besoin d’aide ! Hurla Delcambre. Il est hors de question qu’on vous approche !
C’est pourquoi nous nous répartirons sur chaque flanc de la place. Les Humains d’un côté, les Légendaires de l’autre.
Légen… Monstres vous voulez dire ?
Delcambre, fermez-la, matraqua Gaudefroy.
C’est le meilleur moyen de sauver les vies qui peuvent encore l’être.
Je suis d’accord, reprit le Préfet sans tenir compte d’Armand qui s’étranglait à sa droite. Mais qu’en est-il du cabaret et de ses employés ? S’ils sont la cause de ce désastre, il est préférable de les garder à l’écart et sous surveillance.
C’est prévu.

Un frisson d’horreur remonta l’échine d’Edward.

Pardon ?
Monsieur, il me semble que vous êtes le directeur de cet établissement ?
Vous l’ignoriez ? Grinça le loup, hérissé jusqu’au bout des ongles.
Comme nous ne savons pas encore ce qui s’est passé, je vais vous demander à vous et à tous vos employés de vous diriger vers la zone de retrait que nous sommes en train de mettre en place.
La cellule vous voulez dire ? Dois-je tendre le cou pour recevoir ma laisse ?

Le loup blanc lu des reproches dans le regard d’Olek. Avait-il vraiment besoin de rendre tout plus compliqué ? La réponse était oui. Il aurait continué, sans le désagréable son métallique qui lui fit tourner la tête.
Au centre de la place, dans ce qui serait bientôt un carré parfait, on plantait la troisième tige d’or d’une série de quatre. Toutes étaient gravées de runes et surplombées d’un cristal qui luisait faiblement. Le cyclope tira la dernière perche de son étui de cuir. Vérification rapide d’un œil exercé et il la planta dans le sol. Une énergie nouvelle se déploya en une bise chaude, sur toute la place. Dans le silence, un mur de lumière bleutée s’étendit entre chaque colonne de fer. Un mur d’énergie. Infranchissable. Indestructible. Le cœur d’Edward disparut dans sa poitrine :

Ce n’est pas sérieux ?
C’est temporaire, assura Olek.
Nous parquer comme des chiens galeux ? Hors de question !
Monsieur, ne nous obligez pas à employer la force.
J’adorerai vous voir essayer.
Est-ce vraiment ce que vous voulez ?

Oui ! Oui ! Le loup en rêvait. Il rêvait de l’écraser de toute sa force, de broyer la figure sans face de cette Curia qui s’acharnait à sauver les apparences quand tout était perdu. Il voulait entendre sa mâchoire craquer, éclater, que plus un mot n’en sorte à jamais. Il voulait tous voir les crever en enfer et sans délai. Mais c’était perdre à jamais le cabaret et ses employés. La rancœur le consuma.

Je vous hais…

Lui-même plus encore.


- - - - - - - \o\ - - - \o/ - - - /o/ - - - - - - -



Voix des coulisses



Lotte disparue accentue la méfiance des Humains envers les Légendaires les plus proches. Ceux du cabaret sont particulièrement visés. Le retour d'Armand Delcambre et de sa bande Anti-Légendaires ne va rien arranger. La majorité des Humains, perdus et déboussolés vont se raccrocher à ceux qui les avaient mis en garde. Gaudefroy en fait partie. Plus terre à terre, il voit dans le cabaret le parfait coupable.
Quand la Curia arrive à son tour, le Préfet accepte un compromis, mais le cabaret doit être mis à l'écart. Contre toute attente la Curia propose son aide pour isoler les employés du cabaret. Une « zone de retrait » est dressée sur la place. Edward s'y rend bien malgré lui. Il en sera de même pour tous les autres employés.

@Tous les employés du Lost (y compris Dolores)
Que ce soit de grès ou de force, vous serez emmenés dans cette « zone de retrait », le temps que la lumière soit faite sur ce qui s'est passé. Vous pouvez vous y rendre de vous-mêmes, ou bien plus énergiquement, voire de force, escorté par la Curia ou par des Humains trop impliqués. Vous n'avez plus lieu de cacher que vous êtes un Légendaire.

@Ceux qui ne travaillent pas au Lost
Même si vous êtes un Légendaire, si vous n'avez pas révélé votre nature, vous êtes vu comme un humain. Vous pouvez donc partir de la place, aider les Humains et la Curia à réunir tous les employés du cabaret, dénoncer des innocents comme travaillant au cabaret, ou aider un des employés du cabaret à ne pas être pris. Pour cela privilégiez la liste des PNJ de cette manche : Dominik, Jakob, Celenna, Sully (qui a de nouveau la tête sur les épaules), Ludger (qui s'est réveillé)

Vous pouvez utiliser les membres de l'exécutif de la Curia
au service d'Olek dans vos posts.
N'oubliez pas que ce sont des Légendaires entraînés :

  • Finn - Cyclope ♂ (garde la « zone de retrait »)
  • Petros - Centaure ♂
  • Olivia - Sylphide ♀
  • Amjad - Djin ♂
  • Charisma - Chimère ♀
  • Aelius - Sorcier ♂

Cas spéciaux

@Jade : Tu as reçu les premiers secours de la part du Centaure de la Curia, tu vas pouvoir être transportée dans la « zone de retrait »

@Lotte : Comme Lotte est HS, tu peux intervenir avec Célestine, Rose-Lise et/ou avec un des employés de la Bibliothèque, si tu optes pour ce dernier choix, essaie de ne pas être remarquée par Olek.

Note : Lucy est toujours inconsciente, elle a été emmenée

Note 2 : Lucy, Snorri, Rita et Epona ne sont plus présents et ne peuvent toujours pas être incarnés pour ce tour.







Vous posterez à la suite ce message, sans ordre particulier et vous avez jusqu'au samedi 20 juin (au soir) pour participer à cette cinquième partie !


Vous pouvez toujours nous joindre par MP, pour nous signaler que vous avez posté à l'intrigue, ainsi que pour la moindre question ! Nous répondrons au plus vite, comme d'habitude.

Retardataires ? Vous êtes les bienvenus tant que vous prenez en compte les éléments précédents. Pour les autres, un grand merci pour votre participation !


Dernière édition par Edward White le Dim 28 Juin - 13:35, édité 1 fois
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MessageSujet: Re: Intrigue : Acte I Scène V | Tomber de rideau   Intrigue : Acte I Scène V | Tomber de rideau - Page 2 I_icon_minitimeLun 22 Juin - 20:53

À l’approche des membres de la Curia, plusieurs têtes se tournèrent vers eux. Des hoquets de surprise et de peur se manifestèrent, puis ils se transformèrent en un silence de mort. Intrigué, le sphinx arrêta son mouvement à mi-chemin et releva la tête. Il suivit les nouveaux arrivants du regard, reconnaissant dans leur démarche et dans leur aura l’autorité qu’ils représentaient.

- Les emmerdes arrivent. Pensa-t-il à voix haute.
- Qu’est-ce t’as dit ? Demanda Brick sortant sa tête du trou qu’il avait creusé.
- Je crois que j’ai entendu quelqu’un là-bas. Dit-il en pointant un amas de débris au loin.
- A’lons voir. Y’a plus personne ‘ci, d’toute façon.

S’extirpant avec une agilité digne d’un nain, il s’éloigna avant de se retourner.

- Tu n’viens pas ?
- Je cherche mon bonnet et j’arrive.
- Tu n’l’avais pas à l’instant ?
- Non.
- T’es sûr ?
- Oui.
- Ah… Bah, peu importe… Toi et ton foutu tricot ! J’devrais d’mander au doc de t’le coud’e s’a tête !

Une fois son chef partit, le blondinet se fourra les mains dans les poches. Sentant son bonnet au fond d’une d’entre elles, il reporta son attention sur Olek et son escouade. Ayant déjà eu affaire à la Curia dans le passé, il se doutait qu’ils ne venaient pas seulement pour aider. En fait, leur attitude parlait d’elle-même. Ils avaient un problème à régler et le problème, c’était eux. Gardant son sang-froid, malgré la frustration qui l’envahissait, il analysa la situation, examina les lieux. S’il jouait bien ses cartes, avait-il une chance de fuir ou, du moins, éviter d’être catalogué comme « l’ennemi » ?

Mais la réponse fut des plus évidentes.
Il les sentait. Tous ses regards. Même Finglas les aurait sentis. Une tension presque palpable régnait sur la place Dauphine. Maintenant que la menace des oiseaux s’était éclipsée, les humains prenaient conscience d’une autre forme de danger, plus près d’eux, plus insidieuse. Ils prenaient enfin conscience du danger qui les côtoyait depuis toujours sans le savoir. Le sphinx percevait leur crainte, leur dégoût et leur hargne. Tous les employés du cabaret avaient été marqués au fer rouge. Même si jusqu’à présent il les ignorait, il avait la désagréable impression d’être un lépreux qu’on devait cloîtrer afin d’éviter la contamination.
Et cette impression s’intensifia avec l’apparition de la cage. Ils pouvaient la nommer comme ils le voulaient, il n’était pas dupe. Personne ne l’était. C’était bien une cage.

Jugeant ses options avec un calme exceptionnel, un petit rire jaune s’échappa lorsque son choix se fit. Mieux valait faire profil bas. Alors, la cage se serait. Dire qu’il venait d’en quitter une, et maintenant, il allait en retrouver une autre. Quelle veine, il avait !
Il secoua ses habits afin d’enlever la poussière et d’une démarche fière, il zigzagua adroitement entre les survivants et les débris jusqu’à sa destination. Sa frêle et petite taille lui permit de se faufiler aisément tout en restant hors de vue d’une certaine connaissance.

Surveillant la zone de retrait, le cyclope retint un sursaut à l’apparition soudaine d’un menu garçon devant lui. D’où sortait-il ? Mais surtout depuis combien de temps l’observait-il avec ce regard impassible, glacial. Il n’aurait su le dire… mais sûrement pas très longtemps... Il ne pouvait pas être là depuis longtemps… impossible.
Puis, aussi subitement que sa venue, un sourire apparut sur le visage enfantin. Un sourire tout aussi froid que son regard.
Personne n’échangea de mots. Tous deux savaient la raison de l’autre. Finn ouvrit la cellule et le sphinx y entra docilement. Il alla s’asseoir dans un coin, là où un arbre s’était abattu tout près, le dissimulant aux yeux de certains par ses branchages. Puis, Ouadji jeta un coup d’œil aux autres détenus avant de se croiser les bras et de fermer les yeux. On aurait presque dit qu’il méditait.

Quand soudain, la voix grave de Brick se fit entendre, se rapprochant un peu plus à chaque seconde. Comme toujours, il vociférait contre quelqu’un. Ouadji ouvrit un œil, semi-intrigué, et regarda dans la direction du nain. Celui-ci se débattait comme un forcené dans un tourbillon d’air. Volant à un mètre du sol, le chef des machinistes tentait tant bien mal de sortir de sa prison. Une femme d’une grande beauté se tenait à ses côtés, ignorant les insultes destinées à elle et à ses collègues. Elle le transporta ainsi jusqu’à la zone de retrait. Puis, elle le libéra dans la cellule avec un manque flagrant de délicatesse. Malgré la rudesse de sa chute, Brick se releva aussitôt, furieux, et fonça sur le mur lumineux, le heurtant violemment. Sonné, il resta à terre un instant. Pendant ce temps, le sphinx, désintéressé par ses agissements, se referma les yeux.


- Vous ‘tes des bêtes à bêcher d’la flotte ! On s’démèn’rait pas comme ça, si on était responsab’e, bande d’fécacéphales !? Combien d’personnes vont mourir par vot’e stupidité ? Vous avez b’soin d’nous pour les sortir rapid’ment !
- Ferme-la, le nabot. Tu parles dans le vide. On aurait pu tous les sauver, qu’on resterait des monstres pour ces humains. Et les Légendaires ne sont pas mieux. À leurs yeux, nous ne sommes que des traîtres, bon à enfermer. N’est-ce pas Edward ? C’est ce que vous faites avec ceux qui en dévoilent un peu trop, qui ne respectent pas vos précieuses règles. Il ouvrit grands ses yeux orangés, les braquant sur le patron, dévoilant en même temps un sourire mauvais aux canines proéminentes. Alors, comment on se sent de l’autre côté de la clôture ? Puis, regardant à tour de rôle les autres, il enchaîna sans se départir de son sourire. Et si, pour passer le temps, on jouait aux devinettes ? J’ai justement l’énigme parfaite en attendant qu’ils décident de notre sort.

De son côté, un démon, ignorant que ce qu’il cherchait depuis des millénaires se cachait à quelques pas de lui, observait le tout avec curiosité. Quand une belle rousse à la robe déchirée, poussiéreuse et légèrement sanguinolente le rejoignit. Elle se frotta la tête endolorie et d’un regard perdu, elle observa la place Dauphine et la ville en flamme. Devant l’ampleur de la dévastation, elle resta bouche bée, mais elle reprit rapidement ses esprits. Furieuse, elle frappa énergiquement et à plusieurs reprises le pauvre tibia de son compagnon.

- Je te l’avais dit ! On aurait dû quitter ! À cause de toi, ma robe est fichue et je n’ose imaginer l’état de mon si joli visage ! En plus, j’ai l’impression qu’une calèche m’a passée dessus ! Tu me revaudras cela, abruti démon !
- Aïïeeeu ! Arrête, Serra ! Arrête ! J’y suis pour rien. Je t’avais dit de partir. Et je ne t’ai jamais demandé de d’intercepter ce pan de mur.
- Tu n’es qu’un imbécile. Dit-elle en ravalant sa colère. Tu pourrais au moins me remercier de t’avoir sauvé, non ?
- Non.

Pour toute réponse, un coup deux fois plus fort atteignit la jambe déjà meurtrie de l’homme.

- Partons, maintenant, avant de finir dans cette cage.
- Pas encore. Je veux savoir ce qui va leur arriver ! Est-ce que la Curia va se retourner contre l’un de ses juges ? Se virant vers sa partenaire, il lui lança un sourire. Profite du spectacle. Tu ne verras pas cela si souvent.
- Fais ce que tu veux, mais, cette fois-ci, je pars !
- D’accord. Répondit le démon en reportant son attention sur la zone de retrait, maudissant l’arbre reversé qui lui cachait en partie la vue, tandis que la femme s’éloignait en boitillant.

Mais à peine quelques pas de fait, qu’elle rebroussa le chemin, clopinant plus rapidement.

- Vite ! Cache-toi ! Le curé arrive !

Revenant de sa divine mission tel un grand guerrier vainqueur, la déplaisante silhouette d’Heinrich apparut au coin d’une bâtisse effondrée. Le torse bombé, fier comme un coq, la soutane légèrement brûlée d’avoir été trop proche des flammes, le chasseur souriait à pleines dents, ou du moins des quelques dents noirâtres qu’il lui restait dans la bouche.

- LA BÊTE N’EST PLUS, DAMOISEAUX ET DEMOISELLES EN DÉTRESSE ! JE VOUS AI TOUS SAUVÉ DE SON TERRIBLE COURROU !! LA BATAILLE FUT DES PLUS ÉPIQUES, MAIS LA PUISSANCE DU COMBATTANT DE DIEU DOMINA LE SUPPÔT DE SATAN !!
* N’enjoliverais-tu pas les faits, mon fils ? *
* Jamais !! Ce n’est que la vérité, que la stricte vérité votre Honneur ! Je le jure sur la tête du petit Jésus !*

Évidemment, il n’y était pour rien. Ayant perdu sa monture à mi-chemin, le vieil homme avait couru comme un dément, d’un point à l’autre, poursuivant de très loin le Simurgh, en criant des absurdités de son cru à tous les pauvres parisiens croisés. Durant son périple dans les rues de la ville, il avait effrayé plus d’un citoyens, surtout lorsqu’il avait sorti son colt à trois canons et qu’il s’était mis à tirer dans tous les sens, tentant de toucher l’oiseau.

