Attrapper un rhume.
- Aaa...Aaaaaa.....AaaaaaTCHI !
L'enfant se redressa et renifla bruyamment.
- Mômaaaaaaaaaaaan !
- Oui mon pouillon* ?
- Snnnrlf, n'ai maaaarre.
La jeune femme marchant patiemment à ses côtés sourit, une lueur d'amusement dans ses yeux bruns. Elle compatissait avec son fils. Les rhumes, ça n'était jamais très marrant, et son fils était en train d'expérimenter son premier vrai gros rhume carabiné de sa jeune vie.
- Je sais, m'gamin. Ça va passer, tu verras.
Le petit grommela dans ses dents et se blottit contre elle tandis qu'ils marchaient toujours. Un instant elle pensa à l'étrangeté de la situation : comment était-il possible que son fils de sept ans ait été en si bonne santé tout ce temps ? C'était tout à fait fascinant. D'autant plus pour elle qui était malade une semaine sur trois.
- M'maaaan ?
Elle pencha la tête vers lui, petit paquet de vêtements dont dépassaient trois cheveux et un petit bout de nez.
- Hmm ?
- J'veux r'dourner à la Baison.
- Pas tout de suite, Freddy, on doit d'abord trouver du miel, tu te souviens ?
- Maiiieuuuuuu...
- Je sais Bonhomme, mais qui c'est qu'a décidé d'aller s'tremper dans la Meuse parce qu'il voulait faire des glissades sous la pluie ?
Le garçon s'écarta un peu, sans lâcher sa main pour autant. En regardant par terre il bougonna un « C'est moi... » pas tout à fait repentant. Lucie s'en voulut un peu de le torturer de la sorte mais enfin elle en avait marre de récupérer son fils partout où il décidait de s'attirer des ennuis. Ils n'étaient déjà pas très appréciés au village, s'il se mettait à lui désobéir à elle aussi, Dieu sait où il irait encore se fourrer la prochaine fois... Elle retint un soupir et s'accroupit en face de lui.
- Voilà. Donc maint'nant on va te soigner. Et pour ça il nous faut... ?
- Du biel ?
- Du miel. Et qui aura du miel pour nous ?
Là, le gamin la regarda un moment sans comprendre. Puis, de derrière son écharpe trop grande pour lui, il tenta : « Les filles ? ». Elle sourit ; décidément il tenait tout de son père, le petiot. Elle hocha la tête : « C'est ça, chez les dryades on aura du miel. Elles l'ont dit à ton père, apparemment ».
Elle le prit dans ses bras et continua l'avancée.
- Aaaaaa... TCHI ! Mômaaaaaaaaaaaaaan !
Quand ils eurent trouvé les Dryades – qui naturellement ne se montraient qu'à son fils, d'où la nécessité de l'emmener avec elle – et récupéré le miel retravaillé qu'elles avaient fait juste pour lui, Lucie (qu'on appelait la « Doucette » ) ramena son gamin qui s'endormait dans ses bras, en repensant aux dryades. Bon sang, après toutes ces années, ça l'émerveillerait toujours. Elle qui n'avait pas voulu d'une vie bien rangée, là elle était servie !
Quand elle arriva chez eux, Frédéric s'était réveillé et remis à grogner. Cet enfant était tellement grognon ! Frédéric, lui, ne voyait pas les choses sous le même angle. Les dryades, elles auraient pu venir à la maison directement, zut ! Et puis son nez était tout bouché de partout, et sa tête était lourde comme un ballot, et puis il avait chaud, et puis froid, et puis il avait pas faim du tout, lui, alors il voyait pas pourquoi il devrait boire du lait et du miel et du thé à la menthe ! Et surtout, surtout, il pouvait voir les nutons, derrière la fenêtre, qui se fichaient de sa poire et ça, ça l'énervait vraiment fort. Assis dans le fauteuil sous une grosse couverture, il se remit à se plaindre.
- Mais qu'y z'arrêdent à la fin ! Babaaaaaa, y'a les nudons qu'arrêdent baaaaas !
Ambroise Lenoir, occupé à broyer de la menthe dans un bol en bois, haussa un sourcil.
- Les nutons ? Où ça des nutons ?
Frédéric s'énerva.
- Mais lààààààà. Z'arrêdent pas de s'moquer d'moi. AaaaaaTCHA ! Mômaaaaaan... !
Un instant surpris, le père posa son pilon dans le bol et alla se pencher à la fenêtre, d'où il ne vit rien. Derrière lui son fils renifla et sa mère lui amena un mouchoir dans lequel il se moucha bruyamment.
Toujours rien à la fenêtre. Ambroise sentit sur lui le regard du gamin qui n'en démordait pas, vu l'intensité. Ambroise continua de regarder... puis il l'aperçut : un petit bonnet foncé qui passait en courant sous la fenêtre. L'instant d'après il vit un vieux visage, tout petit, qui lui fit la grimace.
- Bon sang ça fait bien des années qu'j'les ai plus vus ceux-là... murmura-t-il. Ils doivent te vouloir kèkchose pour s'moquer d'toi ici.
Il se tourna vers son fils, toujours assis dans le fauteuil, enterré sous sa couverture en patchwork.
- Y faut que t'ailles y voir, ou y partiront pas. Ils sont v'nus là pour toi. Lucie, tu les a nourris ? T'as laissé du lait ou quelque chose dehors cette nuit ?
Sa femme fit non de la tête :
- J'suis pas une inconsciente !
- Mais moi j'veux ba les voir ! Y font rien que s'moquer... Et pi chui fatigué....
- Je sais, fils, mais y sont là. Et c'est toi qu'ils appellent, donc c'est à toi d'y aller.
