Dans les couloirs du Lost Paradise, il n'y avait plus un bruit. La représentation était terminée depuis un petit moment déjà, alors tout était tranquille ... Ou presque. Le bruit de quelques pas se faisait entendre, tout près de l'entrée principale. Des talons résonnaient sur les parquets du hall. Pourtant, personne ne venait plus dans cette pièce exiguë, une fois son rôle rempli. Mais ce ne serait pas la première manie excentrique de June non plus ... À vrai dire, elle avait tout simplement un peu de mal à dormir ces derniers temps, ne faisant que se retourner encore et encore dans son lit, les yeux grands ouverts. Elle allait offrir un nouveau répertoire de chansons à son public, bientôt, et cela causait tout un petit remue-ménage dans son cœur. Par exemple, elle se demandait s'ils allaient continuer à l'apprécier. D'où la raison de sa présence ici. Le spectacle n'était que dans quelques jours, mais June était parfois un peu parano, presque maniaque. Surtout lorsqu'elle n'avait aucun réel contrôle sur la situation, ce qui était le cas. Sauf peut-être en ce qui concernait la justesse de sa voix, ce qu'elle pratiquait au moins quelques minutes chaque jour. Une vieille habitude qu'elle avait gardé.

La chanteuse cherchait donc une façon de calmer ses nerfs avant que cela ne nuise davantage à sa santé. La première idée qui lui était venue en tête, était de jeter un dernier coup d'œil à la tenue recouverte de paillettes qu'elle porterait le grand soir. Simple façon de vérifier s'il restait des retouches à faire, des détails à régler. N'importe quoi pour s'occuper l'esprit. Bien sûr, d'habitude, les tenues des artistes ne se trouvaient pas parmi le vestiaire des invités, mais June était déjà passée par l'atelier. À vrai dire, la tenue aurait déjà dû se trouver dans sa chambre, prête à être enfilée le grand soir ... Oh, tout cela ne l'avait pas trop inquiétée, sur le coup. Quelqu'un aurait pu laisser la robe à un autre endroit par mégarde. Après tout, on retrouvait toutes sortes de personnes assez colorées dans ce cabaret ! Seulement, rien à faire, le tissu doré restait introuvable où qu'elle aille. Peut-être ne savait-elle tout simplement pas où chercher. Cela ne changeait pas les choses. Quelqu'un avait apparemment égaré cette robe, et même si ce n'était pas la petite médium, elle aurait à prendre une part du blâme.

— Kaito va me tuer...

Le couturier avait beau se montrer assez sympathique à son égard, ce n'était pas un secret qu'il pouvait se montrer très sec et froid. Surtout si cela concernait son travail. Qu'allait-il se passer maintenant ? Autant en ce qui concernait le spectacle à venir que leur relation ... Tout cela l'inquiétait. Et puisqu'il n'y avait personne dans le hall à cette heure, elle s'effondra, la tête entre les mains, laissant quelques sanglots tacher son visage. Après toutes ces années, elle s'était reconstruite, mais elle restait humaine, au cœur sensible qui plus est. Et donc, de temps à autres, il fallait bien que son chagrin quitte son cœur, d'une façon ou d'une autre.

Faim, faim, faim... Je n'avais pas pensé que ce travail donnerait tellement faim ! Oh, rassurez-vous, je ne suis pas cannibale, ce ne sont pas les ventre bedonnant plein de graisse des riches ou les poitrines bien en chaire des demoiselles qui me donnent faim, mais cette agréable odeur de temps de choses délicieuse qui se glisse sur les vêtements avant, pendant et après leurs « visites ». Je pourrais vous dire sans soucis qui a gouté quoi rien qu'en m'intéressant à l'odeur qui traine sur leurs lèvres et s'est parfois amusant de voir qu'il y en a qui ont la même odeur au creux du cou ou sur d'autres parties du corps que je ne citerais pas.

Bref, j'avais attendu avec impatience la fin du travail, rendu son dernier mentaux au dernier client, puis j'étais parti à la chasse « aux restes ». Je trouvais le moyen de piochait incognito dans les assiettes et les coupes à moitiés vide, ne faisant aucune distinction entre la viande, les légumes ou les confiseries. Tout finissait de toute façon entre les lèvres avant de finir, plus tard, dans des endroits pas très ragoutant avec un aspect marron-vert selons ce que ça avait été et pas avec une bonne odeur. Les végétaux prenaient plus de temps par contre, restant dans les poches de mon estomac de cervidé de ma véritable apparence en attendant que je meur de faim au point de n'avoir qu'eux à mâcher de nouveau, mais ils finissaient aussi par disparaitre de mon corps par le même chemin.