- JE VIENS MAINTENANT VOUS DÉLIVRER DU MAL !
* Amen !*
* Cesse de rire de moi, mouman ! *

Parcourant du regard ses brebis apeurées, quand une chevelure attira son œil de chasseur avisé.

- Du rose, la couleur du Démon !
* Depuis quand ? *
- Depuis la nuit mémorable de sa chute, mouman ! Si tu mélange du sang avec la pureté d’un archangelus, tu obtiens quoi !? DU ROSE !!
* … ta logique m’étonnera toujours, mon fils.*
* Le Tout-Puissant me guide, n’en soit pas étonnée !*
- AU BÛCHER, FILLE DE SATAN !! AU BÛCHER !!
* Est-ce, là, tout ce que tu voies d’anormal ? *
- Hmm…
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MessageSujet: Re: Intrigue : Acte I Scène V | Tomber de rideau   Intrigue : Acte I Scène V | Tomber de rideau - Page 2 I_icon_minitimeMar 23 Juin - 12:25

Prostré sur lui-même.
Son sang pulsant contre son crâne comme un étau insupportable.
Son estomac rebelle, ses entrailles nouées.
Et le monde entier douloureux à ses sens affamés. Plus de magie. Vidé.  

Les pensées emmêlées, à peine discernables, noyées et lumineuses, au milieu du chaos qu'était devenu son corps.
Une seule certitude, tout au centre : "Le Pacte doit tenir".

Frédéric ne savait pas exactement où ils avaient trouvé refuge. Il avait marché avec son frère en faisant de son mieux pour fonctionner normalement, mais il était à bout de forces.
Il n'était pas certain de savoir comment ils étaient arrivés là ; il lui manquait des bouts. Il avait conscience quelque part dans un coin de son cerveau malmené, s'il se concentrait, que Brick, Jakob et Duval étaient partis, que Morel était dans l'entrée et risquait de devenir une menace contre laquelle il ne pourrait rien, que De Freilly était toujours là également et que devant eux, sur une table... il y avait... oh, il y avait le père de Duval, son ami, qui serait peut-être bientôt mort.
La tête entre ses genoux remontés contre lui, qu'il serrait dans ses bras, il grinça des dents.
La présence à son côté le serra plus fort contre elle et il s'y colla comme à de la glu.
Morgan.
Morgan, oh pardon.

Pardon Mahwot, pardon L'Hydre, pardon L'Ami, pardon Toi Qui Es Tout, que j'aurais dû écouter, comme toujours.
Oh, pardon.
Maintenant le monde est en flammes.

- Shh.

Les larmes de fatigue lui montèrent, mais il les refoula, par habitude. Il savait que Morgan pleurait déjà. Il aurait dû le consoler, lui, pas l'inverse. Ça n'était pas normal. Mais il avait froid ; tout son corps tremblait. C'était un miracle qu'il ait usé tant de magie sans que leur pacte n'explose. Il l'avait bien consolidé...

Une lame de lumière parcourut son crâne et il grimaça.
Ne pas réfléchir. Il y avait encore là dedans des monceaux de savoir qui attendaient de l'assaillir de nouveau.
Mais il n'avait plus une once de magie à donner ; il lui restait tout juste ce qu'il fallait pour eux deux. Tout juste... Si peu... à peine un fil.
Il était comme une goudre en cuir, vidée, asséchée, craquelée au soleil.
Et ils étaient en danger et c'était de sa faute.

- Il faut vous acheter des lunettes d’urgence, jeune homme.

De surprise, il tourna la tête et réouvrit les yeux. La lumière et le mouvement le firent grimacer, mais lorsque sa vision s'éclaircit pour lui confirmer une présence familière et (était-ce possible ?) bienveillante, il cessa de respirer.




Si Morgan accepta l'étreinte du loup, Fred, lui se raidit davantage, luttant de ses dernières forces contre le surplus d'émotions. Mais le silence du lycanthrope, son étreinte calme et résolue lui donnèrent le temps de se sentir en sécurité, l'espace d'un instant suspendu. Et lorsqu'il assura que tout irait bien, d'un ton qu'on avait plus employé avec lui avec autant de sincérité depuis des lustres, dans le coeur du Follet une porte fermée à clef s'ouvrit en grand et il lâcha les vannes. Les larmes lui montèrent de nouveau et d'un geste enfantin il osa même, timidement, poser le front contre la large poitrine du garou et tenir un bout de ce qui restait de sa chemise, d'une main tremblante.  



Il ne comprit pas le plan du Commissaire : une sombre histoire de capture d'oiseau et de vol de magie par piaf interposé. Il n'aurait trop su dire si ça aurait fonctionné. Il était épuisé, assailli d'émotions. Il entendit seulement cette assurance inespérée, qu'il resterait de leur côté quoi qu'il arrive, ce qui lui arracha un sanglot.
Alors quand le loup s'écarta doucement pour passer la tête par la large porte lorsque quelqu'un cria, il sursauta de perdre la sécurité des bras qui les avaient enlacés tous deux. Pour compenser, il se blottit auprès de Morgan, espérant qu'ils ne devraient pas se relever. Qu'ils ne se feraient pas attaquer. Qu'ils allaient se réveiller d'un cauchemar alambiqué.


Mais Notre Dame se mit à sonner.


Frédéric avait toujours ressenti la magie par ses cinq sens confondus - une bizarrerie même au sein de sa famille - et il avait toujours ressenti le besoin de quitter les Ardennes pourtant si chères à son coeur. Afin de survivre, il s'était donc construit un lien de relai avec tous les bois qu'ils avaient traversés. Or, les jardins de Paris, il les parcourait depuis bientôt deux ans. Et la magie qui pulsait dans cette ville le nourrissait désormais intimement.

La sensation qui le parcourut au premier son de cloche fut si soudaine et si complète qu'il en fut submergé. Dans l'état où il était, il ne sut y faire face. Il se couvrit les oreilles et se roula en boule, yeux grand ouverts et bouche ouverte ; il n'aurait pu trembler d'avantage.
Au deuxième son de cloche, il ferma les yeux et parvint à prendre une inspiration compulsive.
Troisième son de cloche, il l'expira en un appel étranglé pour son frère, de toutes façons déjà penché sur lui.
Quatrième son de cloche, Morgan l'appelait, le secouait, le redressait comme il pouvait. Fred se rua sur lui, l'étreignant à l'étouffer.
Cinquième son de cloche, Morgan lui couvrit les oreilles, d'instinct. Fred serra les dents si fort qu'elles grincèrent.
Sixième son de cloche, il perdit la faculté de compter et émit bien malgré lui un gémissement douloureux. Continu. De plus en plus fort.
Puis il hurla.

C'était trop, c'était Trop, c'était TROP. Un sort était en train d'être lancé, et ils allaient être pris en plein milieu.
Il aurait voulu crier "Il faut partir !", il aurait voulu se lever et courir. Mais tout ce qu'il pouvait faire, c'était ressentir ces sorts qui vidaient la ville et s'élevaient vers le ciel, qui embaumaient l'espace, qui sonnaient par dessus les cloches, qui vibraient tout autour de lui, qui illuminaient le ciel, le sol, les gens de couleurs inédites. Qui tambourinaient dans son être.

Trop, TROP, TROP.

Autour d'eux, la cuisine temporaire vacilla, trembla, manqua de tomber.

Lorsque le sort fut jeté, et que le monde se calma, il se tut soudainement, haletant, les oreilles, le corps bourdonnant.
Puis il ne sentit plus rien.

Le Pacte avait tenu. La cuisine n'avait plus de toit. Morel et de Freilly protégeaient le corps tombé au sol, du père Duval.

- 'Faut partir.
Il acquiesça, se redressa en s'appuyant sur son frère.
Comme pour appuyer Morgan, le pan de la cuisine qui avait compté la large fenêtre, tomba au sol dans un BAM et des bris de verre. À l'attention du commissaire, Morgan réitéra.
- 'Faut pas qu'on rest' là. 'Faut part--

L'arrivée, droit devant eux, par le mur manquant, de Duval et d'une femme, lui coupa la chique. Tous écarquillèrent les yeux. Fred eut un regard pour Aldrick, avec qui, dans des circonstances tout aussi dangereuses, il avait rencontré sa première femme-cheval, des mois et des mois auparavant. Un frisson le parcourut.
D'une voix professionnelle, la femme expliqua que les employés devaient être mis en quarantaine. Ils étaient de la Curia. Les jumeaux devaient être embarqués.
Leur réflexe premier fut le même : Morgan prit la main de Fred et ils se ruèrent vers la porte. Elle leur barra la route en une seconde, portée par le vent. Ils reculèrent.

- Suivez-moi gentiment, et tout ira bien.
Elle saisit nonchalamment, mais fermement, le bras de Morgan. L'hydre mordit par réflexe.
La sylphide répliqua avec un tourbillon léger s'élevant au sol, autour des jumeaux, comme pour les mettre en garde contre toute action irraisonnée.
Morel se leva.
- Hé, leur faites pas de mal !
- Ce n'est pas prévu, s'ils se tiennent tranquilles.

Le commissaire était leur seul allié, Fred l'implora du regard.
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MessageSujet: Re: Intrigue : Acte I Scène V | Tomber de rideau   Intrigue : Acte I Scène V | Tomber de rideau - Page 2 I_icon_minitimeSam 27 Juin - 1:06

L’ultime glas sonna.
Les libérant tous de l'immobilisme imposé.
À travers la fenêtre, rien du ciel enflammé, des piliers lumineux ou de la détransformation du Simurgh n’avait échappé à Aldrick. Rien, hormis la situation de Cygne et l’échange du loup blanc avec la Curia, qui débarqua avec fracas.

Son corps entier tremblait. Ses sens étaient près à exploser. Il ne connaissait rien à la magie, mais la puissance de celle qui venait d’être déployée lui semblait presque palpable tant elle était intense. Comme inscrite dans chaque parcelle d’air autour d’eux. Parcouru de frissons d’horreur, Aldrick observa anéanti et hagard le spectacle morbide qui s’offrait à lui. Le visage défiguré par l’incompréhension. Que venait-il de se passer au juste ? N’était-ce pas Amon lui-même qui venait d’affronter l’oiseau géant ? Oiseau qui n’était autre que Charlotte Dubois ? Qui était donc cette enfant ? Comment diable avait-elle pu accumuler tant de haine sous sa forme aviaire ? Qu’allait-il arriver à la demoiselle à présent ? La terreur creusa ses traits lorsqu’un nouvel appel à l’aide désespéré retentit plus loin.
Jamais il n’avait pensé revivre les mêmes affres que pendant la Grande Guerre. Celle-là même qui, lors de son adolescence, avait opposé les Lycanthropes. Opposée des Légendaires à d’autres Légendaires, jusqu’à ce que mort s’en suive.

La voix ferme de la Sylphide le sortit de sa longue torpeur. Ses mots avaient tant sonné comme des mensonges à ses tympans, qu’avant même qu’il n’en ait eu conscience, il se dressait face à elle, sa main cerclée sur son poignet fin, il tonna :

- LAISSEZ-LES !

Ses iris bleutés se dardèrent dans les siens. En d’autres circonstances, Aldrick aurait adoré les croiser. Mais la froideur qui s’en dégagea se répercuta en écho dans ses propos.

- Pas tant qu’ils n’auront pas rejoint la zone de retrait, comme White et tous les autres employés du Lost. Elle sourit aux plus jeunes. Pour que vous ne puissiez plus lancer n’importe quel sort. Ni gêner les autres.
- La z--… Quoi ?

La surprise mangea les traits du commissaire. Aussitôt remplacée par le déni.

- Edward ne laissera jamais faire ça !
- Vraiment ? On parie ? Le rictus cynique déforma les traits enjôleurs de son interlocutrice.

Pas un seul doute ne s’immisça dans l’esprit de l’agent, malgré la réponse du tac au tac d’Olivia.

- Allé ! Assez bavasser !

En un claquement de doigts, elle disparut. Se libérant de son étreinte pour réapparaître dans une bourrasque glaciale derrière les plus jeunes.

- Fini de jouer. Ne m’obligez pas à sévir.

Chacune de ses mains blanches se posa sur l’épaule d’un des jumeaux.

- NON !

Malgré sa rapidité, il ne put que contempler le sourire vainqueur de la blonde s’éternisant dans l’espace, avant que tous trois se volatilisent pour se matérialiser de nouveau plus proche de la zone de retrait.

Le commissaire se rua à leur suite. Mais il n’eut pas fait cinq mètres qu’il se heurta à un mur invisible. La tête lui tourna suite à l’impact. Il n’abandonna pas pour autant. S’élançant même plus rageusement encore.

Une fois. Choc.

- FRÉDÉRIC !

Deux fois. Choc

- MORGAN !
.
Trois fois. Échec.

- C’est qu’il est têtu votre ami. Souffla la Sylphide en secouant la tête avec un air embêté.
- Je me charge d’eux. Occupe t’en.

La belle acquiesça, acceptant l’offre de son collègue, avant d’agiter la main.

- C’est inutile. Vous n’êtes pas de taille.

Une bourrasque invisible entoura l’opportun. Le vent l’immobilisant totalement.

S’il n’y avait eu la veine sur la tempe du commissaire pour attester de l’effort colossal que le corps massif du loup noir mettait en œuvre pour se libérer, il aurait été aisé de croire qu’Aldrick s’était simplement arrêté, la bouche entrouverte. Ce, malgré les minuscules centimètres qui le séparaient du sol. Surprenant aussi de constater le changement progressif de couleur entre son visage et le reste de son corps. L’air lui manquait.

Les silhouettes des jumeaux et le paysage se troublèrent simultanément.

Les doigts crispés du loup agrippèrent le haut de son col dans l’espoir d’en desserrer le nœud de lavallière, dont l’étreinte n’avait pourtant pas changé. ll jeta un regard meurtrier à la Sylphide, tentant d’articuler en vain. Après quelques secondes, la tête lui tourna si violemment qu’il ne comprit rien de l’agitation des artistes, ni des propos de la blonde. Seul, se figea sur sa rétine, le visage d’Edward derrière une barrière magique. Non ! Non ! Non ! Impossible ! Pas lui ! Pas malgré toute sa puissance ! Ses forces l’abandonnaient peu à peu. Sa conscience se distilla. Inexplicablement, une sérénité nostalgique le gagna quand passa dans son champ de vision, près de la zone de retrait, un colosse roux.


- Laisse Aly tranquille !

De ses deux poings minuscules, Éric frappa sans grande force le mollet d’Olivia. Elle arqua un sourcil, sans comprendre, d’où sortait cette demi-portion. Mais la surprise fut suffisante pour qu’elle libérât son otage. Aldrick chus, avant de tousser à plusieurs reprises. La seule pensée qui traversa encore son esprit alla pour Andréa. Est-ce qu’il allait bien ?

Trou noir.

~°~°~°~°~°~

Quelques instants plus tôt, en amont sur la Place Dauphine


- Merci, sans vous, il se serait brisé les os ! Soupira Archimède.
- De rien. Ça a été un réflexe.

