Tuer le temps est le comble de l'horloger ![pv Ester]

Le repas semblait interminable. Les trois garçons s'amusaient à jouer à la balle, se la lançant à travers la pièce, tout en restant installés sur cette table qui était beaucoup trop grande pour eux cinq... Lui, mangeait inlassablement son morceau de viande qui n'en avait même pas le goût. Trop fade... puis trop sucré. Et cette musique d'accordéon en fond qui ne ressemblait à rien.
Marceline se mise à rire et leva la main pour attirer l'attention de son époux. Il la regarda à travers ses lunettes sans verres et alors qu'il se questionnait sur la raison de son euphorie, elle hocha la tête et annonça d'une voix en écho quelque chose qui résonna comme une menace.

« Je suis à nouveau enceinte de Triplets ! »

« AAAAAAH NON PAS CA !!

Son propre cri le réveilla en sursaut, le sortant d'un songe étrange qui avait en réalité tout l'air d'un cauchemars. Tournant la tête dans tous les sens, son esprit revint petit à petit à la réalité et bientôt, son cœur cessa de s'emballer.
Ce n'était qu'un rêve.
Il soupira de soulagement et se redressa sur sa chaise. Il était dans sa boutique depuis tôt le matin et avait finit par s'assoupir malgré lui sur sa table de travail. Fort heureusement, il n'y avait pas de montres ou d'horloges posées dessus, et donc pas de désastres à déplorer.
Coincé au fond de son local à patienter inlassablement au son des tic tac incessant de ses pendules, il avait finit par se faire rattrapé par Morphée. Il ne dormait pas beaucoup ces derniers jours, Thibault, l'un de ses triplets, étaient parvenus à se blesser à la jambe lors d'un match à son école. Pas que cela l'empêche de faire ses nuits, non, mais son épouse était une véritable maman poule, ne cessant de se lever pour vérifier que son cher enfant ne manque de rien. Au final, c'était toute la maisonnée qui ne parvenait pas à fermer l’œil à cause de l'angoissée de service.

Tout en passant une main maladroite dans ses cheveux afin de les recoiffer un minimum, son regard circula le long de ses vitrines remplit de montres à gousset de tous genres, sur ses murs ornaient d'horloges plus ou moins grandes, de ses étagères avec des produits pour nettoyer soi-même ses pendules ou même des décorations. Juste de quoi faire des achats d'envie ou d'impulsion par la même occasion. Bien sûr, de là où il se trouvait, il voyait surtout son buffet où était soigneusement rangé le travail que les clients apportaient à réparer. Qu'il ait déjà terminé ou qu'il allait bientôt s'y mettre, tout était impeccablement organisé. C'était bien là sa seule grande qualité.

Charlie termina son inspection et se leva enfin afin de se dégourdir les jambes. Avec son pantalon trop court et maintenu par des bretelles, il n'avait pas le look digne d'un gentilhomme qui prenait soin de sa toilette. Après tout, sa clientèle venait pour ses montres, pas pour lui. Il était d'ailleurs rassuré de constaté que jamais encore on ne lui avait reproché son apparence un peu négligé, tant il faisait du bon travail. Tout artiste avait son caprice... Lui c'était de rester dans ce style vestimentaire d'homme lambda qui se fondait dans la masse. Il ne voulait pas d'histoires, ni se faire remarquer. Bon certes sa coiffure étrange n'aidait pas, mais il n'avait pas le courage de dire à sa femme qu'elle le coiffait vraiment bizarrement.

Faire quelques pas dans sa boutique le réveilla complètement, même si l'absence de présence humaine et le tic tac continue de ses objets fétiches lui donnait à nouveau envie d'aller s'allonger derrière son comptoir pour faire une sieste, cette fois-ci, moins stressante.
Mains dans les poches, il jeta un coup d’œil vers la vitrine. Le temps était clair aujourd'hui, il voyait passer quelques piétons et un peu plus loin, des fiacres et même une ou deux automobiles, pétaradant bruyamment, incommodant certain passants qui jeter un regard offusqué. Tous les jours se ressemblaient, dans une routine cruellement ennuyeuse quand il y réfléchissait un peu.
Il avait hâte de fermer pour prendre un verre dans un bar ou au cabaret, histoire de se changer les idées.

