Il faisait froid dans ce tombeau. Combien d'années passées dans celui-ci le cou attaché au mur par des chaînes, les poignets et les chevilles mis aux fers ? Combien de temps depuis qu'il avait monté ce tombeau en l'honneur de son maître ? Layth ne le savait plus. Même s'il se doutait que ça faisait tout de même un certain temps, vu la longueur de ses cheveux. Il n'avait plus compté les jours. Il ne savait même pas quel jour il était, s'il faisait nuit ou jour, si la lune ou le soleil brillait dehors. Il n'avait pas entendu le chant d'un oiseau depuis des lustres et pourtant ça ne lui manquait pas. Non. Pas le moins du monde. A la fois mi endormi, mi éveillé, Layth passait encore un moment de plus, dans ce tombeau, attendant que quelqu'un ose y mettre les pieds. Il est confiant. Il sait qu'un jour quelqu'un osera s'intéresser à l'énigme qu'est l’élixir de longue vie et découvrir qui est le Djinn de l'Alchimiste. Il referma les yeux et se laissa porter par les souvenirs et la rêverie.

Il ne se rappelle pas de son enfance, ni de ses parents. Il ne sait pas non plus comment il était, ni même ce qu'il fut avant d'être Djinn. Peut-être qu'après tout il est né Djinn. Tout ce dont il se souvient, c'est d'avoir toujours été dans le désert, à se déplacer d'oasis en oasis, à faire face aux fortes chaleurs et à la soif. Il se voit encore âgé de 12 ans, marchant au milieu des immenses dunes de sable bouillant, vêtu d'un vêtement léger, le recouvrant de la tête au pieds pour faire face aux rayons brûlants du soleil.

Mais le souvenir qu'il ne pourra jamais oublier, c'est celui de ce qui pourrait être l'équivalent pour un humain de ses 14 ans. Il était là, à marcher dans le désert, le visage couvert sous le tissus. Il se retrouva soudainement face à un individu un peu plus grand que lui, mais relativement du même âge. Cependant, le garçon devant qui il se tenait n'était pas habitué à ce genre d'endroit et ne supportait pas la forte chaleur. Il était même en état de déshydratation. Layth lui avait alors donné sa gourde et l'avait sauvé. Il lui avait demandé ce qu'il faisait là, lui, le jeune homme blond aux yeux noisettes. « Tu n'es pas un enfant des sables. Tu recherches quelque chose. Je ne sais pas quoi, mais ça se lit dans ton regard » voilà ce que lui avait dit Layth. Le Djinn lui avait alors proposé son aide. « Mais pour ça tu devras passer un contrat avec moi. Un contrat qui exige ton sang. La seule chose qui pourra le défaire, ce sera la mort de l'un d'entre nous... ». Pourquoi avait il proposé son aide à ce jeune garçon ? Il ne s'en souvenait plus. Tout ce qu'il sait, c'est que depuis ce jour-là, jamais il n'avait pu se séparer de lui. Un lien très fort les avait unis. Un lien plus fort encore que l'amitié.

Il se souvint aussi de ce jour où, se trouvant enfin en ville, le jeune homme lui avait demandé son nom. « Je n'ai pas de nom. Beaucoup de marchands parle de moi en disant « Enfant des sables ». Mais je n'ai pas de nom. » Il se rappelait combien son ami avait été choqué par cette découverte. « A partir d'aujourd'hui tu t'appelleras Layth. Layth Aeterna. Parce que ton regard est aussi doux et plein de force que celui d'un lion. » Ce jour-là, Layth s'en souviendra aussi. Parce que pour la première fois, il avait eu l'impression d'être important dans le monde, l'univers. Pour la première fois, il se sentit exister.

Depuis leur rencontre, Layth avait découvert que son compagnon et maître était un alchimiste de renom. Il était doux, calme et avait le cœur sur la main. Layth était heureux d'être avec lui. Il le voyait un peu comme un bon père même s'ils avaient à peu près le même âge. Layth lui était fidèle. Il se souviendrait toujours de ça. De cette immense loyauté et obligeance qu'ils se devaient l'un à l'autre. Il se rappelait maintenant. Son maître était en quête du Grand Oeuvre. Et il touchait presque au but.

Cependant, Layth avait toujours été inquiet. Son maître était atteint d'une maladie rare, qui le fatiguait terriblement. C'est à partir de ce moment là que le Djinn lui avait dévoilé le fait qu'il pouvait lui accorder trois vœux de son choix. Son maître lui avait alors déclaré que tout ce qui comptait pour lui était de trouver au moins la première partie du Grand Oeuvre et ce à ses risques et périls. Cela avait touché Layth. Alors il le lui avait accordé.

