Once upon a time…
There is no Destiny without Hate
1859. Mon année de naissance. J'étais arrivé sur cette Terre, au milieu du mois de mai. Le climat était plutôt tempéré, la puanteur des égouts de Londres remontait calmement dans les quartiers les moins huppés, où criaient une multitude de bébés, nés dans des conditions trop pauvres pour pouvoir dormir confortablement. J'en faisais partie. Ma mère dut accoucher seule, accompagnée d'une amie de misère qui avait fait au mieux. Mon père... il ne m'avait pas coupé le cordon ombilical. Il n'avait pas embrassé sur le front ma mère me tenant dans les bras. Pour cause, il était tout simplement déjà parti lorsque je naquis.
Ce fut ainsi que j'entrai dans la vie. Vous l'aurez compris, une vie pas faite de joie et de festivités où la nourriture venait à manquer.
D'ailleurs, tout petit, j'étais chétif, je ne mangeais pas assez pour être autant robuste que les autres enfants, ce qui inquiétait beaucoup ma mère. J'ai quelques souvenirs de mon âge le plus tendre, où je m'endormais, blotti contre elle, enroulé dans les draps usés, près d'un feu de fortune durant les froides nuits londoniennes. Elle me serrait tellement fort, et frottait ses paumes contre mon corps pour me tenir chaud toute la nuit, tant elle craignait que je mourus de froid. Mais, plus que tout, je me rappelle des contes qu'elle me racontait... elle n'avait pas besoin de livres pour me les réciter. Tout était gravé dans sa mémoire. Je ne sus pas à l'époque qu'elle tenait ses histoires d'expériences vécues, et non de souvenirs d'enfance...
1865. Je n'ai pas grand souvenir de cette année, mais je savais que depuis plusieurs mois ma mère fréquentait un homme. Je ne saurai dire à quoi il ressemblait, mais je me rappelais que sa présence m'incitait toujours à aller me cacher pour une raison qui m'échappe encore aujourd'hui. Enfin, l'événement le plus marquant de cette année fut la naissance de ma demi-soeur, fruit de l'union entre ma mère et cet homme inconnu. Par contre, de l'accouchement, ça, je m'en rappelle très bien...
Maman hurlait. Elle hurlait... Ca lui avait pris tout à coup, alors que j'étais seul avec elle. L'homme n'était déjà plus avec nous. Il avait subitement arrêté d'être avec Mère. Elle pensait qu'il reviendrait, elle n'avait d'ailleurs cessé de le répéter alors qu'elle perdait les eaux. Mais... encore une fois; elle accouchait seule. La seule présence masculine qui fut à ses côtés : moi. Je crois bien que ce fut le premier jour de ma vie que je paniquais autant... Heureusement, des voisins bien attentionnés avaient veillé à ce que ma génitrice ne manquât de rien, et que le bébé se portât bien.
Je portai un oeil un peu dégoûté sur ce petit bout de chair brailleur aux grands yeux jaunes qui ne sentait franchement pas bon. Ma mère m'affirmait que c'était normal, que ma foi il lui fallait prendre un bain pour la purifier. Elle me demanda si je voulais le lui faire. Je n'ai pas souvenir avoir répondu, je sais juste que j'avais su directement la prendre comme il fallait, et l'avait trempé dans l'eau tempérée que la voisine avait préalablement préparé. A cet instant, elle s'arrêta de pleurer et me fixa. Puis, elle me sourit.
Lydia. Lydia était née.