Alors qu'il regagnait le fond du local, le tintement de la clochette de l'entrée résonna, faisant sursauter le brun. Tient, un client ? Il n'avait pourtant vu personne se diriger vers ici. Bah, il n'était pas quelqu'un de très observateur, aussi cela lui importa peu finalement.
Il se tourna et observa le nouvel arrivant. Avec un timbre un peu morose mais restant courtois, il accosta l'individu.

« Bonjour, vous avez besoin d'un renseignement ? »

Ah la ville de Paris ! Le roulement des fiacres qui vont et viennent sur les pavés, les murmures des passants sur les trottoirs, les cris des enfants qui chahutent. La mélodie citadine vous emplit les oreilles et ne vous laisse guère indifférents. Ester elle s’y sentait comme emportée dans une danse aux pas variés et au rythme soutenue. Enveloppée dans son manteau rapiécé par endroits, elles parcourraient les rues pour de nouvelles courses.

« Le garde-manger se vidait trop vite ! » disait M. Augustin. Bah évidemment, ils étaient deux à manger maintenant. Forcément que ça partait plus vite. C’était mathématiques voyons ! Mais bon, ça n’était pas non plus le néant. Juste qu’il fallait faire les courses plus souvent. Et en un sens, ce n’était pas plus mal. L’apprentie photographe en profitait ainsi pour explorer un peu plus la ville à chaque sortie. Ces explorations n’allaient pas vite, mais cela importait peu. Aujourd’hui encore, elle devait découvrir un nouvel endroit. Mais cette fois-ci, elle n’y allait pas à l’aveuglette ! Non, elle avait planifié son trajet, et l’avait vérifié à plusieurs reprises, pour ne pas se perdre. Elle avait même demandé conseils à la boulangerie. Ils connaissent toujours leur quartiers ceux-là !
Il faut dire que la demoiselle n’a pas un très bon sens de l’orientation... aussi ne préférait-elle pas tenter l’aventure sans préparation.

Elle vérifia ses notes une dernière fois, et continua sa route un petit sourire aux lèvres. Dans son habit bien fermé elle craignait peu le froid. Seul sa tête et son chignon tressé en sortait, tel une tête d’épingle orange planté dans un bouchon bleu nuit. Il était un peu grand pour elle, mais elle s’y sentait à l’aise. Le bout de son nez rouge respirait l’air frais à plein poumons. Enfin sauf dans certains coins… où les aérations étant moins efficaces, les odeurs s’intensifiaient… un peu trop.

Ses yeux verts pétillaient de curiosité tandis qu’elle refaisait mentalement la liste de ses commissions. Le ménage était fait, sa lettre était envoyée, le déjeuner était déjà fait, et elle passerait chercher le reste des aliments sur le chemin du retour. C’était plus simple, et elle serait moins chargée pour marcher. Ouf ! Elle n’avait rien oublié on dirait.
Elle pouvait donc aller l’esprit tranquille chez l’horloger ! Enfin ! Depuis le temps qu’elle voulait s’y rendre. D’habitude, toujours à la même période, elle y allait pour faire vérifier sa montre. C’était son habitude, son petit rituel. Mais cette fois-ci, entre le déménagement, l’installation, le nouveau travail et tout le reste, elle ne l’avait toujours pas fait. Cela lui donnait le sentiment désagréable d’une tâche oubliée, non-accomplie, et il était temps d’y remédier.

Arrivée dans la bonne rue, elle ralentie le pas, pour être sûre de ne pas rater la boutique. Comme une enfant dans un endroit inconnue, elle regardait les enseignes et à travers les vitres ce que chacun vendait. Bon nombre d’entre elles lui paraissaient plus brillantes et fantaisistes que ce qu’elle connaissait déjà. Avançant peu à peu, elle aperçut enfin le magasin qu’elle cherchait de l’autre côté de la route. Vérifiant à deux fois que la voie était libre, elle traversa, et poussa bientôt la porte d’entrée.