Malgré sa faiblesse physique, l'alchimiste avait mis toute son âme et toute sa vie dans ses recherches. Et au final, commençant à sentir le terme de sa vie, l'alchimiste avait découvert la première partie du grand œuvre : l'élixir de longue vie. Layth était fier de son maître. Il avait alors dit d'un ton enthousiaste : « Grâce à lui, tu pourras vivre encore et encore afin de terminer ce que tu as si bien commencé ! » Il s'était attendu à une affirmation, mais en réalité il avait reçu un sourire et une négation. « Non » avait dit l'alchimiste « J'ai suffisamment vécu. Garde l'élixir. Gardes-en le secret avec la formule et tout ce qui va avec. » Et à la grande surprise de Layth, il prononça son second vœux : il fit le vœux d'avoir un tombeau le plus incroyable et le plus extraordinaire, à l'effigie des pyramides égyptiennes perdues aux milieu du désert, le jour de sa mort.

Fidèle à son maître, touché par sa douceur d'âme et surtout, attristé de perdre son unique ami depuis tant d'années, Layth s'était exécuté. Il avait accompli le vœux de son maître. Au milieu du désert, à la force de ses bras et à la sueur de son front, le Djinn avait construit autour du corps sans vie de son maître, l'un des édifices les plus incroyables et les plus extraordinaires. Il avait érigé une véritable pyramide aussi haute et aussi belle que celle de Kéops. Au cœur de cette dernière se retrouva donc le corps de l'alchimiste et ses effets personnels, mais aussi tout un trésor. Un véritable trésor qui aurait pu rendre riche en un rien de temps n'importe quel voleur. Sauf que Layth ne souhaitait pas trouver n'importe qui en ces lieux. Aussi avait-il scellé l'entrée du tombeau au moyen d'une énigme farfelue.

Une fois l'oeuvre accomplie, Layth avait jugé qu'il était temps pour lui de partir et de continuer sa vie, tout en emportant avec lui la formule, les papiers et l'élixir de longue vie. Mais à cet instant précis, quelque chose le retint. Des chaînes enserrèrent son cou. Des fers apparurent à ses poignets et à ses chevilles. Un sceau se dessina sur tout son corps, faisant déchirer son haut. Et il se retrouva là, enchaîné, tel le gardien éternel du tombeau de feu son maître.

Layth attendait encore. Ses cheveux étaient devenus vraiment longs. Il trouvait ça laid d'ailleurs. Mais cette pensée partit bien vite. Il n'avait rien à faire ici. Il ne pensait même plus à la faim, ni à la soif. Le temps il s'en moquait aussi. Mais voilà. Pourquoi aujourd'hui, il aurait bien aimé pouvoir voir une nouvelle fois le soleil, sentir la chaleur du sable sous ses pieds, et sentir le vent chaud brûler sa peau ? Pourquoi aujourd'hui il aurait tout donné pour éliminer ce sceau et fuir du tombeau ? Il tenta de bouger. Mais apparemment ses forces l'avait un poil abandonné. Et puis soudain, il entendit un bruit. Un bruit... pas comme les autres. D'habitude il entendait le cliquetis d'une pièce d'or ayant perdu l'équilibre à cause d'un infime courant d'air. Ou bien le cliquetis de ses chaînes. Mais là, c'était un bruit sourd. Comme si on venait de faire exploser quelque chose. Il entendait, mais n'arrivait pas à relever sa tête. Ses paupières étaient encore lourdes. Qui était en train de le déranger dans son semi-sommeil ?

Et puis il entendit des pas, lointains, qui commencèrent à se rapprocher. Et là, il entendit le grondement de la pierre tandis qu'on ouvrait sans doute l'entrée du tombeau. Des voix parvinrent à ses oreilles. Des voix qui s'extasiaient devant le trésor. Une odeur singulière parvint alors à ses narines. Cela le réveilla presque aussitôt. Cet odeur ! Celle de l'alchimiste ! Était-il donc encore en vie ? Il avait légèrement bougé la tête, faisant cliqueter ses chaînes. Et tel un effet chute de dominos,  tous ses muscles se réveillèrent, faisant raisonner au milieu du tombeau l'ensemble de ces étaux de fers le retenant prisonnier. Il entendit des voix s'exclamer de terreur, parlant d'une bête, voire d'un dragon. Il releva la tête. Et la première chose que ses yeux azur virent, exprimant la même et imperturbable détermination, fut le visage d'un homme à la peau pâle, les cheveux blonds cendrés et les yeux lançant un regard nerveux. Le garçon qui se tenait là devant lui semblait épuisé, fatigué sans doute par la traversée du désert qu'il avait du accomplir. Un faible sourire était apparut sur le visage de Layth. S'il trouvait que l'inconnu était plutôt mignon dans son genre, il trouva aussi qu'il ressemblait physiquement, un peu à son ancien maître.

