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Neige

Cabaret du Lost Paradise - Forum RPG

Forum RPG fantastique - Au cœur de Paris, durant la fin du XIXe siècle, un cabaret est au centre de toutes les discussions. Lycanthropes, vampires, démons, gorgones… Des employés peu communs pour un public scandaleusement humain.
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 Cousineries Improvisées [Morgan]

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Frédéric Lenoir
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MessageSujet: Cousineries Improvisées [Morgan]   Cousineries Improvisées [Morgan] I_icon_minitimeMer 3 Mar - 15:02

Ahem:

- Où c'est qu'vos estiez, asteure ?
- J'tais aux cours.
- Causez mieux qu'çô, fils, nos n'estons plus en province.
L'adolescent retint un reniflement sceptique. La "province", un beau mot appris de peu, qu'elle employait là, la mère.
- Répondez à vot'mère. Où c'que vos estiez ?
Le père le toisait de son regard charbon, par-dessus son journal et ses petites lunettes. Ça n'était pas bon. Lucien redressa les épaules.
- Aux cours, que j'vos dis !
Le père se dressa, main levée haute ; le fils esquiva. La claque se transforma en doigt pointé vers lui.
- Vot mère en r'vient, d'vos cours ! Vos n'estiez né, ni à vot lesson, ni à vot post' de taille hier soir. Por qu'est-ce vos pensez qu'vot mère et mwo s'tartissons d'jou en d'jou pou vos remplir eul panse ? Vos allez m'rèpond ou d'ji n'réponds plus d'mwo !
- Répondez donc, Lucien !
Que leur dire ?
Il s'était perdu, initialement, puis s'était laissé aller à flâner sur les quais.
Un jour, s'était-il dit. Un seul jour de répit, ça ne pouvait pas aller si mal ? Ses parents ne pensaient apparemment pas de même. Leur avouer également ce qu'il croyait y avoir vu était tout aussi impensable. Sa mère allait encore blâmer les "vapeurs" d'on-ne-savait quelle coloration dans les tissus de tailleur du père, ou bien en revenir à --
- Vos filez un mauvais cotton, fils. À c'te cadence-lô v'zallez fini tot d'juss comm' vos cojin, et c'cn'esteu né ène compliment !
- J'sé ben...
- B'alors ! Nos n'estons né plus dins nos payïs ! Vos n'poveu né plus djouer comme ène gamin, c'esteu ben fini tot çô. Faut vos mèt çô din l'cabioch, asteur !
- Vot mère a rajon. Dji n'tolèr'rai pas d'lenoirries dins m'mojon !

Lucien n'était plus trop certain de ce qu'il avait rétorqué. Il avait récolté une gifle magistrale et s'était fait renvoyer dans sa chambre avec un cul de baguette pour dîner et ses livres de cours "Pask'y n'esteu né question qu'y r'mette eul' couvert d'la faignantise euc'tannée pou s'foirer s'certificat d'étude ène deuxième cop, sans compter d'fair eul mur comme ène rature d'noiraud."
Il avait répondu en claquant la porte que ça n'avait gêné personne que sa sœur rate le sien, elle, et qu'on n'avait de toutes façons pas besoin de ça pour finir tailleur d'habits, et il avait récolté toute une floppée de jurons et de larmoiements maternels par-derrière le pan de bois. Peu après, il avait senti l'odeur de la pipe de son père furieux, et il avait enterré sa rage adolescente en dessinant des caricatures de l'Autorité Familiale dans son journal d'école.

C'était toujours comme ça que ça finissait, dans sa famille. Tous les malheurs qui leur arrivaient depuis qu'il était né étaient le fruit de sa Tante Lucie et de son mariage inconsidéré avec "un des autres, là", puisque depuis l'Heure Pourpre, même le terme de Noiraud ne suffisait plus à évoquer un dédain suffisant. La moindre grippe, le moindre tissu arrivant griffé, le moindre client débiteur, était forcément un coup de plus du sort qui s'acharnait contre eux, et la cerise sur le gâteau après "tous les malheurs" que leur avaient causé la famille Lenoir et ses rejetons.
Autant dire qu'après l'Heure Pourpre, ça avait été pire. Tout était allé de travers, et puis il avait fallu déménager pour fuir la Grande Honte que leur causait la filiation avec un criminel - ou deux, à en croire les journaux. Cela aussi, restait un grand mystère. Ils n'avaient pas cru qu'il pouvait s'agir de "leur" cousin à eux, tout d'abord. Puis ça avait parlé de jumeaux, et on s'était bien dit que c'était une erreur.
Jusqu'à ce que l'aîné de la famille participe à l'arrestation et revienne, blafard, avec ces seuls mots : "C'était vrai...". Il n'avait plus voulu en parler.