Une clochette l’accueillit bien heureuse dans son tintement chaleureux. Ester sourit de nouveau. Ces sons là l’avaient toujours amusée. Mais une autre symphonie attira son attention, et entreprit de la charmer. Les montres, les horloges, les pendules trottaient à l’unisson. Ils chantaient en rythme, doux, mais présents, tels les battements de cœur d’un des plus grands rois : le Temps.
« Bonjour, vous avez besoin d'un renseignement ? »
Ester sursauta près de l’entrée. Elle n’avait même pas encore aperçu l’homme qui se tenait à quelques mètres. Quelle tête en l’air ! Elle le regarda un instant. Elle était un peu décontenancée, tant par le fait d’avoir été sortie de sa rêverie que de l’allure du monsieur. Il avait presque quelque chose de familier, mais… quelque part ça ne collait pas, ou plutôt, elle ne s’attendait pas à voir quelqu’un comme ça par ici.
Elle bredouilla, sans parler très fort :

« Ah ! Bonjour Monsieur, hum oui, je… je venais voir si vous pouviez… si je pouvais faire réviser ma montre. »

Elle posa son panier à ses pieds, enleva précipitamment ses gants avec l’aide de ses dents, et ouvrit deux boutons de son manteau. Elle sortit sa montre de l’intérieur la présenta devant elle. L’objet tenait dans la paume de sa main. Quelques petites rayures y apparaissaient ici ou là, mais le cadran en chiffre romain semblait indemne.

(HRP : Mille excuses pour le retard >< un gâteau au chocolat pour me faire pardonner ?)

La jeune femme qui se présentait devant Charlie était plutôt ravissante avec un visage doux. Cela rassurait quelque peu l'homme. Au moins n'allait-il pas travailler pour un rustre ou une vieille grincheuse. Avec un léger sourire de politesse, il s'approcha d'elle et prit délicatement la montre entre ses doigts maladroits. Il la fit tourner, l'observant avec attention, puis leva de nouveau les yeux vers la demoiselle.

"Bien, je vais m'en occuper de suite."

Il tourna les talons et se dirigea vers le fond de sa boutique, l'esprit ailleurs. Il n'avait pas souvenir d'avoir déjà rencontré cette femme et se demandait bien ce qu'elle pouvait faire dans le coin. Bah après tout cela ne le regardait pas, elle avait ses raisons et il n'avait pas à s'en mêler de toute manière.
Tirant sur le dossier de sa chaise, il s'installa dans un soupire fatigué devant son plan de travail.
La montre fut posée soigneusement devant lui, illuminé par la lampe dont se servait Charlie chaque jour que dieu faisait.
Ramassant ses lunettes loupe, il tourna le petit objet et l'ouvrit avec minutie, dans un geste habitué et expert en la matière, à force d'être répété inlassablement. L'engrenage était toujours en marche, tournant rapidement sans jamais se reposer. Tout semblait aller... Ah quoi que ce ressort là.

"Un des ressorts fatigue, cela risque de causer des retard d'heure. Je vais vous le changer ce sera rapide."

Se redressant sur son dossier, il tourna la tête vers ses tiroirs et commença à fouiller dedans, cherchant la perle rare dans tout son beau bordel. Où avait-il donc bien rangé les ressort de ce type de montre ?
c'était un peu dérangeant de réaliser qu'il ne s'en rappelait strictement pas, compte tenu qu'il ne croiser pas souvent cette marque. Et pourquoi il ne trouvait que des gros modèles au fait ?
Il lui fallut quelques secondes de latence avant de réaliser qu'il n'avait pas enlevé ses lunettes loupe et se retint de ne pas se cogner le crâne de la main. De toute façon ça n'aurait pas été très malin compte tenu qu'il allait encore les abimer en faisant cela. Oui, c'était déjà arrivé, il s'en mordait encore les doigts.

