Time is our best ally and our worst ennemy

Un chant se fait entendre. Doux, tendre, rempli d’amour. Une fenêtre est ouverte donnant sur un salon éclairé par le soleil matinal. Une femme se tient assise, se balançait doucement sur un rocking-chair tout en caressant son ventre bien rond. La porte s’ouvre et trois petites têtes se font voir. Ils ne disent rien, ils écoutent simplement la voix de la dame qui est apaisante. Une vraie berceuse. La dame termine sa chanson et sourit aux enfants qui se précipitent vers elle.

« Maman, maman, recommence s’il te plaît », c’est le plus jeune, Armand qui parle
« Ne souhaitez-vous pas une histoire mes enfants ? »

Les trois enfants se concertent du regard avant de hocher la tête et de s’asseoir sur le sol. Marie, toujours une main posée sur son ventre regarde ses enfants avec tendresse :

« Que souhaitez-vous comme histoire ? »
« J’aimerais bien une histoire de chevalier ! »
« Et moi quelque chose avec un médecin ! »
« Et moi, une histoire qui se finit bien ! »

Marie sourit et commence alors son histoire. Lentement, ses enfants se sont endormis à même le sol, la voix de Marie avait cet effet-là lorsqu’elle racontait des histoires. Jacques, le père, entra alors dans le salon et haussa un sourcil en voyant ses enfants sur le sol, sa femme lui sourit et lui fit signe d’emmener une couverture pour eux et il s’exécuta. La grossesse de sa femme était compliquée alors il tentait du mieux qu’il pouvait de l’aider, les enfants aussi d’ailleurs. L’affection était bien présente entre eux. Ils veillaient l’un sur l’autre.

« Papa ! papa ! papa ! papa ! »
« Que t’arrive-t-il Joseph ? »
« C’est Maman, elle a mal au ventre ! »

Joseph était trop jeune pour comprendre que sa maman accouchait mais son père, médecin lui avait bien compris. Jacques s’était levé d’un bond et avait filé jusqu’à sa femme. Il demanda à ses enfants d’emmener autant de serviettes que possible, de l’eau chaude et d’aller chercher la voisine. Marie savait ce qu’il fallait faire mais sa grossesse avait été compliquée et elle avait un peu peur. Elle avait cependant envie de savoir si son vœu s’était exaucé et si elle aurait une petite fille après trois garçons. Lorsque les garçons finirent leurs mission, ils ont dû attendre dans le couloir, écoutant leur maman pleurer et crier parce qu’elle avait mal. Joseph, l’aîné faisait tout pour distraire ses petits frères malheureusement, il était tout aussi stressé qu’eux et cela se ressentait.

Les cris se sont brusquement arrêtés et un autre est arrivé. Le son d’un bébé qui pleure. Les trois frères se sont regardés avec un grand sourire sur les lèvres. La porte s’est ouverte sur la voisine. Elle demanda aux petits de ne pas faire trop de bruit car leur maman était fatiguée. Ils ont alors découvert leur petite sœur. Le vœu de la maman était enfin réalisé mais le papa semblait très inquiet pas pour l’enfant mais pour la maman.

« Axelle, c’est le nom de votre petite sœur. »

C’était la voix de Marie. Faible, éraillé, le visage creusé par la fatigue. Elle avait le sourire aux lèvres même si ce dernier était tout aussi faible que sa voix.


Il y avait des jours où Marie était si faible qu’elle n’arrivait pas à manger et d’autres où elle se levait du lit. Les enfants savaient que leur maman avait maintenant une santé fragile mais ils ne savaient pas à quel point l’état de santé de leur mère s’était dégradé. Axelle grandissait doucement au milieu de ses frères qui prenaient soin d’elle. Souvent, la petite fille tentait de monter sur le lit de sa maman mais elle était trop petite et restait donc assise sur le sol. Ainsi, le père avait installé de petites marches pour qu’elle puisse s’installer aux côtés de sa maman.

