Une vie d'observation pour de rare moment d'action...

J'aimerais vous dire que je suis née un beau matin de printemps, tel jour de telle année et que mon arrivée en ce monde à creuser d'adorables sourires de bonheur sur le visage de mes parents ; que j'ai passé mes jeunes années à jouer dans les jardins avec mes frères et soeurs et que chaque année, j'avais droit aux bougies sur le gâteau et aux cadeaux qui vont avec... Oui, j'aimerais dire ça, hélas, ce serait mentir...

Je pourrais vous dire que ma naissance n'était pas prévu, que mon enfance fut douloureuse, difficile, que mon père avait la main leste et que ma mère était trop occupé à aller se réconforter dans d'autres bras ; que comme fils unique, j'ai sombré dans la solitude et la folie jusqu'à en perdre la tête... Mais non, heureusement pour moi, il ne me semble pas que ce soit le cas.

En fait, ma naissance et mon enfance, je serais incapable de vous les décrire. Je les ai vécus, oui, mais vous souvenez-vous de vos cinq premières années, vous qui en vivez à peine une centaine ? Non n'est-ce pas, alors pardonnez-moi de ne me souvenir de quasiment rien, moi qui ai vécu en vérité une centaine d'année déjà. Certes, c'est vrai, on aurait pu me raconter l'événement et les anecdotes marrante de mon enfance, encore aurait-il fallut que j'ai quelqu'un pour me les compter.

Je ne suis pas si vieux qu'on pourra le croire, mes premiers souvenirs datent seulement d'un peu avant la révolution française. J'étais déjà « grand » à l'époque, considéré comme un homme et non un gamin, enfin, quand je prenais ma forme humaine, ce qui était assez rare à cette époque là. Il était tellement difficile de se nourrir que vivre tel un rat était bien plus facile. Nous, Chimères, sommes polymorphe, alors prendre votre apparence ou celle d'une bête c'est du gâteau et il faut dire que dans ce temps-là, j'avais plus souvent une queue et des poils ou plumes que la peau nue et des habits.

Bref, j'ai donc connu la prise de la Bastille le 14 juillet 1789. J'étais là aussi le 5 octobre, ou l'émeute, déclenchée par les femmes sur les marchés parisiens, atteint Versailles le soir. Toutes ses femmes qui se battent pour leurs familles plus que pour leurs vies, c'est quelque chose de grand, d'incroyable. Je crois que c'est à ce moment-là que j'ai commencé à les voir bien plus que comme de simples demoiselles aux tendres calins, mais en tant qu'être à part entière. Oui, j'étais jeune et idiot, je me souviens n'avoir au début aimé les femmes que pour finir dans leurs bras, mais ces femmes-là, s'était des guerrières, de vrais hommes en jupes. Elles méritaient peut-être bien plus de respects et d'égard que toutes autres créatures.

J'ai vu les fusillades et la cruauté des hommes, des parents abandonnés leurs enfants et des viols en tout genre, mais aussi l'amour dans ses plus grandes lignes. J'ai vu des frères offrir leurs vies pour nourrir leurs soeurs, des mères vendre leurs corps pour leurs enfants, des pères se tuer à la tache pour offrir ne serait-ce qu'un grain de riz à leurs familles. Bref, Paris à cette époque avez du mal, il fallait se rationné, se cacher si on était encore du côté de la monarchie, nettoyer le sang qui coulait de la guillotine. Noble ou non, elle avait coûté cher cette révolution et beaucoup l'on oublié, moi non, j'ai le souvenir des nettoyeurs que j’embêtais en mettant des traces de pattes rougies de sang partout alors qu'ils tentaient d'enlever toute trace.

Les temps vont mieux par la suite. Je me souviens avoir délaissé mes habits animales pour celle d'homme quand Napoléon fut sacré empereur. J'ai participé avec fierté à la construction de l'arc de triomphe et je connu mon premier coup de coeur : Claire. Elle distribuait de la nourriture aux ouvriers, surtout des petits pains. Je croit que c'est la seule personne que j'ai aimé plus que mon estomac. Elle travaillait dans une boulangerie, ses mains sentaient bon les croissant et sa voix était aussi douce qu'une mélodie. Une amourette de jeunesse qui termina sa vie avec un autre homme... Pauvre gars sans argent, sans travail et sans logement, je ne pouvais rien lui offrir comparé à lui. Lui dire ce que j'étais véritablement? Non, elle m'en aurait détesté d'avantage, déja qu'elle chassait les bêtes friandes des miettes à coups de balais, je la laissais donc partir avec les larmes aux yeux. La capitulation de Napoléon, du coup, c'est à peine si je m'y intéressai, trop occupé à soigner mon petit coeur blessé.

