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Neige

Cabaret du Lost Paradise - Forum RPG

Forum RPG fantastique - Au cœur de Paris, durant la fin du XIXe siècle, un cabaret est au centre de toutes les discussions. Lycanthropes, vampires, démons, gorgones… Des employés peu communs pour un public scandaleusement humain.
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 Le modèle brumeux | ft Ester Jones

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MessageSujet: Le modèle brumeux | ft Ester Jones   Le modèle brumeux | ft Ester Jones I_icon_minitimeDim 1 Mar - 21:03

Rita longeait les couloirs beiges de la Salpêtrière, vêtue d'une robe noire et de son voile brodé comme seul habit de deuil. Son pas hésitant la dirigeait vers la chambre 301, dont la position se précisait à chacun de ses clignements d'oeil. Ce dernier était prêt à verser de nouvelles larmes de douleur, face à la lumière, marque de la mort imminente de l'occupant de la chambre. Au moins, la banshee avait l'air crédible, dans son rôle de « amie de la famille » du décadent William Twinning », aristocrate anglais venu passer ses dernières années décaties dans un hôpital de son pays préféré. Et désormais, le vieil homme se faisait lentement tuer par le temps, bientôt accompagné dans ses dernières secondes, par l'esprit millénaire qui trébuchait jusqu'à son lit.
Revenir à la Salpêtrière l'horrifiait déjà assez, alors les regards surpris et inquiets des infirmières et docteurs, lancé à la femme menue, blanche comme un linge et tremblotante, horripilait cette dernière tout particulièrement.
C'est alors telle une pelote de nerfs gonflés d'électricité statique que Rita arriva devant le mourant, endormi paisiblement dans ses draps blancs. Sa famille proche pleurait doucement dans le couloir, ce qui permit à la banshee de se glisser doucement dans la dite pièce et de s'assoir doucement près de Mr Twinning. Sa lumière blanche brillait modérément, comme si l’aïeul avait pris la précaution de ne pas aveugler sa dernière visiteuse.  Celle-ci observait de ses iris verts, le visage ridé et pâle de l'homme, avant d'improviser doucement une mélodie funèbre. Le malade ouvrit ses yeux bleus et les tourna doucement vers la femme en voile noir installée à ses côtés, avant de rediriger son regard vers le plafond, écoutant doucement la voix presque onirique.

"Je ne suis pas croyant, vous savez."

À l'interruption légèrement éraillée, Rita interrompit sa chanson et maintint le silence.

"Ce n'est pas la peine de m'attendre, je ne vous suivrai nulle part."

Rita releva doucement son voile noir, laissant le choix à son interlocuteur de découvrir le dernier visage qu'il aura l'occasion de voir. Les veines de ses oculaires étaient gonflées, et certaines de ses mèches avaient blanchi. Finalement, Mr Twinning avait décidé d'ignorer cette vision.

"Êtes-vous en avance ou vous essayez de me tenir compagnie jusqu'à la fin ? En tout cas, vous avez une jolie voix, ça je peux l'accorder."

Le mutisme de la jeune femme le surprit un peu, mais il n'en fit pas la remarque. Il tendit son bras fatigué et rehaussa un peu la couverture qu'on lui avait si bien ajusté sous les aisselles, brisant le tableau du dormeur au lit blanc. Le vieil homme ferma les paupières un instant, fronçant les sourcils de frustration, avant de faire son ultime demande à la banshee :

"Que vous ne soyez pas venue pour rien cependant : pourriez-vous vous assurez que ma fille sera à mon enterrement ? Elle... Elle a horreur de ce genre de cérémonie, mais je pense que ça lui fera du bien de pouvoir passer à autre chose."


En guise de réponse, Rita reprit sur une chanson plus douce que ténébreuse, aux mots à peine articulés, laissant enfin les larmes couler sur ses joues. Sans remerciements ni adieux, le vieux Twinning éteignit finalement sa lueur, alors que les derniers mots s'échappaient des lèvres gelées de Rita.

This voyage will you far away to enchanted lands,
Where the magic awaits us
Faraway.