1870. Avoir une petite soeur pouvait paraître pénible pour la plupart des autres jeunes enfants, mais pour ma part je ne me lassais pas de jouer avec. Elle n'avait que 5 ans, et moi 11, mais je prenais toujours un malin plaisir à aller piquer au commerçant du coin une poupée, malgré les protestations de mère, pour la lui offrir et la voir jouer avec. Je préférais d'ailleurs surveiller Lydia plutôt que de traîner avec les autres petits anglais de mon âge... guère étonnant, vu qu'à cause de ma longue tignasse noir, et le physique maigrelet que j'avais, on me surnommait "Croâ Croâ" ou "Raven". Ca ne me plaisait pas, et me blessait assez. Tandis que Lydia elle... m'adorait. Nous jouions ensemble. Nous adorions nous imaginer être des puissants sorciers ou guerriers, venus sauver le monde, armés de bouts de bois pour étayer notre imagination. Nous prenions plaisir à vaincre des loup-garous imaginaires, à décapiter des vampires ayant l'apparence de lampadaires... Telles étaient nos journées : une succession de jeu où nous étions tous deux les Héros. Cela nous faisait oublier la faim et le froid.
Lydia et moi avions passé ainsi notre enfance ensemble. On nous considérait comme la fratrie la plus complice d'Angleterre, comme aimait le dire Mère. D'ailleurs, elle était bien heureuse de voir que je m'occupais avec soin de ma petite soeur, et qu'elle pouvait ainsi se concentrer à travailler comme couturière et femme de ménage, plutôt que de surveiller sa fille unique. Grâce à cela, nous nous nourrissions en de rares occasions de viandes, plutôt que de féculents secs donnés par charité. Nous avions aussi reçu des vêtements plus chauds en guise de cadeaux de Noël de la part de Mère. J'ai d'ailleurs toujours conservé l'écharpe verte qu'elle m'avait offerte en l'occasion de cette fête chrétienne.
1873. A cette époque, j'avais 14 ans. Un jeune marmot, sans emploi, qui n'avait pas fréquenté l'école. Toutefois, Mère avait veillé tout au long de notre enfance que nous fûmes apte à lire, à écrire et à raisonner avec les chiffres. Elle, de son côté, avait eu la chance de recevoir une bonne éducation. Elle ne voulut jamais nous parler de nos grands - parents, ni de comment elle s'était retrouvée dans une situation si précaire, ni qui était mon père, mais ces questions, je n'osais guère les poser. La relation fusionnelle que j'avais avec ma mère m'était trop précieuse pour que j'osai la mettre en péril. Pour ça, elle m'en fut reconnaissante. Tellement que... un soir, alors qu'elle avait couché Lydia, elle vint à moi et m'invita à nous mettre à l'écart pour parler. Selon elle, j'étais devenu un homme désormais, et je pouvais connaître la vérité. Une vérité qui ne devrait pas être partagée avec ma cadette.
"Les monstres existent. Et crois-moi, parfois ils sont vraiment caché sous le lit..."
Cette phrase m'avait d'abord fait rire. Je voulais croire à ce côté fantastique, mais mon quotidien morose et dépourvu de magie me faisait demeurer terre-à-terre. Ma mère avait alors des larmes qui ruisselaient sur ses joues. Je compris qu'elle ne rigolait pas.
"La famille Gray possédait des terres dans la périphérie de Londres. Elle employait d'ailleurs des paysans pour faire de ces terrains un rendement. Nous étions aisé... jusqu'à ce que..."
La suite de l'histoire me perturba à l'époque. Mère était au bord de l'hystérie, sa respiration se faisait haletante et ses yeux totalement embués de larmes me hurlaient de la croire.
Alors en calèche avec sa famille, pour rentrer au manoir après une soirée mondaine en ville, Mère voulait profiter de la bonne humeur globale pour annoncer la bonne nouvelle à ses parents : elle était enceinte de moi. Elle n'avait que 17 ans et était pourtant mariée depuis un an à un bourgeois. Mais elle m'avait déjà.
Malheureusement, elle n'eut jamais l'occasion de le leur dire.
La voiture s'était soudainement arrêtée. Le chauffeur esquissa un furtif hurlement, couvert par des grondements bestiaux. Les rideaux de la calèche furent déchirés avant de se faire renverser. Les occupants de la voiture sortirent. Ils se retrouvèrent face à... un loup-garou. Un loup-garou qui s'empressa de plonger sa puissante patte dans la poitrine du Senior Gray, lui transperçant la cage thoracique sous les yeux terrifiés de sa famille. Et, alors que l'homme tombait raide mort, le loup garou lui arrachait son coeur, et le gober avec gloutonnerie.
