Cabaret du Lost Paradise - Forum RPG Forum RPG fantastique - Au cœur de Paris, durant la fin du XIXe siècle, un cabaret est au centre de toutes les discussions. Lycanthropes, vampires, démons, gorgones… Des employés peu communs pour un public scandaleusement humain. |
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| "Je broie du noir, je bois du noir, je vois du noir." [Alcool et nuit parisienne, Chapter One] [Ft Reilly] | |
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| Sujet: "Je broie du noir, je bois du noir, je vois du noir." [Alcool et nuit parisienne, Chapter One] [Ft Reilly] Dim 20 Sep - 22:36 | |
| La douleur n'était plus qu'un lointain souvenir dans l'esprit embrumé de la louve. La peine, elle aussi, avait trouvé bon de se noyer au cœur de l'océan de bonheur illusoire dans lequel elle flottait joyeusement. En fait, ce soir, Tala avait envie de rire. Rire, rire de toutes ces choses qu'elle découvrait désormais si hilarantes et qui, au fond elle le savait, ne l'étaient que parce qu'elles étaient toutes imbibées d'alcool. Ah, l'alcool... Qu'est-ce qu'elle avait pu en boire, ce soir... Combien de verres, déjà... ? Cinq ? Six... ? Oh, à vrai dire, elle n'en savait plus rien et n'avait absolument pas envie de s'en rappeler. Se souvenir aurait été contre-productif. Et de toute façon, Tala n'aimait pas se souvenir. Oublier, c'était tellement mieux. Oublier, c'était tellement doux, aussi... Comme un nuage. Un nuage confortable dans lequel s'endormir, loin des problèmes insolubles qui jalonnaient sa vie. Oui, décidément, Tala n'avait pas besoin de se rappeler le nombre de verres qu'elle avait pu ingurgiter, ni même l'identité du type qui levait manifestement sa chope pour trinquer avec elle. Ce qu'elle fit, d'ailleurs, dans un mouvement quasi automatique, et avec un merveilleux sourire.
« E-et à la tienne, mam'zelle ! Hips ! »
Buvant le liquide d'une seule traite, l'homme s'écroula bientôt sur la table qu'ils partageaient, ivre mort. Des ronflements sonores indiquèrent cependant à la jeune femme qu'il se portait comme un charme et, l'espace d'un instant, Tala alla jusqu'à envier le sort de ce type là. Il venait de se garantir une merveilleuse nuit de sommeil. Alors qu'elle... Les quelques verres -elle supposait- qu'ils avaient échangé n'avaient pas suffit à la finir. De toute manière, il aurait été bien malvenu qu'elle s'endorme dans un tel endroit, entourée de tant d'hommes alcoolisés. Tala le savait, et c'est pour cette raison et uniquement celle-ci qu'elle essaya de se relever après avoir terminé l'alcool qu'elle avait en main. C'était apparemment du whisky, selon ses papilles gustatives, mais elle n'était pas certaine de pouvoir leur faire confiance : tout était trop imbibé d'alcool pour qu'elle puisse s'y fier, jusqu'au sol si glissant qui la fit chuter. Elle se rattrapa in extremis à sa chaise, et soudain, le monde tangua comme s'il n'avait jamais rien fait d'autre que cela. Un nouveau sourire naquît sur les lèvres de la jeune femme qui, déposant une belle somme sur le comptoir au passage, s'engouffra tant bien que mal dans la nuit parisienne. Le mur était soudain devenu son meilleur ami, et les sensations qu'elle éprouvait désormais l'amusaient autant qu'elles la brassaient. Son estomac, encore et toujours lui, s'était en effet fait un devoir de profiter de l'expérience à souhait et, Tala le savait, il finirait tôt ou tard par expulser tout ce qu'elle avait pu avaler dans la journée. Bah ! C'était toujours mieux que de réfléchir, au final. Réfléchir, c'était se garantir des idées noires. Et il était clair qu'elle n'avait pas besoin de ça. Pour un soir, au moins, elle avait bien le droit d'oublier le monstre, non... ? Instinctivement, son regard se leva en direction du ciel où elle chercha la lune. Lorsqu'elle la repéra enfin, le soulagement qui se déversa dans tout son cœur se voulait presque tangible : mince et pâle croissant dans l'obscurité, l'astre ne dégageait pas plus de lumière que les étoiles qui l'entouraient. Le soir maudit de ce mois-ci était encore loin. Elle pouvait donc profiter d'un répit appréciable jusqu'à... ça. Lentement, un frisson la parcourut de haut en bas, alors qu'elle se souvenait du dernier homme à qui elle avait pris la vie, ainsi que du premier. Presque immédiatement, les larmes lui montèrent aux yeux, poussant la jeune femme à secouer la tête dans sa morbide solitude.
« Non... Non... Je veux pas me souv-... souvenir... »
Parvint-elle à articuler tant bien que mal. Se redressant, Tala se remit en marche. Il était temps qu'elle rentre et, de toute façon, sa soirée venait d'être gâchée. En cherchant à oublier, elle n'avait fait que justifier les horreurs qu'elle se murmurait le soir en pensée. Et après tout, c'était bien fait : un monstre n'avait pas droit au repos, aussi illusoire fut-il...
« C'paaas juste ! Vraiiiment pas ! »
Ses mots, crachés sur le parvis par l'alcool plutôt que par elle, lui arrachèrent presque une larme alors qu'ils résonnaient dans la rue déserte. Bien sûr que c'était juste. Toutes les souffrances qu'elle pouvait endurer étaient méritées. Et celle-ci ne faisait pas exception : Tala devait la subir à sa juste valeur, et se punir d'avoir cherché à fuir. C'est finalement sur cette pensée qu'elle chuta à nouveau. Mais cette fois, le mur ne parvint pas à la retenir.