Enfin revenue aux ténèbres, Rita remit rapidement son voile sur ses cheveux gris et sortit tranquillement de la chambre, puis du bâtiment. Elle avait même presque couru dans les couloirs,  pour atteindre au plus vite le portillon qui devait la mener hors de l'hôpital. Elle avait tant hâte de retrouver sa loge et sa couette moelleuse et chaude car, en dépit de cette fin d'hiver et même en étant habituée à sa température corporelle, Rita ne pouvait s'empêcher d'être parcourue de frissons gelés et terrifiés.

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MessageSujet: Re: Le modèle brumeux | ft Ester Jones   Le modèle brumeux | ft Ester Jones I_icon_minitimeDim 8 Mar - 11:35

Dormir... dormir... Ester en avait bien envie ce jour-là. Fermer portes volets et rideaux, et s'enrouler dans les couvertures. Oublier les lueurs du jour et les bavardages des clients, et bonjour le silence et l'obscurité apaisante. Enfin... ce n'était pas tant l'agitation quotidienne qui lui posait problème, mais plutôt ses toux nocturnes qui fragmentaient son sommeil depuis plusieurs jours. Oh Seigneur, quand pourra-t-elle passer une nuit complète sans être réveillée par ces spasmes ?
A force, elle n'avait plus son compte d'heure, et cela commençait à se voir. De petites cernes apparaissaient sous ses yeux, et ses mèches rebelles ressortaient davantage qu'à l'ordinaire. Elle qui prenait habituellement soin de sa chevelure l'avait attachée plus sommairement ce matin-là. Ces boucles descendaient en cascade sur ses épaules, mais laissant son visage dégagé. Au revoir la belle tresse soyeuse...
Mais il y avait plus fatigant encore. Oui, le plus agaçant c'était M. Augustin. Il avait l'air si exigeant en ce moment, et il en devenait grognon en plus ! Il râlait pour un oui ou pour un non. Quand elle lui dit qu’elle était malade, il se fâcha davantage et lui ordonna d’aller voir un médecin. Si bien qu’elle se retrouva quelques minutes plus tard, mise à la porte de la boutique sans avoir eu le temps de broncher !

Elle se retrouva ainsi enfermée dans son manteau à parcourir les rues de Paris pour aller voir le docteur. Mais non contente d’aller chez le premier venu, c’était vers l’hôpital de la Salpêtrière qu’elle allait. Non pas parce qu’elle se croyait mourante, mais parce qu’une connaissance de sa famille y travaillait. Or, elle avait promis qu’elle irait le voir lui plutôt qu’un autre, si un jour elle en avait besoin. Aussi tenait-elle parole.
Quand elle arriva sur place, elle commença par se rendre à l’accueil. On lui indiqua que sans avoir pris rendez-vous, elle aurait bien une heure à attendre avant que le médecin soit disponible. C’était qu’il y avait de quoi faire dans ces endroits ! Soit, elle attendrait dans ce cas. Étouffée par les odeurs de désinfectants, elle préféra ressortir et patienter à l’extérieur. Les petites brises rafraichirent rapidement ses narines, et elle alla s’assoir sur un banc. Couverte par plusieurs couches de vêtements, elle ne souffrait guère du froid, et se mit à lire un ouvrage qui ne la quittait jamais : sa Bible. De temps à autre, elle relevait la tête distraite par des passants, ou simplement pour méditer quelques versets.
Bientôt elle se leva et commença à faire les cent pas. Elle ne supportait plus de rester assise et avait besoin de se dégourdir les jambes. Intriguée par une jeune femme qui sortait de la bâtisse, elle marcha soudain dans sa direction sans s’en rendre compte, tout en pensant à autre chose. Ce n’est qu’arrivé à moins d’un mètre d’elle qu’Ester se rendit compte de ce qu’elle avait fait et s’arrêta dans un léger sursaut. Son livre lui échappa et tomba au sol, entre les deux jeunes femmes. Notre petite rousse s’agenouilla alors pour le ramasser et balbutia quelques mots :