Ma grand-mère aurait tapé ma mère pour la forcer à fuir, tandis qu'elle sembla avoir choisi de mourir avec son mari.
Ma mère me raconta qu'elle entendit le cri de sa génitrice transpercer le silence glacial de la nuit, précédé par un hurlement canin. La malheureuse orpheline qu'était devenue ma mère courut, courut à travers les bois. Elle me conta qu'elle crut voir et entendre tellement de choses...
Et qu'elle pouvait entendre les bruits de patte de la bête, la traçant comme sa proie.
A un moment, elle se serait arrêtée, en état de choc, immobile, attendant la mort. Le loup-Garou l'aurait approchée, aurait porté son souffle chaud et suintant sur son cou, pour la sentir.... et se serait éloigné.
"Tu m'as sauvé Randon ce jour-là."
Selon elle, le loup-garou ne s'attaquerait pas aux mères portantes et avait sûrement suffisamment à dévorer avec trois cadavres pour la laisser vivre. Elle était vivante, mais seule et... désemparée.
Après cette sordide nuit, elle essaya de revenir au manoir raconter ce qui s'était passé. Mais jamais personne ne la crût. Elle fut balayée de l'héritage par des parentés plus avides, et de sexe masculin. Son mari, trop intégré socialement pour oser s'afficher avec une femme croyant au loup-garou, décida de divorcer. Honte suprême pour une femme... la délaissant ainsi, avec quelques pièces qui ne couvriraient pas à ses besoins éternellement.
En plus, cet argent elle ne le toucha point. On l'envoya dans un couvent, qui s'empressa de ramasser sa trésorerie pour le peu de nourriture qu'elle consommerait.
Mais elle s'en échappa, après que plusieurs prêtres eussent tenté de l'exorciser, la croyant possédée, alors qu'elle clamait sa vérité.
C'était ainsi qu'elle se retrouva à la rue... avec comme seule richesse, la manifestation démoniaque et fantastique dont elle avait été témoin, et qui lui avait enlevé ses parents.
... Mère.... Peut-être avait-elle perdu l'esprit, mais cette histoire m'alla droit au coeur. Nous nous pleurâmes dans les bras. J'étais bouleversé. Je savais que tout ce qu'elle m'avait dit, elle le croyait dur comme fer. Je n'eus d'autre choix que de prendre pour vérité ce récit.
1875. Cette année, fut l'année la plus mémorable de ma vie. J'étais un jeune adolescent, croyant toujours aux êtres surnaturels et me nourrissant toujours des multitudes contes que me racontait Mère, ces différents contes qu'elle avait pu lire à travers l'ensemble des livres présents au couvent.
Ces livres étaient d'ailleurs sa seule occupation désormais. Ma pauvre mère prenait de l'âge. Les dures conditions de vie dans lesquelles elle nous avait éduqués avaient sacrément abimé sa santé. Ses articulations lui étaient particulièrement douloureuses. De l'arthrose atrophiait ses doigts qui avaient tant cousu. Ses vertèbres lui arrachaient quelques gémissements de peine lors de froid intense. Et pourtant, elle continuait à travailler. Pour ma part, j'avais trouvé un maître. Un homme qui m'accepta pour m'apprendre son métier : forgeron. C'était un boulot qui m'était pénible, moi, le frêle Corbeau. Mais je persistais. Je m'y appliquai du mieux que je pouvais. Malheureusement, je ne gagnais pas d'argent. Seulement si le client daignait accorder une bonne main pour le travail de l'apprenti, ce qui arrivait en de trop rares occasions pour considérer ça comme revenu. Mais au moins, j'avais de quoi m'occuper mes journées.
Néanmoins, Lydia me manquait terriblement.