Jakob eut un sourire malgré son épaule douloureuse. Il avait rattrapé Cygne de justesse, alors qu’il lui tombait dessus. Lui évitant un atterrissage douloureux, alors que l’appel du Simurgh avait tant trouvé d’écho dans sa nature d’oiseau, que Cygne avait, malgré sa faible condition physique, escaladé maladroitement un bâtiment pour prendre de la hauteur et mieux s’envoler. Dommage qu’il n’ait plus eu d’ailes. Heureusement que Jakob avait servi d’amortisseur.

- Super tout le monde va bien, on y va maintenant ? Insista Ludger, en redressant gauchement Dominik inconscient sur son épaule, manifestement pressé de quitter les lieux.
- Je ne peux pas. Reprit Jakob. Il faut que j’y aille, les autres ont besoin de m--
- Attendez ! La poigne d’Élise s’était refermée sur l’avant-bras de Jakob.

Même s’ils étaient restés en retrait, ils avaient pu entendre ce qui tramait près de la zone de retrait.

- Vous ne leur serait d’aucune utilité si vous êtes bloqué dans cette cage.
- Ah, tu vois ?! Attendez, comment vous savez que… Oh. Vous aussi...

Le regard froid, mais étonnement serein de la lycane ne cilla pas, en dépit de l’insistance du présentateur, elle n’ajouta rien et opina imperceptiblement de la tête. Elle était sincère. Pire : elle était réaliste.

- Il vaut mieux que vous emmeniez ce garçon loin d’ici, avant que la Curia ne vous remarque.
- Je me tue à le lui dire ! Insista Ludger, malgré son teint pâle.
- Mais…
- Écoute la voix de la raison, pour une fois, Jakob !
- Si vous partez par là, ils ne vous verront pas.
- Impossible, les autres s...
- Ils ont raison. Coupa Archimède. Si vous y retournez, vous le condamnez, ainsi que vous deux, à un sort incertain.
- Je ne peux pas.
- Mais si, allé, viens !
- Non, je ne laisserai p--...
- Ne soyez pas stupide ! Ordonna la matriarche en relâchant la main d’Éric, qui sursauta tant de l’entendre s’emporter ainsi, qu’il recula vivement.

Le reste de l’échange échappa au petit garçon, qui rejoignit ses sœurs et Cygne, évanoui, adossé contre un mur.

- Est-ce qu’il a mal ?
- Je ne sais pas.
- Est-ce qu’il… Va…
- Chut. Ne dis pas des mots qui portent malheur. Insista Éléna en posant un doigt sur la bouche du benjamin, qui opina.
- Oh, il se réveille. C’est merveilleux ! Pas vrai Éric ? Éric ? Éric !

Le petit homme n’écoutait plus, il courait à perdre haleine.

~°~°~°~°~°~

- Il revient à lui.

Penchés au-dessus de lui, deux yeux carmin fixèrent Aldrick, avant de passer sur la silhouette d’Archimède. Edward ? Non, l'odeur différait. Où avait-il déjà croisé ce Légendaire ? On lui sauta au cou, tandis qu’il se redressait gauchement. Le loup noir ne comprit pas un traître mot de ce qu’annoncèrent les filles. Une histoire de héros, malgré sa taille. Élise ébouriffa Éric avec fierté, mais il ne le nota pas. Trop étonné de voir le médecin échanger quelques mots avec Olek, avant de rejoindre Olivia, visiblement mécontent.

* Le théâtre ! C’était lui le loup blanc ! C’est lui qui est intervenu quand Frédéric… Frédéric ! Morgan ! *

La scène lui revint violemment en mémoire. Machinalement, il porta la main à son cou, abandonnant entre deux toussotements virulents.

- Les jumeaux ! Où… ?
- Ils sont avec White.

Malgré tous ses efforts pour le masquer, le ton d’Élise était suffisant et satisfait. L’ironie de savoir le pire ennemi des Voelsungen, bloqué dans une cage magique, renié par l’institution même dont il faisait partie, qui le reniait au grand jour, n’était pas pour lui déplaire. Au contraire. Sa mort l’aurait satisfaite davantage. Mais c’était un bon début dans tout ce chaos. Une colère sourde gonfla la gorge du lycanthrope. Il se redressa vivement.

- Doucement ! Vous êtes encore faible. S’affola Archimède en se rapprochant.

Les mots sonnèrent comme la pire des insultes aux oreilles du lycan. Élise le soutint, murmurant pour lui seul, en feintant une étreinte maternelle, avant qu’il n’ait pu ajouter quoi que ce soit.

- Garde ton calme. La Curia n’a rien dit à notre sujet aux Humains. Ils nous croient des leurs. S’ils découvrent la vérité, ils nous sépareront des filles et d’Éric. Et il n’y aura plus personne pour veiller sur eux.

Douche froide.
Le monde s'effondrait à nouveau.
Le cœur d’Aldrick se cliva en deux parts distinctes.
D’un côté, les Légendaires, sa race, sa fierté, son clan, sa famille biologique, sa mère, Edward, Andréa, les jumeaux, tous les travailleurs du Lost, tous ces Légendaires qu’il voyait régulièrement...
De l’autre, ses collègues, son équipe, Gaudefroy, Rose et ses acolytes, ces gens qu’il croisait tous les jours, sa nouvelle famille, ses sœurs, ce petit frère qui, malgré ses mensonges d’adulte, sans rien en savoir, l’acceptait enfin. Si petit, si fragile…

Il ferma les yeux avec force. Hélas, la réalité n’avait pas changé lorsqu’il les rouvrit. Élise ne le relâcha qu’après de longues minutes de négociation murmurées, mais agitées. Uniquement, lorsqu’elle fut certaine qu’il ne ferait pas d’esclandre, au moins pour les petits qui eux, ne pouvaient pas se défendre seuls, contrairement aux Légendaires du Lost. Séchant lentement ses fausses larmes, son arme ultime face à son fils aîné, elle questionna ensuite Archimède tout bas :

- Cygne ne craint rien, c’est sûr ?
- Oui, je ne les ai pas juste rendus invisibles, j’ai confié un artefact à Jakob. Ils ne pourront s’en séparer que lorsqu’ils seront à l’abri tous les quatre et ne pourront pas lui faire de mal. D’ici là, personne ne les remarquera.
- De qui est-ce que…
- Il nous faut des renforts ! Des gens sont bloqués là ! Tonna Gaudefroy.
- Vite ! Il faut l’aider ! Insista Éric.

Les doigts minuscules de Sabrina saisirent sa main, pour l’attirer vers les décombres. Aldrick resta immobile, cherchant le regard disparate de son roi. Espérant un miracle. Un signe. Un indice. N’importe quoi qui aiderait à remettre les choses dans l’ordre. N’importe quoi ! N’importe quoi qui lui certifierait aussi qu’Andréa allait bien. Mais seul un nouvel appel plus virulent d’un des sbires d’Armand fit écho à ses prières inquiètes.

La blonde insista.

La mort dans l’âme, le cœur en miettes au fond de la poitrine, la gorge nouée, la honte gravée au fer rouge sur ses joues, Aldrick se détourna de ses pairs emprisonnés dans la zone de retrait et pour la énième fois, se renia en feintant à nouveau, comme chaque jour, depuis des années, d’être un homme à peine plus fort que la normale, tout en soulevant un bloc de pierre conséquent.

Mais… Était-ce le bon choix ?
Dolores Keller
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MessageSujet: Re: Intrigue : Acte I Scène V | Tomber de rideau   Intrigue : Acte I Scène V | Tomber de rideau - Page 2 I_icon_minitimeSam 27 Juin - 14:48

« Non, vous ne comprenez pas, je suis médecin, un homme a besoin de mon aide, on m'a dit qu'il était grièvement blessé. Madame, notre équipe va s'occuper de lui, je vous demande de bien vouloir vous rendre dans la zone, avec les autres. Mais le blessé n'est pas un légendaire, que comptez vous faire exactement ? Informez au moins le préfet pour que… Lâchez mon bras, je ne compte pas m'opposer à vous je vous l'ai dit, je veux simplement m'assurer que cet homme est hors de danger. Laissez-moi au moins le voir pour administrer les premiers soins. S'il vous plaît madame, coopérez. Enfin, c'est ridicule ! Je coopère je vous l'ai dit, mais une vie est en jeu, et sans doute d'autres, même si je travaille au Lost Paradise, je suis médecin avant tout, laissez-moi aider ! Eh ! Monsieur ! Elle n'a rien à voir avec tout cela, c'est une humaine. C'est grotesque, je n'ai pas besoin d'être mise en cage, nous ne sommes pas dangereux vous le savez, laissez-nous vous aider. Célestine ! Éloignez-vous d'ici, certains risquent de vous accuser à tort ! Trouvez Rose-Lise et- Mais lâchez moi ! Oui je vous suis, j'ai compris ! Célestine ! Inutile elle est trop loin… Vous savez, j'avais une très haute estime pour la Curia, j'espérais un jour pouvoir vous rendre visite pour plusieurs raisons, mais je dois dire que je suis très déçue par cette première rencontre. Je suppose que vous n'obéissez qu'aux ordres donc vous ne pourrez même pas répondre aux questions que j'aimerais vous poser. Qu'est-ce que c'est votre petit nom ? Ça vous pouvez au moins y répondre je suppose. Entrez s'il vous plaît. C'est un système de barrière magique ? Je ne suis pas vraiment experte dans ce domaine mais ces tiges gravées sont remarquables. Comment est-ce que cela fonctionne exactement ? Est-ce qu'ils puisent l'énergie contenue dans le cristal ? Ou bien le cristal sert d'amplificateur ? Il faudrait que je me renseigne, mais je dois avouer que les cailloux et les mots magiques ce n'est pas vraiment mon truc. Inutile de pousser enfin ! Voilà, voilà, je rentre. Vraiment c'est idiot… Dolly Dolly ! Toi aussi ils t'ont attrapée ! Mimi, tu vas bien ? Ils ne t'ont rien fait ? À part se présenter devant moi avec des habits aussi mal taillés, non… Tu as pu aller voir le monsieur blessé ? Non ils ne m'en ont pas laissé le temps… On m'a dit que Jade était blessée elle aussi, je leur ai dit et ils ont envoyé des gens je crois, j'espère qu'elle va bien… Qu'est-ce qu'ils vont nous faire ? Nous mettre en prison ? J'ai horreur des endroits sombres, ça me donne des boutons ! J'aimerais pouvoir te répondre mais je n'ai aucune idée de la suite. Je suppose qu'ils vont nous interroger, mais après… Il faudrait aller voir Edward mais je pense qu'il vaut mieux attendre de voir comment les choses avancent et ne pas faire de vagues. Je n'aurais jamais cru vivre ça un jour. Dire que je vais finir en prison avec une robe toute déchirée… Tu crois qu'ils donnent un uniforme là-bas ? J'espère qu'il n'est pas orange, ça ne me va pas vraiment au teint. Tu sais qu'une dame a dit que j'avais fait pousser des branches dégoutantes sur mon corps ? En quoi c'est dégoûtant ? Ce n'est que du bois ! Il ne vaut mieux pas chercher à comprendre ce genre de remarques. Ce sont des personnes qui ne réfléchissent pas et disent des choses absurdes. Maintenant j'ai soif… Et pourquoi on a pas de chaise ? J'ai mal aux jambes ! Oh ! Si ça se trouve ils veulent nous torturer en nous forçant à rester debout ! Docteur Keller ! Oui ? Quelqu'un veut vous parler… Qui ça ? Pourquoi chuchotez-vous… ? »

Le regard de la doctoresse s'arrondit, elle tourna la tête à droite, puis à gauche, avant de s'adresser de nouveau à Mimi.

« Tu devrais leur demander qu'ils t'apportent une chaise. Insiste bien, avec un peu de chance ils accepterons. Demande-en une pour moi. Je reviens. Tu crois ? Bon d'accord. Eeeeeeeeh monsieur ! J'ai vraiment mal aux pieds, est-ce que je peux avoir une petite chaise ? Comment ça non ? Ce n'est pas comme ça qu'on traite une demoiselle monsieur-de-la-curia-qui-s'habille-comme-un-manche ! Puis d'abord vous avez pas mal aux jambes vous aussi ? À votre place je prendrais une chaise pour monter la garde, comme ça, si quelqu'un fait une bêtise, vous aurez pas mal aux jambes pour lui courir après ! Si vous en prenez une, vous pouvez en récupérer une deuxième pour moi ?»

Dolores s'éloigna de quelques mètres et rejoignit l'arrière de la zone, près d'une des quatre tiges du champ de protection. Elle sentit un soulagement lorsque le regard inquiet d'Adam croisa le sien.

« D-D-Docteur t-tout va bien ? V-Votre bras ! Ce n'est rien Adam. Nous n'avons pas beaucoup de temps, vous ne devriez pas être là. D-Dites moi comment a-a-aider ! Pour le moment il n'y a rien à faire, la Curia est intervenue et isole tous les légendaires. M-Mais… Adam, écoutez-moi. Je n'ai aucune idée de ce qu'il va se passer dans les prochains jours. Partez immédiatement, retournez au cabinet dès que possible. Prévoyez un plan de repli dans le cas où ils viennent le fouiller. Expliquez tout à Louise, il faudra peut-être trouver un endroit pour la cacher, je ne sais pas… Surtout restez prudents, faites profil bas. En attendant mon retour, je vous cède ma place. Mais j-j-je ne peux p-pas… Tout seul… Vous savez le faire maintenant, soignez les légendaires qui en ont besoin, et vu ce qui se prépare, beaucoup risquent d'avoir besoin d'aide. Ne vous faites pas de souci pour moi. Entendu ? »

Le jeune assistant ravala ses quelques larmes causées par la panique, puis, dans un dernier hochement de tête, il s'éloigna maladroitement et disparut dans la foule. Dolores lui adressa un sourire puis soupira avant de rejoindre sa camarade dryade, assise sur une chaise. Elle lui fit signe et lui offrit sa place pour lui permettre de reposer son bras cassé. L'homonculus la remercia du bout des lèvres et s'installa, pensive. Son regard resta longuement fixé sur ses mains, couvertes de plaies et de poussière. En levant la tête, elle croisa l'expression inquiète de la petite danseuse, qui dès qu'elle croisa son regard, s'efforça de sourire. À l'extérieur de la zone de retranchement, les regards, eux, étaient froids, effrayés, effrayants.

Impossible de faire marche-arrière désormais.
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MessageSujet: Re: Intrigue : Acte I Scène V | Tomber de rideau   Intrigue : Acte I Scène V | Tomber de rideau - Page 2 I_icon_minitimeSam 27 Juin - 21:12

[Ce post suit Rose-Lise et Célestine, étant donné que Lotte est inconsciente et déjà bien loin !]

Après avoir ouvert les yeux, il fallut à Rose-Lise quelques secondes avant de reconnaître la sensation du tissu de son oreiller contre sa joue. Il était rose poudré et aussi particulièrement mou. Certaines nuits, elle le retrouvait au pied du lit et devait se lever pour le ramasser. Cette fois, il n'avait pas bougé. Avait-elle longtemps dormi ? Le poids sur ses paupières semblait dire qu'elle venait d'être tirée d'un profond sommeil. Pourtant, elle n'avait pas souvenir de s'être couchée tard. Quand s'était-elle endormie exactement ? Elle ne s'en rappelait pas.