« Oh, pardon… je suis distraite. Je ne vous ai pas bousculée au moins ? »

Elle se redressa lentement, et rajouta peu après :


« Nous serions-nous déjà croisées quelque part ? »

Hein ? Comment ? Elle avait véritablement posé une telle question ? Ester se mit à rougir à vue d’œil. Dire cela à une inconnue, ça n’avait pas de sens. Et pourtant, il y avait bien quelque chose qui interpellait notre demoiselle. Quoi, elle ne le savait pas encore parfaitement. C’était presque une impression de déjà-vu. Elle fixa le bord du voile de la jeune femme, et continua de réfléchir.

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MessageSujet: Re: Le modèle brumeux | ft Ester Jones   Le modèle brumeux | ft Ester Jones I_icon_minitimeMar 17 Mar - 0:21

Rita toucha avec soulagement la poignée de la porte de l'Hôpital, après un interminable déambule dans les longs couloirs blancs. Lorsqu'elle parvint enfin à l'actionner de ses petites mains tremblantes, le soleil de ce début d'après-midi frôla délicatement son voile noir presque opaque, et la banshee s'immobilisa un instant pour apprécier cette caresse si tendre. Bien que la chaleur, bien appréciés des citadins en ces mois d'hiver, n'avait pas vraiment d'importance pour les sens de la jeune femme, celle-ci n'était pas pour le moins indifférente à la lumière de l'astre solaire. Un panel de couleurs chatoyantes, aveuglantes, qui permettait à la banshee de se servir dans la palette et de recolorer ses joues et ses cheveux de traits plus humains. Bien que les acryliques craquelaient sa peau desséchée, Rita n'était absolument pas contre un bain de soleil, surtout après un moment aussi éprouvant.
Elle laissa ses paupières se refermer, appréciant de tout son soûl, lorsqu'un éclat perçant vint briller désagréablement au coin de son oeil. Curiosité et agacement obligent, elle tourna la tête vers cette lueur rose pâle, trop peu colorée pour que ce ne soit autre chose qu'un humain. Son analyse fut d'ailleurs , puisqu'une jeune femme, à la chevelure couleur rouille dépeignée et le teint valétudinaire, s'avançait dans sa direction d'un air méditatif. Pas vraiment rassurée par ce comportement inhabituel, Rita se remit en marche vers le portillon, tandis la rousse la suivait, toujours absorbée dans ses pensées. Mais la fatigue et sa jupe longue eurent vite fait de la ralentir et il ne suffit que de quelques instant pour que l'étrangère ne la rattrape, malgré son pas titubant et indéterminé. Et alors que la proximité entre les deux personnages ne faisait qu'accroître, Rita prit sur elle de faire face à sa suiveuse et projeta son regard sur celle-ci : un manteau épais sur des épaules chétives, des lèvres minces à la couleur de son coeur, une peau blanchâtre de maladie et des yeux peut-être tout aussi cernés et verts que l'étaient ceux de la banshee. Ses mains maigrelettes tenaient fermement un petit livre noirâtre, dont la croix, qui y était gravée, titillait avec allégresse et joie l'humeur de Rita de façon exaspérante. Les yeux de jade de la jeune fille s'illuminèrent soudainement, et le livre ainsi que la croix railleuse tombèrent lourdement au sol. Si leur propriétaire n'était pas en train de les en élever précieusement, Rita les aurait bien souillé de la boue, qui restait collée à ses souliers. Rien de personnel, vraiment, mais la religion n'avait pas vraiment facilité la vie de la banshee, depuis l'époque de l'Inquisition, et elle en avait gardé un souvenir amer. De plus, avec le caractère de chien qu'elle se trimbalait depuis plusieurs jours, ce n'était pas une chose facile que de se montrer indulgente avec les livres déchus au sol. Elle aurait même pu cracher quelques blasphèmes, juste pour le plaisir de railler, si la rousse ne s'était pas confondue en excuses :

- Oh, pardon… je suis distraite. Je ne vous ai pas bousculée au moins ?