Elle de son côté essayait de trouver une source de revenu comme elle le pouvait, à la hauteur de ses capacités.... qui étaient étonnantes.
Chaque soir, après le travail, j'étais ébloui par la quantité de pièces qu'elle nous ramenait. Mère et moi lui demandions si elle volait, mais elle répondait que non, c'était les gens qui lui donnaient. Nous connaissions la générosité des gens lorsqu'il était question de faire la manche, aussi, cela nous paraissait impossible. Alors... une fois, je m'esquivai de mon enclume, et allai espionner ma demi-soeur.
Sur la place publique...
Effectuant de la magie.
Créant artificiellement des flammèches de sa main qui s'évanouissaient rapidement dans l'air.
Faisant léviter quelque chapeau de tel ou tel Monsieur.
Les spectateurs, dont certains étaient effrayés, d'autres fascinés, jetaient des pièces pour inciter cette petite fille au cheveux foncés et aux yeux dorés de poursuivre. Pour ma part.... j'étais... mitigé.
Je n'y revenais pas.
Je me frayai un passage jusqu'à elle, que je pris par le poignet assez fermement, le marteau ayant enfin développé une musculature d'homme, puis je l'amenai vers mère. Forcément, elle protesta, ainsi que la foule, mais je n'en eus cure... j'étais... en colère.
Mère, à mon plus grand étonnement, haussa à peine un sourcil quand Lydia, de ses 10 ans, lui montra ce qu'elle savait faire. Elle souriait même.
"Ca, c'est bien la fille à ton père. Je suis fière de toi ma puce."
Je ne comprenais rien. J'étais pour la première fois réellement en face d'un événement saugrenu et malgré toutes ces histoires, je n'y étais pas préparé. D'abord apeuré de ces étranges capacités, et traitant ma soeur pendant un moment comme une étrangère, je devins... jaloux.
Lydia était... unique. Elle avait des capacités... effrayantes, surprenantes. Moi, que savais-je ? J'avais 16 ans, et je pouvais forger le métal... comme tant d'autres... Lydia quant à elle, personne ne pouvait l'égaler.
Mère n'aida pas à apaiser cette jalousie. Elle força Lydia à rester constamment auprès d'elle, pour lui apprendre à maîtriser ses dons, selon elle. Comment le pouvait-elle, elle qui en était dépossédée ? "Grâce au père de Lydia, je sais comment ça fonctionne", trouvait-elle comme excuse pour se divertir des prouesses de sa fille.
Pendant ce temps, je me démenai à la forge, mais rapidement, je fus découragé. L'argent n'entrait pas en quantité suffisante, ni assez fréquemment pour que je pus continuer. Un beau jour, je serrai la main de l'homme qui avait bien voulu m'enseigner son savoir-faire, et disparus.
A mon tour, j'allais à l'Eglise. Non pas pour y vivre, comme Mère, mais pour accéder, illégalement, à la bibliothèque se trouvant dans les bas-fonds. Celle où étaient regroupés tous les vieux grimoires, les Bibles noires et autres documents dits de sorcellerie qui étaient bannis. C'était ceux qui n'avaient pas été brûlés, pour une raison incongrue. Ceux qui avaient inspiré Mère pour nous conter ces histoires... A mon tour, je m'en inspirai.
Non pas pour pouvoir les conter... Mais pour les vivre. Il devait bien y avoir d'indiquer dans ces bouquins des sortilèges ou autres informations dans le but d'acquérir les mêmes pouvoirs que ma soeur !
Mais... rien. On naissait mage. On naissait avec des pouvoirs surnaturels. Ce n'était pas acquis, mais hérédité. J'en avais la haine. Pourquoi moi étais-je condamné à une existence pitoyable d'être humain, alors que ma soeur pouvait prétendre maîtriser le feu, l'eau, la gravité ??
Je ne voulais pas en rester là. Je me documentais, autant par les livres... que par les récits de vieilles personnes qui en avaient plus vécu que moi.