D'une voix à la fois forte, suave, et perçant les âmes, regardant les inconnus de son regard tout aussi perçant, Layth avait pris la parole : « Qui êtes vous ? Quelle bravoure et quelle force d'être parvenus jusqu'ici... »  Celui qui se tenait debout devant lui, trouva la force de parler, alors que les autres se terraient dans le silence de la peur. Comme s'il venait de lancer une confrontation, le blond lui avait répondu avec détermination : « Nous venons du grand Royaume D’Angleterre ! Nous convoitons le secret de la jouvence éternelle confinée dans les murs de ce tombeau ! »

L'Angleterre ?? C'était quoi cette région ? Il ne s'attarda pas plus sur cette information. Il ne retint que l'essentiel : ils venaient pour l'élixir de longue vie. L'inconnu tremblait légèrement. Layth sourit. Sa délivrance était donc assurée. Il pourra sortir. Il se permit alors de répondre : « Un alchimiste, hein...? Hahahaha, alors comme ça on cherche le jeunesse éternelle ? Peur de vieillir mademoiselle ? » Mademoiselle... C'était tellement sortit tout seul. Disons plutôt qu'il avait eu envie de faire cesser à sa manière les tremblements du jeune homme en osant une plaisanterie. Il ne voulait pas de mal à cet alchimiste. Sauf que cela ne sembla pas avoir plu à ce dernier qui s'exclama qu'il n'était pas une fille et que la lumière trop vive du trésor avait dû lui altérer la vue.

Cela ne manqua pas de faire rire Layth. Plus son vis-à-vis parlait, plus il l'appréciait. Et puis il fallait tout de même avouer que malgré son côté efféminé, l'alchimiste était vraiment mignon. Il annonça alors, une fois calmé : « J'aime tes tripes ! Tu es l'alchimiste du groupe non ? Je peux sentir l'odeur de la poudre et des composants chimiques émanant de toi jusqu'ici. Tu souhaites connaître le secret de la jouvence éternelle ? Alors passes un contrat avec moi. Seul celui qui passera un contrat avec le Djinn de l'alchimiste l'ayant enfermé ici accédera à son secret... Allez... Libère-moi... Non seulement tu connaîtra le secret, mais je t'accorderais 3 vœux, alchimiste. »

L'alchimiste s'était tendu de nouveau. Layth le sentait même crispé. Était-il si terrifiant ? Certes le son de sa voix était amplifiée par l'écho. Mais tout de même, il n'avait pas l'intention de lui faire du mal. Finalement, l'alchimiste s'était approché de lui et s'était même mis à sa hauteur, en lui demandant comment on passait un contrat. Layth lui expliqua : « Un échange de sang est nécessaire. » L'alchimiste s'était alors tranché la paume et avait fait tomber du sang dans la bouche de Layth. Layth avait tendu tant bien que mal son bras. La dernière étape de l'échange fut réalisée, lorsque l'alchimiste le lui mordit.

Dès cet instant, les chaînes disparurent instantanément, de même que le sceau. Layth retrouva sa liberté. Il avait sourit à son nouveau maître. Désormais, lui et Layth seraient unis à jamais et ce jusqu'à la mort. Tel était le contrat. L'alchimiste l'aida alors à le relever. « Pour ce que tu viens de faire, voilà donc ton dû. » Et sans crier gare, il avait attiré l'alchimiste vers lui, et l'avait embrassé, faisant glisser en lui, l'élixir de longue vie. Il se prit une gifle en pleine face une fois l'acte accompli. L'alchimiste était plus que choqué. Non il était même outré. La gifle avait blessé Layth. Et quand l'alchimiste lui avait demandé pourquoi il venait de faire une telle chose, il lui avait répondu sur un ton peu agréable qu'il venait de lui donner son élixir. L'élixir de longue vie. Il n'osera jamais l'avouer. Mais faire ce genre de chose avait aussi été provoqué par l'irrésistible envie de goûter les lèvres de cet alchimiste. Cependant, il n'aurait pas pu le lui donner autrement... C'est ce qu'il expliqua à l'anglais, ajoutant : « Maintenant tu ne vieilliras plus et toutes blessures guérira plus vite que tu ne pourras l'imaginer. »

Cette journée se termina en ville. L'alchimiste, se prénommant Lennox s'étant évanoui, Layth était sorti et avait conduit les compagnons de route de l'alchimiste vers la ville la plus proche. Il porta Lennox durant tout le trajet, n'éprouvant ni fatigue, ni soif. Il avait affiché un sourire plus que ravi quand il sentit sous ses pieds la douceur du sable chaud, quand le vent brûlant vint de nouveau effleurer son visage et quand ses yeux virent ce beau ciel bleu sans nuages.