Rita ne voyait pas l'intérêt de lui répondre, car tout ce qu'elle voyait en ce moment, c'était une pauvrette croyante des chimères néfastes, et souffrante qui plus est. Elle s'apprêtait à repartir sans demander son reste, avant que son interlocutrice ne reprenne la parole :

- Nous serions-nous déjà croisées quelque part ?

Un rire moqueur manqua de peu de passer outre les lèvres de Rita, tant la question lui semblait absurde. Ça oui, une essence aussi pâlichonne, jamais la banshee n'avait pu constater ça. Et c'était bien là l'intrigue, car même en étant sûre qu'une humaine se tenait bien devant elle, la nature exacte de ce qui était soumis à son regard lui échappait totalement. Et c'est pour cela que, la boule au ventre mais la voix parée, Rita prit les sarcasmes comme premières armes.

- Je ne crois pas que vous soyez attirée par cet art si délectable qu'est la Mort, alors je doute que nos chemins se soit un jour croisés, mademoiselle. Et si je me trompe à ce sujet, que Dieu me garde de vous approcher alors ! Car, pensez-vous, dans cette branche, je ne manque pas d'y faire du zèle !

Des rimes, un ton sarcastique et un sourire hypocrite et exaspérant au possible, rien de mieux pour faire galoper, au plus vite, les plus réticents des étalons peureux.
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MessageSujet: Re: Le modèle brumeux | ft Ester Jones   Le modèle brumeux | ft Ester Jones I_icon_minitimeDim 29 Mar - 18:44

Ester continuait d’examiner la jeune femme. Son regard intense et dur… non elle ne l’avait jamais vu, sinon elle s’en serait souvenue, à coup sûr. Ses vêtements sombres non plus elle ne les reconnaissait pas. Alors quoi ? Elle ne l’avait jamais vu encore. Pourtant, il y a avait chez elle, quelque chose qu’elle connaissait déjà, qui l’avait même attirée à elle par habitude. Il ne s’agissait pas non plus d’une ressemblance avec quelqu’un… non c’était autre chose, de plus subtile, comme une attitude, une façon de faire peut-être.
Un frisson lui chatouilla légèrement la nuque. Elle pensa soudain avoir compris. Ce devait être un fantôme ! C’était ça qui lui donnait toujours cette étrange sensation ! Elle regarda aux alentours de la jeune femme, mais il n’y avait rien. Pas un bruit, pas une ombre, pas une silhouette. D’habitude, ces âmes perdues ne perdaient pas une occasion de se manifester, surtout quand elles se rendaient compte que quelqu’un pouvait les voir. Mais pas cette fois. Alors quoi ? Serait-ce l’inconnue elle-même l’esprit errant ? Non, impossible. Elle semblait bien trop… entière, trop palpable, trop vivante pour ça. De plus, leur discussion ne semblait nullement surprendre les passants. Tout était trop « normal » pour que ce soit ça.
Mais alors… les réflexions de l’apprentie photographe furent interrompues par les paroles de l’inconnue. Sa voix non plus elle ne lui disait rien.

Inutile d’être un génie pour comprendre que son humeur était bien maussade. Elle semblait même en colère contre notre demoiselle qu’elle ne connaissait pas non plus. Ces dires la surprirent bien davantage. « La mort délectable », « y faire du zèle » ? Qu’est-ce que cela voulait dire ? On eut dit qu’elle parlait comme ces employés des pompes funèbres. Non pire, elle avait plutôt l’air d’un ange de la mort… Est-ce pour cela qu’elle lui rappelait les fantômes ? Parce qu’elle les faisait « apparaitre » ? Mais non voyons ! Cela n’avait ni queue ni tête ! Ester chassa cette pensée de son esprit, et répondit au cynisme par une once de provocation :


« Vous seriez surprise du contraire mademoiselle… les croque-morts ne sont pas les seuls à côtoyer les morts… Mais vous devez avoir raison, j’ai dû me méprendre ».