J'avais fugué durant cette année, un temps. Dépourvu de travail, et désormais sans mère ni soeur pour m'accueillir, je commençai mes premiers méfaits. Notamment les vols. Ou l'abus de la bonté des gens. Et je me rendis vite compte que ça payait bien mieux que les années de labeur que ma famille avait faites.
Aussi je continuai, au fur et à mesure que je récoltais des informations qui me permettaient de mieux contrôler ce monde surnaturel, ce monde qui était invisible aux yeux de tant de gens. On me prit pour un fou, un demeuré, mais je n'en eus cure. Je voulais tout savoir sur ces créatures mystiques qui peuplaient notre monde.
Et ma quête de savoir m'amena loin. Même hors Angleterre via les cargos.
1878. L'année de mon retour. J'étais parti deux ans. Sans dire au revoir à ma soeur ou à ma mère. Souvent, mon coeur en avait été meurtri. Elles me manquaient ,et j'avais honte de mon comportement. Mais je me croyais destiné à un grand avenir qui ne pouvait se faire sans ces sacrifices....
Désormais, je jugeai mon bagage suffisant pour prétendre retourner auprès des miens, et tenter de trouver du surnaturel à Londres.
J'avais 19 ans, et je croyais pouvoir dominer le monde. Quand je revins à notre taudis, je découvris ma demi-soeur grandie. Elle était alors âgée de 13 ans, et paraissait bien se porter. Nos retrouvailles furent émues. Ma mère me gifla trois fois au moins. Une fois pour avoir fugué, une autre pour ne pas les avoir prévenues, une dernière pour avoir fait aussi long. Et après, j'eus le droit à une entrave chaleureuse, pour être revenu sain et sauf. J'en souris.
Mais le sourire fut de courte durée....
Je fis mine de reprendre la même vie qu'avant, travaillant de petit boulot en petit boulot, comme déménageur, serveur d'un soir pour un resto miteux, mais la réalité était tout autre.
J'espionnais. Je guettais. J'enquêtais. Des meurtres à Londres... Un psychopathe. Peut-être... ou... peut-être pas. Les victimes éviscérées. Un loup-garou ? Non, les cycles lunaires ne correspondaient pas et le coeur n'était pas manquant dans tous les cas. Que cela pouvait-il être ? Un Rougarou, décidé à manger de la chair fraîche ? Au fur et à mesure de mon enquête, je trouvais cette possibilité de plus en plus possible. Durant mon voyage je m'étais entraîné au tir au fusil et au pistolet à rouex. Je savais également manier les armes blanches. J'avais sur moi cette lame d'acier et de fer. Je savais également confectionner mes propres balles que je pouvais renflouer de sel, purificateur, contre les démons et esprits, ou autres ingrédients.
J'avais en fait acquis un grand savoir qui faisait de moi un "chasseur". Mais... dans la pratique, j'ignorais si tout ce que j'avais vu pouvait réellement marcher. Mais je m'y aventurai.
Et c'est ainsi que je menai ma première enquête. Je connaissais le mode opératoire du tueur. Tous les 5 jours, une femme, viande tendre, était retrouvée à moitié dévorée dans les rues de Londres. Pas de témoin, rien du tout. Le corps était retrouvé au petit matin. Alors j'arpentais les rues, 5 jours après le dernier meurtre en date. Et, un cri m'alerta. Une prostituée, quelques rues plus loin, commençaient à hurler de terreur. J'arrivai. Devant elle, un être humanoïde mais qui ressemblait plus à un horrible troll bleu, avec ses traits déformés et défaits. Sans plus attendre, je le fusillai.
Rien.
Je pris peur. J'étais jeune, pas si costaud que ça, et j'avais en face de moi une créature capable de déchiqueter de ses mains un corps humain...
A ce moment, je courus comme un lâche.
La bête me suivit et délaissa sa proie d'origine.