En attendant, Lucien s'était fait déménager de force loin de tout, ré-inscrire à l'école pour repasser son certificat d'études, et enfermer dans un appartement pourtant sympathique, dans un quartier qui lui plaisait bien, à lui, mais sans possibilité d'échapper aux discours larmoyants de sa mère, ni à ses innombrables exclamations d'outrage et de surprise dès qu'ils sortaient faire les courses au milieu de Légendaires bien trop visibles à son goût. Lucien, lui, cachait au fond de son cœur l'espoir que cette nouvelle vie lui donnait, et commençait à n'en plus pouvoir de la morose ambiance de vies sacrifiées et d'épreuves envoyées du ciel qui régnait dans la maison.


Le lendemain, en sortant des cours, il se dit qu'il n'avait vraiment, mais alors vraiment pas envie de rentrer. Il avait donc entreprit de se faufiler jusqu'à sa chambre, de composer un sac sommaire et de filer à l'anglaise avant que sa mère ne rentre des courses ou que son père  réalise qu'il existait un monde en dehors de son atelier.

Il avait initialement prévu de se rendre chez un ami, dont la mère célibataire serait peut-être plus conciliante... avant de se souvenir qu'il ignorait leur adresse. Il avait donc changé de cap vers la maison du voisin Eugène, un gars du Nord fort sympathique que les parents détestaient... mais il avait trouvé la porte close.
Il avait donc changé de cap à nouveau pour espérer se faufiler chez l'ami Christophe, qui acepterait peut-être de le planquer sous son lit pour un soir ou deux, mais il vivait plus loin, et la route passant non loin d'une église... Lucien s'était de nouveau perdu. Ça arrivait souvent, et il n'aimait pas réfléchir au pourquoi. Il aurait aimé pouvoir en parler à quelqu'un. Il se sentait terriblement seul, d'un coup, dans cette famille où on ne pouvait parler de rien qui sorte un tant soit peu de l'ordinaire. Cela lui donna une idée.
Une idée pourrie, probablement. Potentiellement idiote et pas forcément réalisable, mais... Mais ça faisait longtemps qu'il y pensait. Longtemps qu'il voulait avoir le fin mot de l'histoire et une autre version que celle qu'on lui racontait. Longtemps aussi qu'il gardait un infime espoir de trouver quelqu'un qui le comprenne.
Longtemps, aussi, qu'il gardait au fond du cœur des souvenirs d'un enfant, d'une sorte de second grand-frère qui avait disparu sans qu'il comprenne, et qui lui manquait encore un peu, quoi qu'on dise de lui.

D'un pas décidé, il se remit en mouvement. Il connaissait l'adresse. Sa mère l'avait dite à son père un jour, pour qu'il y pose une lettre. Il avait envoyé un gamin à la place contre une pièce de monnaie. Il avait proposé d'y aller, lui ; ça lui avait été interdit. Mais il avait retenu l'adresse.



Il se présenta donc vers dix-sept heures, tout en haut d'un escalier sombre au dessus d'un salon d'exposition, au cinquième étage d'une rue touristique, auquel on accédait par la cour et un dédale d'escaliers, et toqua nerveusement à une porte grise, agrippée à un mur penché qui donnait la nausée quand on le regardait trop longtemps, en espérant ne pas s'être trompé d'adresse et en réfléchissant furieusement à ce qu'il pourrait bien baragouiner pour justifier sa présence.

Tandis qu'un aboiement rauque et toussant se déclenchait de l'autre côté, il passa nerveusement une main dans ses boucles, tandis que l'autre triturait un papier dans la poche de son veston, remplie de fils et de boutons.

Lorsque la porte s'ouvrit sur un visage changé, plus vu depuis sept ans, mais reconnaissable entre mille, il ne put grommeler qu'un pauvre "Salut Freddy..." en fixant ses bottines.