Il soupira et les retira, retrouvant soudain des matériaux à la bonne taille. rassuré, il recommença ses fouilles, un peu distrait. Il espérait qu'il ne passait pas pour un manchot sans cervelle. Déjà que dans la vie courante on n'avait pas grande estime de lui alors sur son lieu de travail... cela risquait de poser problème à l'avenir. Tentant de prendre un air détaché, cherchant toujours ardemment, il ouvrit la bouche, essayant de détourner l'attention de la demoiselle si celle-ci observait son manège.

"Votre montre semble avoir bien vécu. Vous la possédez depuis combien de temps ? Elle est vraiment de très bonne facture."

Il détacha enfin son regard de ses tiroirs, jetant un coup d’œil vers elle, observant où elle était et ce qu'elle faisait. Il n'avait jamais été très sérieux niveau surveillance, mais heureusement, personne n'avait jamais essayé de lui chourer une ou deux montres quand il avait la tête ailleurs. Pour une fois qu'il avait de la chance dans quelque chose, celui là.
Il cligna des yeux, se demandant si cette question n'était pas trop indiscrète. Bah il n'avait demandé d'où elle l'avait eu après tout... Et puis finir sur un compliment plaisait en général.

[Un peu court et très en retard, je m'en excuse >_<. j'espère que ça te conviendra]

L’horloger lui sourit à son tour, et cela la réconforta. Cette homme n’avait pas l’air auster et grincheux du papy à moustache, qui faisait office d’horloger de son village. Elle s’était habituée au fil du temps à ses airs rabougris, mais tout de même. Ce monsieur plus courtois n’était pas plus mal. En plus, il avait des airs de campagnards à sa manière. Cela rappelait sa terre natale à la demoiselle. C’était assez amusant.
De ses doigts nœuds, il saisit la montre, et elle le laissa faire. Si elle ne faisait plus confiance à un professionnel, à qui le ferait-elle ? Il l’examina et annonça qu’il s’en occupait immédiatement. Tant mieux ! Elle hocha la tête, ravie, et le suivit comme une enfant jusqu’au comptoir. Lui passa derrière, et elle resta devant, reposant son sac, à côté de ses pieds. Elle fit mine de regarder l’étalage, puis dès que le commerçant se fut concentrer sur son ouvrage, elle l’observa. Malgré les années, elle n’avait pas beaucoup eu l’occasion de voir un expert travailler sur sa précieuse montre. Maintenant que c’était possible, elle ne voulait pas s’en priver. Elle le vit soulevé avec doigté le boitier protecteur ouvrit grands les yeux. Elle-même ne s’y risquait jamais. Elle craignait trop de faire sauter tous les engrenages aux quatre coins de la pièce, avec son éternelle maladresse. Si elle ne pouvait voir ou comprendre tous les gestes de monsieur, elle en saisissait la précision. Elle était impressionnée.

Quand il annonça qu’une pièce était à changer, elle se recula de quelques centimètres, de peur que sa curiosité ne soit découverte. Tournant le regard ailleurs, elle répondit poliment :

« Oh, très bien. Je vous remercie ».

L’homme soupirait de temps en temps derrière son comptoir. Ester le regarda avec une pointe d’inquiétude. Mais il ne semblait pas s’en préoccuper, et continuait son ouvrage. Ses mains travaillaient avec minutie et synchronie, comme si ces mouvements étaient inscrits dans ceux de son corps. Nul doute qu’il avait plusieurs années d’expériences derrière lui.
Lorsqu’il releva la tête vers elle, elle faillit se mettre à rougir. Ses propos lui peignirent un large sourire sur les lèvres. Oh oui ! Cela faisait un bon bout de temps qu’elle avait cette montre, et elle en était fière. Les mots de l’horloger la ramenèrent dans le passé. Son regard se perdit sur les pendules, tandis qu’elle se souvenir du jour où elle l’avait reçue. C’était à ses huit ans que son oncle et sa tante le lui avait remis. C’était un souvenir de son père, un des seuls d’ailleurs. Elle en fut bien émue. Depuis lors, l’objet ne l’avait plus quitté. Fut une époque, elle la rangeait même dans un morceau de tissu pour ne pas l’abîmer !
Mais revenons-en au présent ! Elle reporta son attention sur l’horloger :