Mais rapidement, les quartiers piégeurs de Londres m'amenèrent dans un cul de sac. Devant moi, un lampadaire encore allumé. J'étais cloîtré contre le mur, le coeur battant, croyant voir l'incarnation de la Mort devant moi... Elle respirait fort, bruyamment, ses pays étaient maladroits, tellement qu'elle semblait possédée par la plus pure forme de bestialité...
Je levai les yeux, regardant le ciel, me demandant si là-haut mon père m'observait, s'il était en vie ou déjà mort...
Puis je croisai le lampadaire, dans lequel s'éteignait la flamme. J'eus une idée. Je dégainai et tirai dans la lampe. Le verre de cette dernière éclata. Le liquide chaud de la lampe à huile se déversa sur le corps de la bête se trouvant juste en-dessous. Et, sans hésiter, sans peur aucune, alors qu'elle gémissait à cause de la douleur, je m'approchai d'elle, muni d'une vulgaire allumette. Prenant un élan de courage que je ne pensais pas avoir, je lui assénais une droite, puis craquai l'allumette sur son torse difforme. Immédiatement, tout s'embrasa.
Son corps se courba sous la douleur des flammes tandis que j'observais, ébahi, la créature mourir.
Ma première chasse. Mon premier... mort.
A cet instant, je pris connaissance du pouvoir que j'avais,
moi en tant que simple être humain. En tant que
vulgaire être humain ! Les rougarous étaient des humains nés de rougaroux originels. Ils pouvaient demeurer normaux à jamais, sauf s'ils se nourrissaient de viande humaine. A ce moment, leur apparence devenait monstrueuse. Mais pas seulement... leur odorat, leur ouïe, leur vision ainsi que leur puissance musculaire était décuplée d'au moins 50 pour cent.
Et pourtant...
J'étais parvenu à tuer cette créature, avec mon seul et unique savoir.
A cet instant, je sentis la jouissance de la puissance m'envahir. Je pouvais annihiler ces monstres, ce qui signifiait dans mon orgueil : m'élever au-dessus de ma condition d'être humain, et donc de proie potentielle à toutes bêtes à dents !
Lancé dans cet élan d'amour de la chasse, j'entrepris de mener d'autres petites enquêtes. Vous savez, les tous petits encadrés qui apparaissent dans les journaux, témoignant qu'untel ou untelle avait été retrouvé(e) mort(e) la veille, sans explication aucune... tous ces petits cas, je les étudiais.
Malheureusement, la plupart du temps, je tombai sur des simples crimes passionnels. Des hommes et des femmes qui, dévorés par leurs émotions, venaient à commettre l'irréparable.
Ces cas étaient d'un ennuyeux...
Mais au moins, ils occupaient mon temps et me donnaient un certain entraînement au niveau des investigations.
Ce petit manège, où je mentais à ma famille, lui faisant croire que je gagnais honnêtement notre pain, dura 3 ans.
1881. Une année riche en émotion. En Afrique du Sud, un endroit que j'avais eu la chance de fréquenter et où l'occulte et le surnaturel étaient bien plus courant que dans nos pays dits civilisés, des guerres se faisaient.
Les Boers, les paysans africains, défaisaient les forces armées britanniques. On entendait parler que de ça !
Mère annonçait que c'en était bien fait, elle qui avait toujours été contre le principe de colonisation, malgré ses origines de classe supérieure. J'étais d'accord avec elle, pour avoir vu pendant quelques mois ce peuple noir évoluer dans un milieu qui, malgré les apparences, était mille fois plus hostiles et impitoyable que celui des quartiers pauvres de Londres.
De plus, chez eux, la magie semble bien mieux fonctionner. Des personnes aux dons semblables que Lydia, j'en avais croisées. Et elles n'étaient pas que capables de quelques tours d'illusion... oh non. Créer un serpent à partir de rien du tout, faire un lion entièrement de flammes... voilà ce que je vis là-bas. Et, malgré l'ouverture et le sens du partage de ces mages, je fus dans l'incapacité d'acquérir leur savoir. "Loa natour ne t'a paas choisi pour la contwoler, p'tit homme blanc" qu'ils répétaient. Ces saligauds...