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MessageSujet: Re: Cousineries Improvisées [Morgan]   Cousineries Improvisées [Morgan] I_icon_minitimeJeu 4 Mar - 0:51

Morgan grimpait les escaliers en râlant.

Pour une journée merdique, ç’avait été une journée merdique.

Son premier échec de la série avait été de se rendre au parc des Buttes-Chaumont, pour aller redemander le salaire de sa peine au patron de la guinguette qui l’avait renvoyé deux semaines plus tôt. Quelle idée avait pu avoir cette Loukas, aussi, de lui proposer, à lui, un poste de serveur… Il avait certes une bonne mémoire ; certes des affinités pour les espaces verts ; certes l’habitude de la marche ; certes une vision toute relative des compétences nécessaires dans la restauration après son passage par le Lost – et certes, tout un tas de bonnes raisons qui auraient pu lui permettre de ne pas trop mal s’en sortir, s’il s’en était donné les moyens. Seulement, il estimait avoir d’autres chats à fouetter pour le moment que de jouer les marioles pour de grosses bourgeoises qui réclamaient des cafés sans sucre, « mais pas trop amer je vous prie ! ».
Suivant son instinct inné (quoique non moins primitif) de la diplomatie, il s’était cependant senti contraint d’accepter pour ne pas attirer les soupçons : aussi un plateau « malencontreusement » renversé de trop lui avait-il valu sa disgrâce tant espérée après six jours d’essai, et on lui avait signifié de repasser plus tard récupérer son dû en lui montrant la porte.
…Si bien que, quinze jours après, il n’avait toujours rien touché pour ses brèves singeries, et se doutait bien qu’il allait pouvoir s’asseoir sur ses modestes gages.

Encore une fois, il avait donc dû repasser les grilles en sens inverse les dents serrées et les poches vides, et s’était rendu vers les quais pour se changer les idées. Puis il avait traversé la Seine pour passer au commissariat de Levallois, en faisant un grand détour pour soigneusement éviter les abords de la place Saint-Michel et de la rue Saint-André-des-Arts. Il espérait pouvoir s’adresser au policier discrètement, lorsqu’il sortirait pour sa pause de midi… Mais Levallois était avec des collègues, et il se contenta de lui glisser, de sa voix affable, qu’il n’avait « rien de nouveau pour lui ».

Contrarié, désœuvré, Morgan avait presque envisagé d’acheter le journal pour se chercher des pistes par lui-même, avant de se raviser : il n’en était pas encore là de son désespoir… Il savait qu’il n’apprendrait de toute façon rien dans ces monceaux de papier, et à la place, errant sans but, il avait projeté d’aller demander à Benjamin s’il n’avait pas quelques tuyaux à lui filer, lui qui savait toujours mieux que tout le monde tout ce qui se tramait dans les bas-fonds.
Mais de cette heure-ci, Benji devait être en train de faire sa réclame à Saint-Mich’.
Plutôt que de retourner par là-bas, notre hydre s’était donc traînée sur le chemin du retour, et gravissait (en râlant, disions-nous : autrement dit, à grand renfort de sifflements frustrés) l’escalier de leur antre, après une journée à arpenter Paris de long en large pour strictement rien.

Lorsqu’il passa la porte, le spectacle de félicité joyeuse qui s’offrit à lui acheva sur un point d’orgue cette calamiteuse journée.

À ses pieds, les Poupettons s’ébattaient allègrement parmi les restes d’une taie d’oreiller brodée que leur avait gracieusement fournie Madame De Freilly, et dont ils se disputaient les lambeaux. Du haut d’une bergère miteuse pudiquement recouverte d’un drap, Belzébuth, langue pendante, supervisait cette dévastation d’un œil bienveillant et paternel. En le voyant entrer, le bâtard hirsute bondit précipitamment sur ses pattes pour fuser vers lui en aboyant gaiement, entraînant dans sa course le reste de sa horde sauvage. Morgan fit un pas en arrière, et posa le pied dans une substance molle et malodorante.

Au lieu de l’accabler, cette ultime déroute finit par lui arracher un petit éclat de rire bienvenu.

Il se détendit avec un soupir vaincu, ferma brièvement les yeux, et laissa retomber ses épaules tandis qu’il ébouriffait en souriant la tête de leur protégé, occupé à baver de plaisir sur l’ourlet de son pantalon.