Sur ces mots énigmatiques, elle rangea son livre dans son manteau, et se mordit la lèvre. C’était toujours suspicieux de faire des sous-entendus. Mais avec la fatigue, elle se retenait moins. Elle arbora un petit sourire, et reprit avec davantage de courtoisie :


« Mais je m’excuse encore si je vous ai offensée. Ce n’était pas mon intention. Je vous ai surement confondu avec une connaissance… cela arrive à tout le monde.
Puis-je vous inviter à boire un thé ou un café pour me faire pardonner ? »


Pourquoi s’acharner alors que la jeune femme semblait si réticente ? Simplement parce qu’Ester ne voulait pas la laisser filer comme ça. Il y avait chez elle quelque chose de singulier, et elle voulait savoir de quoi il retournait. C’était bien la première fois qu’une personne qui ne semblait pas « hantée » avait une telle aura de mort autour d’elle. La curiosité la poussait à chercher plus loin...
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MessageSujet: Re: Le modèle brumeux | ft Ester Jones   Le modèle brumeux | ft Ester Jones I_icon_minitimeLun 4 Mai - 19:17

La première salve de mots tranchants n’avaient pas été suffisants pour intimider la rousse, qui, devant la brune ronchonne, ne fit que répondre par encore plus de panache, que la banshee dans ses meilleurs jours.
Rita empoigna sa jupe, craquant ses doigts blancs sur le tissu noir de deuil. Elle jeta un regard inquisiteur à son interlocutrice, qui ramassa avec précaution son livre sacré, qu’elle rangea avec délicatesse dans son épais manteau, sous lequel la banshee put voir encore plus de couches de vêtements. Assumant la raison de la venue de cette jeune fille, Rita ferma les yeux un instant pour mesurer l’intensité de sa migraine. Elle pensa que ce mal s’estomperait peu à peu, et que bientôt ne resterait que cette fatigue pesante, qui presserait encore plus la brune à rentrer. Cependant, plus cette dernière s’acharnait à raisonner, plus la scie qui traversait son crâne s’agitait et déversait un flot de pensées malsaines, que Rita ne put assimiler aux siennes : oui, d’autres dires que les siens résonnaient dans ses oreilles, des propos assassins à l’intention de la banshee :

« Que faites-vous? Revenez ! Vous êtes comme les autres, vous m’abandonnez ! Hypocrites, bande d’hypocrites, tous !  Regardez là, ce livre et cet argent ne vous sauveront pas, faites moi confiance! Faites moi confiance, FAITES MOI CONFIANCE ! »

Elle ouvrit brusquement les yeux, ne s’étant même pas rendu compte qu’elle les avait fermés au monde, et la première chose qui croisa son regard fut le visage perplexe de la jeune femme, qui lui rendait son regard avec interrogation. La rousse sourit de plus belle et, au travers de son voile, Rita ne put s’empêcher de lui rendre un léger rictus. Elle se sentit apaisé, sa migraine et sa fatigue disparut, et son humeur changea également du tout au tout. La banshee crut s’inquiéter d’un tel tournant de son coeur, mais l’angoisse disparut au même instant que la main de la rousse se tendit vers elle. L’invitation tomba, comme une coincidence trop bien placée, une machinerie pour faire tomber la banshee dans une attirance étrange pour cette âme rosée et pourtant si humaine. La banshee serra le poing, tentant de résister à cette envie de douceur si soudaine, cette nostalgie étrangère qui la transcendait et cette tendresse dont elle ne fait jamais preuve pour des inconnus, surtout les croyants. Là, le visage si fin de son interlocutrice criait à son corps de lui prendre la main et de la suivre, mais son esprit cherchait encore à résister à ces sentiments impromptus. Qui lui soufflait à l’oreille de si belles consignes, celle de ne jamais plus la fuir ? Ces pensées n’étaient pas les siennes, mais elles s’introduisaient avec violence dans son esprit et, bientôt, s’insinuaient avec une ferveur dans son coeur. Rita sentit venir une nausée, dernier rejet de son être envers celui qui l’envahissait, avant de laisser une main froide se refermer dans sa poitrine et lui enfermer son essence. Elle était toujours elle-même, mais libérée de toute ses souffrances, aveugles à toutes les vies, sauf celle qui se tenait devant elle. Ses bras ballants reprirent force et enlevèrent son voile noir, laissant la joie au soleil de mordre sa peau glacée et à la rousse de contempler son visage enivré. Un sourire bête régnant sur sa face et gloussement coincé dans la gorge, Rita lui répondit jovialement:

- Allons bon, vous m’invitez ? Aaaah mais, madame, ce serait un honneur que de vous accompagner picoler ! Roooh je plaisante, bien sûr. Par ailleurs, vous êtes toute excusée, et j’espère que vous en ferez de même ! Ce que je peux être rustre parfois, vous savez ! Oh oh oh oh oh ! Allons donc nous servir un thé.

C’était faux, c’était totalement faux. Rita avait dit ces mots sans s’en rendre compte, et convaincue totalement de ses dires en plus ! Quelque chose n’allait pas dans sa tête, et son corps malheureux suivait ses ordres sans résister, ne se doutant pas une seconde que ce n’était pas de norme que de proposer son bras à une inconnue, croyante qui plus est ! Il aurait pu se méfier le bougre, il aurait pu faire objection et poser des questions quant à la santé de sa propriétaire ! Mais non, comme une mule idiote, il conduisit Rita vers le petit café à la sortie de la Salpétrière, où les deux jeunes femmes rirent allègrement (ou tout du moins Rita) en attendant leur thé ou café avec trois sachets de sucre et une mousse à la poire. D’où était-il vu que Rita prenait du café sucré ? D’OÙ ÉTAIT-IL VU QUE RITA PRENAIT DES DESSERTS À LA POIRE ?! La banshee se serait bien affolée, si elle ne ricanait pas idiotement au nez du serveur qui avait laissé un pan de sa chemise hors de son pantalon.

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MessageSujet: Re: Le modèle brumeux | ft Ester Jones   Le modèle brumeux | ft Ester Jones I_icon_minitimeJeu 13 Aoû - 15:33

Ester regardait l’inconnue avec insistance. Était-ce malpoli ? Peut-être, mais la demoiselle ne s’en rendait même pas compte. La fatigue brouillant son jugement, elle n’avait même plus conscience de son comportement. La seule chose dont elle se rendait compte, c’était que cette jeune femme en face d’elle avait quelque chose de particulier. Et loin de se laisser surprendre par cela, et de laisser passer, la rousse voulait en savoir plus. Elle redoubla alors d’efforts pour rester avec l’inconnue, jusqu’à ce qu’elle sache de quoi il en retournait. Oui, elle ne lâcherait pas le morceau avant. Et puis, bon… ça lui faisait passer le temps, en attendant de voir son médecin.
Mais face à sa proposition, l’inconnue semblait se crisper. Derrière son épais voile noir, Ester crut discerner un rictus de douleur. Elle avait l’air torturée. Serait-elle, elle aussi souffrante ? Non, elle devait plutôt être en deuil non ? Après tout, elle en avait tout l’apparat… L’apprentie se demanda de nouveau si elle n’était trop entreprenante… et puis finalement, non. Dans ces moments difficiles, une présence chaleureuse était toujours la bienvenue ! Alors Ester attendit, pour ne pas brusquer la jeune femme.

C’est alors que le nez de la jeune femme se mit à lui picoter furieusement. Avec une moue contrariée, elle détourna son visage, et éternua aussi silencieusement que possible dans sa manche. Alala… un peu plus elle en aurait oublié son rhume, mais non ! Celui-ci ne voulait pas se faire oublier si vite. Quel dommage…

Quand elle reporta son attention vers la jeune femme, Ester remarqua qu’elle avait relevé son voile. Elle découvrit son visage pâle et ses yeux d’émeraudes soudain pétillant de joie. Sa tristesse et son amertume avaient complètement disparut. Elle n’était plus que gaieté et euphorie. Ce changement était si rapide et si grand, que ça en était… bizarre. L’apprentie photographe en était bouche-bée. La brune parla soudain de « picoler » et notre demoiselle se dit que justement, la jeune femme donnait l’air d’être ivre ! Mais elle regarda cette allégresse s’épanouir sans savoir encore quoi faire, et se laissa même entraînée. L’inconnue parlait maintenant avec une légèreté nouvelle, voire même un accent sorti d’on ne sait où. Cela ne cessait d’intriguée Ester qui suivit pourtant le mouvement en attendant de voir. Elle attrapa le bras tendu, et se fit conduire au premier café du coin.