« Ah... Ahah... Ahahahah ! »
Le rire vide qui s'échappa d'entre ses lèvres rejoignit un océan d'amertume dont elle était la pitoyable souveraine. Pitoyable. C'était bien le mot. Dégoûtante, suintant la pitié à des kilomètres. Oui. Elle faisait peine à voir, et toute sa vie n'était qu'une sombre erreur. Le rire reprit, plus fort encore que précédemment. Assise ainsi dans la boue et les déjections, Tala avait retrouvé la seule place qu'elle puisse mériter en ce monde : celle du déchet qu'elle était. Et si elle l'avait pu, c'est ici qu'elle serait restée pour l'éternité. Ou jusqu'à ce que la mort vienne la chercher. Mais celle-ci ne vint jamais. Lorsque les derniers éclats de ce rire si tragique s'estompèrent, le silence régna tout d'abord en maître sur la nuit de Tala. Puis, discrètement, si discrètement qu'elle eut du mal à l'entendre, résonnèrent les paroles d'un chant à fendre l'âme. Tout d'abord, la jeune femme crut qu'il s'agissait là de son imagination. À cette heure qu'elle devinait si tardive, il ne pouvait y avoir personne qui chantât ainsi. C'était donc forcément l'alcool qui lui jouait des tours. Elle avait sans doute bu bien plus de sept verres, au final... Une dizaine, très certainement. Et, Tala se devait de l'avouer, c'était dix de trop. Elle avait cherché le repos immérité, envié l'homme ayant rejoint Morphée, alors qu'elle ne pourrait jamais appartenir à un autre qu'Hadès. Un sourire désabusé vint se glisser sur ses lèvres alors qu'elle se concentrait sur le fredonnement qui, lentement mais sûrement, résonnait de plus en plus fort dans son esprit. C'était anormal, ça, d'ailleurs. C'était comme si, parce qu'elle se concentrait sur lui, le chant se faisait plus intense, devenait plus audible, plus concret. Comme si, simplement parce qu'elle tendait l'oreille, la jeune femme pouvait trouver la source -fictive ou non- de ces notes égarées dans les rues parisiennes. Au début, Tala trouva ça amusant, presque... plaisant. Ce fut ainsi jusqu'à ce qu'elle se rende compte de la réalité de ce son, et de ce que tout cela pouvait signifier. La joie fugitive qui avait illuminé son regard sauta du haut de sa peur et s'écrasa lamentablement sur le sol, ce sol si sale qu'elle avait précédemment rencontré, elle aussi. Et peut-être n'aurait-elle jamais dû le quitter. Car maintenant qu'elle s'était lancée à la recherche de l'auteur de ce chant, elle le voyait comme le nez au milieu de la figure. Ce qui faisait qu'elle entendait si bien tout ça, c'était sa monstruosité. Et comme à chaque fois qu'elle oubliait, Tala l'avait laissé resurgir, le monstre, la chose, le cauchemar qui la hantait désespérément depuis qu'elle était née. Sa gorge se serra, son cœur suivit de près, et c'est remplie du dégoût d'elle-même qu'elle arriva enfin dans une ruelle plus sombre et plus insalubre que toutes celles qu'elle avait traversé cette nuit-là. Un instant, la jeune femme hésita à y pénétrer, peu rassurée. Mais l'alcool et la haine d'elle-même aidant, Tala se laissa guider par la voix qu'elle percevait de façon plus audible encore depuis qu'elle était arrivée. C'est ainsi qu'elle arriva bredouille au bout de l'allée sombre -un cul de sac, comme il fallait s'en douter. Poussant un soupir rageur -parce que ce n'était vraiiiiment pas juste si vous vouliez son avis-, la demoiselle fit demi-tour. Tenta un demi-tour. Regagna le sol, se salissant plus encore au passage. Un léger éclat de rire lui échappa, ce qui fit taire la voix. Mais il était déjà trop tard : maculée de boue et à plat ventre dans celle-ci, Tala faisait désormais face à un jeune garçon aux cheveux de la même couleur de ceux d'Ewen et aux yeux aussi expressifs que les siens. Pour l'heure, ceux-ci exprimaient d'ailleurs toute la tristesse du monde dans leur éclat, ce qui serra le cœur de la jeune femme au plus haut point. Après de longues minutes couchée là, Tala se redressa et avança jusqu'au chanteur désespéré, devant lequel elle s'accroupit, remettant en place des idées bouleversées par l'alcool.
« Eh... »
Commença-t-elle presque tendrement, la tête lui tournant toujours affreusement et le semblant de raison qui lui restait la fuyant absolument. C'était trop triste, ce regard-là. Elle ne pouvait tout simplement pas le laisser dans cet état, tout seul dans la boue. Parce que la vérité, c'est qu'à sa place, elle aurait voulu recevoir de l'aide. Alors, rassemblant deux ou trois pensées cohérentes, Tala reprit la parole.
« Ç-ça va... ? »
Cette question, comme tout le reste, était tout bonnement ridicule. Pourtant, Tala persista.
« Faut pas rester tout seul, tu sais... ? »
Couverte d'immondices et le regard voilé par l'alcool, elle aussi devait faire peine à voir et, peut-être même, peur. Mais au delà du monstre, sous toutes les couches d'horreur la constituant, il y avait un cœur. Et un cœur qui ne pouvait faire autrement que d'aider ce pauvre gosse.
« Je suis mal placée pour dire ça, j'sais parfaitement... Mais justement... On pourrait aller boire un verre, toi e-et moi... C'pas une invitation, hein, enfin si, mais pas comme ça, enfin tu vois... Mais j'me dis qu'à deux estropiés de la vie, on pourrait réussir à faire quelques pas d'plus que tout seul... T'es... t'es pas obligé d'accepter, hein... mais ça m'ferait plaisir, tu sais... ? P-parce que moi aussi, j'ai pas envie d'rester toute seule, c'soir... »
Le sourire qu'elle lui adressa ce soir-là fut le plus pitoyable de son répertoire. Pourtant, peut-être parce que l'alcool l'empêchait de penser trop loin ou parce que ce gosse semblait aussi perdu qu'elle, Tala resta là, et ajouta même, après un temps.
« C'était beau c'que tu chantais, mais tellement triste, aussi... Moi j'm'appelle Tala... E-et si tu préfères, on peut parler ici... 'Faut juste pas avoir peur du noir, en fait... Ou d'la nuit... »
Le rire amer qui suivit ses paroles valait tous les aveux du monde : Elle, elle avait peur de la nuit. En fait, elle était même terrifiée. |
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| Sujet: Re: "Je broie du noir, je bois du noir, je vois du noir." [Alcool et nuit parisienne, Chapter One] [Ft Reilly] Mer 7 Oct - 16:50 | |
| Il courait.
Aussi vite qu’il le pouvait, il courait. Toujours plus vite, toujours plus pressé. En fait, était-il en train de se dire alors que ses pieds immaculés battaient le pavé plus violemment que jamais, il ne faisait que ça, ici, courir. Et pourquoi, hein ? Il leva les yeux vers le ciel noir de Paris, tellement grand, tellement haut, tellement vertigineux, qui semblait le toiser plus que jamais. Le petit irlandais pressa ses lèvres les unes contre les autres, alors que les larmes lui montaient aux yeux. Il avait peur. Et, même, il était déçu, blessé…
Parce qu’elle était où, sa mère, hein, quand il avait besoin d’aide ? Oh, pas là, non, pas ce soir, jamais quand il le fallait, de toute façon ! Aucune pointe de lumière dans ce ciel d’orage. Pas de lune. Pas de mère. Au final, il était seul, ce petit lorialet. Alors que, les soirs comme celui-là, tout ce dont il avait besoin c’était de quelqu’un qui s’occupe de lui.