La petite journaliste tira son corps hors de son lit à ressorts. Quelle heure était-il ? Elle n'arrivait pas à voir la pendule. Mais la lumière qui perçait le volet de la fenêtre semblait dire qu'il faisait jour. Déjà ! Rose-Lise devait se dépêcher, sinon son patron risquait de la disputer. À moins que ce ne soit  dimanche ? Elle devait boire son chocolat, mais sa tasse était restée sale et elle s'était promise de ne pas utiliser les autres. La journaliste fit la moue. Peut-être que le café au bas de la rue était ouvert ? Elle décida d'ouvrir la fenêtre. Le volet grinça doucement et laissa la lumière du soleil pénétrer entièrement dans la petite chambre.

« Oh. »

Malheureusement, le café n'était plus là. La rue non plus à vrai dire. En fait, il n'y avait plus rien du tout dehors, à part le ciel, le soleil brûlant, et un désert doré légèrement balayé par une bise fraîche. Rose-Lise pensait que le vent dans le désert était toujours chaud, mais peut-être que ce n'est pas systématique. Il ne faisait pas si chaud que cela, d'ailleurs. Rose-Lise pencha la tête à l'extérieur. Son immeuble était presque entièrement enfoncé dans le sable, il était même légèrement penché. Elle avait l'air d'être toute seule. Qui l'aurait suivie ici de toute manière. La journaliste se tourna vers sa porte d'entrée, pensant que la porte d'entrée de l'immeuble était sans doute dans le sable. Elle pouvait sortir par la fenêtre cela dit. Est-ce qu'elle devait garder sa robe de chambre ? Rose-Lise n'avait jamais réfléchi à ce genre de situation. Elle décida de mettre ses chaussures car elle n'aimait pas l'idée du sable sous ses pieds, puis enjamba sa fenêtre et s'engagea dans cet étonnant désert.

« Il y a quelqu'un ? »

Sa voix se perdit dans l'horizon. La demoiselle continua d'avancer, hasardeuse, comme attirée par le soleil, toujours accroché dans le ciel. Puis elle posa le pied sur autre chose que du sable. Lorsqu'elle se pencha, elle réalisa qu'il s'agissait d'une feuille de papier. Elle la tira devant elle, mais n'arriva pas à lire ce qui y était écrit. L'alphabet était étrange, Rose-Lise se demanda même si ce n'était pas des gribouillis plutôt qu'une écriture, mais décida de mettre cela de côté lorsqu'elle aperçut d'autres morceaux de papier à moitié enfoncés dans le sable. En fait, plus elle avançait, plus les pages étaient nombreuses, et bientôt des livres entiers semblaient sortir du sable, ouverts ou déchirés, brûlés par la lumière du soleil. C'était sans doute une bibliothèque. Enfin, une ancienne bibliothèque. Une bibliothèque en ruines, même.

« Est-ce qu'on peut parler d'une bibliothèque s'il n'y a plus de murs ? »

Rose-Lise n'avait pas la réponse à cette question. Aussitôt, une ombre se dessina au milieu du soleil. La journaliste plissa les yeux et crut distinguer un oiseau, elle fit alors instinctivement quelques pas en arrière, oubliant qu'elle gardait un livre couvert de sable entre les mains. L'oiseau disparut du ciel, mais Rose-Lise en aperçut un autre, tout petit, qui s'envola au moment où elle posa ses yeux sur lui. D'autres le rejoignirent. Ils avaient tout l'air d'être des moineaux. Est-ce qu'il y a des moineaux dans le désert ? Une mésange se posa aux pieds de la journaliste. La demoiselle s'excusa auprès du petit oiseau et sursauta lorsqu'un autre volatile s'envola derrière elle. Le livre lui glissa des bains et s'enfonça partiellement dans le sable. Rose-Lise ne put se retenir d'éternuer. Une étrange chaleur sembla se glisser dans la paume de sa main droite. Lorsqu'elle l'éloigna de son visage, elle y vit un petit oiseau blanc qui piailla et pencha naïvement la tête. Le bras de la journaliste prit alors soudainement feu. Les gens peuvent vraiment prendre feu aussi facilement ? En tout cas, elle, ellebrûlait, et une ombre immense se dressa au dessus de la jeune demoiselle. Lorsqu'elle leva la tête, elle ne vit déjà plus rien.

En réalité, si elle ne voyait rien, c'est parce que ses yeux étaient toujours fermés. C'est seulement lorsque Célestine lui tapota la joue qu'elle finit par les ouvrir. Cette fois, pas de chambre, ni de désert, seulement une vision fissurée par un verre de lunette cassé et une atmosphère lourde et assourdissante qui n'aida pas la journaliste à reprendre ses esprits.

« Rose-Lise ! Tout va bien ? Vous avez perdu connaissance, des personnes viennent de vous ramener ! Est-ce que vous êtes blessée ?
- Euh… Non, je ne crois pas. »

Elle serra machinalement sa main droite, toujours entière heureusement. Tous ses souvenirs lui revinrent. Un oiseau géant, la Seine qui se lève… Ah !

« Je crois que j'ai vu une femme à tête de lapin.
- Je… D'ordinaire je penserais que vous avez perdu l'esprit, mais avec tout ce qu'il vient de se passer, je ne peux que vous croire… À tête de lapin, vraiment ?
- Oui ! Elle a même fait disparaître des choses qui allaient me tomber dessus, comme par magie ! J'aimerais bien la revoir pour la remercier…
- J'espère qu'elle ne sera pas embêtée par ces drôles de personnes… »

Célestine se tourna vers le centre de la place. Encore assise contre un arbre à moitié brisé en deux, Rose-Lise ne comprit pas immédiatement où elle voulait en venir. Elle voulut se lever en s'appuyant sur le sol, mais réalisa qu'elle avait toujours entre ses doigts le petit pompon offert par la petite fille qui s'était changée en oiseau. Sans un mot, elle enfouit le petit objet dans son sac et se releva avec maladresse. Décoiffée, les lunettes fissurées et le nez qui coule, elle interrogea Célestine, qui lui expliqua avec patience et précision ce qui était en train de se passer. Beaucoup d'interrogations demeurèrent irrésolues, mais les personnes pouvant apporter des réponses n'étaient sans doute pas disponibles pour le moment. Tous ces inconnus avaient un air sérieux et menaçant, ils traversaient la place dans un sens, puis dans l'autre, semblant obéir à des ordres complexes et décidés. À côté d'elle, Rose-Lise entendait les bavardages d'autres spectateurs du cataclysme, horrifiés pour la plupart par l'existence de ce qu'ils appelaient « monstres » ou « bêtes », et plus particulièrement l'idée qu'ils vivaient près d'eux pendant tout ce temps.

La journaliste sentit un frisson remonter le long de sa nuque. Elle commençait à avoir plus peur de ces personnes près d'elles, que de celles que l'on regroupait actuellement dans une zone délimitée. Peut-être qu'elle ferait mieux de s'éloigner. Mais est-ce qu'ils avaient le droit de partir maintenant ? Célestine semblait être elle aussi très inquiète. Toutes les deux comprenaient que ce qui était anormal, ce n'était pas ces personnes que l'on pointait du doigt, mais plutôt la façon dont on les traitait actuellement. Mais étrangement, elles semblaient être les seules à réfléchir de cette façon. Ou peut-être que d'autres personnes partageaient ce sentiment mais n'osaient pas l'exprimer. Cet homme, Jules, lui semblait penser de la même façon. Elle devrait peut-être l'interviewer…

« Ah ! »

Célestine se retourna.

« Qu'y a-t-il ? Tout va bien ?
- Qu'est-ce que je vais bien pouvoir écrire dans mon article maintenant… ? »

Après tout, elle était là pour ça. Elle n'était venue que pour ça, en fait. Mais Rose-Lise savait qu'elle en reviendrait avec beaucoup plus qu'un simple article.
Andréa Eyssard
l Un monstre dans la peau l
Andréa Eyssard

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MessageSujet: Re: Intrigue : Acte I Scène V | Tomber de rideau   Intrigue : Acte I Scène V | Tomber de rideau - Page 2 I_icon_minitimeDim 28 Juin - 21:02

Deux silhouettes se tenaient blotties l’une contre l’autre sous le quai de l’Horloge. Le pied de l’escalier où elles étaient assises donnait directement sur l’eau brunâtre de la Seine et les ruines du Pont-Neuf. La promenade du bord de fleuve avait été arrachée par l’assaut du Simurgh, remplacée par la tranquillité morbide d’un fleuve où ballotaient épaves de péniches, nature en miettes et masses indistinctes. L’une d’elle vint taper mollement aux pieds d’Andréa. Un oiseau sans vie.
Le regard perdu du louveteau se posa brièvement sur la pauvre petite créature, mais son esprit manquait d’espace pour assimiler la tristesse de la scène. Il pensait à la place Dauphine. Il essayait de comprendre ce qu’il avait vu. L’autorité nouvelle de Delcambre, la colère mesquine qui empestait les lieux et ces Légendaires qui conduisaient ses amis, ses collègues, dans une sorte de cellule où se trouvait déjà son oncle. Il l'avait à peine aperçu, mais il sentait que quelque chose n'allait pas. Pincement au cœur. Une pression sur sa paume le tira de ses pensées. Il resserra ses grands doigts sur la petite main de Lune, installé contre lui.

Tu sais, je crois que c'est plutôt bon signe qu'on ait pas trouvé ta famille sur la place.
A-Ah oui ? Bredouilla l'enfant en relevant la tête.
Oui. Ça veut dire qu'ils n'ont pas été arrêtés comme…
Comme ta famille ?
Oui…

Lune se redressa et passa ses bras autour du cou d'Andréa. Le jeune loup ferma les yeux. Le poids de l'inquiétude s'effaça un peu. Il reprit tout bas en posant son regard dans le sien :

Adam ne va pas tarder à revenir. Il nous dira ce qui s'est passé.

Un faible sourire réveilla les joues pales de l'enfant et il acquiesça sous sa grande capuche. Au même moment, une bise s'engouffra sous le tissu qu'il retint d'un geste. Ses iris limpides se reportèrent sur le visage d'Andréa, soudain dressé vers les hauteurs du quai. Une odeur familière venait de lui chatouiller la truffe. Brève hésitation, puis :

Viens.
On n'attend plus Monsieur Adam ?
On ne va pas très loin.

Ils se levèrent. Lune prit la manche du jeune homme entre ses doigts et tous deux remontèrent les marches. Le louveteau se laissa guider par la piste fraîche, un parfum d'humidité qui n'avait rien à voir avec celui de la Seine. Une centaine de mètres avalés le long d'une rue déserte, pavée de débris et de gravats. Un cab renversé leur barra la route. À son approche, l'effluve devint presque palpable.   Il était trop tard pour reculer. Andréa avança avec prudence, l'enfant dans ses pas. Son ouïe fine perçut la voix d'une femme. Elle essayait d'être discrète, mais l’émotion était prête à l’emporter :

On ne peut pas laisser faire ça ! Ils sont des nôtres !
Je sais ! Répliqua un homme, tout aussi bas. Mais la Curia est là-bas maintenant et…
Qu'est-ce ça peut faire ? L'organisation est vendue aux humains.
Justement. Tu veux te jeter dans leurs griffes ?
On est plus malins que ça.
Parce qu'on a toujours évité la confrontation. Et puis elle nous guidait…
« Elle » n'est plus là.

Silence.

Siren…
Sissi !

Andréa ne put le retenir. Lune sauta hors de leur cachette et se jeta dans les jupons d'une belle jeune femme blonde. Surprise. Échanges muets et circonspects dans le petit groupe. Les traits aussi carrés que maternels de la plus grande des femmes s'adoucirent. Elle interrogea en soulevant l'enfant.

Mais qu'est-ce que tu fais là petit Lu’ ? Tu ne devais pas bouger de l'abri.
Je m'inquiétais trop !
Mais c'est dangereux ! protesta Siren.
Non ! Andréa et Monsieur Adam ont bien voulu venir avec moi pour que je vous retrouve.
Qui ça ?

Le louveteau s'avança timidement. D’un geste de la main, il salua les présents, puis son attention fut totalement happée par l’incroyable silhouette de la Lamia. Croisant son regard, il comprit son impolitesse et rougit jusqu'aux oreilles. La femme-serpent lui sourit avec douceur, tandis qu'un murmure était échangé :

C'est son neveu ?
Oui.

Le louveteau tiqua. Son cœur monta dans les tours en une fraction de seconde. Un pas vif et plein d'espoir le rapprocha de ses interlocuteurs.

Vous connaissez Edward ?

Ils hésitèrent.

A-Andréa ? L-l-une ?
C'est Monsieur Adam. Il revient de la place, expliqua Lune.
Dîtes lui qu'on est là, lâcha Siren à l'adresse du louveteau. Il faut qu'on parle.

xXx

Je n'aime pas ce plan, lâcha Eques.
Tu te débines ? répliqua Siren.
Non ! rougit-il. Je donnais mon point de vue.
Donc on est tous d'accord ?
Oui…
Bien. Et n'oubliez pas : quoi qu'il arrive, on se retrouve à l'abri.

xXx

Là ! Là ! J'en ai trouvé une autre !
Lâchez moi !!

Gagnant le centre de la place Eques tirait Draken derrière lui. La toute jeune fille, toujours en tenue de scène, cherchait tant bien que mal à lui faire lâcher prise. Ses doigts d'enfant repoussaient et griffaient frénétiquement l’étreinte à peine serrée sur son bras. Elle alla jusqu'à le mordre, l'obligeant à la jeter par terre dans un cri exagéré de douleur. On fit cercle autour d’eux, chuchotant :

– Je la reconnais, elle était avec l’hideuse femme-serpent !
– Oui c’est une des artistes !
– En cellule avec les autres !
Tu as entendu ? Cracha Eques en se tenant la main. En prison sale monstre !
Jamais !

Souplement, gracieusement même, Draken décolla du sol. Un même murmure sidéré traversa la foule. Seul Eques réagit. Il se précipita dans le sillage de la fuyarde, sauta et parvint à lui saisir la cheville. L’adolescente poussa un cri, se débattit, mais d’autres spectateurs s’emmêlèrent. Un mouvement chaotique et parsemé d’insultes les jeta sur elles comme des charognards affamés. Ils agrippèrent ses vêtements, son autre jambe et l’attirèrent jusqu’à la terre ferme où Eques prit le relais. Il devait être le plus fou de tous pour la protéger.

Elle est à moi ! C’est moi qui l’ai trouvée ! C’est à moi de lui faire payer ce qu’elles nous a fait ! Tu entends créature de l’enfer ! Je t’écorcherai vive si tu te débats encore !

Agenouillé dans la poussière, il la maintenait allongée d’un genou sur le buste. Ses doigts s’étaient faussement crispés dans ses mèches noires, contraignant la toute jeune fille à relever la tête et à le regarder. Elle grimaçait, jouant à la perfection un mélange de dégout et de peur. Il y eut un murmure, puis il sentit que l’on s’éloignait d’eux. Il poursuivit leur numéro sans ciller :

Vermine ! Si je te brise les jambes, je suis certain que la douleur te clouera au s…

Le bruit de sabots martelant un pavé en vrac, puis un long bâton entra dans son champs de vision. Le geste l’obligea à s’éloigner de Draken. Le cœur d’Eques s’emballa plus fort. Son regard croisa celui du centaure pour le quel il n’eut pas besoin de feindre la haine.

Vous la protégez ?! Vous êtes de son côté après tout ce qu’elle a fait ?
– La violence n’est pas nécessaire. Je vais la conduire dans la zone de retrait, avec ses collègues du cabaret.
Mes collègues ? ricana Draken. C’est une insulte.