« Je vous remercie, le compliment me va droit au cœur. Cette montre doit avoir environ vingt ans. Elle a survécu à bien des péripéties vous pouvez me croire ! » fit-elle avec un sourire gêné.
« C’est un souvenir de famille. J’y tiens beaucoup…
Mais j’imagine que ce n’est pas la première fois que l’on vous dit ça. »

Elle releva la tête et admira les œuvres accrochées au mur. Elle ajouta alors :

« Vous avez de magnifiques pendules !
Cela fait longtemps que vous tenez cette boutique ? »

[Ne t'inquiète pas, ça me va tout à fait. Ma réponse n'est pas très longue, j'espère qu'elle te va aussi ?]

Son compliment semblait avoir fait mouche et il s'en réjouit intérieurement. Au moins avait-il fait plus ou moins bonne impression. Enfin c'était une façon de voir les choses.
Il tendit l'oreille quand elle lui expliqua l'âge de la montre et son origine. Il esquissa un sourire, la regardant dans les yeux et lui répondant avec une voix plus franche qu'il ne l'aurait cru.

"En effet, beaucoup de montres ont leur lot d'histoires. Il n'est pas rare d'entendre des faits que je n'aurais aucunement imaginé... Même si en réalité, cela concerne le propriétaire plus que l'objet en lui-même qui avait vécu tout cela."

Il repartit à la recherche du ressort, fouinant derrière quelques babioles plus ou moins anciennes. Finalement, et par miracle, il dénicha enfin ce qu'il convoitait, le ressortant du bordel ambiant du bout des doigts. Il lança un soupire de soulagement et regarda vers la cliente qui abordait un autre sujet, observant ses pendules accrochées aux murs. il la remercia pour le compliment et haussa furtivement les épaules, tout en préparant de quoi réparer l'objet.

"Cela fait quelques années oui, tout comme votre montre, c'est de famille. Elle appartenait à mon père qui me la transmis. Elle en a vu passer des gens. Je crois même que certaines pendules sont plus vieilles que moi... Peut-être que je donnerais à mon tour à un de mes fils qui sait ?"

Toujours légèrement souriant, il reposa son attention sur la montre et commença à travailler dessus avec minutie, enlevant le ressort défectueux pour le changer avec le nouveau dont il avait tant eu de mal à dénicher. L'opération était assez facile, mais il devait restait malgré tout concentrer pour ne pas dérégler complétement le mécanisme. Oh bien sur, si cela arrivait, il était capable de tout remonter comme à l'origine sans le moindre problème, mais cela n'allait certainement pas être bien vu par sa propriétaire.

"Vous avez des enfants ou projetez d'en faire ?"

C'était une question complétement stupide, il en était bien conscient, mais quitte à papoter entre eux pour passer le temps, il cherchait n'importe quoi qui pourrait la faire parler ou lui donner un sujet de conversation. Après réflexion, il ne l'avait jamais croisé dans le magasin.

"C'est la première fois que vous venez ici n'est-ce pas ? Vous avez emménagé dans le coin récemment ou je me trompe ?"

Il afficha un nouveau sourire en jetant un coup d'oeil vers elle avant de reprendre son travail, pouvant parfaitement parler et pratiquer son art en même temps. Il ne fallait pas croire que les hommes ne savaient pas faire deux choses à la fois, c'était un cliché... Plutôt véridique pour d'autres activités, mais par chance, converser n'était pas trop compliqué pour lui.

Tic, tac, tic, tac. C’est le son que font généralement tous ces objets qui nous indiquent l’heure actuelle. Et pourtant, ce n’était plus le présent mais le passé qu’Ester apercevait à évoquer sa montre. Un passé qui lui semblait à la fois très proche, à la fois si lointain. Le drame enflammé qui lui avait pris ses parents, ses péripéties enfantines, tout cela semblait si éloigné. Tout comme son village d’origine qu’elle venait de quitter. Il avait ce petit quelque chose d’à la fois familier, et malgré tout inaccessible.
Mais comme le soulignait cet horloger, sa montre ou tout autre objet n’était souvent qu’un prétexte. Il faisait office d’excuse pour raconter sa propre histoire, ses propres aventures si subtilement enjolivées. La montre de la demoiselle avait littéralement survécu à un incendie. Mais ce n’était pas le genre de sujet sur lequel elle aimait s’étendre. Alors inutile d’en rajouter. Pour le reste, elle trouvait la remarque de l'artisan tout à fait pertinent, et elle réprima un petit rire d’approbation.