Devant la cheminée Ambroise vit sa femme lui faire des grands yeux. L'homme écarta les bras en signe d'impuissance :
- J'y peux rien, les nutons sont aussi capricieux qu'ta sœur ! Il doit y aller lui sinon y partiront pas. Et ça va les vexer. Y'a pas loin à aller 'sont juste sous la f'nêtre. Je s'rai derrière s'il a besoin d'aide.
Le gamin finit par se lever, à grands renforts de protestations et de grognements en tous genres. Il emporta la couette autour de lui et disparut par la porte. Les adultes attendirent derrière la fenêtre et le virent s'accroupir en dessous, au dehors. Ils n'entendirent rien.
Le gosse était râleur tout ce qu'on voulait, mais face aux Légendaires... c'était un autre enfant. Les animaux surtout. Une patience d'ange, c'était incroyable. Depuis qu'il était môme (pas qu'il n'en soit plus un) il leur faisait faire tout et n'importe quoi. On n'avait plus vu ça chez les Lenoir depuis bien trois générations en arrière.
Le gamin reparut à la porte, la ferma délicatement et se tourna vers ses parents, une main sortie de la couette et fermée en un poing que son père ouvrit délicatement. Son fils qui se taisait... la mère sut qu'il y avait quelque chose d'intéressant dans cette main-là.
C'était un mouchoir. Un minuscule carré de tissu de dix centimètres sur dix, blanc avec une broderie bleue qui faisait un F. Lucie le reconnut, c'est elle qui l'avait fait.
- Tu l'avais pas perdu ? Demanda le père.
Le gamin hocha de la tête.
- Y était dout fendu, l'ai agroché dans les ronces avec m'goûter avant d'domber dans l'eau.
Snuuurfllll.- Ils te l'ont réparé ?
Encore un acquiescement.
- Tu leur a dis quoi ?
- Qu'si ils arrêdaient pas d'se moquer j'leur crâmerait leur trou.
Le père rit un peu nerveusement et la mère ouvrit de grands yeux : menacer un lutin, de mieux en mieux... !
- Et.. ?
Le gosse haussa les épaules. Il n'était pas sûr d'avoir très bien joué son coup... sa mère risquait d'être fâchée. Un regard de son père lui fit lâcher le morceau :
- Z'ont dit qu'y z'avaient un trésor pour moi d'leur dames et z'ont d'mandé c'que j'donnerais pour qu'y m'le donnent
SNUUuuuUUURF.
- Tu leur a donné quoi ?
Fred écarta la couette, remonta son pantalon. Lucie s'étonna :
- Une de tes chaussettes ?! Mais ont dit toujours qu'il faut pas... !
Frédéric l'interrompit :
- Y savent ba les goudre ! Y s'vexent qu'on leur donne des vêtements pasqu'ils savent bien dout faire mais bas les chaussettes ! Z'est drop tordu pour eux c'pour ça qu'ils en bortent bas dans leurs godasses. Alors j'leur ai dit -
SNURF - j'leur ai dit « J'vous prête ma chaussette gomme exemble, c'est ma m'man qui l'a fait donc y'a l'plan qu'est engore dedans z'aurez qu'à le relire. C'est le plan que j'vous offre. » Alors,
snurrrrrfl alors y l'ont pris et y m'ont donné ça.
Ambroise ouvrit de grands yeux :
- Ils ont accepté ?!
Le petit haussa les épaules, un peu gêné quand même...
- Z'auront plus froid leurs pieds comme çaaAAAAAAATCHII ! Mômaaaaaaannnn !
Les parents ne dirent rien. Lucie fit se moucher son fils et le borda dans le fauteuil près du feu, Ambroise lui ébouriffa les cheveux en partant d'un grand rire soulagé et lui fit du lait au miel récolté par les dryades et une infusion à la menthe. Frédéric se perdit dans l'étude de son état général.
Sa mère, elle, contemplait le mouchoir réparé par les mystérieuses femmes lutines que personne n'avait jamais aperçu ni entendu.
... Mouchoir échangé par les nutons qui, l'enseignait-on, ne supportaient pas les menaces et à qui il ne fallait jamais offrir de vêtements pour remplacer les leurs tout rapiécés, sous peine de les vexer à jamais et de s'attirer tous les malheurs du monde.
Décidément ce gosse n'en finirait jamais de leur faire des sueurs. Repliant le mouchoir, elle bénit le Ciel, la Terre et tous ses ancêtres de n'avoir eu qu'un fils.
L'oncle Jean qui passa le lendemain et à qui on raconta tout ne trouva qu'une seule chose à en conclure :
- Si un jour le gamin vous ram'nait une hydre à la maison, ça m'étonn'rait mêm' plus.
Fred, lui, pour ce qu'il en pensait (« Mais moi on m'demande jamais mon avis ! »), se disait surtout que les lutines, elles auraient pu lui coudre une écharpe, ou lui faire une cape comme dans les grandes histoires d'épées et de batailles, plutôt que de lui réparer un stupide mouchoir de filles ; et que les nutons ils pouvaient déjà être bien contents qu'il leur crâme pas leur trou pour se venger de leur moqueries.
S'il avec dû conclure l'affaire, lui, il aurait plutôt philosophé quelque chose du genre :
-
SNURRRRFL ! C'est nuuuuuuuul les rhumes !
'TCHI !----------------------------FIN----------------------------
Pour ceux qui veulent quelques petites précisions :
* Pouillon = poussin en wallon. C'est un surnom pour les enfants parfois.
Nutons = sont des genres de lutins grincheux qui vivent dans des "trous à nutons", des genres de cavernes, dans les Ardennes principalement. Ils parlent peu, toujours pour dire quelque chose de mauvais, mais réparent les choses cassées si on les nourrit. Gare à vous si vous les menacez jamais ou leur râlez dessus !