« Pfffff, Poupetteuuuuh… T’pourrais leur dire, à tes mioches, d’pas tout saccager l’mobilier aux De Freilly… Où c’qu’on irait crécher, après ? »

Il terrassa tour à tour les trois petits molosses qui jetèrent des jappements ravis, salua avec respect la fiancée de Belz’, puis retira sa chaussure et entreprit de remettre un semblant d’ordre dans leur grenier. Pas moyen d’en vouloir à cette meute ravageuse. S’était-il mis à ressembler à Madame de Barcarès ?... Il se sentait au moins aussi père de famille que Poupette… Bon sang, c’était bien ça, Fred allait encore le charrier : notre reptile territorial était en train de s’embarcarèssiser.
En passant, il déposa sur la table un paquet contenant deux harengs, achetés sur le chemin du retour avec le peu de monnaie qu’il avait emportée en partant. Il était un peu moins de dix-sept heures. Sans doute Frédéric n’allait-il plus trop tarder à rentrer.

Lorsqu’il entendit frapper à la porte, Morgan était en train de finir de nettoyer le plancher à l’aide d’un torchon reconverti en serpillère. Il pensa sur le coup que le Freddy avait de nouveau oublié sa clé, et se contenta de lancer un familier « J’y suis ! C’t’ouvert ! » en direction du panneau de bois. Constatant néanmoins après quelques secondes que l’autre n’avait pas dû l’entendre, il se releva avec un sourcil arqué, et alla ouvrir lui-même en préparant une remarque faussement moqueuse.

Quelle ne fut pas sa surprise de découvrir derrière la porte un adolescent d’une quinzaine d’années, avec sur le visage un air à la fois renfrogné et plein d’embarras.

« Salut, Freddy… »

Il ne releva même pas la confusion, tant elle était commune.

Si Morgan avait davantage eu l’œil pour ce genre de choses, il aurait tout de suite saisi, à sa tenue soignée mais sans raffinement, qu’il avait affaire à un fils d’artisan soucieux de « faire bien » ; à la coupe passée de mode de sa veste, qu’il arrivait de province ; et à ses yeux baissés, qu’il venait demander une faveur.

Au lieu de ça, il pensa avoir affaire à un colporteur particulièrement tenace pour s’être donné la peine de monter jusque-là, ou à quelque chose du genre, et s’apprêtait à lui adresser un suspicieux « C’est pour quoi ?... » (on allait quand même pas encore la lui refaire !...) avant d’entendre prononcer le nom de Fred.

Il dévisagea le jeune homme, sans parvenir à le remettre. Sans doute un ami de Frédéric d’après le cabaret : il l’aurait forcément croisé, sinon, ou du moins, ils en auraient parlé ensemble. Un collègue, peut-être ? Ou alors un client ? Quoi qu’il en soit, il n’avait pas la mine hostile, malgré l’air bougon qu’il avait adopté pour ne pas laisser transparaître sa timidité, et qui rappelait étrangement quelqu’un à Morgan.

« Heu, bah, s’tu veux entrer… »

Fred serait bientôt de retour, et il n’allait pas laisser l’un de ses visiteurs à la porte. Comme il s’écartait pour le laisser passer, les traits de l’adolescent se décrispèrent, et il lui décocha un regard intensément soulagé, débordant de reconnaissance, pour ne pas dire légèrement embué.

« …Merci, cojin. »

À ces mots, Morgan, lui, se figea.

Sans y prêter attention, le garçon franchit le seuil de la porte, jeta son balluchon au pied d’un meuble, et se retourna avec une mine particulièrement expressive.

L’hydre tentait d’assimiler ce qu’on venait de lui dire.
« Cousin ».
Il pivota lentement, son cerveau travaillant à toute allure. Des cousins, Fred n’en avait pas quarante, mais enfin, ici, à Paris, comment se figurer…

« …Lulu ?... »

Le jeune homme ne put s’empêcher de légèrement rouler des yeux en entendant ce ridicule sobriquet dont il tâchait désespérément de se défaire, mais il ne le démentit pas. Il n’avait pas l’air de trouver quoi dire.

Morgan plissa les yeux.