Absorbée dans son observation du magasin elle changea alors de sujet. L’homme continua son ouvrage, tout en suivant le rythme de la conversation. Entrainée dans ces échanges amicaux, la demoiselle en oubliait le temps qui passait. Un comble non ? Avec tant de pendules autour de soi. Mais, ainsi donc, la discussion avait tourné sur les thèmes de l’héritage, et de la transmission. De vastes sujets qui soulevaient autant de questions dans l’esprit de la jeune femme. Heureusement, avant de se laisser emporter, elle put se raccrocher aux paroles de son interlocuteur. Lui avait des enfants. Ce n’était pas très étonnant, vu l’âge supposé du monsieur. Elle l’imagina alors entouré de différents enfants, et trouva la scène plutôt amusante.
Elle lui rendit son sourire, jusqu’à ce que ce dernier lui pose la question fatidique. Si elle avait des enfants ? Elle faillit avoir un mouvement de recul rien qu’à entendre ces mots. Ses joues s’empourprèrent et elle se recroquevilla dans son gros manteau.

« Malheureusement non… je… ce n’est pas pour tout de suite. Il faut d’abord trouver un bon père pour ça… C’est mieux non ? »

La porte s’ouvrit en tintant, au terme de sa question, et Ester regarda le nouveau venu avec un brin de gratitude. C’était ce qu’on appelle être sauvé par le gong. Ce n’était pas un sujet sur lequel la jeune femme aimait s’étendre, et voilà une échappatoire ! Quelle aubaine !
Son sauveur était un homme plus âgé. Il entra dans la boutique et les salua poliment. À la suite de quoi, il parcourut les étagères, les sourcils froncés, les mains dans le dos, en grommelant des choses incompréhensibles à l’oreille d’Ester. Une ombre le suivait, l’intimant à se montrer moins ronchon. Mais bien sûr, il ne l’entendait pas. C’était un fantôme. Lorsqu’elle s’en aperçut, l’apprentie photographe afficha un regard inquiet. Le mélange des fantômes et des vivants, elle n’aimait pas trop ça. Mais l’homme s’en alla quelques secondes plus tard, peu convaincu ou peu décidé. Elle se détendit alors, et reporta son attention sur l’horloger.
Suite à la nouvelle question de ce dernier, elle afficha de nouveau son sourire chaleureux. Puis elle répondit, non sans une pointe de timidité :

« Vous avez le regard perçant monsieur ! Vous avez raison, cela ne fait que quelques semaines que je suis arrivée à la capitale. Je m’appelle Ester Jones, je suis… apprentie photographe ! » annonça-t-elle avec une pointe de fierté.
« Enchantée, monsieur… ? »

HRP:

Concentré sur son travail, il avait à peine remarqué l'autre client. Mais il le connaissait et n'était donc pas inquiet de son comportement et de son départ aussi rapide que son arrivée. Il occupait ses journées à déambuler dans le quartier, parfois venait papoter du temps qui passe, trouvant le sujet très pertinent avec un horloger... Charlie ne savait pas si c'était de l'humour ou de la bêtise mais acceptait toujours de papoter avec lui quand il en avait l'envie. Apparemment ce jour là il n'en voyait pas l'utilité. Bah il reviendrait bien assez vite.