Et comme ça l’agaçait ! Parce qu’en fait, il n’avait besoin de personne, il le savait très bien ! Enfin…
Reilly poussa une plainte rageuse en s’arrêtant contre un mur pour prendre sa tête dans ses mains et la serrer. Pourquoi la serrer ? Il fronça les sourcils en s’essuyant les yeux et fixa ses pieds quelques secondes. Ah…il ne se reconnaissait pas…Ou plutôt, il reconnaissait cette partie de lui qu’il tâchait si durement d’enfouir, d’habitude. Ca ne lui plaisait pas du tout. Il ferma les yeux et recommença à marcher en reniflant.
Il n’aimait pas être comme ça…être lui ? Il n’aimait pas être lui-même, parfois. Mais n’était-ce pas le cas pour tout le monde, en fait ? Surement oui. Tout le monde devait avoir une partie de lui qu’il détestait, c’était logique. Ah ! Et voilà ! Lui il était en train de s’apitoyer sur son sort, mais il n’était certainement pas le seul à ne pas se sentir bien ! Quel égoïsme…
Ses larmes étaient en train de s’accumuler au bord de ses petites paupières. C’était bien trop lourd pour elles, elles allaient bientôt craquer, tout comme lui. Craquer ? Craquer oui. Sinon, pourquoi était-il en train de déambuler comme un mort-vivant à cette heure bien trop tardive dans les rues les plus sombres de Paris.
Parce que l’obscurité, il n’aimait pas ça, à la base. Il ne supportait cette vague cousine de la nuit seulement quand son désir de solitude le poussait au fin fond des recoins de Paris. De la logique… Une nouvelle fois, Reilly leva les yeux vers le ciel. Une autre des qualités dont ses mères ne l’avaient pas doté. De la logique. Vouloir rester seul, et vouloir se blottir au maximum contre une figure maternelle, en même temps, ce n’était pas logique…Un petit pincement fit tressauter son coeur, et ses yeux débordèrent. Mince… Maintenant, il était immobile, au milieu de bien trop de curieux. De toute façon, il ne les entendait pas. Ses oreilles vrombissaient au rythme des battements de son pauvre petit coeur qui se serrait de plus en plus dans sa poitrine. Il y avait des soirs, comme celui-là, où il ne pouvait tout simplement pas se sentir bien.
En une seconde, un long et épais manteau de solitude vint l’embrasser. D’abord sa taille, puis ses bras, son cou, sa tête…et quand il enveloppa ses jambes dans son étreinte gelée, elles se mirent à avancer de nouveau. Reilly se mit à sourire en essuyant ses joues. Quitte à se laisser aller, autant être au chaud, non ? La solitude, quand elle s’installait dans sa tête, elle lui tenait bonne compagnie. Le petit irlandais porta sa main à son front en soupirant. Ironie et manque de logique.
Il se heurta au mur le plus proche, sans prêter attention à ceux qui le croisaient et le dévisageaient, sûrement de la même façon qu’ils auraient dévisagé un cadavre animé. Il n’en pouvait plus, non. D’habitude, Reilly ensevelissait cette partie de lui qui ne connaissait que trop bien la solitude sous une montagne de sourires, distribués au moindre individu qui entrait dans son champ de vision. Ah ! Qu’il était mignon, cet enfant, qu’il était adorable, ce gamin, toujours souriant et de bonne humeur ! Oh, certainement oui, personne ne pouvait rêver meilleur compagnon, que ce soit pour une conversation, du travail, un coup à boire. Mais là, alors que ses petites joues roses se noyaient sous ses larmes, Reilly se faisait la réflexion : plus on essaye de chasser sa vraie nature, plus celle-ci revient, plus elle est insistante. Et de bonne compagnie.
Le petit lorialet reprit sa course, sans avoir eu le temps de reprendre sa respiration. La moindre personne qu’il passait, le moindre badaud qui l’interpelait, tout lui arrachait des frissons monstrueux.
Agoraphobie.
Sa gorge se serrait de plus en plus, alors que ses pieds battaient les pavés à une vitesse folle. Son souffle, court, lui broyait les poumons, et il se fichait éperdument de sa main qui raclait les murs auxquels il se collait. Pourtant, ses mains, en principe, il y faisait attention, le petit couturier. Ses mains étaient essentielles pour son travail. Sans elles, il ne pouvait rien faire.
"Eh ! Attention !"
Reilly écarquilla grand les yeux en réalisant, trop tard, qu’il était entré en collision avec un tonneau rempli d’il ne savait pas quoi. La bonne femme qui le toisait, mains sur les hanches, lui arracha un nouveau frisson qui lui semblait comme des ongles esquintant son dos frêle, sans pitié ni précaution. Il ouvrit la bouche mais aucun son n’en sortit. Incapable de répondre. La femme se rapprocha d’un pas, sûrement intriguée par sa réaction, et les sueurs froides se transformèrent en tremblements. Les pieds de Reilly décidèrent de fuir, puisque, fuir, il savaient tellement bien le faire. En quelques secondes, il était déjà loin. Son coeur battait tellement fort qu’il n’entendait que lui, dans ce Paris nocturne pourtant si animé. Si animé, et si peu éclairé.
A chaque ruelle qu’il passait, les parisiens ressemblaient tous à de grosses ombres, dans ses yeux de gosse effrayé. A travers les larmes, c’était pire. Déformés et transformés, de vrais monstres aux doigts crochus, aux chapeaux tordus, comme leurs sourires qui en devenaient malveillants. Les rires fusaient tout autour de Reilly. C’était étourdissant et lourd, de vrais rires de hyène affamées. Pourquoi étaient-ils en train de rire, d’abord, hein ? Il n’y avait rien de drôle ! Rien ! Ce soir était…
"Eh ben, ça va ?"
