Les fleurs étaient éclatantes sous le soleil du printemps. Quelques oiseaux se baignaient au bord d’une fontaine et des gouttes d’eau éclaboussèrent une pauvre silhouette qui se tenait agenouillée devant le marbre blanc. Son visage restait impassible, tandis que d’autres femmes vénales maudissaient le destin qui mettait à mal leur tenue impeccable. Entre les mains de cet homme reposait un autre oiseau immobile qui accaparait toute son attention, sourcils froncés alors que la plupart du temps, il gardait une attitude bien plus distante et presque blasée. Seul le Créateur avait le droit d’accorder la vie ou de la reprendre. Pourtant… Pourtant son cœur s’agitait devant la vision d’une créature si fragile qui souffrait, abandonnée par les siens.

Quelques battements d'aile permirent à Erwin de reprendre son souffle. Il n'était pas encore trop tard. Toutefois, cela ne changeait pas le fait que cette petite bête soit blessée. Il n'était pas médecin, mais il pouvait faire de son mieux pour la remettre sur pied. Il pouvait au moins partager les miettes de son repas de fortune. Cela lui ferait un nouvel ami, et peut-être qu'il apprécierait le chant d'hirondelle qu'on entendait par-delà les catacombes, une fois que ses pas retrouvaient le chemin menant à l'opéra pour travailler dans l'ombre des coulisses. Qui était à l'affiche, ce soir ?

Les gouttes d'eau qui glissaient sur sa peau lui firent relever la tête vers le ciel. Parfois, la gargouille regrettait cette difficulté à se concentrer sur le monde qui l'entourait, alors qu'il recelait d'innombrables beautés cachées. Ses pas se pressèrent pour trouver un abri. La force de la nature était sans doute une des seules choses qui lui faisaient peur. Plus important, il devait protéger le petit merle. Il serait regrettable que son état s'aggrave.

Dans son empressement, il n'avait pas vu qu'un petit groupe de badaux était en train de l'encercler. S'ils en avaient après son portefeuille, ils seraient affreusement déçus de ne pas trouver beaucoup plus que dix francs. Les apparences sont trompeuses. Voilà une leçon qu'ils apprendraient à leurs dépends. Car le colosse avait beau être stoïque et de marbre, cela ne signifiait pas que son sang était glacial pour autant. Il savait se défendre, et défendre les causes qui lui tenaient à coeur.

C'était tout de même dommage pour son veston, et il devrait remettre un peu de glace sur sa joue enflée, ou un nouveau sparadrap, mais cela guérirait rapidement, puisqu'il était robuste. Le principal, c'était que son oisillon n'avait rien. Dans le cas contraire, Dieu lui pardonne, il n'aurait plus été garant de rien et bien plus de sang aurait coulé dans les canivaux. Hélas, la pluie n'efface pas nos pêchés par la même occasion.