Ce jour-là, elle avait deux ans, ses frères jouaient dans le jardin, son père était rentré tôt. Il retrouva sa fille couchée aux côtés de sa femme. Le sourire de cette dernière ne le trompa guère. Il s’était installé sur un fauteuil et avait pris la main de sa femme :

« Jacques, je vais partir, promets-moi de veiller sur nos enfants et de les aimer. »
« Je te le promets Marie. Veux-tu que j’appelle les enfants ? »
« Juste pour quelques mots. »

Les enfants sont arrivés tandis qu’Axelle se réveillait aux côtés de sa maman. Elle regardait cette belle maman, elle ne comprenait pas ce qu’il se passait. Marie dit alors :

« Mes enfants, puis-je compter sur vous ? Je souhaite que vous restiez les mêmes petits garçons et la même petite fille adorable et gentils. J’aimerais aussi que vous veilliez les uns sur les autres. Restez vous-même les enfants. »
« Oui maman »
« Merci les enfants. Je vous aime tous, vous êtes ma plus grande fierté. »

Lentement, ses yeux se sont fermés et sa main délivra celle de son mari. Elle poussa ainsi son dernier soupir devant ses enfants et son mari, un léger sourire sur les lèvres. Joseph, le plus grand avait compris ce qu’il se passait et ses larmes coulèrent le long de ses joues. Jacques expliqua à ses enfants, la gorge nouée que leur maman ne pourrait plus jamais leur raconter d’histoire et qu’elle ne pourrait jamais plus leur sourire.

Marie eut droit à un enterrement digne de la femme qu’elle était. La petite Axelle était dans les bras de son papa, elle pleurait quelque chose qu’elle ne comprenait pas de façon consciente. Ses frères tenaient la main des grands-parents paternels. Ils ne comprenaient pas pourquoi leur maman était partie. Une maman, ça devrait vivre éternellement …

Jacques était resté avec ses enfants quelques jours, l’ambiance n’était pas au beau fixe et c’est en voyant sa fille qu’il se décida :

« Les enfants, votre mère n’aurait jamais voulu que l’on reste si sombre. Nous devons lui montrer que nous restons tels que nous sommes, comme elle vous l’avait demandé. »

Cependant, il a fallu encore un peu de temps avant que les enfants reprennent du poil de la bête. Ce jour-là, la famille avait repris le cours de son existence et ne se laissa plus abattre par la tristesse.


Les années étaient passées et, à présent, la petite Axelle avait six ans. Jacques l’emmenait de temps en temps à son cabinet. Il avait remarqué que sa fille était fascinée par son métier la première fois qu’il l’avait amené. Certains patients étaient embarrassés de parler de leur problème devant une petite fille alors, de temps en temps, elle sortait pour qu’ils puissent librement discuter. Cependant, après cela, elle posait tout un tas de questions à son papa. Cela continuait jusqu’au dîner le soir. Mathieu s’intéressait aussi à ce métier mais, quand il mangeait, il avait du mal à entendre les détails peu ragoûtant qu’elle lâchait. Jacques devait calmer sa fille et faire cesser ce sujet de conversation.

Axelle n’abandonnait jamais et elle revenait à la charge après le dîner. Pour son âge, elle avait un esprit assez large et comprenait beaucoup de choses. L’enfant qu’elle était voulait exceller à l’école pour devenir plus tard un grand médecin comme son papa. Elle allait à une école pour filles et certains disaient qu’elle ne pourrait jamais faire ces études-là. Elle ne les écoutait pas, elle pensait qu’elles étaient simplement jalouses. De toute façon, son père le lui aurait dit si elle ne pouvait pas, n’est-ce pas ? Axelle lisait énormément de livres sur tout mais surtout sur ce qui concernait la médecine même si elle ne comprenait pas tout, elle était encore beaucoup trop jeune pour tout cela.

Alors qu’elle avait huit ans, la jeune fille et ses frères jouaient au docteur. Bien entendu, elle jouait le docteur et ses patients étaient ses frères. Elle inventait des maladies et faisait semblant de les opérer pour éviter la perte d’une jambe par exemple. Bref, des jeux d’enfants. Cependant, cela se gâta lorsqu’un autre enfant passa par-là, poussant la demoiselle. Un de ses frères jouait maintenant son assistant et elle s’était fracassée contre lui, enfonçant son scalpel et celui de son frère dans sa peau. Rapidement, Joseph avait emmené sa sœur à son père. Il avait recousu sa fille, les mains tremblantes. Depuis, la petite fille possède une cicatrice entre sa poitrine. Une cicatrice en forme de croix, comme le signe d’une multiplication.

Ses frères s’en voulaient terriblement mais Axelle s’en fichait pas mal. Joseph, surtout, se sentait coupable, il se disait qu’il aurait dû interdire les scalpels. Cela ne changea rien à la passion que sa sœur avait pour le métier et le monde de la médecine. Au contraire, elle avait vu son père la recoudre durant un petit instant avant de s’évanouir sous la perte de sang qu’elle avait subi et elle avait été fascinée. Fasciné par ses mains et par sa rapidité.