Une jeune femme inquiète venait de poser une main sur l’épaule du petit irlandais paniqué, afin de lui venir en aide. Cet enfant semblait si désespéré ! Très mauvaise idée. S’il avait pu rire, comme tous ces gens autour de lui, il l’aurait fait. Un rire mauvais, un rire ironique et plein d’appréhension. Mais là, tout ce qui sortit de sa bouche fut un cri presque strident. Sa main droite, réactive, chassa violemment celle de la jeune femme qui le fixait dans un état de choc, alors que sa main gauche s’était serré en un poing défenseur. Il ne prit même pas le temps d’analyser le comportement de la jeune femme qu’il la jugea déjà : pourquoi elle le touchait, hein ? Il n’avait rien demandé, il n’avait jamais rien demandé et il ne demanderait jamais rien, alors pourquoi est-ce qu’elle venait détruire son monde plus qu’il ne l’était déjà ?!
"T-tout va bien ?"
Non ! Reilly serra les dents et lança un autre cri rageur avant de recommencer à courir. C’était quoi, cette question ? Il était en train de devenir fou, ça ne se voyait pas ?!
Il n’en pouvait plus, tout simplement plus…
Là il ne courait même plus ! Il se sentait flotter, vidé de toutes ses forces, et plus il s’enfonçait dans les profondeurs parisiennes, plus il angoissait, mais plus il se sentait bien. Ce nouveau paradoxe lui arracha une quinte de toux affreuse. Ou bien était-ce son manque d’oxygène ? Oh… Il s’arrêta dans le recoin le plus minuscule qu’il put trouver.
Sa tête vrombissait inlassablement, ses membres le faisaient souffrir plus encore, son sang pulsait plus rapidement qu’il n’avait jamais pulsé dans ses veines. Il avait le vertige. Et, alors qu’il s’asseyait tout contre le mur froid qui lui semblait, là, un bon ami, il se laissa complètement aller. Alors, comme à chaque fois qu’il se laissait aller, il commença à chanter.
Certains disaient que la complainte des lorialets faisait partie des mélodies les plus douces qui existaient. Une voix claire qui portait les brisures d’un petit être pâle, sur des notes chantantes et merveilleuses, une mélancolie languissante et moelleuse, pleine d’une tristesse infinie et touchante. Souvent, Reilly chantait depuis le toit du Lost. Là, sa voix résonnait sur les hauts plafonds de Paris, quand il chantait pour la lune. Mais là, c’était encore différent. Là, depuis le fond de son petit cul de sac étreint par la pénombre, il ne chantait pas, non. En réalité, il appelait. C’était peut-être pour ça, ou sûrement, oui, que sa complainte sonnait si désespérée. Désespérée, comme lui, mais douce, comme lui. Sa voix montait dans les aigus, plus angélique et pure, et ses larmes ne compromettaient absolument pas son chant. Heureusement ! C’était aussi ça, la beauté d’un lorialet : une mine de poupon mélancolique, une petit voix qui prenait aux tripes quand on était assez privilégié ou chanceux pour l’entendre, quelque chose de très souvent inattendu pour ceux qui en croisaient. Et, souvent, plus les gens écoutaient Reilly, plus ils s’enfonçaient dans la mélancolie avec lui. Sa chanson était un doux voyage vers le creux des malheurs de chacun, le genre de malheur que personne n’osait s’avouer mais que tout le monde gardait dans ses tripes. Mais à ce moment-là, Reilly ne désirait rien d’autre que s’enfoncer dans les siens, de tracas. Laissez ses songes l’envahir complètement, se laisser submerger par sa propre chanson. Il n’en pouvait plus. Il n’avait pas envie de sécher ses larmes, il n’avait pas la force d’arrêter de chanter. De toute façon, il pouvait bien continuer, ici il était tranquille. Ses larmes dévalaient ses joues à chaque nouvelle note avant d’aller s’écraser dans la boue qui rendait ce cul-de-sac plus sale et lugubre que ce qu’il était déjà. La complainte du petit lorialet se fit plus vive encore, tout en délicatesse, plus puissante, plus audible et plus triste encore. Il ferma les yeux, entièrement pris par le chagrin le plus pur qui soit, et il pencha la tête en arrière pour l’appuyer contre le mur et chanter vers le ciel.
« Eh... »
Reilly sursauta brusquement. Qui ? Qui venait encore le déranger ? Ses grands yeux bleus craintifs se posèrent précautionneusement sur la jeune femme qui se trouvait devant lui, pleine de boue, comme lui surement, et à l’air…peu dangereux. En fait, elle devait surement avoir trop bu, vu la difficulté avec laquelle elle se tenait devant lui. Le petit lorialet se recroquevilla un peu plus contre son mur, sans la lâcher des yeux.
« Ç-ça va... ? »
Non. Pas la peine de demander, ce n’était pas évident ? Reilly poussa un petit soupir en s’essuyant les joues pour la énième fois. Si sa chemise, à la base immaculée et maintenant pleine de saletés, avait pu parler, elle l’aurait maudit un milliard de fois tellement elle était trempe. Devait-il vraiment dire que ça n’allait pas ? C’était un peu égoïste, tout de même…cette jeune femme était là aussi, dans ce cul de sac lugubre, couverte de boue et, il pouvait le dire à la douce odeur qui venait embrasser ses narines, complètement imbibée d’alcool. Elle devait vraiment avoir plein de soucis dans sa vie, pour boire autant, se disait-il mentalement en la dévisageant de plus belle.
« Faut pas rester tout seul, tu sais... ? »
Reilly haussa les épaules en ramenant ses genoux contre son torse. Au fond, être seul, il adorait ça…ça ne le dérangeait pas. Mais…la compagnie non plus ça ne le dérangeait pas. Au fond…il adorait ça… Et puis, étrangement, sa jeune compagne d’infortune ne l’effrayait pas comme tout le reste de Paris, ce soir, non… Pourquoi, d’ailleurs ? Elle était…à ce moment-là, comme un baume au coeur, une présence chaleureuse, presque tendre. Non, il ne fallait pas l’inquiéter plus que ce qu’elle semblait déjà, elle qui devait avoir tant de soucis et qui s’en faisait, en plus, pour un gosse en train de pleurer au fond d’une ruelle. Reilly planta ses grands yeux mouillés dans les siens et, à présent, la situation lui paraissait tout à fait ridicule.
« Ca va… »
Bien sûr. Même lui n’était pas convaincu de ses propres mots.