Il tentait avec horreur de convoquer dans sa mémoire les souvenirs de Frédéric, ceux d’avant la fusion, et dont il avait hérité avec ; la masse d’informations qui dormait, latente, dans sa cervelle à lui, et, à l’intérieur de ce fatras chaotique, quelques réminiscences concernant le blondinet qui se tenait devant lui dans sa posture d’adolescent malhabile et dégingandé, et qui, la dernière fois que le Noiraud l’avait vu, devait avoir tout au plus sept ou huit ans. Il retrouvait, il est vrai, des lignes familières dans ce visage juvénile – outre que le froncement de sourcil était décidément très freddien.

Lucien n’était certainement pas le plus mauvais des trois bêtes gosses, avec lesquels il avait dû cohabiter du temps où il vivait chez Matant’Eva, surtout si on le comparait à son aîné. Par conséquent, ce n’était pas non plus celui qui avait le plus marqué Freddy… Il avait bien dû leur arriver de jouer ensemble, deux ou trois fois, mais le mage n’avait pas vraiment le cœur léger à cette époque, et Lulu avait bien trois ans de moins, ce qui à leur âge représentait tout un monde. Sans compter que la mesquinerie vient avec le temps, et que huit ans s’étaient écoulés depuis.

« Si c’Matante qui t’envoie pour la maison, t’peux tot’ suite aller y r’dire qu’la réponse, c’est toujours la même… »

Cette visite, avant l’Heure Pourpre, aurait plongé Morgan dans un état de panique absolue, d'effroi hyperbolique, à l'idée de trahir le secret de son existence, de sa nature, et de son lien avec Fred.
Après l’Heure Pourpre, elle le plongeait dans un état au moins équivalent, car il ignorait si sa « parentèle » de Rocroi savait pour lui, ce qu’elle en savait, et quelles inférences elle avait bien pu tirer sur son compte, sur la base de ces informations.
Lucien l’avait pris pour Freddy : à la bonne heure.
Il s’agissait maintenant de lui faire quitter les lieux avant que le véritable Fred ne débarque.
L’hydre n’avait même pas eu la présence d’esprit de lui demander ce qu’il fichait à la capitale, parmi toutes les interrogations qui se bousculaient dans son esprit.

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MessageSujet: Re: Cousineries Improvisées [Morgan]   Cousineries Improvisées [Morgan] I_icon_minitimeVen 5 Mar - 13:42

"Lulu", donc, ne savait pas trop bien à quoi il s'était attendu en venant ici. Il n'avait pas vraiment pris le temps d'imaginer la vie que devait mener le cousin aujourd'hui, ni dans quoi il devait vivre à présent qu'il n'était plus dans son repère d'artistes. Lucien n'était pas non plus reconnu entre tous pour son sens de l'observation, même s'il n'était pas idiot, mais il remarqua quand même en entrant que, de un : il vivait dans une mansarde ; de deux : c'était bizarre de le voir grandi ; de trois : le mobilier était un étrange mélange de moins-que-suffisant et de franchement luxueux ; et de quatre : un chien avait aboyé, mais il n'en voyait aucun.

Aussi sursauta-t-il légèrement quand un ton accusateur interrompit sa recherche visuelle du canidé sonore.
« Si c’Matante qui t’envoie pour la maison, t’peux tot’ suite aller y r’dire qu’la réponse, c’est toujours la même…
- Hein ? N-- Haaaaaaaan ! Quoi, c'tait çô s'papelard ?! Dame è lach né l'affaire... nan, j'venais pas d'sa pôrt t'inquièt' mais euh... Ben en fait, euhm... »

Il s'interrompit dans sa recherche de formulation adéquate  car quelque chose attira son regard vers un coin de la pièce occulté par des panneaux. Il ne vit que l'éclat de petits crocs dans une face poilue et eut un mouvement de recul.

Devant lui, son cousin attendait toujours son explication, et il se sentit vraiment tout seul, finalement. D'un autre côté, il était content, en dedans, de revoir cette tête-là, malgré les circonstances. Et dans son innocente caboche, il ne soupçonnait quand même pas qu'il serait foutu à la porte à coups de godasses. Ils étaient cousins, tout de même.