Quelques jours plus tard, Layth avait suivi son nouveau maître à la cour d'Angleterre. De son point de vue, Lennox était un grand homme. Un homme très intelligent, qui ne devait donc n'avoir que de bonnes relations. Un homme qui ne devait être que respecté dans son pays. Il n'envisageait pas la chose autrement. De plus, plus il passait du temps avec lui, plus il ressentait pour lui un profond attachement. Un attachement presque aussi fort que pour l'ancien. Il n’espérait qu'une chose. Que son nouveau maître ressente la même chose à son égard. Car il savait qu'il n'y avait qu'ainsi qu'ils pouvaient être forts.

Mais une fois en Angleterre, Layth se doutait qu'il allait devoir passer inaperçu. Déjà que sa couleur de cheveux n'était pas très... usuelle, il se doutait qu'un être à la peau basanée ne serait pas vraiment bienvenue dans un pays étranger. Il avait lu et appris beaucoup de choses sur les perceptions des humains par rapport à leurs semblables alors qu'il travaillait avec l'ancien. Aussi ne voulait-il pas porter préjudice à Lenny. Il parvint à rendre sa peau pâle. Et lorsque Lennox arriva enfin à la cour, Layth sentit d'un coup, la présence d'un danger. Un danger plus cruel et plus ignoble que le crime. Il ne savait pas trop pourquoi, mais tous ces sourires affichés sur le visage des diverses personnes qu'ils rencontraient ne lui paraissaient pas du tout naturels. Il s'était peu à peu habitué à la vie dans ce nouveau pays. Il s'était instruit comme un sauvage sur les mœurs de ce pays. Et pour décompresser, il n'avait jamais rien trouvé de mieux que de taquiner son nouveau maître. Si à la cour il paraissait être un très grand ami de Lennox aux yeux de tous, Layth ne voyait chez aucune personne qu'il rencontrait un ami ou un proche de Lennox. Les regards sonnaient faux. Les sourires semblaient être là juste pour faire bonne figure, chaque geste, chaque parole lui semblait tout sauf bienveillant. De plus, pourquoi être si enchanté de le rencontrer ? Lennox avait-il laissé entendre qu'il ne reviendrait pas seul ? En tous les cas, il sentit que parmi cette foule, il n'y avait rien qui ne puisse être apparenté à un « ami ».

C'est donc de lui-même qu'il se donna le devoir de protéger son nouveau maître. Hors de question de perdre celui qui portait en lui l'élixir de longue vie. Hors de question qu'il soit en danger. Lennox l'avait présenté à un homme qui possédait des armes et notamment des armes à feux. Cela tombait bien, afin d'être pleinement dans son rôle de protecteur, Layth avait abandonné la lecture des théories Galiléenne pour s'instruire sur les armes. Et plus il s'y intéressait, plus il trouvait celles-ci bien plus intéressantes. Il reçut du vieux lord un trésor tout à fait particulier. Un pistolet à double canon. Il ne s'en est jamais séparé. Ainsi armé, se sentant encore plus fort, il put encore mieux dissimuler sa nature peu humaine. Layth est un Djinn. Il a quelques pouvoirs, mais les utiliser devant des humains serait mettre encore plus en danger Lennox. Alors il se contenta de faire comme s'il était un être humain des plus normaux. Cependant, les regards, les mots, les gestes de la cour le rendaient nerveux. Il y avait un danger. Un très grand danger. Pour Lennox. Pas pour lui-même. Il devint encore plus protecteur, devenant parfois même agressif avec les autres. Ce n'était pas poussé par une mauvaise intention. C'était pour le bien être de Lennox. C'était pour lui éviter de subir un malheur.