Bref nous ne sommes pas là pour parler de la façon dont le corps, humain ou non, s'occupe des aliments, mais pour parler de la suite de la journée... ou plutôt le début de la matinée, car ça faisait déjà longtemps que la dernière représentation était fini et pourtant, j'errais encore dans les couloirs. Je n'avais rien trouvé d'autre à manger et il n'y avait sans doute plus rien à se mettre sous la dent, ni d'autres gens a servir dans les vestiaires avant un bon grand et long moment, mais j'avais décider d'y dormir pour économiser de quoi me faire un festin avec tout l'argent qu'on me donnerais. A quoi bon payé un toit alors qu'on peut dormir là où on bosse ? Il me suffisait de prendre l'apparence d'une minuscule araignée, de me caler dans un petit coin et hop, ni vu, ni connu.

Donc me voici de retour vers mon faux chez moi quand je sens l'odeur étrangère avant de la voir, là, la tête entre les mains, l'odeur salé des larmes sur son visage. Petite hésitation entre le fait de fuir pour éviter un quelconque souci - car par défaut, toute créature est un prédateur jusqu'à preuve du contraire - ou écouter ma curiosité et voir ce qui pouvait bien faire pleurer une demoiselle.

Ah, vilaine curiosité... Je m'approchais finalement de quelques pas, puis encore un peu, comme pour être sûr qu'elle n'allait pas bondir d'un coup et une fois à distance respectable, je lui tendis un mouchoir, le bras bien tendu pour qu'elle l'ai à porté de main tout en restant assez loin pour détaler très vite en cas de soucis. Penchant un peu la tête, je lui disais alors, d'une voix douce :

« Hey... Il ne faut pas pleurer comme ça. Vous allez finir comme un petit pain sec... »

Pleurer ne l'aiderait en rien. June le savait pertinemment. Elle s'en était bien rendu compte nombre et nombre de fois. Elle devrait plutôt continuer ses recherches, avant que Kaito ne réalise ce qui s'était passé, alors qu'il lui avait fait confiance, puisque c'était ce qui lui faisait le plus peur. Pourtant, cela lui semblait impossible pour le moment. D'un autre côté, c'était peut-être mieux ainsi, plutôt que tout cela ne se finisse en crise d'hystérie quelques jours plus tard à cause d'un « trop plein » d'émotions...

Ce qui n'était pas prévu, c'était que quelqu'un passe par là. La petite chanteuse s'était assurée qu'il n'y avait personne dans les environs avant de se laisser choir dans son coin, n'aimant pas vraiment qu'on la voit dans cet état, puisque cela pouvait inquiéter la personne témoin de l'émotion. On risquait de lui poser des questions et c'était tout de même assez embarrassant. Le problème, c'est que, toute bouleversée qu'elle était, la possibilité que quelqu'un finisse par passer par ici ne lui avait pas traversé l'esprit. Alors elle avait été assez surprise de voir ce mouchoir tomber sous son nez ainsi qu'entendre la voix qui l'accompagnait. Les yeux encore humides, elle releva lentement la tête, son cœur n'ayant toujours pas retrouvé son calme, puisqu'elle ne connaissait pas cette personne. Quoique le contraire aurait pu être pire, s'il s'agissait de quelqu'un qui la réprimanderait sûrement. June essuya tout de même un peu ses yeux avec le mouchoir, tentant de se reprendre. Cela manquait horriblement de classe pour une première rencontre. Et puis, il était plutôt gentil, même si sa façon de parler était un peu ... spéciale. Mais il faut dire que June en avait vu de toutes les couleurs, depuis son entrée au Lost Paradise, alors elle y était en quelque sorte devenue habituée... Bref. Tout cela pour dire que c'était la raison pour laquelle elle décida de confier les détails de ses malheurs au jeune homme.

— Désolée... Mais... J'ai perdu l'un des costumes, et... Il faut absolument que je le retrouve...

Sa voix tremblotait encore un peu. Car une autre possibilité avait fini par se glisser dans son esprit. Allait-on la renvoyer, si l'affaire s'ébruitait ?! Après tout, belle voix ou pas, elle ne causait souvent que des ennuis, par sa façon d'agir. Perdre un costume, c'était retarder le spectacle et décevoir les clients... June finit toutefois par secouer la tête, pour chasser ces idées. Ce n'était pas le plus important pour le moment. Surtout qu'il ne s'agissait que de suppositions, la meilleure façon de nourrir la peur. Il fallait plutôt apporter quelques précisions à ce jeune homme qui devait faire partie du personnel, pour se trouver ici à cette heure tardive.

— C'est une robe dorée, la dernière création de Kaito, le couturier...

Comme si cela suffisait à tout expliquer. Mais y avait-il vraiment davantage à dire ? Et puis, quel mystère de ne pas la retrouver ainsi. On aurait pu croire que le tissu serait voyant, avec ses brillants. Enfin, c'était peut-être tout simplement parce que June ne connaissait pas bien les lieux...