Enfin, outre de me rappeler mes souvenirs de voyage, 1881 fut une année de déchirement...
Lydia avait 16 ans. C'était une belle jeune femme, qui attirait les regards et les convoitises des hommes. Mère était d'ailleurs ultra protective avec sa fille unique, elle qui avait bien connaissance du mal que pouvaient faire les hommes par pur égoïsme. Pour ma part, j'étais de plus en plus distant depuis mon retour avec elle. J'évitai de la regarder exécuter ses tours de passe-passe, et je m'adonnai à ma chasse la plupart du temps. Partant tôt, revenant tard. Souvent, elle dormait déjà. Alors j'allais dans sa chambre, et la contemplais dormir. Me demandant, pourquoi elle ? Pourquoi...
J'essayai de tout mon coeur de redevenir ce grand frère complice, mais quelque chose entravait mon amour, et serrait mon coeur à chaque fois que je tentais une approche plus affectueuse.
Aussi, je préférais conserver cette politique de distance, laissant ma demi-soeur vivre son adolescence en paix, sans m'avoir dans les pieds.
Mère le remarqua bien, mais mit ça sur le dos de l'âge bête, ou d'une envie de ma part de faire mes propres expériences, loin de ma famille. Elle ne se doutait pas de la jalousie que j'éprouvais... pas le moins du monde.
Je la cachai bien à vrai dire. Jamais je n'eus une parole méchante envers Lydia qui aurait pu attester de ma rancoeur. Mais le feu qui brûlait dans mes iris devait suffisamment me trahir, ainsi que le ton sec et froid que j'employais lorsque je m'adressais à elle, sans le vouloir.
Et pourtant, ce qu'elle m'avait tiré de situations délicates, ma soeur.... même durant ma petite enfance, seulement, je n'avais pas réalisé que c'était dû à des dons surnaturels. Toutes les fois où elle m'avait aidé... et elle continuait à le faire.
Cela arriva lors d'une chasse, au mois d'avril 1881. J'étais alors à la poursuite d'une goule. Ces êtres ridés qui se nourrissaient de l'énergie vitale des enfants et des adolescents. Plusieurs cas de petits anglais tombant soudainement gravement malades avaient été signalés, tant que cela avait fait la première page, et avait fait paniquer les gens. Une épidémie, pensaient-ils.
Cette goule, se manifestait le soir, s'infiltrant dans les maisons. Elle semblait squatter un vieux bâtiment abandonné, et avait commencé sa terrible quête de nourriture dans le sens des aiguilles d'une montre, débutant par les maisons à la gauche du bâtiment, et en faisant le tour.
Je devinai alors quelle allait être sa prochaine victime. Enfin, du moins, le crus-je...
Alors que j'observai, armé d'un pistolet à rouex chargé de fer, elle était derrière moi. Me regardant. Je n'avais rien vu venir, que j'étais soudainement dépossédé de mon arme et entamai une voltige incroyable. Je réatterrissai par terre, le dos meurtri par le choc, totalement paralysé. Et... elle était sur moi. Ouvrant sa grande bouche, cherchant à aspirer mon âme.
Et soudain... une lame lui traversa le corps, et elle devint poussière.
Lydia était là, quelques mètres plus loin. Elle avait fait voler un de mes coutelas tombés lors de ma chute contre le dos de la bête. Grâce à ça, j'appris qu'il fallait les tuer lorsqu'elles se nourrissaient, uniquement.
Ce fut ce jour que ma petite demi-soeur apprit la vérité quant à mes activités. Cela me mit hors de moi. Je devenais facilement colérique avec elle, pour tout et pour rien, mais le fait qu'elle sut mon secret transforma mon calme ordinaire en haine monstre.
Nous nous disputâmes. Violemment, quand bien même elle m'avait sauvé la vie. J'étais trop aveuglé par la colère de n'avoir pas pu faire cette chasse seul pour manifester une quelconque gratitude.