« Je suis mal placée pour dire ça, j'sais parfaitement... Mais justement... On pourrait aller boire un verre, toi e-et moi... C'pas une invitation, hein, enfin si, mais pas comme ça, enfin tu vois... Mais j'me dis qu'à deux estropiés de la vie, on pourrait réussir à faire quelques pas d'plus que tout seul… »
Reilly haussa légèrement un sourcil en reniflant pour la millième fois de la soirée. Deux estropiés de la vie, hein ? L’expression lui arracha un léger sourire en coin qu’il s’empressa de cacher derrière ses genoux. C’était vrai, et juste comme expression, bien qu’il ne connaissait pas une bribe de la vie de cette jeune femme. La proposition était bien tentante… Un petit verre, ça ne lui ferait rien, après tout… Et puis, s’il allait avec elle, il pourrait l’empêcher de boire. Sa morale lui piquait violemment le coeur, autant que le cerveau, en voyant son interlocutrice manquer d’équilibre. Cette fille…il valait mieux que quelqu’un la surveille jusqu’à ce qu’elle rentre chez elle. Le petit irlandais releva la tête une nouvelle fois, soudain pris d’un élan fraternel puissant. Peut être était-ce parce qu’il se sentait terriblement seul et ne désirait, au fond, que de la compagnie, mais il ne fallait surtout pas que cette jeune femme reste seule dans cet état là, non. Et puis, même, elle lui rappelait…
« T'es... t'es pas obligé d'accepter, hein... mais ça m'ferait plaisir, tu sais... ? P-parce que moi aussi, j'ai pas envie d'rester toute seule, c'soir... »
« Je veux venir. »
Clair et résolu. Reilly, grâce à elle, avait peut-être retrouvé légèrement, très légèrement ses esprits. Il avait envie d’un câlin. Mais là, le moment n’était pas aux câlins. Là, son interlocutrice le fixait droit dans les yeux. Avec un air pitoyable qui se répercutait jusque dans le sourire qu’elle lui adressait. Elle était comme lui, en fait. Elle avait peut-être envie d’un câlin aussi…?
« C'était beau c'que tu chantais, mais tellement triste, aussi... Moi j'm'appelle Tala... E-et si tu préfères, on peut parler ici... 'Faut juste pas avoir peur du noir, en fait... Ou d'la nuit... »
Le petit couturier rougit instantanément. Avant de lâcher un petit rire nerveux.
« J’ai peur de la nuit, des fois…Je m’appelle Reilly, Reilly O’Brian »
Il lui tendit sa main.
« Tu as peur du noir, Tala ? »
De la pure curiosité. Parfois, il s’en voulait d’être aussi curieux. Mais là, surtout maintenant, sa curiosité lui permettait aussi de fuir ses propres idées sombres. Et puis, elle avait l’air intéressant, cette nouvelle connaissance ! Le rire amer qu’elle avait lâché après avoir parlé du noir et de la nuit l’intriguait. Encore un fois piqué à vif. Alors, il se releva, les jambes encore chancelantes, et il lui tendit à nouveau sa petite main pâle pour l’aider à se relever. Malheureusement pour lui, son manque de force, de jugeote, ou de coordination le rappela cependant bien vite à l’ordre, et ce fut dans un petit cri plus ridicule que son nez qui coulait encore qu’il trébucha avant de tomber sur les fesses à côté de ladite Tala. Dans la boue.
Ridicule.
Tellement ridicule que c’en était…drôle.
Son rire ne mit pas longtemps à passer la barrière de ses lèvres, et bientôt le cul de sac froid dans lequel ils se trouvaient se vit légèrement, très légèrement éclairé par l’amusement d’un petit lorialet à bout de nerfs. Reilly se releva en gloussant encore un peu, avant de pousser un long soupir. Soulagé ? Inquiet ? Oh, il ne savait pas. Mais là, tout ce qui lui importait c’était…
« On va où, Tala ? Je paye ma tournée ! » |
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| Sujet: Re: "Je broie du noir, je bois du noir, je vois du noir." [Alcool et nuit parisienne, Chapter One] [Ft Reilly] Mar 10 Nov - 0:59 | |
| Le soleil était parti depuis longtemps et la nuit gouvernait en maître sur les environs. Elle régnait, régnait sur les joies, les peurs, les cauchemars et les pleurs. Il y avait de la peine dans les yeux qui lui faisaient face. Tant, tant de peine, que Tala ne comprenait pas et ne pourrait jamais comprendre. Car celui qui pleurait, celui dont le chant avait retenti au plus profond de son âme, celui-là même auquel elle faisait face pleurait la disparition de l'astre responsable de tous ses maux, de cet astre monstrueux qui la rendait tout aussi laide que lui et qui, lorsque l'heure était venue, faisait d'elle une meurtrière. Tala détestait la lune. Elle détestait cette étoile orgueilleuse, la haïssait de toute son âme et si elle avait pu, elle l'aurait certainement détruite de ses propres mains. Mais ce n'était pas possible, ça ne le serait jamais, et elle était condamnée à subir ses facéties pour tout le restant de sa vie. Une vie qui serait courte. Elle se le promettait. Mais pour l'heure, là n'était pas la question. Elle devait se concentrer, se recentrer sur le pauvre jeune homme aussi boueux qu'elle et qui semblait plus triste encore qu'elle ne l'était elle-même. Un semblant de sourire vint se glisser sur ses lèvres lorsqu'il annonça qu'il allait bien. C'était un mensonge, l'un de ceux qu'elle prononçait tous les jours à la face d'un monde qui l'exécrait. Tala secoua doucement la tête, comme pour signifier qu'elle n'y croyait pas un seul instant, mais ne mit aucun mot sur cette réalité. Elle n'était personne pour lui faire la morale, et ne le serait jamais, ne serait jamais en droit de lui dire quoique ce soit lorsqu'elle-même faisait pire. Un instant, elle se remémora le toucher glacial contre sa cuisse, et un frisson la parcourut toute entière. Oui, décidément, elle faisait bien pire que de pleurer dans une ruelle, et l'haleine qui était la sienne en disait bien trop long sur cette vérité. Elle était bien plus pitoyable que ce garçon ne le serait jamais. C'était ça, la réalité, sa réalité, la réalité de tout un chacun. Tala était pitoyable. Et elle était un objet de honte. Ces pensées lui firent mal. Sa gorge se serra et soudain, Tala eut l'envie de boire. Boire pour oublier, oublier ce qu'elle était, ce qu'elles étaient, elle et la louve, elle et le monstre, elle et son cauchemar personnel. Elle voulait oublier. Oublier jusqu'à son nom et ne se réveiller que le lendemain, couchée sur cette table salie par trop de beuveries, en face d'un homme dont elle ne saurait rien, brigand, bandit, malfrat, peu importait, elle n'était pas là pour juger et de tous, elle serait la pire. Elle voulait oublier, et cette envie ne la quitterait pas avant qu'elle n'y cède. Alors Tala, plutôt que de quitter le pauvre garçon face à elle, se décida à l'inviter. Il n'était pas de ces gens malfamés qui accompagnaient la plupart de ses nuits. Il avait besoin que quelqu'un lui change les idées. Elle avait envie de boire. Il était logique qu'ils conjuguent leur nuit respective. Mais allait-il seulement accepter... ?