La jeune femme s'était légèrement empourpré à sa question des enfants. Il l'avait relevé lors de la fraction de seconde où il avait levé les yeux vers elle et s'était sentit idiot d'avoir demandé cela. Ayant eu ses enfants très jeune, il lui arrivait d'oublier que les jeunes actuels attendaient un peu plus longtemps avant de s'engager dans cette galère... euh, dans cette incroyable aventure qu'était l'éducation de bambins.
Heureusement, elle accepta volontiers de changer de sujet et répondit à sa dernière interrogation, confirmant le fait qu'elle n'était pas du coin. Elle lui avoua même son métier. Cela le fit légèrement rire, la trouvant plus détendue.

Il leva son nez de la montre et la regarda droit dans les yeux, lui rendant son sourire. Il avait presque terminé et s'accorda une seconde pour soulager son dos et ses yeux. Figé sur ce travail minutieux, il était parfois contraint de rester immobile un long moment, usant son corps avec le temps.

"Charles Antoine Colbert. Ravie de vous rencontrer. J'espère que la Capitale vous donne bonne impression, je sais que l'endroit en a déstabilisé plus d'un, mais on finit par s'y faire et bientôt, vous connaîtrez par cœur tous les bons coins de Paris."

Il hocha la tête pour confirmer ce qu'il avancé avec assurance et se pencha une dernière fois sur la montre, terminant le travail, laissant repartir le petit balancier.

"Vous photographiez quoi exactement ? Vous faites des portraits ou prenez des paysages ?"

Il ferma le socle, s'assura que cela tenait et ajusta l'heure à la seconde près avant de se lever, retirant enfin ses accessoires stupides.
Il se leva et posa la montre remise à neuf sur le comptoir devant la demoiselle, assez content de lui.

"Et voilà, elle a retrouvé un peu de sa jeunesse, soyez sans crainte, elle a encore de beaux restes."

Il s'étira légèrement pour soulager ses épaules endoloris et rangea ce qui trainait sur le meuble devant lui, réalisant que ce n'était pas professionnel du tout. Il manqua de faire tomber une pendule en s'emmêlant les pieds mais parvint à la poser sur sa table de travail sans casse. Il grogna légèrement pour lui mais se reprit et se racla la gorge comme si de rien n'était, observant Ester d'un petit air gêné.

Oui, Ester était fière de son futur métier. À vrai dire, c’était à peu près tout ce qui lui restait en un sens. Un nouveau métier, pour une « nouvelle vie ». Alors elle s’y accrochait dur comme fer ! Son entrain sembla plaire à l’horloger. Oui, être déterminé, c’était quelque chose que l’on vous reprochait rarement.
L’homme se présenta à son tour, et fit quelques remarques sur la capitale. Elle l’écouta avec attention, car depuis le début de la conversation, il n’avait cessé de faire de justes observations, et celles-ci n’échappèrent pas à la règle. Charles Antoine Colbert avait raison. Cette grande ville avait de quoi en dérouter plus d’uns ! C’était évident, d’autant plus quand on venait de la campagne, comme notre petite rousse. Mais elle n’en était pas vraiment effrayée. Elle savait que ce serait différent, elle le voyait, et elle était prête à s’y adapter. Buvant les paroles du père de famille, elle hocha la tête à son tour. Oui, elle aussi connaitrait les bonnes rues de Paris, et celle où elle se trouvait actuellement était bien partie… pour en faire partie justement !

Et tandis que ces pensées défilaient, la voix de l’homme s’éleva de nouveau. Il voulait savoir quel genre de photos elle prenait ? Les yeux de l’apprentie se mirent à briller, et un sourire irrépressible apparut sur ses lèvres. Se voir questionner sur sa passion, n’était-ce pas le rêve de tout le monde ? Aussi elle ne se fit pas attendre pour répondre, avec quelque modestie tout de même :

– Eh bien… pour le moment, je fais surtout des portraits. C’est ce qui est le plus demandé. Mais au fur et à mesure que je découvrirais la ville, j’essayerais d’en capturer les jardins secrets ! Hihi !

Elle se laissa aller à un ton plus jovial. C’était bien différent de son air réservé de d’habitude. Mais l’intérêt inattendu qui lui était porté avait fait fuir sa timidité. Cet horloger un peu négligé, était en fait très gentil, et très concerné par ceux qui l’entouraient. Du moins, c’était l’avis de notre petite rousse.

