Une vie dans la rue;

Sa mère mourut lorsque Victor avait 9 ans, il n'a jamais su pourquoi, l'hospice qui s’occupait d’elle ne lui dit jamais rien de plus à ce sujet. Elle fut dans l'une des nombreuses fosses communes de la capitale. La cérémonie fut des plus simples, plusieurs corps provenant de l'hospice furent enterrés en même temps. Quand le prêtre eut fini de réciter la prière, Victor fut raccompagné par un des infirmier à l'hospice, arrivé là-bas il dit à l'enfant de vite rejoindre le reste de sa famille. Le garçon allait lui demander de qui il parlait mais un bruit sembla interpeller l'homme, il lui dit "au revoir" et ferma la porte avant de partir en courant. Victor se retrouva seul devant l'hôpital des pauvres, il erra un moment dans les rues avant de retourner là où il avait dormi la dernière fois avec sa mère. Elle était une mendiante et se prostituée souvent, son seul amour fut le père de Victor, mais ils ne se marièrent jamais car ce dernier avait disparu avant même qu'elle ne découvre sa grossesse. Cela faisait deux jours que sa mère était morte et enterrée, Victor avait fini le peu de nourriture qui restait dans les sacs. Il allait devoir maintenant vivre par lui-même, comme sa mère lui avait si souvent expliqué, et pour vivre il faut manger et boire, et pour manger et boire il faut de l'argent.
Il fit d'abord le tour des affaires qu'il possédait, il ne pouvait évidemment pas tout prendre avec lui. Il laissa ainsi presque l'intégralité des affaires de mère sur un tas d'ordure, avant se décider à bouger. Il n’avait gardé que quelques fripes, deux sacs, quelques outils comme un couteau ou une corde, et le pistolet de son père avec les six balles qui restaient.

Il lui faut donc de l'argent. Pour avoir de l'argent, il faut le prendre là où il est, c'est-à-dire chez les autres. Il marcha au hasard, dans Paris, en réfléchissant comment il pourrait payer son prochain pain. C’est alors que, au tournant d'une avenue, il tomba sur deux policiers, qui maltraitaient un jeune garçon de son âge. Des gens criaient : "Mort au voleur !"
Il raya alors mentalement la possibilité de chaparder. Il fallait donc qu'on lui donne volontairement de l'argent. Mendier était trop incertain, et il y avait beaucoup de concurrence. Il n'est qu'un enfant, il ne sera jamais correctement payé s'il travaillait. Mais s'il l’était au moins, il coûterait moins cher qu'un adulte, et tout le monde cherche toujours à avoir le plus d'argent pour lui-même. Donc s'il ne coûte pas grand chose, on l'embaucherait beaucoup plus volontiers. C'était décidé, il allait travailler. Plus tard, il commença chez aubergiste comme homme à tout faire : vaisselle, service, ménage. En plus des quelques sous quotidiens, il avait une soupe ou un reste de plat et un semblant d'hygiène.
Il connut en deux ans plusieurs dizaines de métiers : ramoneur, homme à tout faire, livreur, etc. Il s'occupa de chevaux, chassa les chiens errants, les chats, et les rats. Services de petites mains pour de nombreuses personnes. Il aida même dans des travaux de voirie et de construction. Il y eut quelques fois des accidents, mais, dans l'ensemble, tout le monde l'appréciait, donc ça se passait pas trop mal pour sa part. Quand il eut onze ans, il rentra dans une librairie, avec un vieil homme qui accepta volontiers son aide, car il avait besoin de bras pour ranger les livres. Il n'avait pas grand chose à proposer en récompense. Quoique, il en conservait quand même une de taille : il lui apprit en quatre mois à lire et écrire. Victor avait accepté l'offre du vieux monsieur, nourriture, logis et éducation, voilà le salaire qu'on lui  avait proposé. Et quand le vieux libraire dût prendre sa retraite et vendit son commerce, il donna à Victor 20 francs et un livre de grammaire. Le garçon s'était promis de lui rendre souvent visite, mais pour une raison inconnue, son ancien employeur lui avait donné une fausse adresse. Victor ne comprit jamais pourquoi, ils s'aimaient bien, mais il accepta le choix du vieux libraire de ne jamais se revoir. Très vite, la routine revint, avec cependant une nouvelle carte dans sa main : il savait lire et écrire.
Victor avait su passer entre les mailles du filet de la violence. Il la voyait presque quotidiennement, et il passait toujours son chemin, c'était une source de problème inutile. Jusqu'au jour où elle lui tomba dessus. Il s'était déjà bagarré avec des voleurs et autres petits criminels du genre, mais jamais il n'avait dû sortir et tirer avec le pistolet paternel. Cette nuit là, il n'avait pas compris ce qu'il s'était passé. Il cherchait un coin pour dormir, lorsqu'il tomba sur un groupe de trois hommes, habillés de manteaux et de chapeaux noirs. Il y avait deux cadavres à leurs pieds, à première vue des bourgeois et pas des moins riches. Un des hommes avait directement sauté dessus avec un couteau, mais il réussit à l'esquiver de justesse et s’enfuit en courant, tandis que l’homme se mit à le poursuivre. Après vingt minutes de course poursuite dans un Paris nocturne et vide, Victor glissa et tomba sur le bord d’un quai, l'homme allait l'attraper. Plus que quatre mètres, trois mètres, deux mètres, un mètres, zé-… non ! Victor, à quatre pattes sur le quai, se retourna et tira une balle à bout portant dans la poitrine de son poursuivant qui fut projeté deux mètres plus loin contre un escalier. Le garçon se releva et réarma son arme, tandis que l'homme gueula quelque chose d’incompréhensible, même pas en français.
Il l'avait fait, il n'a qu'une vie, il ne veut pas la perdre, il se marmonna les dire de sa mère à ce sujet. Il n'avait jamais souhaité aller aussi loin, mais il dut cette fois-si le faire. Tout le long de la course il avait mis les mains sur l'arme mais il avait peur de la sortir et l'utiliser. Il se calma lentement et regarda son poursuivant.
Victor vit que l'homme  s'apprêtait à lui lancer le couteau. Il leva et braqua son arme de ce dernier, puis il tira une deuxième fois, dans la tête, tuant son opposant sur le coup. Victor n'avait même pas hésité à tirer, il fut étonné à quel point c'était facile. Il lui devait vivre et donc il le fit. Un frisson le traversa quand il se demanda s'il avait le droit de prendre la vie d'un autre. L'autre semblait ne pas hésiter à vouloir le tuer, c'était donc normal de l'exécuter avant. "Oeil pour oeil, dent pour dent", qui veut tuer sera tuer, voilà le nouveau mot d'ordre pour survivre que s'imagina le garçon. Il attendit dix minutes, tout était calme. Il fouilla le mort, pris que qui était vendable et poussa le corps dans la Seine. Il en tira plus de quarante francs et garda un drôle de poignard courbé et raffiné.  Maintenant il savait qu'il serait capable de tuer, s’il le devait. Il n'avait plus que quatre balles, il faudrait qu'il s'en achète d'autres bientôt, mais pas facile qu'en t'on est pour le monde qu'un enfant. Au final, il continua sa vie sans changement, il préférait cette tranquillité, mais il se dit que l'armée pourrait être une bonne solution pour quand il sera plus grand. En attendant, il faut encore trouver du boulot.