« Je veux venir. »
La réponse tomba, brusquement, si claire et si nette qu'elle lui arracha un sursaut. Le sourire, cependant, se maintint sur ses lèvres. Il avait accepté. Elle pourrait oublier. Tout irait bien. Tout irait bien...
« C'était beau c'que tu chantais, mais tellement triste, aussi... Moi j'm'appelle Tala... E-et si tu préfères, on peut parler ici... 'Faut juste pas avoir peur du noir, en fait... Ou d'la nuit... - J’ai peur de la nuit, des fois…Je m’appelle Reilly, Reilly O’Brian »
Les mots coulaient difficilement, bien plus difficilement que ne le faisait l'alcool dans sa gorge. Les mots se perdaient, se mélangeaient, formaient un brouillard compliqué dans sa tête imbibée, imbibée, mais pas suffisamment pour qu'elle ne sache plus qui elle était. Preuve en était, elle lui avait donné son nom. Le sourire misérable qu'elle gardait sur le visage perdura lorsqu'il lui répondit, sans pour autant s'élargir.
« Enchantée... »
Annonça-t-elle bientôt. Alors comme ça, Reilly craignait la nuit... ? Tala comprenait. Elle comprenait même trop bien, et elle souffrait de cette compréhension. Elle aurait voulu oublier, ne pas savoir, ne même pas pouvoir imaginer un début d'explication. Hélas, elle était de ces monstres nés de l'obscurité et ne pourrait jamais l'oublier... Sauf si elle buvait. De nouveau, la soif revint, plus forte que jamais, tandis que des larmes imbéciles lui montaient aux yeux. C'était l'ennui, avec l'alcool. Quand elle buvait trop, ça allait, mais si elle ne buvait pas assez, la réalité la rattrapait et finissait toujours par la déprimer. Ça finissait toujours dans les larmes, dans ces cas-là. L'alcool n'était donc plus un simple désir, mais une nécessité. Tala savait que personne autour d'elle ne comprendrait. C'est pour ça qu'elle écumait les bars les plus dangereux de Paris et n'en avait jamais parlé à personne.
« Tu as peur du noir, Tala ? »
La concernée sursauta, réintégrant la réalité pour apercevoir la main qu'on lui tendait et qu'elle ne saisirait pas. Reilly était de ces êtres si fragiles qu'elle pouvait briser au moindre contact, et il était hors de question que cela soit le cas. Alors, dans un réflexe quasi instinctif, elle s'éloigna, glissant à nouveau dans la boue et s'en recouvrant. Le contact lui était interdit, aujourd'hui, demain, à jamais. C'était quelque chose qu'elle se devait de respecter et l'une des rares choses qu'elle ne devait et ne voulait pas oublier. Elle devait rester seule, seule dans le noir qui finirait par la dévorer, ce noir qui, déjà, volait un peu de son âme au contact de la nuit sans étoiles qu'ils traversaient. La nuit, la lune, toutes ces choses étaient ses ennemies, et Tala les avait en horreur.
« J-je crois que oui... »
La vérité quitta ses lèvres, galvanisée par le trop plein d'alcool qui continuait de circuler dans son sang. Ce n'était pas assez pour oublier. C'était cependant bien assez pour tout avouer.
« M-mais je crois que j'ai peur de beaucoup d'autres choses... »
La phrase tomba, s'imprima dans les airs et s'envola vers des cieux que Tala n'atteindrait jamais qu'en rêve. Se redressant enfin, en même temps que Reilly qui voulut lui tendre la main, elle se releva sans en avoir besoin, lui lançant un regard coupable. Il ne comprendrait certainement pas son refus mais... elle ne pouvait pas faire autrement. Il était écrit qu'elle risquait de lui faire du mal si elle lui accordait ce qu'il avait demandé par deux fois, et elle le refusait toujours autant. Le voyant tomber, toutefois, Tala se sentit mal de ne pas l'avoir rattrapé, bien qu'elle ait dû réprimer le mouvement au dernier moment. Mais mieux valait qu'il chute en vie plutôt qu'il ne reste debout en étant mort, après tout... D'une voix sincèrement inquiète, elle s'empressa cependant de demander.
« T-tout va bien ? »
Ce fut un éclat de rire qui lui répondit et Tala ne sut pas le moins du monde comment l'interpréter. Elle ne fréquentait plus assez de monde pour pouvoir lire dans ce rire, et le trouble s'afficha bientôt dans le regard vert, ce regard si expressif qu'elle maudissait à chaque instant de sa vie. Il énonçait ses blessures lorsqu'elle souhaitait les taire, il hurlait ses cauchemars lorsqu'elle s'inventait des rêves et susurrait la vérité à qui voulait la voir lorsqu'elle cherchait à mentir. Il lui avait joué des tours avec tant de gens, tant de fois, qu'aujourd'hui, Tala le détestait pratiquement. Comme tout ce qu'elle représentait. Tala avait systématiquement l'impression de devoir mourir plutôt que de devoir vivre, tant elle se sentait monstrueuse...
« On va où, Tala ? Je paye ma tournée ! - Euhm... J-je ne sais pas... Tous les bars que je connais sont... peu fréquentables... »
Tout comme elle, eut-elle envie d'ajouter. Elle se retint miraculeusement et poursuivit donc.
« J-je te propose d'aller faire un tour ailleurs qu'ici pour... trouver un endroit plus digne... E-et je paierai mes verres ! Je... bois trop pour te laisser me prendre en charge... »
Un pauvre sourire revint affronter ses lèvres alors qu'elle se mettait en route. Elle visait le quartier de la Tour Eiffel où les alcools seraient hors de prix, mais où leur sécurité serait garantie. Tala devrait éviter de manger pendant quelques repas pour pallier à cette onéreuse sortie, mais ça irait. Ça allait toujours, de toute façon...