Un petit clac se fit entendre, et la jeune femme reporta son attention sur le comptoir. Sa montre semblait avoir recouvré son intégrité de base. Encore quelques petits réglages, et le maitre artisan présenta l’objet à sa cliente avec satisfaction. Celle-ci prit la montre dans sa main, et l’ouvrit avec un sourire tendre, et un petit soupir. Elle observa quelques secondes le tic-tac, puis la rangea soigneusement dans son manteau.

- Merci beaucoup ! dit-elle enfin, tandis que l’homme rangeait son espace de travail.

Absorbée dans sa contemplation, elle n’y avait même pas prêté attention. Ce n’est que lorsqu’une pendule vacilla en direction du sol, qu’elle tendit le bras pour la rattraper. Mais ce fut inutile. D’une part, parce qu’elle était bien trop loin pour pouvoir l’attraper, et d’autre part, parce que l’horloger s’en était occupé à sa place. Il ronchonna alors pour lui-même, et la regarda avec embarras.

- Vous avez de bons réflexes on dirait… fit-elle dans un léger rire.

Elle avait bien vu son air maladroit, mais elle était bien mal placée pour lui reprocher. Aussi préférait-elle en rire.
Enfin… Elle fouilla bientôt dans ses poches, en sortit une vieille bourse brodée, et demanda :

- Combien je vous dois ?

Son travail enfin terminé, il était assez satisfait de son travail, mettant un point d'honneur à tout faire avec le plus grand professionnalisme. Et l'air réjouit de sa cliente le rassura grandement. Même si elle n'était encore qu'une inconnue, il n'avait aucune envie de faire mauvaise impression. Il avait beau avoir de base un look singulier, il était inutile d'en rajouter en avouant qu'il était quelqu'un de maladroit et un peu fataliste.
Elle rit de son réflexe et lui demanda le montant pour la montre. Charlie resta un instant figé, la tête ailleurs, quand il revient sur terre, s'avançant vers sa caisse, manquant de trébucher en s'emmêlant les pieds. Après un rapide calcule et avoir tapoté sur sa vieille caisse, il sortit un bout de papier avec le prix dessus. Ce n'était guère cher, il n'avait pas eu à faire de grandes modifications dessus après tout.

Il lui tendit en annonçant le coût d'une voix un peu trop basse à son goût. Il était comme ça. Au moment du paiement, il avait toujours peur que ses tarifs soient mal reçus. Il avait tellement entendu ses voisins commerçants se plaindre des clients de mauvaises foi. Heureusement, il n'avait encore jamais subit cela, peut-être parce qu'il faisait trop pitié pour oser l'extorquer ? Ou sa clientèle était elle constituée que d'individus reconnaissant son travail ? Il l'ignorait... A moins qu'il faisait des prix tout simplement à portée de tous, allez savoir.

Il afficha un petit sourire timide, tandis qu'il jetait un coup d'oeil vers la silhouette d'un riverain qui regardait les horloges présentes dans sa vitrine.
Il finit par encaisser son dû et rangea tout ça soigneusement dans la caisse enregistreuse. Quand tout fut terminé, il se tourna vers Ester et hocha la tête, un peu plus motivé.

"Je vous remercie, ce fut un plaisir de vous rencontrer. J'espère que tout se passera bien dans votre travail et que vous vous acclimaterez rapidement à Paris. Passez une bonne journée, Mademoiselle Jones."

Il afficha un grand sourire jovial et la regarda s'en aller, restant seul avec ces tic tac incessants qu'il n'entendait même plus. Il était toujours agréable de faire de nouvelles rencontres. Il s'étira et alla chercher un balai en arrière boutique. Il était temps à présent de nettoyer un peu la pièce sinon lui aussi aller finir couvert de poussières.

[voilà. Scuze pour le temps, je suis pas douée pour conclure. j'espère que ça ira ^^]

» Les Albums d'Ester
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» Les fleurs de Septembre [Élona et Ester]
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Tuer le temps est le comble de l'horloger ![pv Ester]

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