Sauf que tout ceci se retourna contre lui. Lennox était devenu de plus en plus important à la cour. Et Layth le sentait, il y avait des jaloux. Des Lords qui n'aimaient pas voir un sale petit Alchimiste élevé à un rang beaucoup plus supérieur qu'eux. Il le sentit si fort qu'il ne put s'empêcher de renforcer sa protection. Dans sa tête, Layth ne voyait que le meurtre comme possibilité. Une main posée de manière trop suspecte sur l'épaule de Lennox et c'était une main forte qui attrapait cette dernière, telles les serres d'un vautour. Cette surprotection le rendit aveugle. Aveugle de la possibilité que toutes les mauvaises intentions ne s'abattent sur quelqu'un d'extérieur. Jamais il n'avait prévu que le vieux Lord, son ami après Lennox, ne finisse assassiné, deux balles bien rapprochées dans le cœur. Layth se sentit brisé. Nul aussi. Son visage s'était fermé. Il n'avait rien dit, il n'avait pas protesté non plus. S'il l'avait fait, c'était Lennox qui allait en payer le prix le plus cher. La condamnation fut le bannissement pur et simple de Layth et de Lennox. Layth aurait dû prévoir une telle chose. Etant lié par un lien que rien ne pouvait briser, il était évident qu'ils auraient été de toute façon chassés ensemble. Jamais Layth ne se l'est pardonné. Mais cela ne l'empêche pas d'être toujours très protecteur. En fin de compte, il a peur que quelque chose finisse par rompre ce lien trop tôt. Lennox est bien plus social que son premier maître. De ce fait, il a bien plus peur qu'un accident ou qu'un homme se faisant passer pour un ami, ne lui fasse du mal. Lennox n'est pas constamment dans ses livres. Et Layth n'est pas habitué à côtoyer autant de personne à la fois. S'il s'était habitué à Londres, il lui fallut un temps pour s'adapter au Paris de 1789. Sombre. Sale. Aux odeurs nauséabondes. Un Paris où l'on cachait encore plus fortement le sale et le mal derrière de la poudre, du far et des parfums. Un Paris où les maladies couraient comme les rats dans les rues étroites. Où le vice valait plus que la vertu. La monarchie était vacillante. Le roi n'était plus du tout respecté. La cour en était gravement atteinte. C'est dans ce Paris dévasté, rongé par un mal tacite que Lenny arrivait à amasser quelque sous en jouant simplement du piano certains soirs dans des auberges ou des salons. La révolution arriva. Le petit peuple se souleva. Ils quittèrent Paris. Pas à cause de la Révolution non. Mais parce que des rumeurs concernant la jeunesse de Lennox commencèrent à se répandre. Disparaître sans crier gare valait mieux que d'être considéré comme... le mal lui-même. Et puis Layth ne voulait pas que le secret soit dévoilé. Non un secret restait secret.

Layth accompagna Lennox partout, dans toute la France et en Allemagne, où ils logèrent dans la famille même de l'alchimiste. Ils pouvaient y rester de manière sereine. Sans se préoccuper de la jeunesse éternelle de Lennox. Le grand père mourut. Layth compris qu'il était temps de partir de nouveau sur les routes. Il s'était considérablement renforcé, s'habituant plus vite et plus rapidement au changement de cadre, de lieux et d'ambiance. Plus d'un siècle passa de cette façon avant que leurs pas ne les ramènent en 1888 dans la capitale française. Layth s'attendait à revoir une ville pourrie par le manque d'hygiène, l'insalubrité et les maladies. Mais il en fut tout autre. Paris avait changé de visage. Paris était devenu belle. Paris affichait maintenant des boulevards, des avenues, des bâtiments aux façades incroyables, des monuments extraordinaires, dont cette immense tour de ferraille plantée au milieu de la ville. Il était fasciné. Mais cette fois, si le mal n'était pas apparent, il devina très vite que le mal avait été repoussé plus loin. Bien loin. A l'extérieur de la ville. Et pas seulement. Le vice continuait son petit train-train habituel sous les alcôves, sous les mansardes. Il ne s'affichait plus mais il était devenu un défaut que l'on cachait sous une belle apparence.

Cependant il suivit Lennox dans un endroit totalement à part. Un cabaret pas comme les autres. Il l'y avait suivi car ils étaient de nouveau sans argent et sans logement. La porte du Lost Paradise avait été la première à se présenter devant eux. Et s'il n'était pas du tout contre le fait que Lennox y travaille, il n'en fut plus du tout de même quand il vit le patron de l'endroit. Il sentait le loup, la sournoiserie, le cynisme... Bref tout plein de choses mauvaises et beaucoup trop dangereuses pour son Lennox bien trop naïf et empressé de trouver un toit. Mais voilà, une fois encore tout se retourna contre lui. Il n'eut pas le droit de dire un mot, et se retrouva donc condamné et forcé -pour Layth ceci n'est pas du tout exagéré- de travailler au cabaret en tant que serveur. Le patron ? Oh il ne l'apprécie pas plus que cela, vu qu'il est contraint de travailler pour lui au lieu de se consacrer pleinement à la protection de son maître.