« As-tu déjà vu la Tour Eiffel... ? Parce que moi, jamais. »
La question se voulait rhétorique, ou tout du moins, était là pour meubler. Il fallait qu'elle pense à autre chose. L'alcool quittait un peu plus ses veines pour son plus grand déplaisir. Bientôt, Tala serait pratiquement sobre. Et à cet instant, elle ne pourrait plus éviter le souvenir. Il fallait qu'elle trouve à boire. Et le plus tôt serait le mieux. |
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| Sujet: Re: "Je broie du noir, je bois du noir, je vois du noir." [Alcool et nuit parisienne, Chapter One] [Ft Reilly] Lun 25 Jan - 14:17 | |
| Reilly était en train de se maudire. Se maudire, tout au fond, là où personne ne pourrait jamais plus entrer, alors que son interlocutrice secouait la tête quand il lui disait qu’il allait bien. Elle n’y croyait pas ? C’était bien la seule à ne pas y croire. Et ça, ça l’embêtait. Normalement, tout le monde croyait à ses mensonges. Reilly, c’était le meilleur menteur de tous les temps. Ah ça, il était très fort pour ça, encore plus doué pour mentir que pour coudre. Pour mentir, par contre, sur son état. Parce que sinon, il ne pouvait pas mentir. S’il n’aimait pas quelque chose, ou s’il était mal à l’aise, il le disait. Il était très honnête comme garçon. Sauf pour la question fatale. « Tout va bien ? », évidemment que oui. Evidemment que non. Ah ! Que les gens étaient crédules ! Parfois, même, ça le faisait rire. Parfois, même, il se disait qu’il avait envie de leur cracher sa rage et sa tristesse. Mais non, ne s’était-il pas promis de ne jamais s’ouvrir autant aux autres ? Et puis, d’abord, qui s’en soucierait, de son état ? Même lui préférait se concentrer sur les autres que sur lui-même tellement il se donnait envie de vomir. Dans son monde en gris et noir, le point le plus immonde était le sien. Parfois, il se détestait tellement que rien qu’entendre sa propre voix lui donnait envie de s’arracher les cordes vocales.
Il soupira, triste et rageur, en s’essuyant à nouveau les yeux. Pourquoi s’énervait-il d’un coup, d’ailleurs ? Il releva les yeux sur la jeune femme qui lui faisait face. C’était à cause d’elle ! A cause d’elle qui ne croyait pas à son mensonge ! Ah, rien qu’en observant son visage et ses traits il pouvait le deviner : elle aussi était une menteuse, peut-être même aussi bonne menteuse que lui. En voilà, un premier point commun : peut-être tous deux passaient-ils leur temps à tromper leur monde ? Elle n’avait peut-être rien dit, elle avait seulement secoué la tête, mais c’était largement suffisant pour enfoncer un nouveau pieux dans sa gorge. Parfait. La prochaine fois qu’il pleurerait et qu’un inconnu l’aborderait au fond d’une ruelle boueuse, il prendrait la fuite. Jamais il n’avait voulu qu’elle devine son état, jamais il n’avait souhaité rencontrer quelqu’un ce soir, jamais il ne recommencerait, ce serait la seule et l’unique à qui il permettrait de le voir dans cet état-là. Cette menteuse à la figure de grande soeur, il avait l’intime conviction qu’elle le comprenait un petit peu. Peut-être était-ce pourquoi son coeur soupirait de soulagement ? Et puis, de toute façon, après ce soir, il ne la reverrait plus jamais. Peut-être pouvait-il donc se permettre de craquer devant cette jeune femme complètement saoule ? En plus de ça, il avait envie de prendre soin d’elle, au moins pour ce soir. Il savait mieux que quiconque que certaines personnes n’hésitaient pas à s’en prendre aux gens sans défense tard le soir, et il n’avait aucune envie qu’elle ait des ennuis. Parce qu’il était persuadé que, s’il n’était pas là à pleurer devant elle, et si elle était sobre, elle serait en train de pleurer. Rien que d’y penser, ça lui déchirait le coeur. Alors il accepta son invitation.
De toute façon, il en avait déjà trop révélé. Sa chanson, le fait qu’il avait peur de la nuit quand la lune l’abandonnait, le bruit du vent qui claquait contre les murs qui lui glaçait le sang. Maudite soirée. Et cette Tala au sourire aigre-doux qui s’immisçait dans son intimité et dans son monde. Reilly se demanda une seconde si seulement elle supporterait tout ce noir et ce gris. Au vu de son expression, il était persuadé que sous son masque rose poudré se cachait un autre masque, au moins gris s’il n’était pas noir. En y pensant, c’était bien la première fois qu’il rencontrait une personne si semblable à lui sur ce point. Cette jeune femme, Tala… devait avoir connu bien des horreurs.
D’un coup, et comme un tintement chaleureux qui vint apaiser ses larmes, la curiosité légendaire du petit lorialet remonta titiller son cerveau et commença à remettre ses idées au clair. Il pourrait peut-être la soulager, au moins pour ce soir ? Il savait mieux que quiconque que boire seul n’était pas une bonne idée.
« Tu as peur du noir, Tala ? - J-je crois que oui... »
Et en plus, elle avait peur du noir. Ca leur faisait un point commun de plus. Il hocha la tête en tâchant de sourire légèrement, du mieux qu’il pouvait, pour lui signifier qu’il comprenait tout à fait. Le noir, la nuit, c’était horrible. Comme des mains qui cachaient les yeux et faisaient avancer sur un pont en corde pourrie. Au fond, on ne savait jamais vraiment quand on allait tomber. Si on avait de la chance et qu’on ne paniquait pas trop, on arrivait de l’autre côté. Si on paniquait vraiment trop, on arrêtait sa course en plein milieu, et là tout était perdu. On tombait, et ce n’était même pas la peine de penser à se relever. Reilly, lui, voulait tout donner pour faire céder son pont. Malheureusement pour lui, à force de l’expérience, l’habileté avait remplacé la chance et il était à présent un vrai funambule. Il renifla, amusé, ironique, agacé, fatigué. Ce pont l’épuisait au plus haut point. Peut-être devait-il le pourrir un peu plus pour qu’il puisse enfin céder ?
« M-mais je crois que j'ai peur de beaucoup d'autres choses... »
Touché. Vraiment, il avait des questions à lui poser, à cette Tala. Cette Tala qui venait à nouveau de le détourner de ses idées. Et même, alors qu’il venait de tomber, cette Tala qui se souciait encore de lui.
« T-tout va bien ? »
Vraiment, c’était trop pour lui, et son rire qui éclairait un peu, un tout petit peu le fond de cette ruelle humide dans laquelle ils se trouvaient se voulait aussi communicatif d’un certain soulagement. Reilly riait beaucoup, quand il était à bout de nerfs, il avait beaucoup de rires différents, mais celui-ci se voulait apaisant, tant envers lui qu’envers elle, apaisant et incontrôlable, si incontrôlable qu’il eut bien du mal à s’en défaire.