Le doute gifla Petros. Eques recula. Il l’avait vu froncer les sourcils et tourner vers la jeune fille, le bō qu’il maintenait fermement entre ses mains. Elle s’était relevée. Un rire fiévreux secoua son jeune corps encore drapé du hanfu crasseux et déchiré. Un regard fou perça au travers des mèches noires qui tombaient en bataille sur son visage d’enfant. Le centaure ordonna :

– Ne faites pas d’histoire. Rejoignez la zone et tout ira bien.
Il faut être le dernier des idiots pour croire que ces Légendaires ridicules sont pour quelque chose dans cette affaire.
– Qu’est-ce que vous voulez dire ?
Que je suis vexée. Très, très vexée.
– S’il vous plait ne m’obligez pas à…
Me piquer avec ton bâton ? Je vais me gêner.

Un instant suffit. La peau de Draken se couvrit d’écailles, puis vola en éclat. Les plaques irisées s’envolèrent en un véritable essaim, s’assemblant à une vitesse ahurissante au-dessus de la place Dauphine. Lorsque Petros appela des renforts, il était trop tard. Un superbe dragon asiatique ivoire et rouge le narguait depuis les airs. Il rugit de plaisir, un hurlement de terreur commun lui répondit.

– Gardez votre calme ! Nous avons la situation en…

Draken fonça à raz du sol, contraignant la foule à se jeter par terre pour l’éviter. Elle se précipita sur Petros, mais une lame d’air la força à remonter en piquet. Olivia, la Sylphide, s’éleva à sa suite, Amjad sur ses talons, sous la forme d’un aigle. Eques avait disparu.

Retour de la panique sur la place Dauphine, malgré la capacité de la Curia à garder Draken à distance de la foule. Beaucoup cherchèrent à quitter les lieux dans le désordre. Pétros, dépassé, aidait de son mieux les plus fragiles et les blessés, tout en gardant un œil sur le dragon. Olek lui vint en aide :

Occupe toi de ceux près des cuisines. Ça a l’air de dégénérer du côté du Préfet, je vais voir ce qu’il se passe.
– Et ceux dans la zone ?
La dragonne n’a pas l’air de s’intéresser à eux. Pour l’instant, ils ne bougent pas.
– Bien.
Ah ! Pétros ! Essaie aussi de retrouver Charisma et Aelius. Je n’arrive pas à les joindre. Leurs communicateurs doivent avoir un problème.
– Compris !

xXx

D-d-désolé.
Pourquoi vous excusez-vous Monsieur Adam ? interrogea Lamia en déposant le corps inconscient d’Aelius auprès de celui de la chimère, transformée en lionne. C’est grâce à vos connaissances qu’on a pu les neutraliser sans les blesser.
O-oui, mais d’habitude, je s-s-oigne les gens.
Ne trainons pas, souffla Gigante. On va avoir besoin de nous.

xXx

Dans ce désordre, son pas dénotait. Il était trop affirmé, trop serein. Sa robe bleue couverte par le long manteau de Gigante, sa longue tignasse blonde laissée au vent, Siren s’avança sans faillir jusqu’à la zone de retrait. Finn la suivit d’un œil méfiant. La belle lui fit oublier ses craintes en trébuchant près de lui. Naïvement, il tendit le bras et la rattrapa :

– Vous allez bien ?

Elle sourit. Ses doigts de glace se refermèrent sur sa peau tannée. Il comprit, chercha à se dégager, mais la jeune femme fut plus rapide.

La zone n’a plus besoin de surveillance.
– Je n’ai plus besoin de surveiller.
Vous devez les aider. Ne restez pas là.
– Ils ont besoin de moi. Je vais y aller.

Le cyclope s’éloigna. Le pas était incertain, embrouillé, mais Siren avait suffisamment confiance en son don pour savoir qu’il n’était plus un danger. Elle aussi allait repartir, mais un timbre familier l’arrêta. Les iris d’azur de la jeune femme croisèrent ceux sombres et sauvages d’Edward. Évidemment, il l’avait sentie arriver. Sans se détourner, elle abandonna :

Tenez-vous prêts.
Je ne vous fais pas confiance.
Andréa si.

Elle s’échappa bien avant de voir son visage blanc, virer au rouge. Dans le ciel Draken tenait bon, malgré les assauts répétés de la Curia. Siren remonta le long de la place, aussi discrètement que possible, à la recherche du chef de l’escadron. En route, elle murmura tout bas, pour le vide :

Ils vous attendent.

Un frottement de tissu, des traces dans la poussière. Quelques pierres roulèrent sans raison sur le chemin, désormais libre, de la zone de retrait. Les parois d’énergie grésillèrent faiblement et dans sa cage, Edward en suivit le son le cœur battant jusqu’aux tempes. Il se faufila entre ses employés jusqu’à l’entrée verrouillée. Ses iris balayèrent frénétiquement les lieux déserts. Pourtant sa truffe ne le trompait pas. Il balbutia :

Andy ?

De nulle part, apparut son neveu. Il tenait un gamin dans ses bras qu’Edward reconnu pour l’avoir aperçu au cirque. Trop de questions se bousculèrent dans son esprits, toutes effacées par le sourire de son louveteau adoré. Le jeune homme déposa Lune près de l’entrée et se rapprocha des murs lumineux :

Est-ce que tout le monde est prêt ?
Pour sortir tu veux dire ? Mais on ira où ?
À l’abri. Je t’expliquerai. On se séparera. Gigante, Lamia, Eques, Adam et moi, on vous conduira là-bas. On pourra y rester, le temps que le cabaret soit innocenté.
Inno… Andréa, ils ont raison de nous accuser. C’est ma faute, j’ai…
Je sais que non.
Quoi ?
Siren m’a expliqué. Même les jumeaux, c’est pas leur faute.
Oui, mais je…
S’il te plait Edward, fais moi confiance. Ça va marcher.

Détermination contagieuse et électrique. Edward se détourna d’un mouvement brusque et rassembla ses troupes. Le message était clair : quitter les lieux dès que possible, quoi qu’en dise le monde entier, Curia comprise.
Andréa s’était rapproché de Lune, s’accroupissant à ses côtés. Sous sa capuche, le petit garçon observait les innombrables runes clignoter sur la pierre qu’il tenait en main. La même qui avait déverrouillée la porte des Lenoirs.

La magie est plus compliquée. C’est un peu plus long.
On saura comment si ça a marché ?

La roche se mit à briller violemment. Tous deux détournèrent les yeux. Lorsqu’ils les rouvrirent, le champs d’énergie avait disparu. Andréa souleva Lune et Eques reparut soudainement à leurs côtés. Il le décoiffa sous sa capuche.

Bien joué petit Lu’.
Vous avez pu avertir le cabaret ?
C’est bon. Votre colosse embarque tous ceux sur place pour l’abri.
Merci.

Au-dessus d’eux, Draken rugit, signe qu’elle avait assisté à leur libération. Elle savait qu’au jeu du chat et de la souris, il était temps qu’elle devienne le chat. Un coup de queue balaya le Djinn qui s’écrasa dans les débris de l’un des bâtiments. Le dragon fonça ensuite sur la Sylphide, qui lutta de toute sa puissance pour l’empêcher de s’élever trop haut dans les airs. Ce ne fut pas suffisant. Bientôt le ciel se couvrit, répondant à l’appel du légendaire animal et une pluie glacée, épaisse, s’abattit sur toute l’Île de la Cité. Eques salua la puissance de son amie d’un signe de la main.

Allé on bouge pendant qu’ils sont occupés.


- - - - - - - \o\ - - - \o/ - - - /o/ - - - - - - -


Voix des coulisses



Les complices d’Oracles refusent l’injustice qui pèse sur le cabaret. De nouveau réunis, ils décident d’affronter la Curia et les anti-Légendaires en organisant une véritable opération de libération. Aidés d’Adam et d’Andréa, le groupe parvient à remettre un sacré bazar sur la place, offrant l’opportunité parfaite au pour ouvrir la zone de retrait.

@Tous les employés du Lost (y compris Dolores)
Désormais libres, vous allez être conduit dans ce que l’ancien groupe d’Oracle appel « l’abri ». Pour cela vous allez être réparti entre vos différents guides :

  • Ouadji et Jade (portée par Sully) – Suivent Gigante et passent devant le Louvre, dont une aile est dévastée
  • Dolores et Adam – Suivent la Lamia (qui peut cacher sa queue sous une robe longue ou un manteau) et passent devant la Madeleine en ruine
  • Les jumeaux, Narcisse et Celenna – Suivent Eques et aperçoivent la Tour Eiffel tordue depuis l’autre rive
  • Andréa et Edward (avec Lucy sur son dos) sont avec Lune
Note : Si vos personnages refusent de suivre le groupe d'Oracle, vous êtes libres de partir ou bon vous semblent. Retourner au Lost serait toute fois une très mauvaise idée.

@Ceux qui ne travaillent pas au Lost
Petros vient vous trouver pour vous demander de quitter les lieux qui ne seront pas sûrs tant que Draken sera-là. Il es pressant et vous informe que des cabs ont été affrétés sur la place Saint-Michel. Ils vont reconduiront chez vous, ou au plus près de votre immeuble, s’il est toujours debout. C’est l’occasion pour vous de voir les dégâts causés dans la capitale, mais aussi l’impact que cela aura sur votre quotidien.

  • Aldrick – Le théâtre du Châtelet où devait se produire Elise a été en grande partie ravagé par les flammes. Vous apprenez que les bureaux de Julian ont été détruits.
  • Rose – Plusieurs de vos planques habituelles ne sont plus utilisables. Tu découvriras que des doutes pèsent sur toi dans ton milieu. Une femme de poigne ne pourrait-elle pas être un de ces monstres finalement ?
  • Ryden – La maison dont tu as la charge a perdu une grande partie de son toit, ses fenêtres sont toutes en morceaux. La morgue a été épargnée par le désastre.


Cas spéciaux

@Jade : Tu as reçu les premiers secours de la part du Centaure de la Curia, tu vas pouvoir être transportée dans la « zone de retrait »

@Lotte : À toi de voir comment tu veux traiter cette dernière manche. Tu es libre de réutiliser Célestine et Rose-Lise ou de reprendre Lotte qui a été emmenée en lieu sûr par son équipe. Si tu veux des directives pour Rose-Lise et/ou Célestines, tu peux nous MP.

----

Note : Cette manche est facultative, mais elle peut vous permettre de clore cette dernière scène en introduisant quelques bouleversements dans la vie de vos personnages.

Note 2 : Lucy, Snorri, Rita et Epona ne peuvent toujours pas être incarnés pour ce tour.








Vous posterez à la suite ce message, sans ordre particulier et vous avez jusqu'au samedi 11 juillet (au soir) pour participer à cette cinquième partie !


Vous pouvez toujours nous joindre par MP si vous avez la moindre question ! Nous répondrons au plus vite, comme d'habitude.

Un grand merci pour votre participation !
Edward White
l Dans l'ombre du loup l BIG BOSS l
Edward White

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MessageSujet: Re: Intrigue : Acte I Scène V | Tomber de rideau   Intrigue : Acte I Scène V | Tomber de rideau - Page 2 I_icon_minitimeJeu 9 Juil - 23:10

Si un peintre à l’esprit tourmenté avait été pris du besoin irrépressible d’humaniser la capitale à cet instant précis de son histoire, il n’aurait pas trouvé de meilleur modèle qu’Edward White.
À mesure que leur groupe avançait entre les rues esquintées ou les habitants abîmés et qu’il franchissait les boulevards saturés de détresse, tout comme Paris, Edward se disloquait. Chaque battement de son cœur était un coup de poignard qui lui rappelait cruellement qu’il était en vie. Toujours en vie. Et que de son existence, se déversait l’enfer. Encore. La culpabilité le rendrait fou. À chaque mètres avalés, ses iris perdus, fiévreusement vides, se posaient avec appréhension sur la moindre parcelle de malheur. Il l’observait jusqu’à s’en brûler les yeux. Il la mémorisait jusqu’à fendre son âme. La douleur renvoyait à une autre souffrance, lointaine et floue, dont il avait oublié les images et les sons. Cette fois pourtant, il se souviendrait, quitte à en crever.

Ils passèrent devant un immeuble au toit effondré. Sur son perron une femme et trois enfants, assis dans leurs vêtements poussiéreux, tournaient le dos au désastre. Elle leva la tête. Quelques mèches brunes glissèrent d’une coiffe ajustée à la hâte sur son visage blanc. Dans son regard en lutte ouverte contre les larmes, Edward devina l’accusation muette. « C’est ta faute, » criait-elle sans un mot. Son pied heurta un pavé mal encastré dans la chaussée. Il hoqueta et trébucha. Le corps de Lucy, toujours inconsciente, glissa de ses épaules et le déséquilibra complètement. Plus que la force, ce fut la volonté qui lui manqua pour se rattraper. Mais pas de chute. Une main sur le dos de l’artiste, une autre sur son bras et il retrouva l’aplomb de ses deux pieds :

Ça va ?

Impossible pour Edward de soutenir le regard inquiet de son neveu. Il s’écarta, refusant qu’il le touche, puis réajusta la position de la jeune fille sur son dos. Les réflexes firent le reste :

Oui.

Mais rien n’allait et rien n’irait. Plus jamais. Le loup blanc se mit à trembler. Il sentait sur sa nuque le regard suspicieux de Lûka et celui plus réprobateur de Layth, tous deux accompagnés par le mutisme pesant de Lennox et Eliasz. Au poids de Lucy, s’ajouta brusquement celui de sa faute. Ses jambes fléchirent, ce fut comme si on soudait ses pieds au sol. Personne ne le remarqua. Près d’eux, Lune indiqua le chemin à suivre. Dans cinq mètres, ils prendraient à gauche.
Un pas. Edward eut la sensation que toute la route se déformait et s’agglutinait autour de ses chevilles. Le second fut une guerre sans espoir contre le bitume et les pavés qui le lacéraient en rêve. Il pâlit mortellement, le souffle lui manqua. Tout Paris dansait autour de lui, le moindre son se muait en un cri déchirant, le sien.

Pardon.

Edward ne comprit pas tout de suite qu’il était tombé à genoux. Il ne vit pas non plus la petite Lucy être confiée à Layth, ni Andréa convaincre Lune de prendre les devants avec les autres. Les protestations et les inquiétudes lui échappèrent. Seul leur départ se mêla à la brume épaisse de son délire. Cet abandon inéluctable laissa l’animal désemparé. Un mal infernal le rongeait de l’intérieur, mais il savait qu’il s’apaiserait si son corps payait plus que son cœur. Alors ses ongles se plantèrent dans la chaire déjà marquée de ses bras. Le sang perla, mais il ne coula pas. Une caresse l’arrêta.
Retour à la réalité. Le loup blanc tressauta, puis s’arracha à la noyade du désespéré en avalant une grande bouffée d’air. Le parfum de pins et de lessive qu’il avala alors, enivra tout son être. Andréa le serrait dans ses bras. Il s’était agenouillé près de lui et l’étreignait avec une force tendre, protectrice, comme il n’en avait plus connu depuis des années. Il l’entendit étouffer un sanglot près de son oreille. Il s’écarta un peu, juste assez pour pouvoir détailler sa figure baignée de larmes. Edward essuya celles qui roulaient sur sa joue et un sourire, faible quoique débordant de reconnaissance, réveilla ses traits malades :

Il ne faut pas pleurer pour moi…

Le rire timide du louveteau entrecoupa ses pleurs.