Un peu déconfit, cependant, il se demanda s'il devrait tout balancer d'une traite, ou essayer d'enrober un peu les choses. Il aurait voulu s'asseoir mais il ne savait pas s'il pouvait.
M'enfin, comme il était plus doué pour le tissu que pour la parlotte, et comme il était dressé là comme un sapin de Noël mort sur une grand'place un soir de printemps... Il soupira finalement un grand coup et lâcha d'un air de celui-qui-l'a-déjà-fait-plein-de-fois (ce qui était, naturellement, totalement faux) et en se grattant le coude :

« Ben en fait je m'suis débiné. Tu vois, à c'que la Mère et l'Père y n'sont né trop commodes euc'temps-ci, ben j'n'aveu né eu trop envie eud'rentrer, après les cours, s'tu veux. Pis comme j't'ai né vu d'pis longtemps pis qu'ça n'esteu né trop longue route, que j'me suis dit, bah...'Fin voilà qwô. » il toussa, un peu dégonflé sur la fin - il n'avait pas tant l'habitude de mentir aussi loin - et essaya de deviner la signification de l'expression du visage qui lui faisait face, sans y parvenir pleinement - il y avait quelque chose qui ne collait pas, mais probablement était-ce l'âge qui changeait les bouilles, et puis il était loin, le gamin plein de boue qui lui avait appris à faire des gateaux de bouses. Et il y avait aussi ce grognement de fond qui venait du euh... simili de chien à tête poilue qui le regardait toujours avec ses yeux louchants depuis son paravent...
Il tourna plutôt la tête vers la grande porte vitrée à petits vitraux qui composait le fond de la pièce pour se donner un peu de courage et poursuivit finalement en se fourrant les mains au fond des poches : « Bah j'voulais vwôr comment qu't'allais, qwô... » il toussa, cherchant un truc à rajouter. Ses yeux se posèrent sur le machin grognant. Il réfréna un pas en arrière.
« Joli cleb's, sinon... »

Ensuite il sourit. Gauchement.
Kof kof:

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Dernière édition par Frédéric Lenoir le Dim 28 Mar - 11:55, édité 1 fois
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MessageSujet: Re: Cousineries Improvisées [Morgan]   Cousineries Improvisées [Morgan] I_icon_minitimeVen 5 Mar - 22:37

De méfiant, Morgan se sentit devenir franchement sceptique. Il tentait d’assimiler les informations qui affluaient, sans piper mot, et sans cesser de dévisager le Lucien en se demandant s’il n’avait pas affaire à un canular. Difficile de dire ce qu’il aurait préféré…

Le papelard ? Quel papelard ?
Et Lulu qui faisait le mur ? On aurait vraiment tout entendu. Pour ce qu’il s’en rappelait, Lucien était un petit garçon « char-mant ! » avec ses grands yeux bruns et ses bouclettes, un peu poltron, obéissant, bref, tout le contraire de Fred, ce qui lui valait les éloges de leurs grosses balluches de voisines. En même temps, de l’eau avait coulé sous les ponts depuis…

Il l’écouta donc débiter sa tirade sans trop savoir qu’en penser.

Au fond de lui-même, l’hydre ne pouvait s’empêcher de ressentir une sorte de solidarité de fugitif pour l’adolescent qui se tenait là devant lui, pour le cas où il aurait dit vrai, et malgré l’invraisemblance de la chose. En tout cas, il ne se sentait pas le cœur de le mettre brutalement à la porte… Ce n’était de toute façon pas son style. Ses yeux se posèrent sur Poupette qui défendait sa portée lorsque Lulu en fit mention, et il songea à Fred. Il commençait à se demander s’il n’avait pas le don d’attirer à lui tous les énergumènes fugueurs des coins où il passait, et à cette pensée, il laissa échapper un reniflement hilare.

Lucien releva les yeux vers lui sans comprendre ce qui pouvait le faire rire.

« C’pas mon cleb’s, c’est Belzébuth, lâcha-t-il pour se justifier. Lui aussi y s’est débiné… »


C’est le moment que choisit l’un des Poupettons (le roux, qui était aussi le plus intrépide du lot) pour jaillir des ténèbres et venir renifler le nouveau venu, tout en remuant affectueusement sa queue touffue à la torsion improbable.

Morgan, lui, ne savait toujours pas sur quel pied danser. En désespoir de cause, il opta donc pour l’esquive.