Emportée dans leurs pensées respectives, aucune des deux n’avait idée des réflexions qui animaient l’autre. Mais elles s’assirent l’une en fasse de l’autre à une table en terrasse, et attendirent le serveur. Celui-ci se présenta peu de temps après et la jeune femme commença à passer commande, avant d’être secouée de gloussements. Ester l’imita quand elle comprit de quoi il s’agissait, mais son rire s’étouffa dans une légère toux. Elle reprit alors son sérieux, et ajouta à la commande un thé et du miel pour elle. Elle calmerait peut-être un peu sa gorge comme ça, non ?
Elle fixa la jeune femme qui se calmait peu à peu. A bien la regarder, elle lui faisait penser à une enfant qui s’émerveillait de la moindre chose qui passait devant ses yeux. Comparé à il y a quelques minutes, c’était si différent… que non, ça ne collait pas. Mais pourquoi ? Bon sang, pourquoi ?
Elle se mordit un instant la lèvre, puis posa ses mains jointes sur la table. Elle afficha un sourire chaleureux et dit :


- Au fait ! Je me présente, je m’appelle Ester Jones, et vous êtes ?

Mettre un nom sur cette figure ce serait déjà une bonne chose ! On ne sait jamais, ça l’aiderait peut-être à mettre de l’ordre dans méli-mélo d’attitudes.
Le serveur revint bientôt et déposa à chacune sa collation. Sa chemise n’étant toujours pas rentrée dans son pantalon, l’inconnue afficha un nouveau sourire amusé. Ester, embarrassée, le chuchota gentiment à l’oreille de l’homme qui s’empourpra en s’éclipsant.
Elle touilla ensuite son thé, et soupira. La fumée de leur boisson s’éleva devant leur visage, et elle la remarqua enfin. Cette ombre ! Elle la vit cette fois ! Et ses yeux s’ouvrirent grands. Cette fois, elle était sûre de ce qu’elle voyait. Ce genre d’ombres, elle avait appris à les reconnaitre ! Son cœur s’emballa alors, ses mains se resserrèrent sur sa tasse. Elle se mit alors à masquer sa surprise en rétorquant avec vigueur :


- Eh bien dites-moi ! On dirait que la gourmandise vous a attrapé ! Mais c’est vrai que cette mousse a l’air délicieuse !

Elle apporta enfin sa tasse à ses lèvres et darda du coin de l’œil la réaction de la jeune femme.
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MessageSujet: Re: Le modèle brumeux | ft Ester Jones   Le modèle brumeux | ft Ester Jones I_icon_minitimeVen 11 Nov - 9:19

Quelle infâme ignominie, quel spectacle infiniment grotesque ! Maintenant, Rita était sûre de n'assister qu'à une fable idiote, une pièce où elle était forcée de prendre la place de spectatrice, tandis que le Premier Rôle se moquait sans contenance de la banshee. Va donc rire de tous, jeune comédien, mais il n'est pas assuré que ton public rira avec toi.
La scène qu'était son corps ne cessait de s'agiter à cause de élucubrations de son usurpateur, et même coincée au fond de son siège, loin de l'avant-scène, Rita sentait son cou souffrir de tant d'agitation. Ne pouvait-il jouer plus sobrement ? Mais plus la banshee scrutait cette comédie stupide, plus elle semblait reconnaître deux petites lueurs bleutées, qui tournoieyait sans cesse. Des yeux turquoises qui découvraient le monde sous un jour nouveau.