Paris fut comme un hôtel par la suite : un coup les anglais qui viennent squatter avec les prusses puis Louis XVIII, de retour de son exil à Gand, s'installe à nouveau aux Tuileries. Le temps passe, les gens s'entassent et les épidémies font la fête. Le choléra en 1832 fait 32 000 victimes il me semble. En 1848, la plusparts des morts vont à la fosse commune et les deux tiers des Parisiens sont trop pauvres pour payer des impôts. Le petit peuple, délaissée et excédée, se révolte encore et encore et moi, sous forme de chat, rat ou oiseaux, j'observe cette répétition miniature de la révolution. Je me demande finalement si l'humain n'est pas fait pour s'entretuer tout seul...

J'apprends le décès de claire et de ses enfants. Etrangement, je me sens désolé pour eux, mais je sais bien, je le sens, que ce ne sera jamais les premiers ni les derniers qui perdront la vie avant moi. La preuve, Charles X tombe aussi, mais ça, c'est pas une grosse perte. Le second empire fait son entré, Paris s'agrandit, de nouveau la paix et la reprise de mon apparence humaine pour en profiter.

Je passe rapidement sous silence la guerre franco-prussienne de 1870, et les autres guerres civiles, elles ne changeaient pas vraiment des autres : encore des scènes qui vous mettent les larmes aux yeux ou le baume au coeur. L'homme ne retient-il finalement rien de ses erreurs ou cherche-t-il un monde utopique qu'il n'aura jamais ?

Ça s'arrange de nouveau, peu à peu. Cette année, il y à une drôle d'exposition avec d'énorme bâtiment de fer. Je parierais bien mes plumes que tout ça sera rasé un jour où ils se révolteront encore, mais en attendant je profite de nouveau de ce temps de paix pour reprendre goût à la vie sous apparence humaine. Comme chaque temps d'accalmie, je me glisse parmi les gens, m'arrangeant pour n'être qu'une personne parmi tant d'autres dans la foule. Curieux j'en profite pour essayer les nouveautés qu'utilise les hommes et que je ne peux toucher en bête.

J'essaie de me retrouver une Claire aussi, ou du moins quelqu'un qui me plaira autant qu'elle, mais les demoiselles sont devenues exigeantes, à moins que ce ne soit moi le souci ? Perdre quelques petits bourrelets et me trouver un travail ne seraient pas si mal.... J'ai l'impression de devoir faire le paon, remarque, ça ne devrait pas trop me poser soucis vu ce que je suis, enfin, je crois... non?

Le Lost Paradise... Cet endroit m'attire. Mode petite fourmi, j'y suis entré une première fois, observant le tout, puis une seconde fois en mode petite mouche, cherchant toujours la discrétion, puis, voulant tester sous forme humaine alors que j'en avais pas vraiment les moyens, je pris l'apparence d'un des habitués. Oui, vraiment rien à dire, cet endroit me plaisait...

Je profitais un peu, il est vrai, jusqu'au jour où je faillis tomber nez à nez avec la personne que j'étais censé être. Il était temps pour moi d'arrêter ça avant de me faire prendre, mais quitter pour autant cet endroit, surement pas ! Prenant mon courage à deux mains, j'y postulais finalement, demandant au hasard le post de gérant des vestiaires en voyant un client mettre son manteau. Pourquoi je fus accepté ? Je ne sais pas, mais me voilà envoyer sur place à devoir prendre, ranger puis rendre les vestes et blousons en tout genre.

Et pourquoi pas après tout ? Etre payé, ce n'est pas si mauvais puis avouons-le, être sous forme humaines, voir tous ces gens, toucher à tout et tout, ça vaut bien le coup d'un peu de travail. Peut être que comme l'arc de triomphe, le Lost Paradise deviendrait important ? J'aurais alors mis mon grain de sel dans d'impressionnant symbole...