« Non, non et non ! Ça ne va pas du tout ! »

Oh, non. Ce n'était pas l'une des éternelles querelles que je pouvais entretenir envers mon père. Surprenant, n'est-ce pas ? Pour une fois, je m'étais pliée à sa volonté, quand il m'avait expliqué très calmement qu'il me fallait une nouvelle tenue pour le prochain salon de thé de madame Leblanc. Après tout, on ne crache pas sur de nouveaux vêtements, surtout lorsqu'on n'a pas à les payer, n'est-ce pas. Non, le problème, c'était d'abord les serviteurs – que je me plaisais à appeler très affectueusement chiens de garde en pensées – à qui il avait demandé de m'accompagner. Sans doute avait-il prévu le drame qui se peignait maintenant à l'horizon. Apparemment, je n'avais aucun goût, même si personne ne me le dit de façon si crue... On employa des courbettes et des mots aussi mielleux qu'un caramel mou, mais je n'étais pas dupe ! On détournait mon attention encore et encore des tenues qui me plaisaient pour en trouver d'autres recouvertes de rubans et de dentelles ou dans lesquelles j'aurais pu me prendre les pieds à chaque pas. Une de ces robes de petite fille que j'avais aimé il y a de cela un temps, mais que j'avais aujourd'hui en horreur. J'aurais préféré un truc un peu plus discret... Dans des tons foncés plutôt que pastel, pour lesquels bleue faisait seule exceptions. Je supposais que l'on pouvait trouver un compromis, mais eux ne semblaient pas d'accord. Ils avaient des ordres plus haut placés que les miens... Je ne pouvais pas vraiment leur en vouloir. Cela ne m'empêchait pas d'être légèrement irritée, la plupart des couturiers avaient beau être des hommes, ceux-là ne connaissaient absolument rien à la mode, cela se voyait aux regards remplis de compassion que les vendeuses me lançaient. La robe bouffante blanche avait été de trop, je n'étais tout de même pas supposée me fiancer lors de cette soirée, à ce que je sache, mais bien discuter avec des jeunes filles de mon âge qui étaient parfois si amusantes par leur façon de se plier aux convenances. Il ne fallait pas en profiter pour dépasser les ultimes limites et me condamner à la compagnie d'un homme que je n'aimais pas ! Alors j'avais crié à l'injustice, avant de les pousser de toutes mes forces – j'ai peut-être l'air toute frêle, mais pour soulever une épée et la manier avec grâce, il en faut des muscles ! – avant de prendre la poudre d'escampette avant qu'ils n'aient repris leurs esprits. Je ne pouvais pas aller bien loin, évidemment. Ils détenaient mes autres vêtements en otage et pas question de sortir habillée comme cela. Je me contentai de me cacher entre les étalages, jusqu'à ce que je trouvai une boîte vide. J'en refermai le couvercle autant que possible, incapable de le faire complètement toute seule. Ils allaient me trouver ! Je relevai le regard, prête à tomber sur eux et les affronter de façon hautaine, mais non, c'était une demoiselle. Pas surprenant dans une boutique toute désignée pour les femmes, n'est-ce pas, malgré tout, je restai quelques secondes à l'observer en battant des paupières, comme émerveillée. On m'avait déjà dit que je ressemblais à une poupée grandeur nature, mais j'aurais fait bien pâle figure à côté de cette fille... Elle ressemblait beaucoup à une poupée de porcelaine, toute de blanc et de violet, cette couleur que j'aimais tant... Sa peluche la rendait d'autant plus attendrissante, même si elle me rappelait un peu la mienne dépassant légèrement de mon soutif. Que voulez-vous, on court plus vite les mains vides, et je n'avais pas d'autre endroit où le mettre... Faites que mon angoisse suffise à la convaincre, sinon je serais grillée assez rapidement !

« S'il vous plaît, ne leur dites pas que je suis là ! Avec un peu de chance, ils partiront, et je pourrai respirer une heure ou deux... » murmurais-je rapidement, tentant de rester assez discrète.

Ils ne seraient pas assez cruels pour emporter mes vêtements avec eux, n'est-ce pas ... ? Enfin, dans le cas contraire, je pourrais toujours faire d'une pierre du coup. En compagnie de ma nouvelle alliée, peut-être... Après tout, si elle acceptait de m'aider, il valait la peine d'essayer de la connaitre un peu plus !

Ah, quel soulagement d'être tombée sur une personne pareille.

N'importe qui de normal aurait en effet sûrement refusé ma demande, pour aller plutôt avertir mes gardiens d'une façon ou de l'autre. Il était bien trop étrange de trouver une personne au fond d'une boîte dans un magasin. On aurait pu me croire folle et ainsi agir dans mon intérêt. D'accord, en théorie, sur le papier, je l'étais, mais passons. Ou alors on espèrerait peut-être obtenir une récompense en échange de cette information toute simple... Mais la demoiselle en blanc se contenta de rire et de tenir des propos d'enfants avant de refermer le couvercle. Une partie de cache-cache, hein ? Je suppose que c'était une façon de voir les choses. Tout de même, j'espérais qu'elle ait un bon plan afin d'éloigner les vendeurs lancés à ma poursuite, car passer des heures dans un endroit exigu où l'air peinait à entrer... Ce n'était pas une situation bien agréable. J'attendais donc, les sens à l'affût, pour tenter de comprendre ce qui se passait. Une voix semblable à celle de la jeune fille mais plus aiguë se fit entendre. Cela me laissa un peu surprise. Faisait-elle parler son lapin en peluche comme une ventriloque ? Ah, j'aurais tellement aimé voir cela ! Malheureusement, je ne pouvais pas bouger tant que le champ n'était pas libre, sinon tous ces efforts n'auraient servi à rien.  Quelques minutes plus tard, la lumière revint prendre sa place. Le danger avait donc été écarté. Je lui adressai un gentil sourire, très doux, avant de sortir enfin de cette cachette improvisée.

« Merci à vous deux. »

Après tout, elle prétendait que son lapin possédait une personnalité bien à lui. Cela me semblait alors la moindre des choses que de respecter son point de vue. Me la mettre à dos ne serait pas franchement une bonne chose, surtout après ce précieux coup de main ! Comment faire pour la remercier, d'ailleurs ? Ne trouvant pas d'autre idée pour le moment, je sortis un chocolat de ma poche – oui, j'en avais toujours sur moi, mais que voulez-vous, il s'agit d'une seconde nature – pour le lui offrir.

« Je m'appelle Alice. »

Je soupirai ensuite un peu en me souvenant de la situation du moment, à laquelle je n'avais échappé que temporairement. Comment l'oublier dans une tenue pareille ? Impossible de faire trois pas sans se prendre les pieds dans tout ce tissu... Je levai les yeux vers celle qui m'avait déjà aidée une fois, pleine d'espoir, plissant tout de même un peu le nez puisque j'ignorais si ses goûts ne ressembleraient pas un peu à ceux de mes bourreaux.

« J'ai l'impression que cet endroit n'a aucune robe de soirée digne de ce nom, entre couleurs et sérieux. Je ne suis pas un paquet cadeau, tout de même ! » concluais-je en pointant cette affreuse chose que je portais.

Je m'en voulais tout de même un peu de l'embêter avec mes soucis. Mais je trouverais bien un moyen de me racheter, une fois cette épine retirée de mon pied...