La dispute fut tant cinglante que nous en vînmes aux poings. Oui, j'ai tapé ma petite soeur. Très fort. Mais elle savait répliquer, et je faillis en mourir. Ces dons n'étaient pas aisés à contrôler, paraissait-il, et sa jeunesse, son inexpérience, pouvait faire qu'elle en perdait le contrôle. C'était arrivé, lorsqu'elle m'envoya valser sur plus de dix mètres de hauteur.
Je me serai casser la nuque si je n'avais pas appris à bien tomber durant mes voyages.
"Très bien petite soeur... Occupe-toi bien de Mère. Mais... que je ne te revoie plus. Plus jamais. Et... si jamais j'entends parler de toi à Londres... je te chasserai, à ton tour."
C'est sur ces paroles que je partis. Je pris de l'avance sur Lydia pour aller dire aurevoir à Mère. Elle dormait. Je ne pus que lui déposer un baiser sur son front, lui laisser une lettre griffonnée, quelques centaines de pièces d'or, et je m'en allai. Définitivement.
1889. Voilà 8 ans que je parcourais le Royaume-Uni et ses colonies à la recherche de savoir et de chasses. Ce mode de vie me plaisait incroyablement. Des fois, les remords de notre dispute me tordaient le coeur, mais je les faisais rapidement taire d'un bon whiskey ou d'une bonne décapitation de vampires. Je constatais vite qu'on pouvait se faire beaucoup, beaucoup d'argent avec la chasse. Je récupérai les canines de la plupart des bêtes tuées, des fois leur fourrure, ou encore des éléments de leur organisme aux propriétés soi-disant magiques, comme la vésicule de loup-garou... Au fil des ans, je m’amassais une certaine fortune puisque je dépensais très peu. Je n'avais ni maison, ni femme ou enfants à entretenir, et étais libre d'investir mon or comme bon le semblait. Souvent, je renouvelai mon équipement qui se faisait âgé ou usé, j'achetai aussi des nouvelles armes qui pouvaient m'être utiles contre différentes types de créatures... et le reste, je mettais de côté dans les banques britanniques avec intérêt.
Parfois, pour me distraire, je m'invitai à des dîners mondains, où toute la classe sociale huppée se donnait rendez-vous. Je pouvais aisément passer pour une homme ayant fait fortune dans les voies de chemin de fer, ou un riche héritier d'oeuvres d'art. Personne ne questionnait la source de mon revenu, je me faisais invisible parmi ce beau monde. J'écoutai. Beaucoup. Et, contrairement à ce qu'on pensait, les riches aimaient se divertir des fantaisies les plus divers, notamment les contes... Je me fis rapidement des amis bien placés lorsque j'entamai des récits. Bien évidemment, je choisissais minutieusement les gens à qui je racontais mes bienfaits, ou méfaits. Je les préférais crédule, et pas trop intelligents. Car ces gens, me croyant et m'admirant - même, devenaient mes mécènes. Voire, mes meilleurs clients surtout. Des canines de vampire, des griffes de loup-garou, des cheveux de sorcière... tout ce qu'ils me demandaient, je le leur fournissais, et au prix fort.
Ainsi je devins une grande fortune. Avec le don de manipulation et la chasse, je fus dans la mesure de me faire construire un château... Mais ça... je n'y voyais guère d'intérêt. Pour l'instant, je conservai ma richesse pour la chasse... Et aussi pour louer un vaste cachot. Très utile.... pour torturer les proies capturées. Pour gagner en savoir... pour, peut-être, percer le mystère de la magie, et me l'approprier.
Cette soif de pouvoir m'amena un jour à Paris. J'avais lu dans les journaux à nouveau dans un petit encadré, que des événements étranges venaient perturber la quiétude de la ville des amoureux. Cela m'intriguait, surtout qu'il y avait des meurtres à la clé...
Aussi, je pris le premier cargo venu, puis le premier train, en direction de la cité parisienne. Et m'y voilà... Prêt à percer le mystère de ce cabaret.