« On va où, Tala ? Je paye ma tournée ! - Euhm... J-je ne sais pas... Tous les bars que je connais sont... peu fréquentables... »
Peu fréquentables hein ? Reilly fronça un peu les sourcils avant de cligner des yeux en se raclant la gorge. Il ne voulait pas le dire, mais ça ne l’étonnait pas beaucoup. Quand on voulait boire pour oublier, on allait boire avec des quidams en quête d’oubli dans les quartiers les plus sombres de Paris, pas dans tel ou tel palace où les gens triés sur le volet s’échangeait quelques mondanités dont tout le monde se fichait éperdument. On allait pas dans le Paris faux, mais dans le Paris vrai, où on passe son temps à parier sur la vie des gens trop alcoolisés pour ne pas être sincères. Par exemple, jusqu’à quand la petite Dujardin va-t-elle tenir ? Aussi longtemps que son cousin Grosbois ? Moins ? La pauvre gamine, elle aurait pu avoir une vie si tranquille… Aux différentes tables, aux différents bars, on passe son temps à discuter avec des personnes qu’on ne connait pas, de problèmes en principe bien trop personnels pour être discutés de la sorte. Ce genre d’endroits étaient d’une sincérité quasi-enfantine, quand on y réfléchissait bien. Malheureusement, si sincères étaient ces endroits, si inoffensifs étaient la plupart des gens, ne disait-on pas que les loups visaient les moutons faibles pour se repaître ? Ah ça, il y en avait des tordus, ici comme ailleurs…
« J-je te propose d'aller faire un tour ailleurs qu'ici pour... trouver un endroit plus digne... E-et je paierai mes verres ! Je... bois trop pour te laisser me prendre en charge... »
Reilly sentit son coeur se fendre alors qu’ils se mettaient en route. Tala buvait vraiment beaucoup hein ? Il baissa les yeux en marchant.
« On verra, mais je suis têtu, je te préviens ! »
Il s’autorisa un petit rire pour détendre l’atmosphère du mieux qu’il pouvait. Au fond, il se le demandait : mieux valait-il boire jusqu’à finir inconscient et oublier, puis recommencer, ou rester conscient, se vider de tout ce qu’on a à vider, et se faire du mal ? Dans un cas, c’était temporaire mais dangereux, dans l’autre cas, c’était efficace mais dangereux. La peste ou le choléra ? Il haussa les épaules en sortant de la ruelle avec Tala. Ca dépendait sûrement des personnes.
« As-tu déjà vu la Tour Eiffel... ? Parce que moi, jamais. »
Ah, tiens ! Il releva la tête vers son amie saoule et cligna des yeux.
« Qu’est-ce que c’est, la Tour… Eiffel ? »
Il n’avait jamais entendu parler de cette chose. Ou du moins, il ne s’en souvenait pas.
« Tu pourrais me montrer ? »
Même si la question avait été, à la base, posée sans réelle attente de réponse, il espérait que Tala puisse lui montrer cette Tour Eiffel. Tout en essuyant ses petites joues, il pris un rythme de marche tranquille afin que la jeune femme alcoolisée puisse le suivre sans trop tituber. Et puis, si elle tombait, ce soir, il serait là pour la relever. Hors de question de la laisser seule. Et puis, avec ses beaux cheveux et ses grands yeux, elle lui rappelait un peu sa mère, à la fin de sa vie. Elle aussi avait été une grosse menteuse. Elle lui répétait sans cesse qu’elle ne mourrait pas avant qu’ils arrivent à Paris, tous les deux. Reilly sentit les larmes lui monter aux yeux à nouveau, alors il décida de les ravaler et de parler plus fort pour les retenir, tout en souriant à Tala.
« Tu sais, tu me fais penser à ma maman, elle était comme toi, belle et douce, et puis elle aimait bien boire aussi, une irlandaise comme on en fait plus ! Une sacrée femme, ma maman ! »
Même si ces souvenirs étaient douloureux, ils réchauffaient son coeur plus que les autres. Aussi, tout en continuant à lui sourire, espérait-il de tout son coeur que sa déclaration ferait plaisir à Tala. Elle ne le savait pas, mais ce qu’il venait de lui dire était un énorme compliment. Ils continuaient à marcher, tous les deux, et Reilly décida de ne pas attendre d’être dans un bar, entouré de parisiens, pour lui poser des questions sur elle. Si elle était venue le voir et voulait lui changer les idées, il voulait faire pareil pour elle. Au fond, prendre soin des autres était ce qu’il faisait de mieux.
« Tu as quel âge, Tala ? »
Elle devait être jeune, dans la vingtaine sûrement. Elle avait un beau visage, sa Tala, même couverte de boue comme elle l’était, et il décelait également en elle une certaine grâce dont elle n’avait peut-être pas conscience. Si, en général, toutes les jeunes femmes jalousaient Reilly pour sa taille de guêpe et son corps fin, lui jalousait à présent Tala pour cette grâce insoupçonnée. Comme il aurait voulu être gracieux ! Maladroit comme il était, impossible pour lui de danser joliment. Oh, il savait plus que très bien bouger son corps, mais pas pour les danses de bal ou les danses que dansaient les beaux gens de Paris. Une petite lampe s’alluma dans son esprit de couturier. Une robe rouge, pourpre ou bordeaux. Oh ! Qu’elle serait belle dans une robe rouge ! Une nouvelle fois, il leva les yeux sur la jeune femme et sourit un peu plus, emporté par ses idées. Le rouge, c’était vraiment sa couleur, oh oui. Rouge et vert, mais alors un vert très émeraude et profond pour faire ressortir ses yeux. Il voulait lui faire deux robes. Il en avait très envie. Ses lèvres se plissèrent en une mimique hésitante. Après tout, ils ne se connaissaient pas, et puis n’avait-il pas dit qu’ils ne se reverraient plus jamais après cette soirée ? Reilly se pinça les lèvres, indécis. Bon, au moins, il pouvait le lui dire.
« Si tu vas danser, un jour, porte une robe rouge ou verte, ça t’ira très bien. »
C’était peut-être étrange de dire ça d’un coup, mais il n’y pouvait rien. Quand il avait une idée vestimentaire, il fallait que ça sorte. Et puis, même s’il ne se reverraient jamais, il confectionnerait quand même ces robes. En souvenir de cette belle soirée, soirée douce et âpre, durant laquelle ils marchaient côte à côte vers le quartier de la Tour Eiffel, où elle le guidait vers l’oubli et où il ne voulait pas la laisser seule. |
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