« En causant d’ça, c’est pas qu’t’es pas l’bienv’nu, cousin… Mais bon, comme t’peux voir, c’est pas trop l’luxe, ici… »

Tout en parlant, il s’était adossé à une commode en palissandre aux décors surchargés, mais dont l’un des pieds était à faire remplacer.

« Et pis t’façon y’a pas trop d’place… »

Ses yeux glissèrent malgré lui vers la pièce du fond, où une méridienne en velours rouge aurait parfaitement pu servir de lit d’appoint. C’est d’ailleurs là-dessus que la Poupoutte avait mis bas. Heureusement qu’à l’origine, elle avait été recouverte d’un drap sergé pour la protéger de la poussière : ils n’auraient jamais eu les moyens de payer les frais de nettoyage, sinon…

« …Puis pour rien t’cacher, j’attends quelqu’un. »

Son regard se posa finalement sur la porte d’entrée, en évitant soigneusement de s’arrêter sur la bouille ingénue de Lucien. Morgan redoutait autant qu’il espérait le retour de Frédéric : au moins aurait-il le mérite de le tirer de cette situation gênante dans laquelle il était en train de s’embourber corps et biens.

Un ange passa.

« …Ah. »

Morgan tressaillit légèrement.

« Bon bah… Je vwô… »

Le soupir désappointé que laissa échapper Lulu aurait eu de quoi fendre un cœur. L’hydre ne put s’empêcher de tourner la tête vers lui, pour lui adresser un coup d’œil presque navré ; mais, tout en ayant l’air de comprendre où il voulait en venir, le garçon ne donnait pas signe de vouloir s’en aller. Il restait simplement planté là, les mains dans les poches et les yeux baissés, du haut de ses jambes qui paraissaient trop longues pour lui, comme un grand héron éconduit... Morgan, qui en avait oublié quoi faire de ses bras, les croisa pour se donner courage, et se râcla la gorge sans conviction.

Il se força à regarder ailleurs, tandis que le silence s’étirait. Ses pensées revinrent au « papelard », dont il commençait à soupçonner la teneur : si c’était bien ce qu’il suspectait, il se demandait pourquoi Frédéric n’avait pas jugé bon de lui en parler. En même temps, ce n’aurait normalement pas dû changer grand-chose pour eux… Puisque rien ne se passait, autant en avoir le cœur net.

« Pis c’pas la porte à côté, en plus, Rocrwô ?... » hasarda-t-il.

Son accent à lui avait beau s’être policé sur les routes, dans sa bouche, Rocroi ne serait jamais « Rocrwa ». Il toisait de nouveau Lucien, qui avait recommencé à froncer les sourcils, comme pour jauger par avance la crédibilité de sa réponse, de ses yeux bleus perçants.

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MessageSujet: Re: Cousineries Improvisées [Morgan]   Cousineries Improvisées [Morgan] I_icon_minitimeDim 28 Mar - 13:27

Lucien répondit distraitement, ne sachant pas exactement d'où débarquait la question. Il était sensé partir, finalement, ou on faisait la causette ? Il recula un pied quand une petite patte poilue voulut s'y poser.
« Euh, ben ça va. C'est l'Père qui s'ô v'nu l'premier, pou vwôr aveu la Fine oùsse qu'on pourrait s'mett'. On s'ô v'nu en train aveu la mère après, pis les brols par eul' train aussi. Çui d'môrchandiz'...Z'ont mis lô mojon à louwer au phôrmôcien d'à côté, pour s'gamine. »

Il avait dit ça d'un air absent en regardait le clébard roussâtre au faciès indéfini, qui tapait de ses patounes sur son soulier, sans oser bouger davantage. Ça n'était pas qu'il n'aimait pas les chiens, non. Mais ça n'était pas qu'il les aimait non plus. Il n'avait jamais été très doué avec les bêtes et il était passablement perplexe, pour le moment. Il se souvint distraitement que le Freddy, ç'avait toujours été l'inverse : il sortait les araignées plutôt que de les écraser, les regardait longuement, de tout près avant de les relâcher comme si elles étaient pour lui absolument fascinantes ; c'était lui qui avait pris le temps, un après-midi, de montrer à Lucien que le molosse qui leur aboyait dessus au portail des De Jonge pouvait devenir un gros toutou quand on savait y faire. Jusque là, Lulu en avait eu une peur bleue. Il n'avait pas développé le moindre intérêt pour l'animal après ça, mais il avait arrêté de changer de trottoir quand il y passait.