La petite fille avait bien grandi depuis cet incident, elle devient une belle adolescente de quinze ans. Elle était rentrée à l’université dans les études qu’elle voulait. Malheureusement pour elle, elle ne rencontra que des obstacles. Ses camarades de classe se moquaient d’elle, disaient souvent que les femmes n’étaient bonnes qu’à faire des enfants, qu’elle n’avait pas sa place. Ses professeurs faisaient mine de ne rien voir et certains ne cachaient absolument pas leur désapprobation. Axelle n’avait jamais pleuré devant eux mais elle se rebiffait et répondait avec mordant ce qui ne plaisait nullement aux autres. Le harcèlement débuta ensuite ...

Cette année avait été la pire de sa vie. Elle pleurait chaque soir dans sa chambre. Elle tentait d’étouffer ses sanglots dans son oreiller malheureusement, ses frères savaient. Elle avait terminé son année dans une grande détresse et on lui avait dit qu’elle devrait redoubler. Cette année avait beaucoup blessé Axelle. Elle n’avait pas tout de suite pensé à cette solution radicale qui était de se grimer en homme, c’est sa voisine qui lui en parla à demi-mot. Cela avait fait tilt dans la tête de la demoiselle. Ce n’était pas ses capacités qui étaient remises en cause, c’était son sexe. Elle allait donc être ce qu’ils attendaient d’elle : être un homme. Personne n’allait l’empêcher de réaliser son rêve, personne.

Elle avait coupé ses cheveux et s’était entraîné à parler, marcher comme un homme. Heureusement, elle avait assez de garçons dans sa vie pour pouvoir s’en tirer sans trop de problèmes.

Ses frères ont failli avoir une attaque en voyant leur sœur ainsi mais la détermination qui brillait dans son regard les empêchèrent de dire quoi que ce soit. Elle changea d’université afin que personne ne sache qui elle était vraiment. Axelle était devenue Axel. Tout le monde était tombé dans le panneau et elle passa avec brio chaque étape, chaque année sans la moindre anicroche. Elle rencontra quelques personnes dont un certain Mortimer qui lui donnait le frisson parce que c’était un homme réellement glacial. A chaque fois qu’elle sortait d’une séance de pratique, elle avait l’impression d’en repartir épuisée, vidée de toutes ses forces. Pourtant, elle était restée dans son cercle parce que c’était un homme brillant, elle devait bien le reconnaître, elle se nourrissait de son savoir tout simplement.

Axel réussit à avoir son diplôme avec les félicitations et avec mention. Elle avait réussi, elle avait atteint son but, elle était enfin médecin. Elle espérait que sa maman serait fière d’elle tout comme elle espérait que son père et ses frères l’étaient. Très vite, elle avait cherché du travail car elle ne voulait pas vivre au crochet de son père. Elle avait trouvé quelques petits remplacements mais cela n’était pas assez pour elle.

Un jour, alors qu’elle lisait le journal, une annonce l’interpella. La police cherchait un médecin légiste pour remplacer celui qui partait à la retraite. Un sourire était alors apparu sur ses lèvres. Certes, ce n’était pas avec les vivants mais ce n’était pas grave dans médecin légiste, il y avait médecin et c’était tout ce qui comptait. Toujours sous son apparence masculine, elle frappa à la porte du commissariat et après un long entretien avec Aimée et avec Aldrick, le commissaire. Elle était stressée mais avait réussi à les convaincre pour la première partie. La seconde, c’était un test pratique. Axelle s’était concentrée et avait donné son maximum. Au final, c’était elle qui avait surpassé ses collègues et elle avait été acceptée dans l’équipe. Aimée avait pu partir à la retraite sans se faire de soucis.

Cependant, quelque chose vient troubler sa victoire. Aldrick l’avait prise à part et, avec franchise, lui avait dit qu’il savait qu’elle était une femme. Elle avait essayé de réfuter mais elle n’avait pas tenu bien longtemps. Elle avoua donc qu’elle faisait partie du beau sexe, la tête basse …

« Allez-vous me renvoyer pour cela ? »

Elle s’était sentie désespérée, désemparée mais la réponse du chef l’avait grandement rassurée et elle lui avait offert un véritable sourire. Elle avait été présentée à l’équipe sous son identité d’homme car Aldrick lui avait dit qu’il garderait le secret. Depuis ce temps, elle travaillait pour la police sur diverses affaires. Elle se sentait à sa place, comme si elle avait trouvé ce qui lui convenait vraiment.