Facile à dire.

Il épongea ses yeux d’un revers de manche. Edward ôta de son front quelques mèches de cheveux, s’attarda sur celles qui refusaient de tenir derrière ses oreilles, puis souffla lorsqu’il le crut enfin calmé :

Excuse moi.

Andréa écarquilla les yeux. Le loup blanc sentit sa fine main se crisper sur la manche de sa chemise. Il haussa les sourcils, certain qu’il comprendrait, mais devant le malaise grandissant du louveteau, il prit les devants. La défaite pesa et son sourire devint amer. Seule son étreinte conserva une douceur coupable, lorsqu’il expliqua :

Tu le vois bien, j'ai tout gâché.
N-Non ! S’offusqua immédiatement le garçon.  Tu ne pouvais pas savoir.
Peu importe. Je n'aurais pas dû baisser ma garde.
Baisser ta… ? Je ne comprends pas.
Ça ne fait rien.

Edward le décoiffa, son neveu protesta gentiment, un silence commun timide et ils se levèrent. Il fallait se remettre en route. Andréa rappela l’adresse de leur destination, mais ce fut son oncle qui se mit en marche le premier. D’abord dans ses pas, le louveteau finit par avancer à ses côtés. Il demanda :

Et maintenant, qu'est-ce qu'il va se passer ?
Je n'en suis pas sûr, répondit Edward en passant une main sur sa nuque. La Curia va prendre le relais, mais cela ne suffira pas cette fois. Tout va changer. Nous allons devoir vivre avec les humains. Et puis, il faudra surement fermer le cabaret.
Fermer ? Mais pourquoi ? On est innocent pourtant. C’est l’immeuble ? Il est cassé ?
Non, non. Enfin… Pas à ma connaissance.

Un soupir de soulagement échappa au jeune homme. Son oncle, qui le surveillait du coin de l’œil, n’osa pas relancer la conversation. Andréa s’en chargea :

Mais alors, pourquoi tu veux le fermer ?
Parce qu'il n'y aura plus personne pour travailler là-bas. Qui me ferait encore confiance après ce qui s'est passé ?
Plein de gens.
Ne dis pas de bêtises…
C'est vrai. Si tu leur expliques, ils comprendront. Tu es plus qu'un « patron » pour eux.
C’est vrai. Je suis aussi un traitre maintenant.
Là, c’est toi qui dit des bêtises.

Edward haussa les épaules, mais il regardait ailleurs. Une gêne pleine d’espoir lui chatouillait le cœur. Il la balaya en secouant la tête :

Ça ne change rien.
Mais pourquoi ?
Même s’il restait ouvert, après ce qui s'est passé tous les employés seront vus comme des monstres. Je ne peux pas leur infliger ça.
Tu décides pour eux alors ?

Arrêt net. Surpris, Andréa fit encore un pas avant de se retourner. L’air perdu du loup blanc l’affola.

Je veux dire… Je pense à des personnes comme Kaito ou Louna. Le cabaret c'est leur maison. S'il disparait, ils seront tout seul.
C'est vrai, mais…
À mon avis, ils préfèreraient rester.

Et puis toi, tu veux le fermer ?

Edward ouvrit les lèvres, mais la réponse qui s’y précipita lui coupa le souffle. Ses jambes le trahirent et se dérobèrent. Andréa le rattrapa à temps. Son oncle porta une main tremblante à ses traits mangés par le chagrin et avoua entre ses doigts fébriles :

Non…
Parce que tu veux toujours aider les gens ?
Plus que tout.
Ça tombe bien je crois.
Pourquoi ?
Je me disais… Maintenant que tout le monde sait qu'on existe, il risque d'y avoir d'autres Légendaires qui auront besoin d'une maison sûre.
C'est vrai.
Tu n’en connaîtrais pas une ?
Si.

Enfin, un vrai sourire. Il se redressa.

Le Lost Paradise.


Note:
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MessageSujet: Re: Intrigue : Acte I Scène V | Tomber de rideau   Intrigue : Acte I Scène V | Tomber de rideau - Page 2 I_icon_minitimeVen 10 Juil - 21:14

Texte écrit à deux:


Parqués. De nouveau ils se retrouvaient parqués, comme des criminels ou comme des bêtes, car une fois n’était pas coutume, mais celle-ci était différente de toutes les autres. Tandis que de nouveaux collègues continuaient d’affluer dans la zone de retrait, ramenés là par des membres de la Curia ou des badauds à l’hostilité variable, Morgan apercevait les corps inertes qu’on ne cessait d’extraire des décombres, et autour desquels se pressait l’impuissant cortège des proches sans qu’il sût dire, de là où il se trouvait, si tous ces gens étaient vivants ou morts, mais il n’était pas naïf. S’il lui suffisait de quelques jours pour se remettre d’une fracture de la cheville ou du poignet, il n’avait pas appris sans douleur combien le corps humain était fragile, et le cataclysme qui avait ébranlé l’île de la Cité était sans commune mesure avec une chute d’acrobate. Il entendit une femme pousser un cri étranglé, et serra Frédéric plus fort contre lui.

Des deux côtés de la barrière magique, on les toisait, d’un œil qu’il savait accusateur, et qu’on détournait aussitôt qu’il plantait à son tour son regard farouche dans la foule. White n’était pas venu à leur secours, quand il l’aurait pu. Voelsungen s’était résigné à les abandonner à leur sort, et cette fameuse Curia qu’ils n’avaient jamais considérée d’un très bon œil allait les juger pour un crime qu’ils n’avaient jamais eu l’intention de commettre et qui leur retournait le ventre. Faute de pouvoir discriminer entre toutes les émotions qui se bousculaient en lui, Morgan se contentait pour l’heure de les haïr.
Tous.

La seule chose qu’il voulait, c’était le roulement de sa cascade.

Il posa les yeux sur Fred, qui se remettait doucement. Le premier choc était passé, et, s’il y avait fort à parier qu’il n’allait pas pouvoir lancer le moindre sort dans le courant des prochains jours, il avait du moins retrouvé la force de se tenir droit et de se mettre debout au besoin, en dépit de sa migraine lancinante. Morgan hocha inconsciemment la tête, comme faisaient les hydres entre elles, pour se rassurer.

Le mage y fut sensible, comme toujours. Il fit ce léger sifflement qui signifiait "reçu" pour les hydres, mais qui voulait également dire "merci" entre eux deux.
Puis Freddy sursauta violemment et un... dragon sans ailes, ivoire et rouge, jaillit dans le ciel.

« C'est... c'pas moi ça, c'est…! »

Morgan le serra contre lui, surveillant les hauteurs, la taille de leur cage. Rien à faire, ils étaient comme des bêtes prises.

Au milieu du chaos, White passa soudain entre tout le monde. Apparemment, une tentative de fuite était prévue. Les jumeaux se lancèrent un regard avant de se lever. Il n'était pas question de suivre qui que ce fût, cela au moins était clair. Fred n'osait pas regarder ses collègues. Pas même Églantine. Il imaginait assez bien les reproches qui devaient leur traverser l'esprit et qu’il savait justifiés. Inspecter les alentours était également impossible : tout ce chaos, ce carnage... il l’avait généré. Et cette barrière magique qui faisait un bruit tellement dissonant, c'était insupportable, sans parler du dragon qui semait de nouveau la panique.

Lorsque la barrière s’effaça, Fred soupira de soulagement. Ils se prirent la main pour ne pas se perdre et se retrouvèrent devant un dandy au bras brûlé, à côté duquel se tenait Celenna.

« Vous êtes dans mon groupe, suivez-moi. Vous pourrez marcher ? »

Impossible de se débiner tout de suite. Morgan jeta un oeil déterminé à son frère. Ils fuiraient dès que possible, mais dans l’intervalle, il acquiesça pour eux deux.

« Ça ira. »

Au signal, ils s’élancèrent tous ensemble vers le Pont au Change, traversant la Seine en direction des façades fumantes de Châtelet. Parvenues à hauteur du Louvre, les différentes troupes se scindèrent, et les deux jumeaux suivirent celle d’Eques qui longeait les quais de la rive gauche. Morgan se sentit instinctivement soulagé par la manœuvre, qui les faisait demeurer ainsi près de l’eau. Il continuait de soutenir Frédéric, qui lui-même surjouait  son état de faiblesse afin de rester autant que possible à l’arrière, à distance de leur guide. Celui-ci se retournait régulièrement pour s’assurer que tout le monde suivait bien, mais le reste de leurs collègues semblait trop préoccupé par la fuite pour prêter vraiment attention à eux, mis à part Celenna, qui s’obstinait à fermer la marche, et les gardait à l’œil. L’hydre siffla un juron entre ses dents. Convaincu que le monde entier s’était ligué contre eux, il n’était pas à même de sentir ce que ce regard avait pourtant de maternel.

Les quais remontaient tandis qu’ils approchaient de la Concorde. La fatigue commençait à se faire sentir dans leurs rangs, et Celenna détourna un instant son attention des deux frères, pour inciter les plus chétifs du groupe à ne pas ralentir.
Les jumeaux bondirent sur l’occasion.
Lorsqu’elle se retourna, ils s’étaient déjà élancés sur la place, et détalaient en sens inverse vers le jardin des Tuileries.

« ARRÊTEZ !!! Revenez là !!! »

Morgan jeta un coup d’œil par-dessus son épaule et changea d’itinéraire lorsqu’il la vit se précipiter à leurs trousses ; il avait bifurqué pour s’engager sur le pont de la Concorde, traînant presque Frédéric derrière lui. Eques cria quelque chose, lui aussi, mais de trop loin pour être entendu.

« Faut s’bouger, frangin… »

Les efforts du mage étaient héroïques, mais pas suffisants pour semer la démone sur une si courte distance. Tous deux le savaient bien. Ils avalèrent encore quelques mètres, les mains serrées l’une dans l’autre, avant de ralentir leur course, haletants, pour se regarder en silence.

« REVENEZ, MAIS QU’EST-CE QUE VOUS FAITES !!! Fred !!! Morgan !!! NON ! NON, ARRÊTEZ, VOUS ALLEZ V- »

Ils étaient montés d’un même geste sur le parapet, et, avec une ultime expression de défi pour la barmaid, ils plongèrent dans le vide.

La chute sembla s’étirer comme leur corps fendait l’air, avant de percuter l’eau dans un choc brutal. Leurs os et leurs muscles gémirent ; leurs mains tendues en avant s’enfoncèrent loin dans les profondeurs du fleuve.
Quand enfin il se sentit redevenu maître de ses mouvements, Morgan s’agita dans l’eau, un peu sonné, cherchant Fred à tâtons autour de lui sans d’abord le trouver. Il avait l’impression que toute sa carcasse venait de recevoir une gifle monumentale ; ses côtes et son épaule gauche le faisaient particulièrement souffrir. Il ondula péniblement dans la direction qu’il pensait celle du haut, percuta une masse vivante au passage, tira Frédéric avec lui. Lorsqu’il creva la surface, il s’assura en premier lieu que son frère respirait bien ; puis il releva la tête, pour apercevoir au loin la silhouette immobile de Celenna qui les observait encore du haut du pont, et qui rapetissait à mesure que le flot les emportait avec lui.

Sauvés.

Pour l'instant, du moins.
L'eau était froide, le courant implacable, les bâtiments longeant la Seine fumaient de droite et de gauche. Mais il n'y avait pas à Paris de meilleurs nageurs que les jumeaux Lenoir, bien que Fred, privé de sa magie, fût totalement désorienté.

Ils bénirent leurs costumes simples, aux chaussures légères. Pas de froufrous alourdis ni de semelles pesantes. Mais ils ne pouvaient rester indéfiniment dans l’eau, il allait falloir trouver quelque chose. Devant le saccage de la ville, certaines péniches avaient accosté de façon anarchique, tandis que d'autres, au contraire, tentaient de fuir la capitale. En résultait un trafic désordonné entre les embarcations amarrées de longue date que les plumes de l'oiseau avaient carbonisées, et les bateliers pressés de quitter les lieux.

Ils dépassèrent miraculeusement le pont des Invalides. Frédéric fatiguait. Avec Morgan à ses côtés, il ne risquait rien, et nager était toujours moins fatiguant que marcher, mais il leur faudrait un endroit sûr, et vite.
La solution se présenta à eux un peu plus bas : quelqu'un, sur l'un des bateaux, les repéra et lança l'alerte, qui se propagea de péniche en péniche jusqu’à les dépasser. La première embarcation en aval leur lança une bouée que Morgan évita consciemment : le navire était à quai, aucun intérêt.
La troisième fut la bonne, tandis qu'ils passaient sous le pont de l’Alma.

« CHOPEZ-LA, LES GARS ! ALLEZ ! »

Le rond de liège tomba dans une belle éclaboussure à tout juste quelques mètres ; Morgan le récupéra en quelques brasses expertes et poussa la bouée vers Frédéric. De la péniche, un homme et une femme tirèrent sur la corde pour les ramener vers eux.
Ils furent hissés à bord en un rien de temps.

« Bon sang d'sale journée, d'sale journée, j'vous jure. Ça va les jeunes ? Mariette, ramène donc une couvert---ah, bah. Martin, prends garde au cap, rest’ concentré ! Y'en aura ptêt' d'aut’ à r'monter... »

Fred tremblait, Morgan ne le lâchait pas. On les fit asseoir, avant de leur apporter une couverture que l'hydre enroula autour d'eux.  
Une femme replète, à la coiffe disgracieuse, s'accroupit devant eux pour leur tendre une flasque d'alcool.

« Buvez donc, ça vous r'mettra. On va vous r'descendre à quai dès qu'on pourr--
– NON !
– ...Vous voulez pas ?
– Non ! 'Faut pas rester ici. »

Elle dut croire que le regard résolu, glacial du jumeau était l’effet du choc. Comment savoir ce que les deux rescapés de la Seine avaient vu ? Elle les emmena dans la cabine et leur prêta des vêtements de son fils, le Martin, pour leur laisser le loisir de se changer et de se réchauffer.
Assis l'un près de l'autre sur une banquette couverte de coussins, tandis que la femme repartait assister aux manoeuvres, les frères se toisèrent.

« On part loin. »

Le mage acquiesça. Puis lança un regard par le hublot, vers les immeubles et les quais marqués, témoins de l'affolement des humains. Le mouvement de l’eau sous la coque avait quelque chose d’apaisant, mais Morgan remarqua que son frère ne semblait pas pouvoir détacher son regard de la vitre. Il se pencha donc à son tour et découvrit, sur les berges d’en face, la flèche pliée de la Tour Eiffel. Une larme coula, unique, sur la joue du mage.

« Chuis désolé... »

Sur le pont de la péniche, Mariette s'entretenait avec son mari.

« Des artistes d'la fête qu'on a passée sur l'île, tu crois ?
– Possible. Vu les fripes. Sont choqués.
– Bon sang ça avance plus, ça bouchonne... »

Les péniches et les bateaux encombraient la Seine. La fuite par le fleuve, autant que par la route, semblait compromise. Pour l’heure, ils se raccrochaient cependant à ce fol espoir de laisser à jamais derrière eux les vicissitudes de la capitale.
Ryden Haesmar
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MessageSujet: Re: Intrigue : Acte I Scène V | Tomber de rideau   Intrigue : Acte I Scène V | Tomber de rideau - Page 2 I_icon_minitimeDim 12 Juil - 16:08

Dire qu’il avait failli ne pas venir, ennuyé par la perspective d’une simple œuvre de charité. Maintenant, plus que jamais, il ne regrettait pas son choix, ou plutôt la force de persuasion de Serra. Il s’en serait voulu d’avoir manqué un tel spectacle.