Le chiot se dressa pour poser ses pattes avant sur son pantalon et Lucien se raidit un peu, indécis, ne sachant trop que faire.
D'une petite voix pleine de tristesse, il lâcha : « T'es sûr j'peux pô rester, dis ? Jus' pour un swôr, qwô. J'é pô envie d'y r'tourner... »

*
*   *


À un bon quartier de là, Fred répondit au regard implorant de la jument de Monsieur Peyre, dont les pensées faisaient écho à celles de Lulu :
« Désolé, Princesse, mais c'est non. 'Faut qu'te rende j'a pô l'choix. On s'reverra, sois pô tris'. »
Monsieur Peyre l'interrompit en reprenant la bride de la Belle, sur un « Allez, finis les mamours, ma Cléo, y 'faut s'remett' au boulot ! ».
Fred lui laissa Cléopâtre de bonne grâce en lui flattant l'encolure une dernière fois, riant de son nom saugrenu, et la regarda regagner lentement les écuries de la Société de Transports par Cabs Peyre & fils.
Il était de bonne humeur. La journée s'était passée sans incidents, sans visites impromptues de gens qui voudraient le voir et qu'il aurait dû éviter en se planquant sous l'établis, sans animaux malades ni blessés, avec même la visite d'une petiote centaurette toute mignonne que ses parents venaient faire voir l'endroit pour l'habituer avant ses premiers fers, et Elias avait été d'humeur à chanter ses hymnes grecs douteux, que Fred apprenait à l'oreille à force de les entendre, ce qui faisait mourir de rire son comparse, tant son accent était épais.

Pour finir la journée, ils avaient vérifié que la Cléopâtre qui trainait chez eux depuis une semaine, était effectivement prête à rentrer chez elle, vu comme elle marchait bien, et Fred l'avait emmenée par la bride sous le beau temps, en lui parlant tout du long, ce qui fait qu'il n'avait entendu aucune des remarques inévitables qu'attiraient toujours son brassard. Les Peyre & fils étaient de très bons clients ; le gérant se moquait bien des brassards, et Fred leur ramenait souvent les bêtes directement parce que c'était sur le chemin.

Enfin... "sur ton chemin" aurait dit Elias. Fred sourit à cette idée, tout en tournant ses pas vers l'accueil. À force de se porter volontaire pour ramener les bêtes le soir, peu importe l'adresse de leurs propriétaires, Elias avait compris que Fred aimait faire des détours. Avec sa délicatesse habituelle, il avait tâté le terrain pour vérifier que ce n'était pas "rentrer chez lui" que Fred évitait et, comprenant que c'était plutôt le chemin de retour que Fred voulait varier autant que possible, au vu de sa situation, Elias avait commencé à proposer le service aux clients - facturé, bien entendu - pour lui faciliter la tâche.

Ayant récupéré ses trois sous pour le service, il passa par une pâtisserie et rentra chez lui en sifflotant - afin, une fois encore, de s'éviter d'entendre les remarques éventuelles - et traversa le passage du Caire sans dire bonjour à personne, et en montant les marches deux à deux. Il avait hâte de voir Morgan.
Il avait toujours hâte de voir Morgan. C'était long, un jour de travail sans être ensemble.

*
*   *

La porte s'ouvrit sur un « Salut Frangin ! » enthousiaste et un Fred souriant - chose rare ces derniers temps - que vint accueillir joyeusement le rousset de la portée poupetonne. Fred lui secoua les puces, puis leva les yeux, étonné de ne voir qu'un seul Molosse Terrible, puis se figea en découvrant Lucien au milieu de chez lui, face à Morgan. Son sourire fondit quelque peu, il fronça les sourcils, puis lâcha du même ton que son double avait employé plus tôt :
« …Lulu ?… »

Il lança un regard à son clône, cherchant à comprendre. Lucien ne sut dire ce qui passait entre eux, et resta planté là, bouche ouverte, avec un air ahuri de Prussien blessé sur le rivage découvrant deux têtes d'hydres devant son nez. Ses yeux allaient d'un Fred à l'autre.
Celui qui venait d'entrer demanda d'un ton neutre : « Mais qu'est-ce tu fous lô ? »


BWAHAHAHA:

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