Des guirlandes de fleurs cousues à même la peau

Un silence lourd d'attente s'allonge dans la salle, et les spectateurs figés retiennent leurs souffles. Là-haut, sous le plafond, une silhouette gracile vient d'apparaitre, comme une fleur diaphane éclose de la pénombre ; le mince fil d'acier tremble lorsqu'elle y pose ses pieds, puis elle ouvre les bras et s'avance en dansant au-dessus de la scène. Un chuchotement annonce « Phaedra, la funambule » : les nuques des clients se courbent vers les airs, et les notes hypnotiques d'une mélodie s'élèvent dans la pièce.

Vu d'en bas, on ne distingue d'abord qu'une ombre fantomatique, les longues jambes laiteuses semblant fouler le vide, dans un mouvement gracieux de ballerine ; puis on note la ligne anguleuse des hanches, et la taille fine serrée dans un maillot d'argent. Une ombre à la poitrine signale la présence de seins à peine visibles, et, lorsqu'elle penche la tête, des mèches de cheveux bruns lui mangent le visage. Alors que la musique envoûte les spectateurs, sous leurs yeux médusés, l'équilibriste tangue et oscille sur son fil. Tordant son cou, son buste, ses poignets, elle vole et virevolte au-dessus de la foule, défiant la pesanteur, paraissant se jouer du danger qui la guette.

Pendant tout le temps que dure son numéro, elle va et vient, ondule, son corps mince épousant le vide tout autour d'elle. Enfin, dans un sursaut, la musique s'affole avant de se suspendre ; la paume de sa main enveloppe sa cheville, et elle tend sa jambe droite au-dessus de sa tête. Sous la lumière blafarde, les tatouages de fleurs, noirs sur la peau blanche, accrochent tous les regards. Elle reste immobile quelques instants encore, puis sourit et salue, tandis que des applaudissements éclatent à tout rompre.

Lorsqu'elle est à terre, elle conserve cette grâce qui l'habite dans les airs. Sa démarche est fluide et harmonieuse, dansante ; en marchant, elle se tient sur la pointe des pieds, et on a l'impression de la voir glisser sur le parquet. Volatile, elle aime se couler comme une ombre le long des murs, la tête légèrement inclinée vers l'avant. Ses cheveux courts encadrent son visage en pointe, dissimulant ses yeux sombres et ses larges cernes, jouant contre sa bouche aux lèvres desséchées. Elle n'aime pas son nez, qu'elle trouve un peu trop long, et se montre volontiers de profile pour le dissimuler ; on n'aperçoit alors que ses pommettes saillantes et ses joues cireuses, creusées d'une fossette dessinant de petites tâches d'ombre sur la peau blême.

Quand elle ne porte pas son costume de scène, elle aime s'enrouler dans des robes aux longues manches flottantes ; le tissu vaporeux ondoyant à chacun de ses gestes, comme les ailes déployées d'un grand oiseau de nuit, produit un bruissement qui évoque la brise.

Telle est Alix-Cléo : des traits de son visage aux courbes de son corps, dans sa démarche, son rire, son regard brumeux et fluctuant, dans sa façon encore d'apprivoiser l'espace au sol et dans les airs, tout en elle suggère l'impulsion et la fuite.