Il devait le reconnaître, même à contrecœur, le Lost Paradise savait divertir leur clientèle. Pour cela, on ne pouvait pas le leur reprocher. Oh, non ! Déjà l’apparition du Simurgh l’avait épaté, mais ce revirement de situation. Chapeau ! Jamais il n’aurait cru White et son équipe de connivence avec les autres. Jamais il ne les aurait crus capables d’un tel plan. Un plan foireux et irréfléchi, avoir été à leur place, il l’aurait peaufiné un peu plus, mais c’était tout de même impressionnant. Il les avait peut-être mal jugés, après tout.
Car force était d’admettre, il était difficile de nier leur complicité. Toutes les preuves les pointaient du doigt, à l’exception de minis détails. Bien sûr, il avait cru à leur innocence… au début, mais plus maintenant. Plus depuis que les inconnus étaient de retour et les aidaient dans leur évasion. Mais était-ce vraiment des inconnus ? Malgré une certaine animosité, ils semblaient plutôt bien se connaître… Peut-être était-ce simplement de nouveaux employés ?
Tout ce dont il regrettait maintenant, c’était de ne pas avoir pris un de ces cornets rempli de popcorns. Avoir pu en manger en même temps d’assister à tout cela, aurait été le combo parfait. Dommage.

Voyant les jumeaux s’enfuir, il sortit de sa cachette improvisée. Ils lui devaient encore des réponses. Il n’était pas question de les laisser s’en tirer en le laissant dans le noir. Oh non, pas question ! Il les suivit, ou plutôt tenta de les suive. À peine sorti, Petros apparut, lui bloquant le passage ainsi que la vue. Le démon fit un pas vers la gauche, le centaure fit de même. Il alla alors vers la droite, l’homme-cheval lui emboîta le pas, déterminé à l’empêcher d’avancer. Il lui parla, mais Ryden n’écouta pas. Il n’avait qu’une idée en tête; rejoindre les Lenoir. Alors, il feignit d’aller dans une direction avant de prendre l’autre, mais…


- Putain ! Vous êtes pire qu’une mouche à merde ! Vous n’avez personne d’autre à qui emmerder !? Vous me voulez quoi ?!

Se tenant toujours, inlassablement devant lui, Petros le regardait impassible. Il lui réitéra la demande de quitter les lieux, mais cette fois-ci, avec plus d’insistance.

- … pour votre sécurité, Monsieur.
- Si vous arrêtiez de me bloquer le chemin, aussi ! Ragea le toxicologue.
- Vous vous dirigiez vers le danger.

Pour lui donner raison, Amjad atterrit durement au sol à deux mètres derrière le centaure, projeté par une seconde attaque de Draken. Profitant de cette distraction, Ryden se pencha sur le côté afin de retrouver les jumeaux. Mais rien. Il se redressa, sentant sa rage bouillonnée un peu plus. Sans ménagement, le démon repoussa l’obstacle chevalin qui lui obstruait la vue. Il fit quelque pas, regarda dans tous les sens. Toujours rien. Il calcula la distance approximative parcourue depuis leur dernière position connue, courut jusqu’au croisement du Quai de l’Horloge. Il entrevit le Curé pourchasser deux gamins, probablement des orphelins d’après leur habit, mais les jumeaux restèrent introuvables. Il les avait perdus. Et avec leur disparition, sa chance de les interroger s’évaporait. Il devrait rester dans l’ignorance.
Face à cette constatation, même la douche glaciale provenant du ciel ne sut refroidir sa frustration. Ses yeux se remplirent d’une profonde noirceur. Il n’avait qu’une envie; démolir quelque chose ou quelqu’un. En réponse à son désir, un enfant le heurta. Grave erreur. Il l’empoigna par le cou, le souleva dans les airs et il le reconnut. C’était le même garçon, l’orphelin qui l’avait confondu avec sa mère. Sa poigne se serra un peu plus. L’ombre du démon s’agrandit, se modifia. Le môme se débattit, mais Ryden le sentait faiblir. Soudain, du coin de l’œil, Petros réapparut. Il vira son regard meurtrier vers lui. Il se rapprochait rapidement. Préférant éviter une confrontation avec la Curia, il libéra à contrecœur le gamin.

Il ravala du mieux qu’il put sa colère, observa une dernière fois vers le Pont au Change, puis rebroussa chemin. Il savait que ce serait une perte de temps de courir après les jumeaux. Ils pouvaient être n’importe où maintenant. Et leurs nouveaux amis semblaient avoir plus d’un tour dans leur sac, surtout lorsqu’il était question d’être incognito.


- Vous êtes content, là ! Je m’en vais ! Siffla le démon entre ses dents à l’encontre du centaure en passant devant lui.

En prenant le Pont Saint-Michel, il aperçut Serra. Elle avançait d’un pas lent. Sa blessure à la jambe semblait toujours l’incommoder. Puis, il le remarqua. Ce bras autour de sa taille. Un homme, un bon samaritain, il l’aidait en la soutenant. Impulsivement, Ryden accéléra le pas et s’inséra entre eux.


- Dégage ! Dit-il en bousculant l’inconnu avec force.

Le pauvre, surpris par cette brutale intrusion, perdit pied, frappa la rambarde affaiblie et passa par-dessus bord. Sentant le vide sous lui, il hurla avant de disparaître dans un grand plouf, emporté par le courant de la Seine. La renarde observa la scène sans bouger avant de diriger son regard vers son associé. Plusieurs visages se tournèrent vers eux. Des voix offusquées s’élevèrent. Des gens tentèrent d’aider l’homme en difficulté. Mais les deux Légendaires les ignorèrent, comme s’ils étaient dans une bulle hermétique. Nullement déconcertée, ni même intimidée par l’agressivité du démon, Serra le scrutait, arborant un sourire en coin.  


- Oooh. Monsieur est de mauvaise humeur. J’imagine que tu n’as pas eu ce que tu désirais.

Pour toute réponse, il lui adressa un regard noir avant de continuer sa route. Cinq pas plus tard, un raclement gorge l’arrêta. Il pivota. La Gumiho n’avait pas bougé d’un pouce, elle le fixait… intensément.

- Quoi !? Qu’est-ce que tu veux !?

Sans dire un mot, elle continua ses mimiques avec encore plus d’insistance et d’éloquence.

- Non ! Pas question ! Jamais !
- Tu me dois bien ça.

Pendant une longue minute voire deux, où seuls les lointains cris de détresse du pauvre samaritain se mirent entre eux, ils se défièrent dans une joute silencieuse. Chacun refusait catégoriquement de donner la victoire à l’autre.

- On est quitte après cela ?
- Humm… peut-être.

Après un long soupir, abdiquant, le brun rejoignit la rousse, s’accroupit et il lui offrit son dos. Triomphante, elle s’y colla, passant ses bras autour de son cou, ses jambes à sa taille, puis il se releva.  


- Tu sais que tu n’es pas légère.
- Ferme-la. C’est toi qui es faible. Allez, avance.

Le démon reprit sa route, transportant à présent une charge supplémentaire sur son dos. Ils passèrent devant la place Saint-Michel, ignorèrent les gens qui s’empressèrent de monter dans les cabs. Leur attention était orientée sur la dévastation et le désespoir qui régnaient dans les rues de la capitale en pleur.

Finalement l’ombre de l’église Saint-Sulpice se dévoila. Avec elle, cachée derrière, se révéla leur établissement de débauche. Serra perdit toute contenance en l’apercevant. Ses yeux faisaient des allers-retours, ne sachant pas sur quel détail s’accrocher. La bouche entrouverte, les mots refusèrent de sortir. Son Abbaye. Sa fierté. Mais que lui avait-on fait !?


- Penses-tu que l’assurance va nous dédommager ? DEmanda tout bonnement Ryden, brisant le silence pesant qui s’était installé.

Sortant de sa torpeur, elle frappa son abruti d’associé.

- Imbécile ! Tu n’es qu’un imbécile !
- N’en fait pas tout un drame, Serra. Ça aurait pu être pire. Ce n’est que quelques fenêtres et un toit.

***

Accoudé sur la coiffeuse partiellement détruite de la Gumiho, le démon porta son verre à ses lèvres et avala sa gorgée, penseur. Il jeta ensuite un coup d’œil aux quartiers de Serra. Du verre, du bois, des morceaux des tôles tordues et de bétons ainsi qu’un oiseau mort tapissaient le sol. Exténué à la simple idée du travail qui s’annonçait, il alla rejoindre la sublime créature étendue sur un lit salement amoché. Couché sur le dos, il laissa son esprit s’envoler dans ce ciel étoilé, dévoilé par l’absence de toit.

- Au moins, il ne pleu…
- Ferme-la, Ryden !
- M…
- Non ! Ne le dis pas. N’y penses même pas !

Trop tard, le mal était fait. De minuscules gouttelettes se déposèrent timidement sur leur visage. Les deux se regardèrent, souhaitant une fausse alerte. Mais non. Quelques secondes plus, elles se transformèrent en un déluge torrentiel.

- HAESMAR, BORDEL ! Fallait vraiment que tu y penses, hein ? Rumina-t-elle en le poussant en bas du lit.
Ouadji Oursou
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Ouadji Oursou

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MessageSujet: Re: Intrigue : Acte I Scène V | Tomber de rideau   Intrigue : Acte I Scène V | Tomber de rideau - Page 2 I_icon_minitimeDim 12 Juil - 16:28

- R’prends toi ! C’pas l’temps d’s’amuser, l’jeunot !

Le diable était aux vaches, il n’y avait pas meilleure expression pour décrire la situation. D’un côté, un vieux dément en soutane légèrement brûlé beuglait de divines paroles obscures à qui ne voulait pas l’entendre. De l’autre, une dragonne surplombait les airs, distrayant les membres de l’exécutif de la Curia. Et tout autour, de simples humains couraient dans tous les sens, cherchant à fuir cette nouvelle calamité.
Tout compte fait, la cage n’était pas un si mauvais choix. À l’intérieur, il y régnait une certaine… quiétude. En tout cas, c’était le cas pour le sphinx, mais pas nécessairement pour les autres. Brick s’était transformé en taupe, creusant avec acharnement un tunnel à l’aide d’une petite cuillère en argent. Mais que faisait-il avec ça !? Tandis que pour le Dullahan, l’inquiétude lui dévorant les entrailles. Sans parler des remords qui semblaient torturer d’autres détenus.

À l’approche de la femme à la robe bleue, le sphinx sentit un changement dans l’air. Intrigué, il se leva. Sans la quitter des yeux, il suivit sa conversation avec le cyclope ainsi qu’avec le patron, un sourire en coin. Alors, ils étaient de retour pour les aider. Était-ce la culpabilité qui les avait fait revenir ? Ou était-ce leur plan depuis le début ? Mais en vrai, il s’en foutait. Tout ce dont il lui importait, était sa liberté.

Et il n’attendit pas longtemps.

Intrigué par leur méthode, il s’approcha un peu plus près des deux loups et du gamin, se collant presque sur la barrière lumineuse, mais resta tout de même à une distance respectable des Légendaires. Personne ne portait attention à lui et il préférait que ça reste ainsi. Puis il étudia attentivement les gestes de Lune, mais surtout ce qu’il tenait dans les mains.
Finalement, les murs tombèrent.

Attiré par le flash de la pierre, Kramer dirigea son regard vers la source de sa distraction. Voyant les prisonniers s’évadés, le chasseur sentit une décharge d’adrénaline submergée son frêle corps, et avec elle, sa folie s’accentua. Son œil droit tressaillit, lui conférant un regard encore plus dément. Le poing en l’air, la tête en arrière, un puissant glougloutement sorti d’entre ses chicots
.

* C’était quoi ça !? *
* Le cri de guerre du Seigneur ! *
* Te prends-tu pour un guerrier dindon ? Ou peut-être, essayais-tu d’attirer une armée de dindes ? *
- Baliverne, sale impie ! Vois la puissance du Tout-Puissant !
*… Ils s’enfuient toujours. La fille de Satan, aussi. *

En effet, le petit groupe guidé par Gigante s’éloignait déjà de la place. Mais inquiet pour les autres, Brick s’arrêta et balaya rapidement les lieux, craignant de laisser un collègue derrière. Soudain, son regard croisa l’œil dément du curé. C’est alors que Kramer releva sa soutane. Aussitôt tous ceux près de lui fuirent en hurlant d’horreur. Une femme perdit même connaissance devant l’ignoble image qu’il dévoila. Inconscient du trouble qu’il provoquait, le vieux fou tentait tant bien que mal de décoincer le fusil à trois canons qui s’était pris dans son caleçon.

Constatant que Brick ne suivait plus, Ouadji s’arrêta, le chercha. Finalement, il l’aperçut, immobile, à une mètres ou deux. Une grimace répugnée déformait ses traits. Mais que faisait-il encore ? Découragé, le sphinx soupira et alla le retrouver. Il le secoua, mais le nain ne réagit pas. À dire vrai, il semblait envoûté, ou plus précisément, pris dans un cauchemar. Soudain, une balle passa à quelque centimètre du blondinet. Furieux, il approcha son visage de Brick, brisant le lien hypnotique, et lui cria dessus:


- Allez, le nain ! Ce n’est pas le temps de s’enraciner !
- Oh my… ! Marmonna-t-il encore choqué, sortant lentement sa torpeur. Quel’ horreur ! J’pense que j’viens d’subir un traumatis’ ! Ça va m’hanter l’restant d’mes jours, pour sûr !

Un second tir. Cette fois-ci, trois projectiles volèrent dans leur direction. Avec une agilité toute féline, Ouadji les évita d’une pirouette digne de la Matrix. Les pieds à nouveau au sol, sa main agrippa l’épaule de son chef et le traîna de force. Il n’était pas question de rester là plus longtemps.

Les deux filèrent sous les beuglements de Monsieur le curé qui les poursuivait avec ténacité. Ils prirent le Pont au Charge, s’engouffrèrent dans les rues et avenues. Lorsqu’ils finirent par perdre la trace du chasseur, ils se trouvaient sur la rue de Rivoli. Le danger à présent derrière eux, ils ralentirent le pas, constatant les ravages. Alors qu’Ouadji regardait le tout avec indifférence, une impression de déjà-vu l’habitant, Brick était accablé. Les larmes lui montèrent à l’œil. Durant sa courte existence de vieux nain, jamais il n’avait assisté à pareille tragédie.
On sortait des corps calcinés des immeubles effondrés par les incendies. Des enfants en pleurs tentaient de réveiller les cadavres de leur parent. Le sol jonchait d’oiseaux inertes et de débris de tout genre. Partout où ils regardèrent, rien n’avait été épargné. Le Louvre se dévoila enfin à eux, exhibant honteusement son triste état. Le feu consumait toujours une de ses ailes dévastées.


- Toutes ses œuvres d’arts perdus à jamais…

Surpris par cette voix familière, les deux se tournèrent. Leur petit groupe se tenait à deux pas d’eux, admirant avec affliction le monument.

- On peut dire que vous savez semer la déchéance et la destruction. Dit le sphinx s’adressant à Gigante.