« Est-ce ainsi que voient tous les anges de la mort ? Autant de lueurs sublimes, de monde haut en couleur ? Ah mais qu'ai-je été sot de ne pas avoir tenté ça plus tôt !  L'on profite à la fois d'un univers multicolore, d'une vie infinie et de la beauté de la jeunesse et de la mort elle-même. Vous êtes une magnifique faucheuse, tenez-le en pour dit !»

Rita se rendit compte que sa voix avait été également volée, et que ce comédien de pacotille s'en servait sans gène. C'est ainsi que son propre ton lui revint en ricanant :

« Ah excusez-moi, je devrais dire banshee, je m'excuse d'en avoir fait la méprise. Vous sembliez si belle, à pleurer à mon chevet, qu'un instant je ne douta que je ne faisais face qu'à un fantôme faiblard. Je me demande comment vous avez pu oser vous réserver mes derniers instants, recueillir mon dernier souffle, alors que ma famille n'attendait plus que ça à mon égard. Ils doivent être verts de rage… Ou d'indifférence. Bah, au diable ces gens déjà morts, moi je revis ! Oui, j'avoue que cette expérience m'est tout a fait plaisante ma chère. »

Au fond de son corps, le reste d'esprit que constituait Rita essaya de se libérer de cette emprise malsaine, mais le comédien le tenait en joue. Et malgré sa tentative, la pièce continua de plus belle :

- Au fait ! Je me présente, je m’appelle Ester Jones, et vous êtes ?

L 'acteur se retourna vers elle, pour peu que l'on puisse figurer un esprit se retourner dans le monde onirique.

- Eh bien dites-moi ! On dirait que la gourmandise vous a attrapé ! Mais c’est vrai que cette mousse a l’air délicieuse !

Et l'on peut dire que ce fut la seule fois où ce comédien de pacotille émut Rita, car son sourire mauvais réussit à la faire frissonner d'angoisse.

« Je crois savoir que vous avez un nom ? Quelle idiotie que d'en donner un à quelqu'un comme vous. Les monstres ne devraient pas être nommés, mais oubliés. Et tous vont vous oubliez ma chère, car en plus de votre liberté, des mémoires votre nom va s'effacer. »

Des rimes et des sarcasmes, on jurerait entendre la jeune femme. Malgré elle, sa voix répondit à sa place :

- Je me nomme Mrs Twinning, pour vous servir mademoiselle Jones ! Et j'avoue raffoler de ces choses-là, même si cela fait des années que je n'ai pas eu l'occasion d'un tel plat.

Dramaticallement, le corps de Rita se tourna dans son siège et posa une main pâle sur son front transpirant.

- La maladie me tenait en joug, hélas, et je crus devoir ce matin faire mes adieux à ce monde,
Mais que la chance me sourit car l'on prit ma place, et je peux heureusement tout vous raconter de manière faconde.
Et maintenant je compte jouir des bonheurs de la vie, temps que je le puisse.


Une autre bouchée de poire s'enfonça dans la gorge de la belle, qui retint un hoquet de dégoût. Et une fois l'objet de torture englouti, elle vit ses propres genoux se décroiser sous la table et se tendre vers son interlocutrice, un pied venant chatouiller les gibolles maigrelettes d'Ester. Mais enfin, fantôme autochtone, es-tu donc si pressé de vivre que tu en perdrait ton bon goût ? Elle a l'air malade et puritaine, fais donc de meilleurs choix !

-  J'ai une course à faire, mais peut-être auriez-vous la volonté de m'accompagner? Ce ne sera guère long, juste le temps de porter un message à une personne un peu sourde d'oreille.

Ce corps se leva, tournant autour de la table et prenant tendrement la main d'Ester dans la sienne. La banshee sentait sa faible chaleur jusque dans ses entrailles, et tenta par ce contact de lui donner un signal. Mais cela fut rapidement recouvert par la voix, qui lui intima :

« Vous avez bien quelques piecettes à dépanner pour une pauvre âme errante, ma chère. Oh, ne vous tracassez pas, je viens de les trouver. »

Lui volant argent et chair, le fantôme s'éloigna rapidement du café, emportant avec lui l'humaine à l'essence rosée.

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