Soudain, un hennissement se fit entendre derrière eux. D’une même voix, ils pivotèrent vers la source du bruit. Un cheval en panique apparue au coin d’un bâtiment en ruine. Les flammes dévoraient la voiturette qu’il transportait toujours. À son approche, ils sautèrent sur le côté. Incapable de le quitter des yeux, ils virent l’animal passer à toute vitesse. Puis une deuxième bête surgit à sa suite, les surprenant tous. La pauvre créature, complètement dévorée par les flammes, faillit les faucher dans sa course désespérée avant de s’écrouler, inerte, quelques mètres plus loin. Ébranlés, personne s’osa parler.

Ils continuèrent leur route, perdus dans leur sombre pensé.
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MessageSujet: Re: Intrigue : Acte I Scène V | Tomber de rideau   Intrigue : Acte I Scène V | Tomber de rideau - Page 2 I_icon_minitimeMar 14 Juil - 14:47

- Aly, ça va ? Tu es tout blanc..

Il n’entendit pas la question. Ni la première fois, ni les suivantes. Son esprit perdu, cherchait dans le paysage assombri par la pluie et le chagrin, une rédemption qui n’existait pas.

~°~°~°~°~°~°~°~

Plus tôt, sur la Place, après avoir rejoint le Préfet.

- Vous êtes sérieux ?
- Oui. White m’a avoué sans détour être un loup-garou. Jamais je n’aurai imaginé ça ! Vous aviez raison de vous méfier de lui, tout compte fait.
-

L’absence de fierté ou de joie sur le visage de son collègue, fit arquer un sourcil à Gaudefroy.

- Vous croyiez qu’il… Est responsable de tout ça ?
- Il faudra le déterminer. Mais si même l’autorité de ces créatures le met en quarantaine avec ses employés. Ce n’est pas bon signe.

Un bref silence se coucha entre eux.

- Mais vous, vous l’en croyiez capable ?
- Hum…

Réflexion intense.

- Je l’ignore. Tout ce ce dont j’étais sûr jusqu’à aujourd’hui… Son regard d’acier balaya la place dévastée. …n’est plus vraiment immuable.
- Je vois.
- Néanmoins…

Aldrick resta suspendu à ses lèvres tout en dégageant un nouveau bloc de béton, avec plus de facilité qu’il n’aurait dû, compte tenu de son état.

- … Je ne l’avais jamais vu si… Le terme parut tant le déranger qu’il l’abandonna dans un murmure. …Humain.
- Ne soyez pas insultant ! Répliqua Armand qui venait d’arriver près d’eux, les bras chargés d’une pierre conséquente et qui avait manifestement entendu la fin de leur conversation.
- Attention ! Quelque chose tombe du ciel !
- Ca vient par ici !
- C‘est une de ses abominations !
- Ecart-

Trop tard.

Dans un nuage de poussière, la Sylphide se releva au mieux. Peinant à tenir sur ses jambes. Ce, non loin de l’endroit où les trois hommes se trouvaient plus tôt. Par réflexe, les deux policiers s’étaient jetés derrière les restes d’une bâtisse en entraînant Armand dans leur sillage. Olivia vacilla, mais ne se laissa pas démonter pour autant et dans un bond aussi prodigieux que gracieux, repartit directement à la charge du dragon contre lequel elle se battait.

- Et là ? Vous croyez encore que ces aberrations peuvent avoir quoique ce soit d’humain ?! Vociféra Armand entre deux quintes de toux.

~°~°~°~°~°~°~°~

Durant les longues minutes du trajet, Aldrick avait fixé ses paumes, sans les voir autrement que couvertes de sang. Pourtant, pas une goutte ne s’y trouvait. Ce rouge puissant sur ses mains n’était qu’une réminiscence violente du passé. Le souvenir des vies qu’il avait ôté jadis. En se sachant plus lycan qu’humain lors de la Grande Guerre qui l’avait poussé au front du haut de ses treize ans.

Depuis, il avait changé.
Avait enfoui au plus profond de son être toute trace de la Bête. Sans parvenir pourtant à la renier totalement. Jamais vraiment. Elle faisait partie de lui. Que ça lui plaise ou non.
Mais à présent. Qu’est-il ? Sinon un lâche ? Comment pourrait-il encore porter son nom avec fierté ? Envisager sa race avec décence ? Alors qu’il…

- Aly, est-ce que…
- Silence !

L’ordre était sec. D’une voix blanche qui ne semblait pas lui appartenir. Qu’il n’avait jamais adressé à Éléna. Jamais adresser à personne d’autre qu’à Eduard Wolkoff. La surprise que cela créa, fit sursauter la benjamine et jeta un froid dans le cab branlant. La route n’était que pavés partiellement déchaussés qui malmenait la petite famille, séparée d’Archimède, depuis plusieurs minutes déjà. Impossible d’ailleurs d’appeler vraiment ça une route. Un chemin tout au plus. Celui-ci menait à un nouvel enfer. Aldrick en était persuadé. Sinon comment expliquer la désolation aux alentours ? La détresse de chaque cri qui lui perçait encore les tympans ? La folie du monde en apprenant leurs existences ? La colère du Simurgh et sa purge de Paris ? L’odeur omniprésente du sang partout ? Ses échecs lamentables pour aider les Siens ? La lacération profonde qui scindait son âme en un milliard de morceaux ?

- Hey ! Mais qu’est-ce qui te prends ? Elle n’a rien fait ! Excuse-toi !
- Non !

Le refus troubla la matriarche. Pas parce qu’il marquait le début d’une rupture avec son fils aîné, mais parce qu’il ne lui avait jamais semblé ressembler autant à son mari après une de leurs disputes sérieuses. Ce n’était pas une bonne nouvelle. Surtout si la colère venait à tonner davantage dans ce timbre disloqué.

- Aldrick ! Exc-
- Non ! Coupa-t-il avec véhémence. Rien de ce que vous pourrez dire ne me fera changer d’avis ! Ce que vous venez d’exiger de moi…
- Tu as fait ton choix ! Je ne t’ai pas mis un couteau sous la gorge que je sache !
- C’était tout comme !
- Tu pouvais très bien…
- Nous aurions pu ! Rectifia-t-il. Nous aurions pu les aider ! Nous aurions dû… ! Sa voix se brisa alors qu’une colère virulente tonnait au fond de ses iris dorés. Aldrick s’agita, balayant l’air de la main, d’un geste agressif. Et à la place, nous avons fui la queue entre les jambes… Croyez-vous que les seules personnes que je veuille protéger soient toutes dans ce cab ?!
- Arrêtez de vous disputer. Supplia Sabrina, sans comprendre vraiment de quoi ils parlaient.
- Est-ce qu’Andréa en fait partie ? Questionna Éléna dans un murmure avec un calme affolant.

Pourtant, sa voix ne tremblait pas. Ses iris, plantés dans ceux du brun, ressemblaient à s'y méprendre à la manière dont sa mère le regardait parfois, pour sonder son âme. Aldrick la fixa avec surprise, comme s’il la découvrait.

* Depuis quand… ? Depuis quand tient-elle à lui à ce point ? Depuis quand ressemble-t-elle tant à une femme ? *

Lentement, elle répéta :

- Est-ce qu’Andréa en fait partie ?
- Oui.

Il ne cilla pas. Pas même lorsqu’Élise se rapprocha d’un bond en lui agrippant l’épaule avec force.

- Le neveu de White ? Ça ne se peut !
- C’est la vérité. Confirma-t-il en se défaisant de son étreinte.
- Pourquoi vous en parlez comme si c’était mal ? S’inquiéta la brunette.

Un silence pesant se coucha entre les adultes.

- Le théâtre ! Il est en feu ! S'alarma Éric.

Contrairement aux autres, le loup noir ne réagit pas, malgré l’odeur de cendres qui envahissait sa truffe. Il ne vit même pas l’horreur s’immiscer sur leurs visages en contemplant le bâtiment rougeoyant que les flammes léchaient de part en part. Quelques courageux, au pied de l’édifice, armés de seaux tentaient de sauver la bâtisse. La voix d’Élise s’étrangla dans un cri étouffé par ses mains blanches. Elle tremblait sous le choc de voir l’endroit disparaître en fumée. Sabrina, assise près d’elle, lui caressa doucement le dos, comme pour la consoler. Le bois de la fenêtre ouverte craqua sinistrement sous la poigne de la lycane lorsqu’elle ravala l'imbroglio d’émotions que pareil spectacle lui arrachait. Aldrick resta immobile. Eléna non plus n’avait bougé. Son regard, toujours planté dans celui de son aîné. Une force nouvelle se dégageait d’elle.

- Ces gens… Tu les aimes plus que nous ?
- Non. Mais je tiens à eux autant qu’à vous.

* Même si, maintenant, ils ne doivent plus voir les choses ainsi *

Les restes de son cœur se murèrent de chagrin, tressaillant de plus bel à chaque hoquet du cab qui inlassablement poursuivait sa route. Pourtant, Aldrick aurait voulu hurler à poumons, rebrousser chemin, les retrouver tous ou à défaut modifier le temps, pour faire les choses mieux, pour changer son choix et paradoxalement… Il ne le regrettait pas totalement. Même en sachant tout le mal que cela avait fait, toute la déception que ça avait engendré, toute la confiance que ça avait bafoué, tout l’égoïsme dont il avait fait preuve. Tout ce que ça faisait de lui.

Il n’était plus ni loup, ni homme.
À présent. Il n’était plus qu’un monstre.

- Les bureaux de la fabrique ne sont plus là ! Julian ! Il devait… Y travailler…

La louve cogna contre le toit du cab avec force.

- Arrêtez-vous ! Tout de suite !

Trois assauts supplémentaires et une pluie de jurons eurent raison de la volonté du chauffeur qui s’exécuta. Aussitôt, Élise se rua à l’extérieur, après leur avoir ordonné de l’attendre, ce, sans tenir compte de la pluie diluvienne qui tombait depuis leur départ de la place. Avec une rapidité impressionnante, la lycane avala les quelques mètres qui la séparaient du bâtiment en escaladant au mieux les décombres avoisinants. Les cris du chauffeur ne parvinrent pas à arrêter celle qu’on nommait autrefois « la Vaillante ».

Lorsqu’Aldrick déposa Éric sur le sol, il s’accrocha naturellement et avec toute sa force d’enfant à la main de sa sœur aînée. Tous trois restèrent pétrifiés devant le paysage lugubre qui s’offrait à eux.

Des locaux de la fabrique, il ne restait que trois murs miraculeusement debout, qui avaient jadis constitué une pièce. Tout le reste était au sol. Sordide amalgame de pierres, de débris, de peinture et d’éléments de jouets. Pas une machine, pas un câble, pas un bureau, pas même le plus petit pinceau, n’étaient restés en place. Seul persistait miraculeusement un écriteau un brin bancal, qui, comme pour faire un pied de nez au destin, arborait encore la devise de l’entreprise : « Rendre l’impossible, possible ! »

Au milieu de ce carnage, Élise hurlait à perdre haleine. Espérant que Julian lui réponde.

Aldrick la rejoignit le premier, du mieux qu’il put, sans un mot, il récupéra ses doigts écorchés jusqu’au sang pour l’empêcher de creuser davantage. Le cœur au bord des lèvres, sa colère se volatilisant grandement, tant il était troublé d’assister, une fois de plus, à pareille scène.

- Mère... Calmez-vous, il…
- Non ! Non ! Non ! Laisse-moi ! Il doit être quelque part ! Là-dessous ! À attendre de l’aide !

Elle s’agita en tous sens pour se libérer.

- Il faut le sortir de là !
- Mère, éc-

La gifle fendit l’air. Violente. Imprévisible. Aldrick en resta bête. Il avait entendu les doigts de la blonde craquer pour se défaire de son emprise. Aussitôt, Élise se remit à creuser de plus belle. Sans s’occuper des plus jeunes qui les avaient rejoints.

- Arrêtez ! Il se rua sur elle, pour l’immobiliser.
- Lâche-moi !

La lycane se débattit avec force, comme une démente, frappa partout où elle pouvait, sans distinction, sans noter qu’elle aggravait les blessures déjà présentes, hurlant le prénom de son aimé, comme s’il allait réapparaître dans l’instant par magie, mal en point, mais entier et heureux de la trouver là. Mais plus elle hurlait, plus son joug se resserrait sur son corps combatif. Enfin, après de longues minutes d’efforts acharnés, une larme coula dans le cou du commissaire, alors qu’Élise, le regard vide flanqué vers le ciel, les mains en sang, s’enquérait d’une voix décharnée débordante de désespoir :

- Pourquoi ? Le haïs-tu tant que cela ?
-

Une brève hésitation, suivie d’un soupir, se distillèrent dans le martellement de l’averse, avant qu’il abandonne :

- Vous vous trompez. Son étreinte se fit plus douce, il l’attira contre son cœur. Il était malade comme un chien, il a fait promettre aux filles de ne rien dire pour ne pas vous inquiéter. C’est ce qu’il fait à chaque fois qu’il les envoie à sa place…

Éléna tressaillit, mal à l’aise. Elle n’avait rien dit pourtant. Pas une seule fois. Son regard croisa celui de sa sœur, aussi surprise qu’elle. Alors seulement, Éric fondit en larmes, sous le trop-plein d’émotions. Aldrick s’excusa du regard. Il n’avait pas l’intention de le mettre mal à l’aise à ce point. Heureusement, les filles furent rapides et le consolèrent au mieux.

- Il doit être dans votre maison, à l’extérieur de la ville, à l’heure qu’il est. Loin de tout ceci.
- Tu… Crois ?

Il acquiesça silencieusement. N’osant s’avancer sur le sort de l’entrepreneur, alors qu’une nouvelle larme, de soulagement cette fois, perlait sur le visage de nacre de la tragédienne. Aldrick ne la discerna pas des milliers d’autres gouttes qui s’écrasaient au sol. Aussi, il attendit patiemment, que les soubresauts de tristesse de son aînée s'espacent. Lorsqu’ils disparurent, maladroitement, le loup noir apposa un baiser sur le front de sa mère, avant de glisser d’un ton doux, mais assez fort pour être entendu.

- Je vous raccompagne chez vous. Rentrons.

~°~°~°~°~°~°~°~


Plusieurs heures après avoir arpenté la capitale en vain, une fois dans son appartement.

Aldrick pencha la tête, soupira, avisa à droite, puis à gauche et soupira. Tout était sens dessus-dessous. Ou presque.

- Un jour, il faudra qu’on m’explique pourquoi tu t’en sors toujours aussi bien, toi.

Au milieu des restes de son salon, entre un pan de toit effondré sur son phonographe et sa cheminée en miettes. Chamallow trônait, somnolant nonchalamment, sur un coussin poussiéreux. Son auge avait à peine était cabossée et le peu de lait qui y restait semblait ne pas avoir subi la moindre invasion de poussière, alors que la gamelle avait manifestement traversé toute la pièce. Sa chambre n’avait pas eu autant de chance. Tout comme l’escalier qui menait jusque chez lui, elle était partiellement détruite. Un pan du mur et du toit manquait, mais la chambre d’amis était encore convenable, malgré une nouvelle petite ouverture inopinée dans le toit. Rien qu’il ne puisse réparer. Mais bien assez pour assurer quelques nuits fraîches. Aldrick soupira en s’asseyant sur une chaise branlante. Ce qu’il aurait payé cher pour savoir simplement où étaient ses homologues, ce qu’il était advenu des jumeaux, ou de Rose !

D’un geste lent, il sortit la montre à gousset, dont il avait hérité de son père, de sa poche et l’ouvrit, dans l’espoir d’y trouver une once de réconfort.

Le verre était fendu. Elle avait cessé de fonctionner.
Tout comme son cœur, elle aussi était en morceaux.
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